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Vie des entreprises

Reclassements et réintégrations

Vie des entreprises | CHRONIQUE JURIDIQUE | publié le : 01.09.2005 | Jean-Emmanuel Ray

Mieux vaut prévenir que guérir. Louable, l'objectif poursuivi par la loi du 18 janvier dernier réformant le licenciement économique risque de soulever de délicats problèmes d'interaction entre le plan de reclassement préventif, façon GPEC, et le dispositif curatif du PSE. Autre apport de la loi : un sérieux tour de vis aux possibilités de réintégration.

Obligation de reclassement, congé de reclassement, convention de reclassement personnalisée, plan de reclassement s'intégrant au plan de sauvegarde de l'emploi (PSE)… Au-delà de la tradition européenne de responsabilité sociale de l'entreprise, la loi de cohésion sociale du 18 janvier 2005 a rappelé que la lutte contre l'exclusion commence par le maintien de l'inclusion, comme l'avait déjà énoncé l'avenant de 1974 à l'accord national interprofessionnel de 1969, puis la loi d'août 1989.

« Considérant que le législateur a opéré entre le droit de chacun d'obtenir un emploi, dont le droit au reclassement de salariés licenciés découle directement, et la liberté d'entreprendre, à laquelle la réintégration de salariés licenciés est susceptible de porter atteinte, une conciliation qui n'est entachée d'aucune erreur manifeste. » Ayant obtenu de façon indirecte son brevet constitutionnel avec la décision du Conseil constitutionnel du 13 janvier 2005, l'obligation de reclassement constitue aujourd'hui le noyau dur du droit français des restructurations : elle vise tous les licenciements économiques (individuels et collectifs) et ne peut faire l'objet des dérogations prévues par les accords encore dits « de méthode » prévus à l'article L. 320-3 du Code du travail.

1° Reclassements : de L. 320-2 (à froid) à L. 320-3 (à chaud)

Mais la loi du 18 janvier 2005 a redistribué les cartes en ce domaine : si l'article L. 320-2 du Code du travail a créé une obligation triennale de négocier en amont et à froid un dispositif de gestion préventive des emplois et des compétences (GPEC), avec « des mesures d'accompagnement de la mobilité professionnelle et géographique des salariés », n'est-ce pas pour anticiper l'application éventuelle de l'article L. 320-3 du Code du travail, c'est-à-dire un plan de sauvegarde de l'emploi négocié comme d'ailleurs il l'avoue in fine (« Ces accords peuvent aussi déterminer les conditions dans lesquelles l'établissement du plan de sauvegarde de l'emploi fait l'objet d'un accord et anticiper le contenu de celui-ci ») ?

Or les interactions entre ces deux articles sont nombreuses et mal connues. Cinq exemples et un constat.

a) Si les rumeurs concernant une future restructuration vont bon train dans l'entreprise, ou tout simplement en raison des changements de cap permanents de la direction, combien de salariés vont vouloir entrer dans le dispositif de reclassement préventif de GPEC ? A fortiori si, à tout hasard, l'accord porte aussi sur un éventuel PSE ? Nombreux – surtout les meilleurs – penseront qu'il vaut mieux attendre de connaître les conditions financières du futur PSE avant d'accepter de quitter leur implantation actuelle : le monde à l'envers pour le législateur de 2005.

b) Si les difficultés économiques persistent, que restera-t-il à mettre quelques mois plus tard dans le « plan de reclassement s'intégrant à la première partie du PSE » ? Car, si les mots ont un sens, c'est le plan de GPEC en amont qui est devenu le vrai plan de « sauvegarde de l'emploi ». Et plus il aura rencontré un franc succès, moins les postes disponibles au reclassement seront nombreux, le PSE construit in fine redevenant alors un bon vieux « plan social », c'est-à-dire davantage qu'une suite programmée de licenciements économiques. Encore faudra-t-il en convaincre le TGI et la DDTE, un petit peu étonnés que l'entreprise propose alors si peu de postes au reclassement.

c) Si la loi du 18 janvier 2005 a permis la concomitance des consultations du comité d'entreprise livre IV/livre III, elle a aussi ouvert un nouveau chantier, celui des consultations en cas d'accord de GPEC incluant dans son dernier chapitre des suppressions d'emplois en cas d'échec du plan de reclassement négocié. D'où double consultation livre IV, au titre des attributions économiques en général, et aussi avant la signature d'un accord collectif. Mais sans doute aussi livre III, puisque des licenciements sont envisagés.

d) Quid d'une entreprise ou d'un groupe de plus de 300 personnes n'ayant pas dans les trois ans qui précèdent engagé des négociations sérieuses et loyales sur un dispositif de GPEC ? Cette omission de négocier en amont – et non pas de signer – cette gestion prévisionnelle n'a-t-elle pas fait perdre à certains salariés une chance de garder un emploi grâce à un reclassement, pouvant il est vrai avoir pris la forme d'un déclassement ?

e) Comme le rappelle régulièrement la chambre sociale, le reclassement externe, c'est-à-dire après rupture, ne peut constituer qu'une solution subsidiaire, tous les reclassements en interne ayant été tentés. Or, côté entreprise, le congé de reclassement et, surtout, la convention de reclassement personnalisée façon 2005, sont rapides, moins coûteux et donc très tentants. Mais, en voulant dédramatiser un événement qui n'est plus un accident industriel mais un processus continu, tous ces mécanismes ne risquent-ils pas de déresponsabiliser des entreprises préférant souvent la RSE en Birmanie qu'un reclassement à Châlons ?

Reste qu'au-delà de son volontarisme social (signer sur une restructuration n'est pas signer sur le télétravail : cf. accord national interprofessionnel du 19 juillet 2005), cette excellente idée de prévention en temps utile se heurte à la culture de nos temps si modernes : prévoir exige de se donner du temps (premier problème) pour prendre du recul (deuxième problème à notre époque de reportings permanents) afin de pouvoir prendre des engagements sur l'emploi (troisième problème quand la visibilité économique se limite à six mois).

2° Réintégration : le début de la fin ?

Depuis la naissance de l'article L. 122-45 du Code du travail par la loi du 4 août 1982, les hypothèses d'annulation d'un licenciement et donc les possibilités de « réintégration » se sont multipliées : même si ce terme est techniquement inadéquat puisque le licenciement n'est alors censé n'avoir jamais existé. En maintenant officiellement le principe de la nullité tout en limitant les possibilités de réintégration judiciaire pour les employeurs prévoyants, la modification de l'article L. 122-14-4 du Code du travail par la loi du 18 janvier 2005 fait alors figure de fin d'un monde : celui où la nullité du licenciement et ses effets drastiques ont toujours crû, année après année. Mais qui a atteint aujourd'hui son point d'inflexion, pour deux raisons.

a) L'importante indemnisation, alternative à la réintégration

En proposant un minimum de 12 mois de salaire brut (en plus des indemnités légales ou conventionnelles de rupture) au salarié préférant en cas de plan de reclassement insuffisant une indemnisation à sa réintégration, la loi de modernisation sociale de janvier 2002 non modifiée par celle de 2005 avait montré un chemin réaliste, l'indemnisation, en pratique d'ailleurs fréquemment choisie par des salariés souvent endettés. Avec le passage de la durée des mandats de deux à quatre ans depuis la loi d'août dernier en faveur des PME, les représentants du personnel illégalement évincés pourraient eux aussi céder à cette tentation, grossière entorse aux principes puisque justement leur statut n'est pas à vendre, mais entorse arrangeant finalement tout le monde. Si leur indemnisation au titre du mandat ne pouvait dépasser 24 mois + 6 mois = 30 mois, à compter du prochain renouvellement de l'institution elle pourrait atteindre 48 + 6 = 54 mois de salaire brut, « avant précompte des contributions sociales et des impositions de toute nature que la loi met à la charge du salarié » (Cass. soc., 7 juin 2005), sans parler des 6 à 12 mois dus au titre du contrat. De quoi dissuader un représentant du personnel prudent et avisé illégalement évincé de demander sa réintégration, mais aussi d'augmenter nettement le montant des très vilaines transactions parfois signées à cette occasion (« est atteinte d'une nullité absolue d'ordre public la transaction conclue avec l'employeur avant la notification du licenciement, lequel ne peut avoir lieu qu'après obtention de l'autorisation administrative », Cass. soc., 16 mars 2005).

b) La réintégration impossible

Le feuilleton Wolber-Michelin, cette société qui avait fermé définitivement son usine de Soissons, avec ses très médiatisées décisions judiciaires de réintégration dans un site qui avait disparu, a provoqué en retour deux réactions, du législateur et du juge.

L'arrêt rendu par la chambre sociale le 25 juin 2005 semble dans la droite ligne de la loi de janvier 2005, évidemment non applicable aux faits en 1999 : « La cour d'appel a constaté que la société Wolber avait cessé définitivement son activité et que ses actifs industriels avaient été vendus. Ayant ainsi fait ressortir que l'entreprise avait disparu, elle a pu en déduire que la réintégration, demandée dans les seuls emplois que les salariés occupaient dans cette entreprise avant leurs licenciements, était devenue matériellement impossible. »

Cette incise indique aussi que la solution n'aurait pas été forcément la même si la réintégration avait été demandée au sein du groupe Michelin, auquel appartenait la société Wolber. Si le reclassement en interne doit être envisagé au niveau du groupe, il ne paraît pas étrange que la réintégration due en cas de défaut de plan de reclassement puisse intervenir à ce même niveau. Mais le même arrêt pourrait-il être rendu sur la base du nouvel article L. 122-14-4 du Code du travail, évoquant « la fermeture de l'établissement ou du site » ?

Par la loi du 18 janvier 2005, le législateur a en effet modifié l'article L. 122-14-4 : « Lorsque le tribunal constate que le licenciement est intervenu alors que la procédure de licenciement est nulle et de nul effet (en cas de plan de reclassement insuffisant), il peut prononcer la nullité du licenciement et ordonner à la demande du salarié la poursuite de son contrat de travail, sauf si la réintégration est devenue impossible »…

À l'impossible nul n'est tenu ? Mais impossible n'est pas juridique, avait rappelé la chambre sociale le 2 février 2005 à des juges du fond ayant refusé d'ordonner la réintégration de grévistes ayant retrouvé un travail, ou dont l'emploi avait disparu : « Ils n'avaient pas caractérisé l'impossibilité matérielle de réintégrer les salariés dans leur emploi ou, à défaut, dans un emploi équivalent […], notamment du fait de la fermeture de l'établissement ou du site, ou de l'absence d'emploi disponible de nature à permettre la réintégration du salarié. »

L'adverbe « notamment » invite à l'évidence la chambre sociale à ne pas hésiter à créer d'autres hypothèses de non réintégration. Quant aux deux exemples cités par le législateur, il faut être un employeur bien imprévoyant pour se voir désormais imposer une réintégration non souhaitée : qu'il s'agisse de « fermeture du site » (notion matérielle et non juridique), ou d'« absence d'emploi disponible », voilà un heureux débiteur qui a indirectement le choix de la nature de la condamnation.

On a gardé pour la fin le plus difficile : le paradoxe du reclassement du salarié déclaré inapte à tout poste dans l'entreprise par le médecin du travail, mais à qui l'employeur doit depuis les arrêts du 7 juillet 2004 malgré tout proposer un reclassement en aménageant les postes existants et en formant le salarié en cause (cf. Cass. soc., 11 mai 2005). Mais, sur cette problématique délicate à tous points de vue, tout est aujourd'hui remarquablement expliqué dans le très éclairant ouvrage de Sylvie Bourgeot et Michel Blatman : l'État de santé du salarié, éditions Liaisons, paru en septembre 2005.

FLASH

• Pas de nullité sans texte

Depuis le rappel de ce principe par le Conseil constitutionnel le 12 janvier 2002, la chambre sociale énonce régulièrement que la nullité du licenciement « ne peut être prononcée en l'absence d'une disposition expresse le prévoyant ou de violation d'une liberté fondamentale ».

Et, depuis deux ans, Cédric M. n'ignore plus que l'on peut perdre son emploi pour avoir refusé de quitter son bermuda. Au-delà de son éventuelle limitation pour des raisons de sécurité ou de clientèle, la liberté vestimentaire constitue certes une liberté, mais elle n'est pas fondamentale et ne permet donc pas de saisir le juge des référés pour trouble manifestement illicite. À l'instar du Conseil d'État, la Cour de cassation préfère à juste titre que le juge de l'urgence garde son précieux temps pour faire respecter les fondements de notre vie en société. Dans la même ligne, mais s'agissant du respect des procédures conventionnelles, « il n'entre pas dans les pouvoirs du juge des référés d'ordonner l'arrêt d'une procédure de licenciement et la poursuite du contrat de travail » (Cass. soc., 31 mars 2004). Rappel le 29 juin dernier : expressément interdite par la convention collective pendant les vacances, la notification du licenciement ne peut conduire à son annulation, mais au simple défaut de cause réelle et sérieuse.

Une sanction sévère, si l'on se remémore que l'absence totale de procédure légale ne peut conduire qu'à une indemnisation maximale d'un mois de salaire.

Auteur

  • Jean-Emmanuel Ray