logo Info-Social RH
Se connecter
Newsletter

Vie des entreprises

Anne Le Strat veut transformer Eau de Paris en entreprise citoyenne

Vie des entreprises | METHODE | publié le : 01.06.2005 | Éric Béal

Jeune P-DG de la Sagep-Eau de Paris et élue Verts de la capitale, Anne Le Strat s'attache à promouvoir ses convictions écolos dans la façon de gérer les salariés. GRH, encadrement, moyens de transport, tout est passé au crible de l'éthique et du développement durable. Quitte à bousculer au passage quelques avantages acquis.

Si, jusqu'à présent, les Parisiens ne connaissaient guère la Sagep, la Société anonyme de gestion des eaux de Paris, ils vont entendre parler d'Eau de Paris. Affiches vantant la qualité de l'eau délivrée par les robinets de la capitale, guide d'information, distribution d'une carafe aux consommateurs parisiens pour les inciter à boire l'eau du robinet… Après dix-huit ans d'une existence plutôt souterraine, cette société d'économie mixte (SEM) contrôlée à 70 % par la Ville de Paris et chargée de la production de l'eau alimentant la capitale entend sortir de l'anonymat et imposer sa marque. Tel est l'objectif d'Anne Le Strat, à la tête de la Sagep depuis 2001. Plutôt que d'inaugurer les chrysanthèmes et de se contenter de présider le conseil d'administration, cette jeune élue Verts du Conseil de Paris s'est fait nommer P-DG de la SEM en 2003.

Il faut dire que la Sagep avait besoin d'un bon coup de fouet. Son chiffre d'affaires baisse régulièrement en raison de la diminution de la consommation dans la capitale depuis une quinzaine d'années alors que, parallèlement, les investissements nécessaires pour maintenir la qualité de l'eau ne cessent de s'alourdir. D'où d'intenses campagnes de communication et des efforts soutenus pour améliorer la productivité des salariés, dont une petite moitié (42 %) sont détachés de la Ville de Paris. Mais si Anne Le Strat vise à doper les résultats économiques de l'entreprise, elle n'entend pas renier pour autant ses convictions écologiques. C'est sous le signe du développement durable que doit désormais prospérer la Sagep.

1 CONVERTIR UN SERVICE MUNICIPAL EN ENTREPRISE

Il est déjà loin le temps où, sous l'impulsion d'un maire désireux de démunicipaliser les activités commerciales de la ville, les élus parisiens substituaient, en février 1987, une société d'économie mixte au bon vieux service des eaux. La nouvelle Sagep a été chargée de la gestion des installations de production d'eau potable, des conduites et des réservoirs, dans le cadre d'une délégation de service public d'une durée de vingt-cinq ans. Deux ans auparavant, Jacques Chirac avait concédé la distribution de l'eau – des réservoirs aux robinets – à Eaux et Force-Parisienne des eaux (Efpe), une société de l'ancienne Lyonnaise des eaux devenue le groupe Suez, et à la Compagnie générale des eaux de Paris (CEP), désormais filiale de Veolia Environnement. « Nous avons proposé à tous les employés du service de nous rejoindre. Seuls les plus motivés ont accepté, car les syndicats leur promettaient des conditions de travail détériorées et une absorption rapide par le privé », se souvient Jean-Michel Barbier, directeur général délégué, à l'époque fraîchement débarqué du Port autonome de Bordeaux pour prendre les responsabilités de directeur de l'exploitation. 600 personnes sur 1 500 choisirent de rester, tout en gardant leur statut d'employé municipal. Le nouveau responsable fut contraint d'embaucher une centaine de mécaniciens et d'électriciens pour faire fonctionner les postes en trois-huit.

Après audit, l'organisation et le management ont été décentralisés, les niveaux hiérarchiques réduits et les responsables de site se sont installés sur place pour surveiller la qualité du travail de leur équipe. En parallèle, les activités annexes furent supprimées ou confiées à des sous-traitants. Jardiniers, femmes de ménage ou menuisiers sont restés dans le giron de la Ville de Paris. Un recentrage sur le cœur de métier vécu comme la première marche vers une professionnalisation des méthodes de management. « Certains cadres avaient pris l'habitude de demander des services, comme la réalisation gratuite de meubles ou de petits travaux d'entretien, se souvient un cadre détaché de la Ville de Paris. Les employés concernés pouvaient difficilement refuser, de peur d'être mal notés. Avec la Sagep, ces relations paternalistes ont laissé la place à un management plus rationnel, centré sur les résultats. »

Côté technique, des investissements colossaux ont été réalisés au cours des années suivantes. Farouchement opposé à la création de la Sagep, Michel Gauriault, délégué syndical CGT, reconnaît que la SEM a accéléré le mouvement. « À la différence d'un service municipal, les décisions financières n'ont pas besoin d'être entérinées par les élus. Il a fallu vingt ans pour construire l'usine d'Orly. Après la création de la Sagep, celles d'Ivry et de Joinville-le-Pont ont été rénovées en dix ans. » En moyenne, 60 millions d'euros sont consacrés à la rénovation du réseau chaque année. L'entreprise a également automatisé la surveillance des installations : trois usines de production situées sur la Marne et la Seine, une vingtaine de lieux de captage d'eaux de source dans le sud et l'ouest de l'Ile-de-France et des dérivations sur les conduites d'eau. L'expertise prend une importance grandissante. Le nombre de techniciens de laboratoire, d'ingénieurs ou de juristes spécialisés augmente continuellement alors que celui des agents de maintenance ne cesse de diminuer. Les chantiers d'aménagement et les grosses réparations sur les conduites sont aujourd'hui confiés à des sous-traitants.

2 UNIFIER LA GRH DE SALARIÉS AUX STATUTS DIFFÉRENTS

Originalité au départ, la cohabitation de salariés ayant conservé leur statut de fonctionnaire municipal et de personnels de statut privé est très rapidement apparue comme un handicap. D'autant plus que, en fonction des départs à la retraite et des retours dans le giron de la municipalité, le nombre d'agents détachés de la Ville de Paris diminue, tandis que le contingent des « privés » augmente régulièrement. En 1999, à l'issue d'une négociation de trois ans, un accord signé par tous les syndicats met en place une gestion prévisionnelle des emplois et des compétences (GPEC) qui instaure une gestion des carrières commune aux détachés et aux salariés de statut privé.

La GPEC remplace la logique de grade, propre à la gestion municipale, par des règles d'évolution fondées sur les métiers exercés et les compétences mises en œuvre. Grâce à cet outil, les évolutions de carrière d'un métier à un autre sont possibles. Elles sont fortement encouragées par Anne Le Strat, dont l'une des premières décisions a été de choisir son directeur général délégué parmi les cadres dirigeants de la maison. Un guide des métiers, distribué à chaque salarié, présente les compétences nécessaires d'une cinquantaine de métiers de l'entreprise, répertoriés en quatre familles : production, maintenance et fabrication ; analyse et mesure de l'eau ; maîtrise d'œuvre ; support. Des examens d'évolution professionnelle offrent également aux employés les plus expérimentés la possibilité de monter en grade.

Parallèlement, tous les salariés passent un « entretien d'activité » annuel destiné à faire le point sur l'année écoulée et à fixer des objectifs pour les douze mois suivants. Pour Bernard Capy, délégué syndical FO, l'exercice est loin d'être théorique : « L'entretien permet d'avoir un échange positif avec son supérieur hiérarchique et les résultats sont réellement pris en compte par la DRH. » Tout lien avec la GRH de la Ville de Paris n'est cependant pas coupé pour les détachés, puisque à chacun des sept niveaux hiérarchiques de l'entreprise correspond une grille salariale traduite en indices, comme dans la fonction publique. Et chaque grille obéit aux mêmes règles de progression par ancienneté.

« La GPEC a simplifié la gestion des carrières », reconnaît Jean-Pierre Nicolau, délégué syndical CGC. De son côté, Michel Gauriault, délégué CGT, souligne qu'elle a débloqué la progression des détachés en fin de carrière. « La reconnaissance de leur savoir-faire leur a donné de nouvelles perspectives professionnelles et salariales. » Associé au « dégagement des cadres », vocable interne qui désigne la possibilité pour les ouvriers détachés de revenir dans les services municipaux ou de prendre une retraite anticipée, le système a aussi permis de reconvertir sans heurt tous les salariés dont les postes ont été supprimés par la modernisation des installations. Un impératif pour une entreprise qui ne peut voir un conflit social détériorer la qualité du service rendu.

3 ENGAGER L'ENTREPRISE DANS LE DÉVELOPPEMENT DURABLE

Pleinement investie dans le combat pour la reconnaissance du droit des femmes, Anne Le Strat veille à ce que, dans son entreprise, elles soient aussi reconnues que leurs collègues masculins. DRH de la Sagep depuis 1987, et vice-président de l'ANDCP chargé de la diversité, de l'égalité professionnelle et de la prévention du harcèlement, Pascal Bernard souscrit entièrement à cette politique. En 2004, la SEM a été l'une des premières entreprises françaises à signer la charte de la diversité et un accord sur l'égalité professionnelle. « Nous n'avons pas attendu le label Égalité pour nous intéresser à la question. Nos efforts pour assurer l'équité entre hommes et femmes ont commencé en 2001 », précise Pascal Bernard, en relevant l'augmentation continue du nombre de femmes, passées de 22 % à 25 % des effectifs entre 2001 et 2004.

L'adoption d'un mode de gestion éthique conforme au développement durable constitue une priorité de cette « pédégère écolo ». La maigre proportion d'emplois à durée déterminée (1,6 %) et la réduction drastique du recours à l'intérim, tombé de 271 à 10 jours entre 2001 et 2004, en sont, à ses yeux, les conséquences directes. Le faible taux d'absentéisme (3,6 %), comparé à une moyenne française de 5,8 %, et la réduction de 5,7 % du nombre de jours d'arrêt pour accident du travail l'an dernier sont révélateurs d'un climat social serein. Le baromètre annuel de motivation indique d'ailleurs que 80 % des salariés sont satisfaits par leur travail, 68 % estimant que les relations avec la hiérarchie sont constructives.

Côté respect de l'environnement, l'arrivée d'Anne Le Strat aux commandes de la Sagep n'a pas révolutionné une entreprise déjà certifiée ISO 9002 et ISO 14001 (qualité et maîtrise des impacts sur l'environnement), mais elle a forcé les partenaires sociaux à mettre les bouchées doubles. La conseillère municipale Verts du XVIIIe arrondissement est à l'origine de l'accord sur l'organisation et l'optimisation des déplacements signé en 2002. Un texte qui vise la réduction du parc automobile de l'entreprise pour participer à la lutte contre l'effet de serre. Sur les 27 véhicules attachés précédemment au siège, les 8 qui subsistent ne sont plus confiés à une personne mais gérés en pool. Et l'utilisation des transports en commun est encouragée par le remboursement de 100 % de la carte orange. Une surenchère dans l'éthique écolo diversement appréciée. « Nous n'étions pas demandeurs, bougonne Jean-Pierre Nicolau, délégué CGC, qui a pourtant signé l'accord. Les voitures de fonction font partie des avantages du statut de cadre. Leur suppression est contraire aux habitudes du secteur privé. »

Non contente d'exercer son influence, Anne Le Strat informe ses troupes des initiatives prises en faveur du développement durable. Les salariés bénéficient de conférences régulières, la dernière en date ayant été consacrée à la construction d'usines de traitement des eaux souterraines selon des techniques labellisées Haute Qualité environnementale. « Je suis contente, explique-t-elle. Le message commence à passer et certains cadres osent prendre des initiatives pour améliorer les choses en ce sens. »

En tout cas, le militantisme de la patronne est applaudi quand il se traduit par des avantages sociaux supplémentaires. En 2003, un accord d'intéressement « éthique » est signé par les syndicats. Le montant de la prime dépend de la quantité d'eau produite et de la marge, de la sécurité des approvisionnements, de la qualité de l'eau et de l'action environnementale. La rigueur de gestion et le taux de fréquence des accidents sont également pris en compte. La moitié de cette somme est distribuée équitablement entre tous les salariés, l'autre est répartie suivant le salaire moyen des trois grandes catégories de collaborateurs de l'entreprise. La création, en 2001, d'une commission éthique paritaire et l'apparition d'un code de déontologie en 2003 ont cependant été accueillies avec scepticisme. « Nous n'avions pas de problème particulier, explique Murielle Solomas, membre de cette instance qui réunit des représentants de tous les syndicats. Au début, les gens n'ont pas compris le sens de ces démarches. Il a fallu attendre les formations à la prévention du harcèlement moral pour susciter l'intérêt. »

Dorénavant, tout salarié s'estimant victime ou témoin d'un cas de harcèlement peut saisir la commission. En relation avec la DRH, celle-ci s'intéresse également aux moyens de diversifier le recrutement en passant par des associations de défense des minorités, ainsi qu'à l'adaptation des postes pour faciliter l'emploi des seniors ou des personnes handicapées. À condition que les candidats aient les compétences souhaitées.

4 INCULQUER AUX CADRES UN MANAGEMENT ÉTHIQUE

Édicter des objectifs clairs et se donner les moyens d'y parvenir ne conduit pas forcément à adopter un management autoritaire. « Je suis favorable à un management participatif et je souhaite que le personnel soit impliqué dans les décisions importantes », explique Anne Le Strat, qui n'hésite pas à inviter les syndicats à donner leur avis sur les évolutions managériales. Son arrivée a quelque peu bousculé les habitudes des cadres en place. « Les formations au management éthique existaient déjà mais elles n'étaient pas obligatoires jusqu'à ces dernières années. Maintenant, nous sommes tenus d'y assister », explique un responsable de service. Le message est clair : tous les encadrants doivent contribuer, par leur mode de management, à faire d'Eau de Paris une entreprise citoyenne. Pour enfoncer le clou, la DRH propose cette année une nouvelle version du support papier à l'entretien annuel d'activité. Refondu et actualisé par rapport à l'ancienne version, ce document se présente en deux parties, l'une consacrée aux compétences, objectifs et souhaits de l'évalué, l'autre dédiée à ses contributions aux orientations définies par la direction.

Dans cette dernière, les initiatives pour « développer la citoyenneté, l'éthique et l'équité dans l'entreprise ; prévenir toute forme de discrimination ; promouvoir l'égalité femmes-hommes ; favoriser les bonnes pratiques en matière de management ; développer ses compétences et celles de son équipe » sont relevées par le supérieur hiérarchique et évaluées sur une échelle de quatre niveaux. « Les initiatives individuelles se développent dès que ce genre de pratiques influence réellement l'appréciation finale et le déroulement de carrière », relève Pascal Bernard. Lequel ajoute que, si les outils existaient en interne depuis plusieurs années, l'insistance de la direction actuelle est pour beaucoup dans l'appropriation effective de ces règles par chaque manager.

Les cadres nommés ces trois dernières années devraient être moins bousculés par ce nouveau document. Avant d'être promus, tous ont en effet suivi une session de formation sur le management éthique comportant un passage en assessment center. « Nous leur présentons un cas de discrimination ou de racisme en milieu professionnel. Ils doivent se positionner en tant que chef de service et présenter leurs solutions pour répondre au problème », explique Pascal Bernard. Cette partie de l'examen compte pour un quart de la note, précise le DRH, qui ajoute que certains candidats ont été recalés pour insuffisance dans ce domaine. Frédéric Rocher, devenu ingénieur de production après avoir passé un examen d'évolution professionnelle, est de ceux qui ont plutôt bien apprécié cet aspect de la formation. « Savoir animer une équipe n'est pas inné. J'ai appris à déléguer, à construire une relation professionnelle sans affect et à faire progresser mon équipe. »

Cette évolution des pratiques de management devrait s'amplifier à partir de 2006, année où un certain nombre de cadres dirigeants et de responsables de service vont partir à la retraite. Grâce à la GPEC, le DRH a déjà repéré les jeunes cadres à potentiel qui assureront la relève. Un système de tutorat complété par du coaching est prévu à moyen terme. Ce qui réjouit Anne Le Strat, persuadée que les jeunes générations sont plus réceptives à ses idées.

5 FACILITER LA PROMOTION INTERNE PAR LA FORMATION

Eau de Paris recrute peu, et essentiellement des ingénieurs et techniciens. En revanche, la SEM investit beaucoup dans la formation. Elle y consacre chaque année plus de 4 % de sa masse salariale. En 2004, 398 salariés ont suivi une formation destinée pour les trois quarts d'entre eux à développer leurs compétences techniques. « Les normes sanitaires sont de plus en plus exigeantes. Les techniques évoluent et nous avons besoin de mettre nos équipes à niveau, justifie Pascal Bernard. En outre, la promotion interne est un puissant levier de motivation. »

En 2004, 37 personnes ont été promues grâce à un examen d'évolution professionnelle, qui consiste à rédiger un dossier sur son métier, puis à le soutenir devant un jury composé de spécialistes internes et externes, quand il ne s'agit pas d'ingénieurs de la Ville de Paris. Une épreuve technique sur site couronne le tout. Après une formation au Cnam payée par l'entreprise, Sarah Octobon, assistante de laboratoire, a été promue technicienne de production en 2000. Cette année, elle a passé un examen d'évolution professionnelle et s'apprête à prendre la responsabilité de la section chimie du futur laboratoire central, qui concentrera le savoir-faire d'Eau de Paris en matière de bactériologie et de biologie. Pour sa part, Cédric Denis a évolué d'un poste de technicien vers celui d'ingénieur études et travaux. Durant trois ans, il a bénéficié des conseils d'un tuteur, dispositif indispensable car il n'existe pas de formation universitaire abordant les spécificités de la maintenance du réseau parisien. « Mais la formation théorique était complète. Nous avons abordé le Code des marchés publics, l'hydraulique et jusqu'au management éthique. »

Selon le DRH, la formation a plutôt profité aux techniciens et agents de maîtrise (TAM) ces dernières années. Pour 2005, l'objectif est de concentrer les efforts sur les ouvriers pour en faire progresser un nombre plus important vers un statut de TAM. Ce qui ne signifie pas que les évolutions, en partant du plus bas niveau de l'échelle hiérarchique, étaient impossibles par le passé. Arrivé en 1989 comme ouvrier de maintenance, Alain Plateau, secrétaire adjoint du CE, est devenu chef du service d'électricité de l'usine d'Ivry en 1992. Il passe son examen d'évolution professionnelle prochainement pour devenir cadre. Reste que l'accent mis sur la formation ces dernières années apporte un plus en facilitant les évolutions de carrière, même chez les moins qualifiés. À l'image de cet agent de bassin de décantation sans diplôme, attaché à l'usine d'Ivry, qui a pu entreprendre une formation pour compléter ses connaissances informelles en informatique et entamer une progression professionnelle.

Seule ombre au tableau dans cette entreprise qui se veut exemplaire : l'incertitude sur son avenir. Les représentants du personnel ont d'ailleurs obtenu de la direction la création d'un groupe de réflexion prospective paritaire sur l'avenir de la société. Car la concession de service public d'Eau de Paris s'achève en 2012. Autre échéance importante, la fin des concessions de distribution d'eau à Efpe et à la CEP en 2009. « La mairie de Paris pourrait en profiter pour privatiser l'ensemble de la filière », estime Bernard Capy, de FO. Mais il faudra d'abord affronter Anne Le Strat. La pédégère a clairement annoncé devant le Conseil de Paris son intention de lancer la société à l'assaut du marché de la distribution de l'eau en 2009. Elle mène des négociations serrées pour obtenir la sortie d'Efpe et de la CEP, les deux sociétés privées qui distribuent l'eau aux Parisiens, du capital de la SEM. Et le départ de leurs deux administrateurs du conseil d'administration d'Eau de Paris. Michel Gauriault, délégué CGT, reste optimiste : « La direction a de réelles ambitions pour l'avenir. Je suis d'accord pour que l'entreprise postule afin de remporter le marché de la distribution d'eau et je saurai trouver des soutiens auprès des élus. »… À condition que la majorité municipale ne change pas en 2008.

Entretien avec Anne Le Strat
« Je suis favorable à une loi limitant strictement les rémunérations des responsables d'entreprise »

C'est peu dire qu'en arrivant à la tête de la Sagep, en 2001, Anne Le Strat ne connaissait rien au monde de l'entreprise. Cette militante écologiste était, à l'époque, de toutes les manifs contre le libéralisme, les discriminations et pour le respect de l'environnement. Déléguée des Verts à la Coordination des associations pour le droit à l'avortement et à la contraception, elle achevait une thèse sur la géopolitique de l'eau dans le conflit israélo-palestinien. De là à se voir confier la présidence de la Sagep, il y a un fossé que cette joueuse de piano et de harpe celtique a franchi sans hésiter. Élue au conseil d'arrondissement du XVIIIe et au Conseil de Paris, cette Bretonne de 36 ans n'a même plus le temps d'aller au cinéma. Mais elle continue de se rendre dans ses bureaux du XVe arrondissement en métro, au nom de la lutte contre l'effet de serre. Écologiste jusqu'au bout des ongles…

Les élus se contentent d'ordinaire de présider les sociétés d'économie mixte. Pourquoi avez-vous choisi de devenir P-DG ?

J'ai souhaité dès le départ pouvoir influer sur la gestion de l'entreprise et renforcer la GRH pour lui faire épouser la logique du développement soutenable dans son pilier social. Avec la loi NRE qui sépare les fonctions de président et de directeur général, je risquais de perdre une bonne partie de mon pouvoir de décision. J'ai donc obtenu de la mairie de Paris de prendre ce titre, qui renforce, certes, ma responsabilité pénale mais me donne les moyens d'intervenir.

Cette prise en compte du développement durable est-elle compatible avec les impératifs financiers de l'entreprise ?

Certaines choses sont possibles. Ainsi, l'écart moyen entre les salaires des ouvriers et ceux des cadres est de l'ordre de 2,7 à Eau de Paris. Par ailleurs, nous avons supprimé les voitures de fonction et renforcé les chances de promotion des femmes par rapport à leurs collègues masculins.

Vous avez découvert le fonctionnement de l'entreprise à la Sagep. Comment s'est passé cette prise de contact ?

J'ai constaté un vrai sens du service public de la part du personnel. Les gens sont fiers d'appartenir à Eau de Paris et ils ont une conscience professionnelle à toute épreuve. Mais j'ai aussi été confrontée à une certaine inertie lorsqu'il a été question de modifier quelques habitudes de fonctionnement. L'accord sur les déplacements, signé en 2002, a été difficile à négocier. Les cadres étaient habitués à utiliser une voiture et n'ont pas vu d'un très bon œil la réduction du parc de véhicules. Mon refus d'utiliser la voiture de fonction avec chauffeur dévolue au président a même choqué certains, qui ont pu me reprocher de dévaloriser la fonction et d'être dogmatique. Cette décision est pourtant cohérente avec mon positionnement politique.

Qu'est-ce qui vous différencie de vos prédécesseurs d'un point de vue managérial ?

Je ne fonctionne pas de manière hiérarchique. Je préfère le débat et les échanges. Mais j'essaie de faire en sorte que les décisions prises au niveau de la direction générale se répercutent rapidement le long de la ligne hiérarchique. À l'inverse, j'encourage les remontées d'information et l'implication du personnel. La création de la commission éthique va dans ce sens puisque c'est un lieu de discussion entre représentants du personnel, délégués syndicaux et direction sur les moyens de favoriser l'égalité hommes-femmes, sur les mesures à prendre pour lutter contre toute forme de discrimination. Comme le recrutement de personnes issues de minorités visibles.

Où en sont vos relations avec le management ?

Elles sont bonnes. Les oppositions que j'ai initialement rencontrées se réduisent avec le temps et l'établissement d'un dialogue permanent. Le rajeunissement et la féminisation de l'encadrement au cours des dernières années y contribuent également. ailleurs, je participe aux séminaires internes destinés aux managers. Cela me donne l'occasion d'écouter et d'expliquer mes choix de gestion.

Qu'est-ce qui justifie la création d'une société d'économie mixte pour assurer la production d'eau potable ?

Le secteur public ne peut pas tout faire et il peut être efficace d'organiser une délégation de service avec une entreprise privée, à condition d'encadrer précisément le cahier des charges et de contrôler régulièrement son respect en veillant à ce que la collectivité locale ne se dessaisisse pas de ses responsabilités. Mais je considère que la gestion de l'eau est une chose trop importante pour être confiée aux sociétés privées.

J'ai donc l'intention d'engager Eau de Paris sur l'appel d'offres en 2009 pour lui permettre de contrôler tout le circuit, de l'amont vers l'aval, jusqu'au consommateur final.

De toute manière, les investissements lourds sont réalisés par la collectivité publique. Alors pourquoi laisser le privé faire des profits que nous pourrions dégager nous-mêmes ? En outre, cela nous permettrait probablement de stabiliser, voire de baisser le prix de l'eau pour les Parisiens.

Votre rémunération est-elle à la hauteur de vos responsabilités ?

Je ne touche qu'une indemnité d'élue, qui s'élève à 15 000 euros par an. Cela n'a rien à voir avec les rémunérations mirifiques que s'octroient certains patrons. Je suis d'ailleurs scandalisée par les niveaux atteints dans ce domaine ces dernières années. Quand la situation économique et sociale est tendue, les stock-options et golden parachutes de certains sont indécents. Je suis favorable à une stricte limitation des rémunérations des responsables d'entreprise par le législateur.

Propos recueillis par Denis Boissard et Éric Béal

Auteur

  • Éric Béal