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Le bloc-notes

L'emploi à la hussarde

Le bloc-notes | publié le : 01.09.2005 | Bernard Brunhes

Continuité et dynamisme

Depuis la nomination du nouveau gouvernement, les décisions n'ont pas traîné en matière de politique de l'emploi. La plus importante est la moins spectaculaire : le maintien de Jean-Louis Borloo au ministère de la Cohésion sociale. Pour une fois, on ne se contentait pas de changer de ministre de l'Emploi pour conjurer le mauvais sort qui vaut à la France un taux de chômage installé à 10 %. Pour une fois, on laissait un ministre qui avait tenté quelque chose poursuivre son œuvre. Ce qui a le plus manqué dans les politiques de l'emploi conduites depuis vingt ans, c'est la continuité. Voilà au moins un atout pour l'équipe Villepin.

On doit reconnaître aussi le dynamisme et la rapidité avec lesquels ont été préparées puis adoptées, via la procédure des ordonnances ou par la voie réglementaire, les mesures annoncées dès sa déclaration de politique générale par le Premier ministre, qui s'était lié lui-même les mains en s'appropriant le mythe des cent jours.

On ne peut que souhaiter que tout cela conduise effectivement à une amélioration de la situation de l'emploi.

Démocratie sociale en berne

Il manque malheureusement à cette politique un ingrédient majeur à toute grande politique dans une démocratie : le contrat social, le minimum de consensus. Les partenaires sociaux – employeurs, syndicats ou autres organismes représentatifs – n'ont guère été associés en tant que tels. Ils ont seulement défilé à Matignon ou Rue de Grenelle sans autre capacité qu'un pouvoir marginal d'amendement sur des projets arrêtés pour l'essentiel.

Tout se passe comme si le gouvernement n'attendait rien de ces organisations, n'attendait rien du débat démocratique, comme s'il considérait qu'il était seul à même de définir dans son coin les conditions du compromis nécessaire. Pourtant les débats n'ont guère manqué, au cours des derniers mois ou des dernières années, sur le droit du travail, la flexibilité, les charges sociales, la lutte contre l'exclusion, l'insertion des jeunes. Les rapports n'ont pas fait défaut sur ces thèmes, beaucoup plus consensuels que ne le laissaient paraître des polémiques mal informées et attisées par des responsables politiques ou socioprofessionnels plus avides de couverture médiatique que de recherche de solution.

Et, tout à coup, sans crier gare, on ressort d'on ne sait quelle armoire, hors de toute référence aux rapports et débats antérieurs, de nouvelles mesures. Certaines d'entre elles heurtent à l'évidence les organisations syndicales : c'est pourquoi on passe en force au lieu de tenter un compromis et un deal entre acteurs. Pour aller vite (ce que l'on veut bien comprendre), on crée par exemple un « contrat nouvelles embauches », dont l'avantage par rapport au CDD n'est pas décisif pour les entreprises et l'inconvénient évident pour les salariés. Était-ce vraiment pour aller vite ou n'est-ce pas plus simplement pour mettre en branle sans trop l'avouer une réforme fondamentale du droit du travail, grâce à un premier pas irréversible dans le sens d'une réduction des contraintes du CDI et du CDD ?

Les rapports Supiot, Virville et Camdessus, comme d'autres avant eux, ont proposé des axes de progrès dans le sens d'une meilleure adaptation des contrats de travail aux nouvelles conditions économiques. Faute de réussir à mettre effectivement les propositions sur la table du dialogue social et de la négociation, ou faute de le vouloir, les gouvernements successifs tentent de réformer en faisant des « coups » et passent ainsi à côté du progrès consensuel. Chacun sait bien pourtant que rien ne réussira dans le domaine de l'emploi et des relations sociales sans une appropriation par les acteurs des politiques conduites.

Amendement nocturne

Lors du débat sur la loi Dutreil – une loi qui, par ailleurs, apporte des progrès très appréciables à la législation sur la création d'entreprise –, un amendement parlementaire est apparu par surprise le 13 juillet dans la nuit, devant un hémicycle pratiquement vide, qui a modifié en profondeur la législation sur le temps de travail : l'extension à l'ensemble des salariés « autonomes » du système du forfait jusque-là réservé aux cadres. Pourquoi une procédure discrète et honteuse sur un thème qui, bien plus que d'autres, a fait l'objet d'ardentes polémiques et nécessite la recherche du consensus ?

Si, ce que chacun souhaite, les réformes en cours parviennent à infléchir la courbe du chômage, elles auront malheureusement donné des arguments à ceux qui pensent que la bonne politique se construit dans les cabinets ministériels face à ceux qui, naïfs peut-être, croient en la recherche obstinée d'un vrai contrat social qui engage les acteurs.

Auteur

  • Bernard Brunhes