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Débat

Quelles priorités pour la nouvelle présidente du Medef ?

Débat | publié le : 01.09.2005 |

Adoubée par Ernest-Antoine Seillière, la présidente de l'Ifop, Laurence Parisot, a facilement remporté, dès le premier tour, l'élection pour la présidence du Medef, le 5 juillet dernier. Renouer les liens distendus avec le gouvernement, relancer le dialogue avec les syndicats, réformer l'organisation patronale… quels sont les dossiers les plus urgents ? Les réponses de trois observateurs du microcosme patronal.

« Le Medef devra débloquer des relations sociales globalement au point mort. »

HUBERT LANDIER

Directeur de la revue « Management et Conjoncture sociale ».

La nouvelle présidente du Medef a pris ses fonctions dans un contexte particulièrement dégradé : croissance insuffisante, exportations en recul, régimes sociaux gravement déficitaires, dette de l'État explosive, réforme de l'État à l'abandon, chômage aux alentours des 10 %, relations sociales au point mort, le tout dans l'attente de l'élection présidentielle de 2007. Face à cette situation calamiteuse, le Medef devra se donner trois priorités. Primo, maintenir la pression sur le gouvernement pour que les considérations électoralistes et les rivalités entre candidats à la présidence ne l'emportent pas sur la nécessité d'initiatives qui ne sauraient attendre deux ans encore. Thierry Breton a eu le courage de l'admettre : la France vit au-dessus de ses moyens.

Il lui faut donc soit dépenser moins, soit gagner plus, soit les deux. Gagner plus suppose de travailler plus, et donc de faciliter les initiatives dans le sens de la création de valeur. Paradoxe français : il est infiniment plus simple, sur le plan administratif, de créer un syndicat que de créer une entreprise, voire d'embaucher un salarié. Le Medef devra donc continuer à dénoncer les prescriptions légales et réglementaires qui absorbent du temps et de l'énergie et découragent l'initiative sans que l'utilité en soit évidente pour qui que ce soit. Secundo, travailler à une amélioration de l'image que les entreprises, et plus particulièrement les plus grandes, donnent d'elles-mêmes. Scandales financiers, « licenciements boursiers », « parachutes dorés » des grands patrons contribuent à accréditer l'idée qu'elles roulent pour des intérêts étrangers à ceux des salariés.

Il en résulte, au-delà des critiques traditionnelles à l'égard du « système capitaliste », une perte de confiance qui touche non seulement les ouvriers et les employés, mais de plus en plus les cadres, et ceci à des niveaux de responsabilité parfois très élevés. Le pacte social entre l'entreprise, les salariés et l'opinion demande ainsi à être entièrement repensé en tenant compte des règles du jeu économique international, mais également de nos spécificités culturelles et de notre histoire sociale. Tertio, débloquer des relations sociales globalement au point mort, sauf sur quelques sujets secondaires. Les syndicats, en l'absence de contreparties significatives, ne sauraient accepter la remise en cause de protections légales qui leur semblent indispensables face à l'exigence patronale d'une plus grande flexibilité. Les termes du compromis à construire sont assez clairs : flexibilité accrue pour l'entreprise, moyennant une simplification du droit du travail, contre sécurisation des parcours professionnels, qui rende moins dramatique pour le salarié le fait ou la crainte de perdre son emploi. Mais la recherche d'un tel compromis supposera du courage de la part des représentants du patronat : il leur faudra en effet s'engager, avec leurs partenaires syndicaux, dans une réflexion en profondeur dont on ne saurait préjuger à l'avance des résultats. Sans doute la recherche d'un tel pacte entre patronat et organisations syndicales sera-t-elle nécessaire, non seulement pour débloquer les relations sociales, mais pour remettre la France en route, compte tenu du peu à attendre, d'ici à 2007, du gouvernement et des pouvoirs publics. Sans doute s'agit-il là, pour la nouvelle présidente du Medef, d'une véritable fenêtre d'opportunité.

« Se battre pour faire aimer aux Français l'économie de marché. »

JEAN DUBOIS

Sociologue, conseiller à Entreprise et Personnel.

Il est certain que le changement de président à la tête du Medef se traduira par un changement de style. On imagine mal Laurence Parisot adopter les attitudes abruptes et parfois provocatrices d'Ernest-Antoine Seillière. Mais, au-delà du changement de style, y aura-t-il un changement de stratégie ?

Plusieurs commentateurs espèrent notamment que l'organisation patronale donne une preuve de sa modernité en s'efforçant de redonner vie à un système de relations sociales à bout de souffle. Mais la discrétion dont la nouvelle présidente a entouré jusqu'ici ses projets précis laisse planer le doute.

À première vue, rien n'indique que Laurence Parisot envisage de s'écarter des deux grands axes qui, depuis le XIXe siècle, ont constamment dominé l'action patronale. Les patrons français ont toujours affirmé que la nécessité de faire bloc se justifiait par l'existence de deux ennemis : l'État, qui leur impose des réglementations paralysantes, et le syndicalisme, qui cherche à limiter leur pouvoir. En faisant de l'allégement du Code du travail, qualifié de kafkaïen, l'une de ses priorités, Laurence Parisot ne fait donc que s'inscrire dans une longue tradition antiétatique particulièrement vivace dans le milieu des PME dont elle est issue. Quant aux syndicats, que leur faiblesse a rendus moins menaçants, une partie du patronat essaie, depuis François Ceyrac, de conclure avec eux un pacte social pacificateur.

Encore faudrait-il qu'ils soient reconnus dans leur représentativité. Le malheur est que la nouvelle venue a clairement affiché sa volonté de « casser le tabou de la représentativité syndicale », donnant à penser qu'elle poursuivra la stratégie du Medef visant à dévaloriser les négociations collectives nationales au profit de négociations au niveau de l'entreprise. S'en prendre au Code du travail et à la représentativité syndicale témoigne d'une fidélité aux objectifs traditionnels du combat patronal qui ne peut que servir de repoussoir à l'égard des syndicats et ne devrait guère laisser d'illusions à ceux qui espèrent qu'elle reprendra le flambeau du dialogue social. Il est donc probable que, dès qu'elle aura pris acte de l'impossibilité de modifier les comportements syndicaux, Laurence Parisot essaiera plutôt de faire pression sur l'État pour obtenir les mesures modernisatrices nécessaires. D'où l'importance, pour elle, de s'assurer l'appui d'une opinion publique qui a, pour le moment, une image détestable de l'organisation patronale et même de l'entreprise. C'est ici qu'elle peut faire jouer les atouts qui sont les siens : sa séduction personnelle, son image moderniste et son aptitude à la communication. En se battant pour faire aimer aux Français l'« économie de marché », elle préparerait le terrain pour l'arrivée au pouvoir d'une nouvelle équipe politique décidée à faire table rase des archaïsmes dénoncés par le patronat. Le Medef retrouverait ainsi une autre très ancienne tradition des organisations patronales consistant à soutenir les partis et les hommes politiques susceptibles de promouvoir leurs thèses et leurs intérêts.

« S'il y a une priorité, c'est bien d'entreprendre pour l'emploi avec les syndicats. »

JEAN-PAUL GUILLOT

Coprésident du Bipe.

Le choix collectif implicite de tolérer un taux de chômage élevé et de faibles taux d'emploi des 15-24 ans et des 55-64 ans gangrène la société française et s'accompagne d'un dialogue difficile entre les partenaires sociaux, ainsi qu'entre ces derniers et la puissance publique. Les départs à la retraite dans la génération du baby-boom vont s'étaler davantage que prévu.

Le scénario d'une résorption mécanique du chômage d'ici à 2008-2010 du seul fait de la démographie n'est donc ni probable ni responsable à l'égard des chômeurs, et notamment des jeunes qui n'arrivent pas à accéder à un travail.

Pis, une enquête menée par la Cegos en 2004 auprès des DRH fait ressortir que la majorité des entreprises déclarent avoir l'intention d'adapter leur niveau d'activité à celui de leurs effectifs après la vague prévue de départs à la retraite. De nombreux entrepreneurs partiront à la retraite dans les dix ans qui viennent. Le peu d'efforts qui portent aujourd'hui sur l'incitation des jeunes à reprendre des entreprises viables laisse craindre une disparition d'une partie de celles-ci et donc du nombre d'emplois proposés.

Par ailleurs, faute de structuration et de professionnalisation adéquates, la société française n'a pas encore réussi à tirer parti du développement possible des emplois générés par les besoins en matière de services à la personne, qui ont un potentiel de croissance important à condition de devenir attractifs pour les entreprises et les salariés. Dans une situation initiale déjà grave, ce malthusianisme majoritaire et cette difficulté collective à créer des emplois là où il y a des besoins ont de quoi inquiéter.

Le Medef souhaite améliorer son image dans la société française, « faire naître un nouveau contrat social » et réclame une diminution du nombre de fonctionnaires. En se mobilisant prioritairement pour le développement d'activités nouvelles et d'emplois durables dans les entreprises, l'organisation patronale confortera sa légitimité auprès des chefs d'entreprise et améliorera sa crédibilité auprès des salariés et de la société française dans son ensemble, pour qui l'emploi est un sujet majeur. Il peut agir conjointement avec ses adhérents pour soutenir la reprise d'entreprises, comme leur croissance, et pas seulement la création ou la fiscalité des cessions ; avec les organisations syndicales de salariés pour aborder les principaux sujets économiques et sociaux à partir d'une analyse structurelle et factuelle, puis pour négocier sur les leviers les plus sensibles par rapport aux objectifs prioritaires ; avec les pouvoirs publics, à l'échelle européenne, nationale et territoriale. Ceux-ci interviennent massivement dans les politiques de l'emploi, que ce soit par la formation initiale, les exonérations de charges, la prise en compte de situations difficiles, etc.

L'exemple de la dynamique développée dans les territoires avec l'appel à candidature pour les pôles de compétitivité est une bonne illustration du fait qu'une structure institutionnelle ad hoc n'est pas nécessairement un préalable à une action collective mobilisatrice d'énergies tournées vers le développement de l'activité et de l'emploi à long terme. Oui, s'il y a une priorité pour le Medef en ce moment, c'est bien d'entreprendre pour l'emploi avec les organisations syndicales de salariés et la puissance publique.