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Politique sociale

Ces petits plus qui dopent les adhésions syndicales en Europe

Politique sociale | DÉCRYPTAGE | publié le : 01.06.2005 | Isabelle Moreau, avec nos correspondants

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Ces petits plus qui dopent les adhésions syndicales en Europe

Crédit photo Isabelle Moreau, avec nos correspondants

Soutien psychologique, aide juridique, voire mutuelle : les syndicats français commencent à offrir des services pour fidéliser leurs troupes et booster les adhésions. Une pratique qui, des réductions dans les magasins à l'indemnisation du chômage en passant par des avantages sociaux exclusifs, est beaucoup plus répandue chez nos voisins européens.

Appeler gratuitement, 24 heures sur 24, la plate-forme téléphonique du cabinet Psya pour dialoguer avec un psychologue, voilà ce que propose depuis plus de deux ans le Syndicat national de l'entreprise du Crédit agricole (Sneca CGC) à ses adhérents et à leur famille. « L'idée d'une cellule d'assistance d'aide psychologique est venue lorsque nous avons mis en place des actions de prévention du harcèlement moral », explique Michel Fournier, membre du comité directeur du Sneca CGC, qui compte bien, grâce à ce service, attirer de nouveaux membres.

Confrontés à la chute de leurs effectifs – avec un taux de syndicalisation de 8,2 % en 2003, la France est largement à la traîne de ses voisins européens –, certains syndicats français n'hésitent plus à proposer une gamme de services variés pour relancer la machine grippée de l'adhésion et fidéliser leurs troupes. Au SNB CFE-CGC, par exemple, les 9 000 adhérents peuvent joindre un SVP juridique qui leur permet d'obtenir une réponse rapide à des questions d'ordre pratique comme celles relatives à l'exécution du contrat de travail. « Ils peuvent aussi bénéficier d'une protection juridique et utiliser les services d'un avocat, grâce à un contrat passé avec l'Européenne de protection juridique », précise Gérard Labrune, président du SNB. Le patron de la Fédération des métiers de la finance et de la banque CFE-CGC rappelle aussi que son organisation a négocié, il y a deux ans, une complémentaire santé avec le groupe Malakoff au profit essentiellement des retraités du syndicat et qu'il réfléchit à la mise en place d'un « SVP retraite ».

Dans la même veine, la Fédération CFDT des services propose, depuis le 1er janvier dernier, une mutuelle à ses 70 000 adhérents. « Nous sommes dans un secteur où règne la précarité. Cette mutuelle va permettre aux salariés du nettoyage ou de l'hôtellerie de bénéficier d'une bonne couverture santé. C'est un service supplémentaire que nous offrons à nos adhérents en plus de ceux que la confédération propose déjà, comme la caisse de grève », souligne Véronique Château, responsable de la formation syndicale et du développement à la Fédération des services.

Même s'il fait feu de tous bois, Gérard Labrune, du SNB CFE-CGC, ne cache pas son scepticisme : « Dans certains pays, à l'instar du Portugal, les syndicats ont dopé les adhésions en proposant des services qui n'existaient pas dans la loi, comme la retraite complémentaire. C'est moins vrai en France : on ne fait pas adhérer les gens en leur faisant miroiter des services. » Même analyse de Christian Dufour, de l'Institut de recherches économiques et sociales (Ires) : « Le fait de penser que développer les services permet d'attirer de nouveaux membres est un leurre. D'ailleurs, en France, les services proposés par les comités d'entreprise, majoritairement gérés par les syndicats, n'ont pas suscité une adhésion de masse. » Le chercheur de l'Ires met les taux de syndicalisation plus élevés des pays d'Europe du Nord davantage sur le compte de « réflexes sociétaux » que sur l'attrait des services proposés.

Reste que, chez nos voisins, le syndicalisme de services existe bel et bien. En Espagne, cela fait déjà un moment que les syndicats proposent des petits plus à leurs membres. Outre-Rhin, certains vont jusqu'à négocier des avantages exclusifs pour les seuls adhérents – comme c'est depuis longtemps le cas aux États-Unis (voir encadré page 32) – tandis qu'en Suède et en Belgique l'adhésion syndicale va souvent de pair avec l'inscription à une caisse d'assurance chômage. Passage en revue de ce syndicalisme de services qui pourrait utilement inspirer nos confédérations hexagonales.

Espagne

Des services en voie de développement

Et si vous faisiez un placement écologique rentable ? En parrainant des arbres, vous faites un double investissement : non seulement vous placez de l'argent dont vous retirerez les bénéfices au moment de la vente du bois, mais en plus vous participez aux efforts de reforestation de l'Espagne. Telle est l'une des multiples propositions des Commissions ouvrières (CCOO) à leurs affiliés. Depuis une dizaine d'années, les deux grandes centrales, les CCOO et l'UGT, qui représentent actuellement moins de 20 % de la population active espagnole, ont multiplié les services pour attirer les adhérents. De simples conseils juridiques et aides à la formation ou à la recherche d'emploi, les offres, souvent peu connues des affiliés, se sont étendues aujourd'hui au logement, aux loisirs, aux assurances, aux fonds de pension ou à des réductions chez de nombreux commerçants, du fleuriste au marchand de chaussures.

« Le plus utilisé ? Nos accords avec une chaîne d'opticiens pour se faire faire des lunettes », constate Pilar Rodriguez, des Commissions ouvrières, qui souligne, cependant, le caractère embryonnaire de la notion de syndicat de services en Espagne : « Pour nous, c'est tout nouveau, explique-t-elle. Le mouvement syndical est encore récent dans ce pays. Il s'est reconstitué à la fin des années 70, à la sortie du franquisme, et nos priorités sont allées naturellement du côté du droit social et de la défense des travailleurs. » Les premières initiatives notables des deux centrales, à la fin des années 80, ont concerné le logement social, un secteur particulièrement négligé en Espagne. Avec succès le plus souvent, mais aussi quelques échecs retentissants : la faillite, en 1994, d'un des projets appuyés par l'UGT a laissé quelque 20 000 adhérents sur le carreau, qui non seulement n'ont pas obtenu le logement promis mais ont perdu leur mise de départ. Cet épisode, qui a semé le doute sur les capacités des gestionnaires des syndicats, a sans doute contribué à freiner les initiatives ultérieures.

Mais, depuis quelques années, les deux centrales s'efforcent de combler leur retard. L'UGT propose des centres de vacances gérés ou subventionnés par le syndicat, des services d'agences de voyages, mais aussi des assurances vie, des aides à la déclaration de revenus ou une gamme de services financiers négociés dans des conditions avantageuses avec les banques : compte épargne logement, crédits personnels ou professionnels, prêts hypothécaires ou même carte de crédit gratuite. Profitant du mouvement de libéralisation du marché énergétique, l'UGT propose aussi des tarifs attractifs avec l'une des compagnies d'électricité espagnole.

Côté Commissions ouvrières, les offres viennent souvent directement des fédérations régionale set sont multiples, des réductions dans les magasins ou les stations-service en passant par les loisirs. La confédération, elle, traite les accords d'envergure, sur le logement ou les plans de pension. Dernier en date : 25 % de réduction dans les hôtels Parador, situés au cœur de tous les hauts lieux du tourisme culturel espagnol. Un accord dont Pilar Rodriguez n'est pas peu fière : ce n'est qu'un début, promet-elle. Même si elle ajoute : « Proposer des services, c'est bien ; les utiliser, c'est encore mieux. Nos affiliés doivent acquérir le réflexe de consulter nos offres sur Internet. C'est un apprentissage. Notre évolution vers le syndicat de services passera par le Web. »

Cécile Thibaud, à Madrid

Allemagne

Des cadeaux et avantages pour enrayer la baisse des effectifs

« Vingt nouveaux syndiqués = un minibar » : tel est le marché proposé par le syndicat allemand de l'alimentation et de la gastronomie (NGG) à ses membres. Celui-ci vient de lancer une action de recrutement de grande envergure avec, en guise de récompense pour les recruteurs, des cadeaux qui vont de la montre au minibar à brancher sur l'allume-cigares de sa voiture. Chez Verdi, le syndicat des services, une action identique permet de gagner des week-ends « première classe » pour deux à Berlin, pour tout adhérent recruté.

Parallèlement, le NGG a mis en place un service spécial pour ses adhérents. Outre une protection juridique en cas de conflit du travail et des mutuelles santé ou retraite bon marché, ceux-ci profitent désormais d'offres d'assurances en tout genre, d'une agence de voyages et de réductions sur les spectacles. Des offres que l'on trouve déjà dans de grands syndicats comme Verdi ou IG Bau, le syndicat du BTP, où le militant peut également obtenir 15 % de rabais sur l'achat d'une voiture, une deuxième carte de crédit gratuite ou encore des tarifs préférentiels pour un téléphone portable ou une consultation chez un conseiller fiscal.

Des avantages sonnants et trébuchants qui illustrent bien l'opération de fidélisation et de séduction lancée par les syndicats allemands auprès des salariés. Mis sous pression par le chômage de masse et les menaces de délocalisation, les syndicats allemands sont en effet sur la défensive, plus souvent occupés à limiter les dégâts qu'à négocier l'amélioration des conditions de travail. Résultat, bien des salariés ne perçoivent plus clairement l'intérêt de l'engagement syndical. En dix ans, les syndicats membres de la Confédération des syndicats allemands ont perdu 2,3 millions d'adhérents (ils étaient 7,2 millions en 2004).

« S'engager dans un syndicat, ça doit valoir le coup », affirme Wolfgang Nethelstroth, porte-parole de la fédération IG Metall de Rhénanie-du-Nord-Westphalie (IGM NRW). Depuis quelques mois, IG Metall NRW a lancé le Tarifbonus, un projet test qui se limite pour l'instant à la région industrielle la plus peuplée d'Allemagne. L'idée est simple : il s'agit de négocier des avantages exclusifs pour les salariés syndiqués d'une entreprise.

Actuellement, près de 35 entreprises, des PME de 100 à 1 000 employés, ont signé de telles conventions, garantissant aux adhérents d'IG Metall une prime de retraite supplémentaire, de meilleures offres de formation, ou un treizième mois et des jours de congés payés en plus grand nombre que pour leurs collègues non syndiqués. « Aujourd'hui, de nombreuses entreprises en difficulté nous demandent de négocier des conventions collectives moins avantageuses que celles négociées au niveau de la branche. En échange de notre accord, nous demandons un bonus pour nos adhérents », explique Wolfgang Nethelstroth.

Ce genre de pratique ne manque pas d'être critiquée par des patrons et une opposition conservatrice et libérale qui craignent l'introduction d'un système à deux vitesses dans le monde du travail. Côté syndical, certains redoutent que l'image clientéliste des organisations se renforce un peu plus, au détriment de leur mission d'intérêt général. À IG Metall, on avoue que les bonus négociés jusqu'à présent sont faibles et, à vrai dire, symboliques. Bref, que le Tarifbonus tient plus de la mesure de communication que d'un véritable instrument pour empêcher la diminution des effectifs.

Thomas Schnee, à Berlin

Suède

Les services multiples de syndicats puissants

S'ils ne sont pas encore surnommés les « bread and butter », comme en Grande-Bretagne, les syndicats suédois sont malgré tout connus pour leurs largesses. Éducateur dans une crèche municipale de Stockholm et membre du syndicat des instituteurs, Pelle a profité de formations à des prix imbattables. « Il m'est aussi arrivé d'acheter des vêtements professionnels par le syndicat », ajoute-t-il en ouvrant sa parka fourrée. Quant à Britt, une de ses collègues, membre du syndicat Kommunal, la principale raison qui l'a fait adhérer à la fédération des fonctionnaires territoriaux est la caisse de chômage qui lui est affiliée. Si celle-ci est juridiquement indépendante du syndicat et que ses règles d'indemnisation sont fixées par la loi, l'immense majorité des salariés suédois choisissent d'adhérer à l'une des 38 caisses de chômage affiliées aux syndicats pour obtenir, en cas de licenciement, des indemnités de chômage plus avantageuses que celles servies par les caisses professionnelles ou que l'assurance de base.

En Suède, les syndicats, qui couvrent selon l'OCDE environ 80 % des salariés, offrent une large palette de services à leurs adhérents. À commencer par la grande centrale LO. Très proche du parti social-démocrate, cette confédération des employés et ouvriers qui compte 2 millions d'adhérents (environ 85 % des cols bleus) répartis en 16 syndicats de branche propose par exemple un abonnement d'électricité à tarif préférentiel. « Dès la réglementation du marché de l'électricité, LO a même été la première organisation de Suède à signer un contrat avec une compagnie d'énergie », note Johan Ohnell, P-DG de Telge Energi, qui fournit de l'électricité à 65 000 membres de LO.

Dans la même veine, les syndicats suédois proposent à leurs troupes des ordinateurs à des prix avantageux. Tous organisent également des cercles d'études qui fournissent à leurs membres toutes sortes de formations, bien au-delà de celles liées à l'activité syndicale proprement dite. LO a ainsi été à l'origine, en 1915, d'ABF, le plus gros organisme de formation de Suède, qui gère aussi bien des cours de langue que des formations à la création d'un groupe de rock, en astronomie, en céramique ou d'initiation au féminisme.

Aux adhérents de ses différentes fédérations, LO propose aussi des crédits à taux préférentiel dans certaines banques. Elle a également lancé, avec la compagnie d'assurances Folksam, un fonds de pension taillé sur mesure avec une cotisation plus faible que la normale. Quant à LRF, le syndicat des agriculteurs, il offre une série de réductions pour l'achat de matériel professionnel, mais aussi des abonnements à prix réduits auprès d'opérateurs de téléphonie mobile et des réductions sur les voitures. Généralement, une assurance tous risques est comprise dans la cotisation, environ 1 % du salaire, qui donne droit à une déduction fiscale.

Olivier Truc, à Stockholm

Belgique

Des arguments solides pour les salariés et les chômeurs

Appâter les adhérents avec des avantages ou des services annexes « n'est pas dans la culture du syndicalisme belge », jure le responsable d'une organisation de salariés. À en croire ses dirigeants, le syndicalisme outre-Quiévrain serait affaire de solidarité, pas de clientélisme. À y regarder de plus près, les organisations de travailleurs ne manquent toutefois pas d'arguments sonnants et trébuchants pourinciter les Belges à s'encarter.

Tout d'abord, c'est paradoxalement lorsque l'on est chômeur qu'il est particulièrement recommandé de se syndiquer. En effet, depuis l'« accord de solidarité sociale » signé dans l'après-guerre, les confédérations peuvent gérer et verser des allocations chômage à leurs affiliés. Il existe, certes, une caisse publique pour toucher les indemnités de chômage, mais elle a très mauvaise réputation. Tandis que les syndicats ont su développer toute une gamme de services pour séduire leurs « clients ». Ainsi, la Confédération syndicale chrétienne (CSC) met en avant sa capacité à verser des avances sur allocation aux demandeurs d'emploi et la performance de son système informatique de gestion.

Les « chômeurs syndiqués » sont également assurés de trouver un service juridique pour les appuyer en cas de besoin. Une cotisation « chômeur » coûte 9 euros par mois à la CSC, contre 14 euros pour un salarié lambda, tout simplement parce que la part destinée à la négociation et à la formation des cadres syndicaux n'est pas imputée.

« Avec la gestion des allocations chômage, nous détenons un puissant facteur de syndicalisation », admet un responsable de la Fédération générale des travailleurs belges (socialiste et francophone). De son côté, la CSC revendique la gestion de la moitié des 600 000 chômeurs belges. « C'est un peu paradoxal, il est vrai, de lutter pour le plein-emploi et de mettre en place les systèmes les plus performants possibles pour la gestion des allocations chômage », reconnaît Roland de Wulf, conseiller du secrétaire général de l'organisation chrétienne.

La gestion de ces allocations, qui proviennent de fonds publics, fait l'objet d'une stricte surveillance, assurent les syndicalistes. Il n'en va pas de même de la « prime syndicale », autre élément de séduction dont disposent les organisations. Le montant de cette prime, destinée uniquement aux adhérents, est décidé au niveau des branches ou dans les négociations menées au sein des entreprises. Celles-ci versent elles-mêmes les primes aux syndicats (en fonction du nombre de leurs affiliés), à charge pour ces derniers de les reverser à leurs membres (chez Dexia, par exemple, la prime atteint 50 euros pour deux ans). Un petit plus pour les salariés qui prennent leur carte syndicale. Résultat : avec 56 % de syndiqués, la Belgique affiche un des meilleurs scores européens.

Cyprien Chetaille, à Bruxelles

Heureux syndiqués américains

Aux États-Unis, être syndiqué (environ 13 % des salariés américains le sont), ce n'est pas seulement gagner en moyenne 27 % de plus que les autres, bénéficier d'une meilleure couverture médicale et d'une retraite plus confortable. C'est aussi accéder à une kyrielle d'avantages financiers et de rabais en tout genre.

L'AFL-CIO a profité du poids que lui confèrent ses 13 millions de membres pour négocier des accords préférentiels avec les grandes compagnies de services, des banques (la Chase) aux loueurs de voitures (Avis, Budget) en passant par les groupes informatiques (Dell). Depuis 1986, le programme Union Plus permet donc aux membres de la confédération d'obtenir des crédits immobiliers à des taux privilégiés, d'économiser sur les contrats d'assurance vie, de s'offrir des soins dentaires ou des lunettes à prix cassés, de bénéficier de rabais sur les médicaments prescrits sur ordonnance, d'acheter des fleurs 15 % moins cher ou encore de profiter de tarifs spéciaux chez le vétérinaire…

L'American Federation of State, County and Municipal Employees (AFSCME), qui rassemble tous les fonctionnaires non fédéraux, propose aussi des séjours promotionnels au cœur de Disneyworld dans l'hôtel Royal Plaza – « naturellement, un établissement syndiqué », précise un porte-parole de l'organisation.

Autre grand avantage pour les syndiqués : les bourses d'études offertes à leur progéniture depuis 1992, dans le cadre de l'Union Plus Scholarship Program. Parce qu'elle était une bonne élève, Jessica Schroeder, fille de Dan, de la section 1449 de l'AFSCME du Wisconsin, a ainsi obtenu l'an dernier 4 000 dollars (3 080 euros) pour suivre des cours de sciences politiques à l'université du Minnesota à Minneapolis. « Depuis l'âge de 5 ans je rêvais de poursuivre des études supérieures afin de devenir juge pour enfants et donner aux petits Américains les mêmes opportunités que celles dont j'ai pu profiter », explique-t-elle, pleine de gratitude envers son généreux sponsor.

Isabelle Lesniak, à New York

Auteur

  • Isabelle Moreau, avec nos correspondants