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Politique sociale

Les obstacles au licenciement jouent-ils contre l'emploi ?

Politique sociale | ANALYSE | publié le : 01.09.2005 | Stéphane Béchaux

La France a beau multiplier les contrats aidés et les exonérations, elle reste abonnée au chômage de masse. La faute au carcan de la protection de l'emploi ? Pour les experts, sceptiques sur le « contrat nouvelles embauches », le desserrer suppose d'améliorer l'accompagnement des chômeurs vers la recherche d'emploi.

Une minirévolution ! En annonçant, dans son discours de politique générale, la création d'un nouveau type de contrat de travail pour les petites entreprises, facilement dénonçable par l'employeur pendant les deux premières années, Dominique de Villepin s'est décidé à explorer une piste résolument nouvelle. Plutôt que de cadenasser toujours davantage le contrat à durée indéterminée, au risque de décourager les patrons d'embaucher, pourquoi ne pas, au contraire, simplifier les procédures de licenciement pour favoriser les recrutements ? Ce renversement de logique, osé, a pris complètement à rebrousse-poil l'opinion publique. En rejetant massivement le projet de traité constitutionnel européen le 29 mai dernier, les électeurs français ont en effet envoyé un tout autre message à la classe politique hexagonale. Plutôt du genre « pas touche à notre modèle social ».

Un message inaudible pour nos voisins. Car c'est peu dire qu'ailleurs en Europe notre prétendu modèle fait davantage figure de repoussoir que de Graal. Avec un taux de chômage supérieur à 10 % de la population active, la France se classe parmi les plus mauvais élèves de l'Europe des Quinze, juste devant l'Espagne et la Grèce. Et, dans l'Union élargie, seules la Pologne et la Slovaquie font beaucoup moins bien. Même constat en matière de taux d'emploi. Avec 63,1 % des 15-64 ans occupés en 2004, la France accuse un retard d'une dizaine de points sur les pays les plus actifs, comme le Danemark (75,7 %), les Pays-Bas (73,1 %), la Suède (72,1 %) ou le Royaume-Uni (71,6 %). Elle paie son incapacité à intégrer ses jeunes dans son marché du travail et à garder ses travailleurs âgés dans l'emploi.

9 % de chômage structurel ?

Et pas la peine d'accuser la construction européenne de tous ces maux. Car si la France reste engluée depuis vingt ans dans un chômage de masse, nombre de ses voisins ont su, eux, retrouver le chemin de l'emploi. Entre 1994 et 2004, l'Irlande a divisé son taux de chômage par trois, le Royaume-Uni, la Finlande et l'Espagne par presque deux, la Suède et les Pays-Bas par 1,5. L'Hexagone, lui, a dû se contenter d'une embellie passagère : entre 1997 et 2001, les créations nettes d'emplois y ont été « les plus fortes jamais observées sur une si courte période depuis le début du XXe siècle », d'après l'Insee. Mais la parenthèse s'est, depuis, refermée. Avec un taux de chômage de nouveau accroché à la barre des 10 %, le retour au plein-emploi n'est plus qu'un doux rêve. À l'OCDE, on évalue même désormais à 9 % le taux de chômage structurel dans l'Hexagone, alors qu'il tourne autour de 5 % chez la plupart de nos voisins.

Ce piètre bilan signe donc l'échec des politiques d'emploi menées depuis près de trente ans. Ni les mesures ciblées sur des publics prioritaires – les jeunes, les moins qualifiés, les chômeurs de longue durée –, ni le recours généralisé aux préretraites, ni les allégements massifs et coûteux de charges sociales sur les bas salaires n'ont permis de faire reculer significativement le chômage de masse. Et pourtant, la France fait partie des pays développés qui dépensent le plus d'argent en mesures actives de soutien à son marché du travail (1,25 % de son PIB en 2002). Sommes auxquelles il faudrait ajouter, par exemple, la vingtaine de milliards d'euros que l'État consacre désormais chaque année à compenser les allégements de charges sur les salaires jusqu'à 1,6 smic. De quoi donner des arguments à ceux qui, comme François Mitterrand en son temps, considèrent que, de Raymond Barre à Jean-Pierre Raffarin, on a « tout essayé », en vain, pour éradiquer le chômage.

Pas étonnant, dans ces conditions, que les salariés, relayés par les organisations syndicales, se battent bec et ongles pour protéger leurs emplois menacés. Coûte que coûte, à coups de délits d'entrave au fonctionnement du comité d'entreprise, de contestation des motifs économiques invoqués par les directions, de contentieux prud'homaux. « Face au chômage de masse qui sévit depuis trente ans, le droit devient le seul rempart. Quand on retire l'échelle, les gens s'accrochent au pinceau », explique Bernard Gazier, professeur d'économie à l'université Paris I. Et à juste titre ! Car la difficulté à retrouver un emploi dans l'Hexagone fait froid dans le dos. L'an dernier, 41,6 % des chômeurs étaient en recherche d'emploi depuis plus d'un an, et 20,3 % depuis plus de deux ans. Des taux qui augmentent avec l'âge, atteignant des niveaux dramatiques pour les chômeurs de plus de 50 ans : plus de 6 sur 10 recherchent un poste depuis plus d'un an, et près de 4 sur 10 depuis deux ans…

Pour maintenir les seniors dans l'emploi, taxons les entreprises qui les licencient ! Voilà l'exemple type de la fausse bonne idée qui a germé dans les esprits en 1987, avec l'instauration de la contribution Delalande. Verdict des trois chercheurs de l'Insee qui, l'an dernier, en ont dressé le bilan : « Les décisions de licenciement des entreprises seraient peu sensibles aux fortes variations du barème de la contribution Delalande. » Mais les recrutements, si. Ces mêmes chercheurs ont en effet observé une « amélioration des chances de retour à l'emploi » des chômeurs quinquagénaires après que les députés ont, en 1992, décidé d'exonérer du dispositif les travailleurs recrutés après 50 ans. Annoncée par Dominique de Villepin, la disparition de cette taxe ne devrait donc pas faire couler beaucoup d'encre. Pas même du côté des syndicats qui, CFE-CGC en tête, en dénoncent les effets pervers depuis plusieurs années.

Une législation à contre-courant

Les avatars de cette ponction fiscale apportent de l'eau au moulin des chefs d'entreprise qui, unanimement, exhortent les dirigeants politiques à desserrer les freins au licenciement pour lever, du même coup, les obstacles à l'embauche. Et tant pis pour les promesses non tenues du début des années 80, quand le CNPF d'Yvon Gattaz affirmait que la suppression de l'autorisation administrative de licenciement permettrait de créer 400 000 emplois… Il n'empêche que, parmi les pays occidentaux, la France se distingue par un niveau de protection de l'emploi très supérieur à la moyenne. D'après l'indicateur synthétique de l'OCDE, elle se classe même en 23e position (sur 28), distancée seulement par la Grèce, l'Espagne, le Mexique, la Turquie et le Portugal. De plus, elle rame à contre-courant : la plupart des pays ont assoupli ces quinze dernières années leur législation quand la France a continué à durcir ses règles du jeu.

Certes, cet indicateur n'est pas exempt de reproches. « Si on en croit l'OCDE, la France est très mal positionnée à cause de sa réglementation contraignante sur… les CDD et l'intérim ! En revanche, elle se situe tout à fait dans la moyenne pour les contrats à durée indéterminée », relève Jérôme Gautié, chercheur au Centre d'études de l'emploi. Construit à partir des textes législatifs, réglementaires et conventionnels des différents états, l'indicateur passe à côté, dans le cas français, de deux tendances lourdes du marché du travail : les recours massifs aux contrats temporaires hors des cadres légaux et les contentieux juridiques – une fois sur quatre – lors des procédures de licenciement. « Les délais et l'incertitude dus à l'intervention du juge ou des prud'hommes sont très mal pris en compte. Or c'est ce qui fait le plus peur aux chefs d'entreprise », poursuit Jérôme Gautié. « C'est une faiblesse de l'indicateur, admet Raymond Torres, chef de la division d'analyse et politique de l'emploi à l'OCDE. Et c'est vrai que cette imprévisibilité est sans doute plus dissuasive pour un employeur que le montant même de l'indemnité de licenciement. » De quoi donner à penser que la France pourrait être encore plus mal placée.

D'autres indicateurs permettent de corroborer le diagnostic d'un contrat à durée indéterminée trop contraignant. Par exemple, le taux de recours aux emplois temporaires. « Quand la protection de l'emploi s'avère trop rigide, les employeurs détournent le système en multipliant les CDD ou les missions d'intérim », explique Michel Martinez, directeur des études à Rexecode. Les statistiques de l'Insee sont sans appel. L'an dernier, la France comptait près de 1,2 million de salariés en CDD dans le secteur privé et près de 500 000 intérimaires. En vingt ans, leur proportion a été multipliée par trois, pour atteindre 9,7 %. En Europe, seule l'Espagne fait moins bien. Aujourd'hui, moins de 30 % des recrutements sont réalisés sous contrat à durée indéterminée, et moins d'un CDD sur deux est transformé en emploi stable. Quant aux offres de l'ANPE, près des trois quarts (72 %) concernent des contrats de moins de six mois. Cette précarité, très inégalement répartie, touche de plein fouet les jeunes. « En France, il faut attendre d'avoir 33 ans pour atteindre le taux moyen de 90 % de travailleurs en contrat à durée indéterminée », rappelle Francis Kramarz, chercheur à l'Insee-Crest.

Pas de liens mécaniques

Faut-il, dès lors, faire peser sur la protection de l'emploi la responsabilité du chômage hexagonal ? Des études menées sur le sujet, il ressort qu'il n'existe pas de liens mécaniques entre protection de l'emploi et taux de chômage. « Les nombreuses évaluations auxquelles cette question a donné lieu conduisent à des résultats mitigés, parfois contradictoires, et dont la robustesse n'est pas toujours assurée », note la pourtant très libérale OCDE dans ses Perspectives de l'emploi parues en 2004. « Quand, dans un modèle théorique, on fait varier le niveau de protection de l'emploi, l'effet sur le chômage est proche de zéro car les plus ou moins fortes créations d'emplois compensent les plus ou moins fortes destructions », précise Bernard Gazier. Un simple zoom sur la Scandinavie suffit pour s'en convaincre. Avec 5,6 % de chômeurs en 2004, Suède et Danemark jouissent tous deux d'une situation proche du plein-emploi, malgré une législation beaucoup plus contraignante au nord du détroit de l'Oresund qu'au sud.

En revanche, les études démontrent aussi que le niveau de protection de l'emploi a des répercussions sur la fluidité du marché du travail. À trop vouloir protéger l'emploi, on fige les situations individuelles. Tant mieux pour les insiders, ces salariés en contrat à durée indéterminée à temps plein, plutôt épargnés. Et tant pis pour les autres : chômeurs de longue durée, intérimaires, jeunes en CDD, femmes à temps partiel subi. « En France, la protection de l'emploi ne joue pas tant sur la dynamique de l'emploi que sur le dualisme du marché du travail. Avec, d'un côté, des emplois relativement protégés et, de l'autre, une flexibilité à outrance », observe Jérôme Gautié. « Notre marché du travail, très segmenté, protège les salariés qui ont le moins de risques d'avoir des problèmes », complète Michel Martinez. Un cercle infernal qui, jour après jour, éloigne du marché du travail tout un pan de demandeurs d'emploi.

On ajoute un nouveau contrat

Dans ces conditions, le statu quo paraît difficilement tenable. « Ces dernières années, on s'est focalisé sur la protection des travailleurs en contrat à durée indéterminée, avec la loi de modernisation sociale ou les conventions de reclassement personnalisé. En revanche, on n'a pas réfléchi à la question du CDD ou du travail temporaire depuis la loi Soisson de juillet 1990, malgré les débordements massifs hors des cas de recours légaux alors définis. Il est donc grand temps de lancer une vraie négociation sur l'articulation entre l'ensemble des contrats de travail », exhorte Michel Dollé, secrétaire général du Conseil de l'emploi, des revenus et de la cohésion sociale (Cerc). « Pour les employeurs, le saut entre le CDD et le contrat à durée indéterminée est trop important. Il faut réfléchir aux moyens de le réduire pour que les employeurs cessent d'hésiter à embaucher », abonde Raymond Torres.

Dans ce domaine, le « contrat nouvelles embauches » laisse les experts sceptiques. « Les garanties données ne sont pas à la hauteur de la déstabilisation. Avoir l'assurance que vous serez traité, en cas de licenciement, comme les autres chômeurs qui… ne retrouvent pas de travail, ce n'est pas de nature à restaurer la confiance ! » s'exclame Bernard Gazier. « Pour pallier les défaillances du système, on ajoute un nouveau contrat, qui va lui-même créer de nouveaux seuils. Il manque une réforme de fond », ajoute Raymond Torres. « Ce contrat n'améliore en rien la discontinuité des coûts entre CDD et contrat à durée indéterminée. Au bout de deux ans, le patron hésitera toujours à transformer le contrat. Et, dans la majorité des cas, il préférera ne pas prendre le risque », pronostique Francis Kramarz.

Pour ce dernier, la solution passe par l'unification des CDD et des contrats à durée indéterminée. Avec, en cas de licenciement, le paiement au salarié d'une indemnité proportionnelle à son ancienneté dans l'entreprise, et le versement à l'État d'une « contribution de solidarité » (1,6 % des salaires versés) permettant de financer la prise en charge des reclassements par le service public de l'emploi. « On a besoin d'un contrat de travail plus souple pour les entreprises avec, en contrepartie, un meilleur accompagnement des salariés en termes de formation ou de recherche d'emploi. Il faut protéger les personnes, pas les emplois », explique Francis Kramarz, qui a détaillé ces propositions dans un rapport, coécrit avec Pierre Cahuc, remis en novembre dernier à ses commanditaires, Jean-Louis Borloo et Nicolas Sarkozy.

La piste du contrat de mission

Une façon radicale d'en finir avec la dualité du marché du travail français, mais qui ne résout pas tous les problèmes. « En cas d'unification du contrat à durée déterminée et du contrat à durée indéterminée, comment procède-t-on lorsqu'un salarié, remplacé pendant la durée de son congé maternité ou de son arrêt maladie, veut reprendre son poste ? » s'interroge Michel Dollé. Au Conseil de l'emploi, on milite donc plutôt pour la création d'un contrat de mission, sur le modèle de la proposition faite début 2004 par la commission de Virville.

Reste que, quelle que soit la solution retenue pour assouplir le contrat à durée indéterminée, aucune n'est acceptable par l'opinion publique sans sérieuses garanties sur l'accompagnement des salariés licenciés. « Dans le cas danois, la faible protection de l'emploi s'accompagne de contreparties énormes et visibles, avec un engagement crédible de la collectivité tout entière », rappelle Bernard Gazier. « Concilier sécurité et flexibilité n'est possible qu'en mettant en œuvre de vraies politiques publiques, avec une très forte individualisation. Et ça coûte très cher. À taux de chômage égal, les Danois y consacrent dix fois plus d'argent que les Américains », ajoute Jérôme Gautié. Au vu des difficultés de montée en régime du plan d'aide au retour à l'emploi (Pare), après des débats philosophiques sans fin entre partenaires sociaux en 2001, on peut légitimement avoir quelques doutes sur la capacité française à mener à bien ce type de réforme. La négociation sur le régime d'assurance chômage qui doit s'ouvrir dans les prochaines semaines promet d'être instructive.

Les patrons réclament de la souplesse

SYLVAIN BREUZARD P-DG de Norsys (150 salariés), ancien président du CJD

La complexité du droit du travail fait peur aux patrons de PME car ils ne disposent pas d'un service juridique capable de sécuriser la relation de travail. C'est un vrai frein à l'embauche. Il faut y rajouter le contexte humain. Dans une petite entreprise, le patron vit très mal de se séparer d'un salarié et craint que ça se sache parmi ses clients ou ses fournisseurs. Dès lors, mieux vaut pour lui sous-traiter ou recourir à l'intérim… Enfin, les effets de seuil sont terriblement structurants.

Regardez le nombre d'entreprises de 9 ou 49 salariés ! Il est donc grand temps de remettre à plat notre droit du travail. Il faudrait gommer les clivages CDD-CDI et cadres/non-cadres. Et assouplir les processus de recrutement et de licenciement pour mettre davantage l'accent sur la formation et l'accompagnement des chômeurs.

LAURENCE PARISOT P-DG du groupe Ifop (230 salariés) et d'Optimum (230 salariés), présidente du Medef

Il faut se donner les moyens du plein-emploi. Or notre capacité à développer nos entreprises et à embaucher est limitée par un droit du travail inadapté.

Notre Code du travail a été conçu pour l'essentiel à une époque où les circuits étaient longs. Aujourd'hui, la vitesse de réaction est bien souvent le critère de performance numéro un, quand ce n'est pas la condition sine qua non de la survie de l'entreprise.

Il faut donc faire émerger un droit du travail modernisé, qui concilie la prise de risques et la protection des individus. Le « contrat nouvelles embauches » proposé par le gouvernement Villepin a bien identifié la nature du problème français, car il faut penser les conditions d'une séparation d'un salarié sans faire prendre de risque mortel à l'entreprise.

GEOFFROY ROUX DE BÉZIEUX DG de The Carphone Warehouse (13 000 salariés), président de CroissancePlus

Le Code du travail présente deux hérésies. Il s'applique de la même façon pour une entreprise en création que pour L'Oréal, et il a été façonné pour l'industrie alors que le tertiaire représente 70 % des emplois. Pourtant, embaucher un 10e salarié ne comporte pas les mêmes risques qu'en recruter un 50 001e ! Le « contrat nouvelles embauches » est donc un pas dans la bonne direction, car il reconnaît la spécificité des PME. Mais il faudrait l'étendre aux entreprises jusqu'à 250 salariés.

En échange, on pourrait restreindre l'usage abusif du CDD pour « surcroît temporaire d'activité ». Quand 70 % des embauches se font en CDD, ça signifie que la plupart des chefs d'entreprise détournent la législation pour échapper à l'inflexibilité du CDI.

Auteur

  • Stéphane Béchaux