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L'industrie du travail se met en place

Dossier | publié le : 01.06.2005 |

Depuis la fin du monopole de l'ANPE sur le placement des salariés et des chômeurs, agences pour l'emploi, cabinets de recrutement, groupes d'intérim… prennent leurs marques. Une petite révolution censée donner de la fluidité au marché de l'emploi. Reste à savoir si l'équilibre économique sera au rendez-vous.

Comme beaucoup d'autres pays européens, la France est en train de bâtir une staffing industry, qui ne fera plus de distinction entre recrutement, intérim et placement. Une révolution culturelle voulue par le gouvernement Raffarin pour fluidifier un marché de l'emploi plombé par le chômage et le rendre plus transparent. Première étape de la réforme : la fin du monopole de l'ANPE sur le placement des salariés, entérinée par la loi de cohésion sociale du 18 janvier dernier. Concrètement, les entreprises n'ont plus l'obligation de déposer leurs offres d'emploi auprès de l'ANPE et peuvent passer par des agences de recrutement privées. Dans les faits, ce monopole était surtout théorique. Car de nombreux prestataires privés, cabinets de recrutement, d'outplacement ou entreprises de travail temporaire occupaient déjà le terrain. « Cette nouvelle configuration met le droit en phase avec la réalité, estime Jean-Marie Marx, directeur général adjoint de l'ANPE chargé du développement. L'Agence réalise environ 37 % des recrutements, les autres recrutements passant par d'autres canaux (candidatures spontanées, petites annonces, Internet…). »

En attendant, la loi oblige les prestataires à se positionner clairement. Les premiers à s'en réjouir ont été les groupes de travail temporaire qui, depuis des années, lorgnaient le marché de l'emploi non précaire. « C'est moins la fin du monopole que la possibilité donnée aux entreprises de travail temporaire (ETT) de sortir de leur pré carré qui change la donne, explique Gilles Quinnez, directeur général d'Adecco France. Nous allons pouvoir facturer autre chose que des contrats de travail temporaire en proposant des CDD et des CDI. » Et le faire en toute légalité, car les ETT pratiquaient déjà quasi ouvertement le prérecrutement au bénéfice de leurs clients. « La loi nous permet de recruter au grand jour, sans nous cacher et avec un cadre légal », ajoute Jean-Pierre Lemonnier, président de Manpower France.

Un marché solvable pour l'intérim ?

Dès le vote de la loi, les deux leaders de l'intérim ont lancé de grandes campagnes de communication pour informer les demandeurs d'emploi et les entreprises de leurs nouvelles prérogatives. Recrutement de consultants, lancement de services ad hoc… toutes les enseignes se sont engagées sur ce nouveau marché. D'autant plus facilement qu'elles ont à leur disposition quelque 6 000 agences qui maillent le territoire national et leur permettent d'être au plus près de leurs clients. Kelly Services (90 agences en France) annonçait fin avril avoir facturé 50 recrutements depuis le début de l'année dont plus des deux tiers en CDI. « À terme, l'activité de recrutement pourrait représenter 10 % de notre chiffre d'affaires », pronostique Marc Riou, directeur général de Kelly Services. Chez Vedior, qui dispose de 900 agences dont 800 pour la seule marque VediorBis, Philippe Salle, le directeur général, se donne trois ans pour que Recrutéo, son nouveau service de recrutement, atteigne son régime de croisière. « Au Royaume-Uni, l'activité de recrutement représente 4 %. Elle devrait à terme constituer 2 à 3 % de notre chiffre d'affaires en France. »

Reste que les ETT ont encore une vision floue du marché du recrutement. Notamment parce qu'elles vont se concentrer sur un créneau délaissé par les cabinets de recrutement, focalisés sur les cadres. « Nous allons proposer à une partie de la population active, les ouvriers, les agents de maîtrise, les cadres moyens, qui n'avaient pas d'autre interlocuteur que l'ANPE, de jouer les intermédiaires avec les entreprises. Nous verrons vite dans quelle mesure ce marché est solvable », explique Gilles Quinnez. Traditionnellement, les entreprises recrutaient ce type de profils via les petites annonces, la cooptation, l'ANPE ou encore les candidatures spontanées. Difficile de dire si elles sont prêtes à s'offrir les services d'un recruteur.

De leur côté, les cabinets de recrutement qui travaillent traditionnellement sur les profils de cadres et de dirigeants observent cette nouvelle concurrence sans trop s'alarmer. « Cela ne veut pas dire que nous ne serons pas vigilants, prévient Jean-François Roquet, président du Syntec Recrutement et directeur général du groupe François Sanchez Consultants. Tous les nouveaux acteurs sont les bienvenus à condition qu'ils ne tirent pas la profession vers le bas et qu'ils respectent la même déontologie, la même qualité de service. » Au Syntec, on espère que l'arrivée des entreprises de travail temporaire « réveillera » le marché et fera évoluer les comportements des recruteurs. Car, sur 100 recrutements de cadres, seulement 20 passent par les cabinets. « Il y a toujours eu de nombreux acteurs sur ce marché, indique Fabrice Lacombe, directeur général de Michael Page. Notre stratégie, nous la construisons par rapport aux attentes de nos clients, pas en fonction de nos concurrents. La différence, nous la ferons moins sur les tarifs que sur la qualité des profils de cadres que nous présenterons aux entreprises. »

L'ANPE, pour sa part, affirme que la libéralisation du marché du recrutement lui convient parfaitement. « Il y a de la place pour tout le monde, répète Jean-Marie Marx. Le marché du recrutement était déjà ouvert par le biais des cabinets de recrutement. De plus, dans un contexte économique peu générateur d'emplois, 17 200 créations nettes en 2004, nous avons recueilli 3,17 millions d'offres (+ 6 % par rapport à 2003). Nos recrutements progressent de manière constante depuis 2003 (+ 7 % depuis le début 2005). Nous ne craignions pas l'ouverture car nous n'avons jamais réalisé autant de recrutements et ces résultats sont principalement liés à la bonne qualité des échanges avec les autres acteurs du marché de l'emploi. Les ETT sont d'ailleurs un client important. Quand elles n'arrivent pas à répondre à la demande, elles se tournent vers nous. En 2004, elles nous ont confié 460 000 offres d'emploi. » L'Agence a peaufiné ses arguments pour se démarquer de ses concurrents. En contrepartie de l'abandon de son monopole, elle a obtenu la possibilité de commercialiser de nouveaux services. « Nous avons développé une technique de recrutement par habilités qui intéresse beaucoup les entreprises. Si nous intervenons sur une demande précise, par exemple des questions de mobilité interne à l'entreprise, cela pourrait se faire dans le cadre d'une filiale », assure Jean-Marie Marx.

Il n'y a jamais 100 % de réussite

Mais la loi Borloo aborde également l'autre face du marché du travail, celle du placement des demandeurs d'emploi. Une activité qui suscite des convoitises. Notamment depuis l'arrivée en France de deux agences de placement privées : le hollandais Maatwerk et l'australien Ingeus ont créé la surprise en 2004 en contractant à titre expérimental avec l'Unedic sur le reclassement de demandeurs d'emploi. Maatwerk a travaillé au reclassement de 150 chômeurs sélectionnés par les Assedic de l'Ouest francilien et l'ANPE. Les résultats de cette expérimentation sont mitigés. Mi-décembre, l'agence de placement affichait un taux de reclassement de 54 %. Ces expérimentations ont mis sens dessus dessous les acteurs traditionnels du marché du travail, qui ont vécu ce premier coup de canif comme une trahison. D'abord parce qu'aucun appel d'offres n'a été lancé. Ensuite parce que les ETT et la myriade d'associations spécialisées dans la réinsertion avaient pris l'habitude depuis plusieurs années de travailler en partenariat avec l'ANPE sur l'évaluation des compétences des demandeurs d'emploi dans le cadre du Pare.

Depuis, l'Unedic et l'ANPE ont corrigé le tir en menant des expérimentations avec Adecco en Rhône-Alpes, les leaders de l'outplacement BPI et Altedia en Paca. Manpower devrait également intervenir dans une autre région très prochainement. Les deux poids lourds de l'outplacement travaillent au reclassement de 1 100 demandeurs d'emploi (550 chacun) sur Marseille, Toulon, Sophia-Antipolis, Cagnes-sur-Mer et Avignon. « L'objectif de ces expériences est de mettre en place des prestations particulières sur des profils de demandeurs à risque, précise Jean-Marie Marx. Le principe est d'engager dès le début du chômage un accompagnement important car c'est à cette période que tout se joue. Il n'y a jamais 100 % de réussite, mais ce sont des opportunités supplémentaires pour les demandeurs d'emploi. »

« Nous avons tout intérêt à être présents sur ce marché en construction, indique Xavier Lacoste, directeur général d'Altedia. C'est un domaine où nous pouvons valoriser les savoir-faire que nos consultants ont développés dans leurs missions d'accompagnement des licenciés économiques. » Chez BPI, coleader du marché, les motivations sont identiques. « Ces expérimentations sont de vraies occasions de montrer nos compétences et d'exprimer notre créativité », abonde Pascale Portères, CEO du groupe BPI-Leroy Consultants. Mais, à l'avenir, BPI n'a pas la volonté d'investir massivement ce marché. Pour Altedia, cela constitue un marché à conquérir, tout comme celui des conseils généraux qui gèrent depuis 2004 le RMI. L'ANPE a renouvelé 80 % de ses contrats avec les départements, mais ces derniers font jouer la concurrence. Lee Hecht Harrison, filiale d'Altedia depuis son rachat par Adecco, a remporté le « marché » de Paris et des Hauts-de-Seine. Maatwerk travaille avec le conseil général de l'Indre. « La grande interrogation reste l'équilibre économique de ce marché, pointe Xavier Lacoste. Les tarifs proposés par l'Unedic sont acceptables mais restent en deçà de ce que nous pratiquons dans le cadre de missions de restructuration. Pour que ce marché devienne efficace, il faudra lui en donner les moyens. » Rendez-vous en fin d'année. Quand l'Unedic et l'ANPE auront tiré les leçons de leurs expérimentations et renégocié une nouvelle convention.