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Vie des entreprises

Guy Dollé bouscule les ex-Usinor pour bâtir un modèle Arcelor

Vie des entreprises | METHODE | publié le : 01.05.2005 | Anne Fairise

Porté par la demande d'acier, le patron d'Arcelor met le cap sur l'international et restructure en douceur en Europe. Pour parachever la fusion entre Usinor, Aceralia et Arbed en préservant les identités nationales, il dope la mobilité, le dialogue social européen et la prévention des accidents du travail.

Un chiffre d'affaires en hausse de 17 %, un profit multiplié par neuf et un endettement réduit de moitié ! En annonçant en février les résultats record d'Arcelor, Guy Dollé, le président de la direction générale de cette société de droit luxembourgeois, en clair le patron opérationnel du numéro un européen de la sidérurgie, affichait une belle sérénité, pronostiquant des résultats 2005 encore meilleurs. La faim dévorante d'acier de la Chine et l'envolée des prix n'expliquent pas à elles seules ces performances. Elles couronnent la stratégie menée depuis la fusion complexe, il y a trois ans, entre le français Usinor et ses concurrents luxembourgeois et espagnol, Arbed et Aceralia. Performance industrielle et profitabilité, voilà les maîtres mots de ce manager de choc qui conduit tambour battant la transformation de cette galaxie de 360 sociétés employant 95 000 salariés dont 28 000 Français. Pour surmonter le handicap d'une trop forte dépendance à la vieille Europe, Guy Dollé a mis le cap sur l'international, où la moitié du chiffre d'affaires sera réalisé, en 2015, contre 25 % aujourd'hui. Tout en engageant une sévère réorganisation en Europe de l'Ouest dans le secteur des aciers « plats carbone » notamment, qui fermera la moitié de ses hauts-fourneaux d'ici à 2010.

Opérant une véritable révolution culturelle, le patron d'Arcelor a donné la prioritéaux marges sur les volumes et réorienté la production vers le client. « On ne vend plus l'acier qu'on fabrique. On fabrique l'acier qu'on a vendu », explique un cadre. Un sacré virage à négocier pour le personnel, soumis à d'incessantes restructurations. Mais sans licenciement, dans le respect des pratiques des fondateurs. Reste à calmer les appréhensions des troupes françaises qui craignent que la généreuse politique sociale de l'ancienne Usinor ne fasse les frais du mouvement de rationalisation engagé dans le groupe.

1 RÉUSSIR UNE FUSION ENTRE ÉGAUX

« La navette ». À force d'allers et retours, c'est ainsi que les cadres de la tour Pacific à la Défense ont baptisé le vol matinal Paris-Luxembourg qui leur permet de rejoindre le siège social du nouveau groupe européen, installé dans les ex-locaux d'Arbed. Une couleuvre difficile à avaler, en 2002, pour les tricolores, qui, dans la corbeille, apportaient la moitié des actifs et 30 % des effectifs. Mais, des frictions entre pays, on n'aime pas parler au siège, où un leitmotiv résonne à tous les étages : « la fusion s'est bien passée ».

Pourtant l'enjeu était de taille avec, comme le résume un spécialiste, « une conjoncture morose, des groupes à forte identité nationale n'ayant pas construit de vision européenne et des modèles managériaux et professionnels éloignés ». Pas de quoi faire reculer Guy Dollé, l'homme des missions difficiles, alors numéro deux d'Usinor, qui accepte de prendre la tête de la direction générale après que le directeur général d'Arbed eut refusé le poste. Chapeauté un temps par deux coprésidents, Joseph Kinsch, ex-président d'Arbed, et l'imposant Francis Mer, ex-président d'Usinor, il a su s'imposer petit à petit après le départ de celui-ci, en mai 2002, pour Bercy.

« Une fusion à trois a un avantage : on ne peut imposer un modèle dominant. C'est vraiment une fusion entre égaux », souligne le patron opérationnel. Il faut dire qu'Arcelor, qui applique les règles les plus strictes du gouvernement d'entreprise, jusqu'à la transparence des rémunérations des dirigeants, porte un soin particulier à l'équilibre des nationalités, au sein de la direction générale notamment. Si Guy Dollé prend seul les décisions, la préparation est largement collégiale. Deux fois par mois, la DG réunit, au grand complet, ses sept membres français, luxembourgeois, espagnols et belge : les quatre directeurs de secteur, issus de la réorganisation par métiers, et les responsables des achats, de la stratégie et des finances. L'une de leurs premières décisions a été d'imposer, au plus haut niveau, un groupe informel d'intégration. Charge aux 30 dirigeants le constituant, tous secteurs et pays confondus, de conduire projets transversaux et échanges de bonnes pratiques. « Un moyen de dépasser les préjugés », observe un cadre.

Contrairement à l'époque d'Usinor où le DRH groupe siégeait au comité exécutif, son homologue d'Arcelor est directement rattaché à Guy Dollé. « L'organisation RH sert le business », note le DRH corporate Jean-Louis Pierquin, qui s'appuie sur les DRH opérationnels des secteurs, chacun ayant de surcroît en charge un thème transversal au niveau international. Formation, rémunération et avantages sociaux, etc. : chacun a une seconde casquette. « C'est l'assurance que, sur ces sujets régaliens, les mêmes règles seront partout appliquées », explique Éric Bachellereau, DRH du secteur aciers inoxydables et responsable du développement-management pour le groupe. Plutôt que d'une harmonisation jugée irréaliste, on parle de cohérence chez Arcelor. La subsidiarité est le principe clé : « On agit localement partout où cela est possible, globalement là où cela est nécessaire », souligne Jean-Louis Pierquin.

Une approche pragmatique qui fait place aux spécificités culturelles. À la différence d'autres groupes européens, le sidérurgiste n'a pas passé à la trappe l'échelon national. Pour tenir compte des particularismes du droit du travail et des relations sociales, des postes de « coordinateurs RH pays » ont été créés, au service des dirigeants des entreprises nationalement présentes. « Le métier le plus ingrat qui soit, mais nécessaire. L'efficacité se gère aux interfaces dans les organisations de plus en plus matricielles », souligne Jacques Lauvergne, coordinateur RH France. « Il a autant de marges de manœuvre qu'il en existe entre deux feuilles de papier à cigarettes », ironise la CFDT qui, comme la CGT, déplore l'absence de structure de négociation dans l'Hexagone.

2 MISER SUR LE DIALOGUE SOCIAL EUROPÉEN

Des plénières regroupant 57 membres, des comptes rendus traduits en cinq langues… la logistique nécessaire au fonctionnement du comité d'entreprise européen (CEE) d'Arcelor en dit long sur la complexité de l'intégration européenne. D'autant que, selon les pays, les syndicats ont des visions différentes des procédures d'information-consultation. « Les Allemands, qui s'appuient sur la cogestion, et les Flamands n'en voient pas trop l'intérêt », note un syndicaliste tricolore. « Rendre un avis commun n'a pas les mêmes conséquences selon les réglementations nationales. Pour nous, l'important est la discussion », renchérit Evie Roos, vice-présidente du CEE.

Dès la fusion, annonciatrice de restructurations, la création de l'instance a été une priorité de Guy Dollé. Grâce aux rencontres préalables établies avec la Fédération européenne de la métallurgie (FEM) et la mise en place d'un groupe spécial de négociation, l'acte de naissance était écrit quatre mois après le lancement du sidérurgiste. « Il aurait été difficile de réorganiser sans un espace de dialogue performant où les représentants syndicaux puissent comprendre la stratégie. Nous voulions éviter la guerre entre pays », reprend Jean-Louis Pierquin. Création d'un groupe syndical à géométrie variable, de 47 membres pour la plénière à 16 au comité restreint, afin d'assurer la plus large représentativité sans paralyser le fonctionnement, mise en place d'une procédure d'extension permettant à un simple secrétaire de CE d'entrer au CCE quand sa société, concernée par une annonce, n'y a pas de représentant… la FEM ne tarit pas d'éloges sur le fonctionnement de l'instance. « La cohérence entre le dialogue européen et le dialogue local est un casse-tête », confie pourtant un cadre. Arcelor s'efforce d'enchaîner les communications, « en deux jours », du Luxembourg au comité d'entreprise concerné.

Depuis 2003 et l'annonce de la restructuration dans les aciers plats carbone, le comité restreint n'a pas chômé, réuni tous les deux mois. « Au début, les syndicats se regardaient en chiens de faïence, chacun espérant que ses sites nationaux seraient épargnés. C'est moins le cas aujourd'hui : tout le monde paie la note », commente Jacques Laplanche, secrétaire CGT du comité restreint. Des tensions inévitables, quand la construction d'une aciérie belge conduit à fermer deux usines hexagonales… Après deux ans, les syndicats tirent un bilan positif, surtout du comité restreint. « Les informations sont de haut niveau », relève Gérard Ramirez, de FO.

3 RESTRUCTURER EN DOUCEUR

Annoncer une fermeture de site sept ans avant la date fatidique : la démarche anticipatrice d'Arcelor détonne. Il est vrai qu'il est difficile d'abuser les spécialistes : l'entretien de hauts-fourneaux nécessite des investissements qui, s'ils ne sont pas réguliers, signent la fin de l'exploitation. Mais, en révélant, début 2003, la fin de la sidérurgie à chaud en Europe continentale en 2010, Arcelor s'inscrit dans le droit fil de ses fondateurs. « Des groupes qui partageaient un certain modèle de l'emploi à vie et ont assumé leurs responsabilités d'industriels pendant la crise, en s'efforçant de ne laisser personne sur le bord de la route et de réindustrialiser les bassins d'emploi », souligne un spécialiste. « L'annonce à long terme donne du temps pour aider à la reconversion des bassins », souligne-t-on chez Arcelor, où les licenciements secs restent inconnus.

Priorité est aujourd'hui donnée au reclassement interne. Pour une bonne raison : jusqu'en 2012, départs à la retraite obligent, les rangs d'Arcelor s'éclairciront, chaque année, de 1 700 salariés en France, soit 5 % des effectifs. À Florange, en Lorraine, le nombre de départs correspond aux 1 500 suppressions de postes annoncées. Mais le dispositif sur les longues carrières prévu par la réforme des retraites de 2003 a accéléré le flux des départs anticipés. Au point de créer des tensions dans des sociétés que les salariés ont quittées plus vite que prévu, obligeant à gérer la pénurie. À Desvres, dans le Pas-de-Calais, l'unité de galvanisation (96 salariés) a mis 20 propositions de postes sur la bourse interne depuis un an… sans grand succès. « La petite taille du site fait peur. Il faut convaincre », note le DRH.

La mobilité entre difficilement dans les mœurs, malgré un dispositif d'accompagnement poussé : les salariés ont un an pour se positionner, le temps de faire leur choix, d'aller sur les sites… Et Arcelor vient de revaloriser les aides ad hoc. Un revirement chez le sidérurgiste, dont le groupe fondateur français était, il y a dix ans encore, champion des départs anticipés en retraite. Mais le groupe s'attache à ne laisser personne au bord du chemin.

En Moselle, sur le site de Rombas, Arcelor a conservé une filiale originale, Hommes & Emplois, créée par Usinor en 1999 pour gérer les fins de carrière du personnel vieillissant ou fragilisé. « Ces salariés ne peuvent être reclassés sur d'autres sites, car ils n'ont plus les compétences demandées. S'ils quittaient le groupe, ils trouveraient difficilement une solution », note Gervais Hans, directeur général de H & E. Cet ancien syndicaliste CFDT, passé par la Sodie, les emploie jusqu'à leur départ en retraite, sous statut et avantages Arcelor. Pour cela, H & E assure des travaux de maintenance, en sous-traitance, pour les sites du groupe. Mais cette société atypique, soumise à un turnover permanent (en six ans, 40 % du personnel est parti à la retraite), s'est aussi investie sur le marché concurrentiel de la numérisation des documents administratifs. Un « moyen de reconvertir le personnel à un autre métier », et de diminuer la facture pour Arcelor, qui supporte le différentiel entre le coût de revient des salariés et leur apport en termes de prestations.

4 ADAPTER LES ACCORDS AU NOUVEL ENVIRONNEMENT

Une signature repoussée à deux reprises, sept séances de négociation tendues et émaillées d'un appel à la grève de la CGT et de la CFDT (70 % des voix à elles deux) : la gestation, fin 2004, de l'accord Horizon 2008 sur l'organisation du temps de travail, la mobilité, la formation et la gestion de l'emploi a été houleuse en France. « Moins de 5 % d'heures de travail ont été perdues », relativise Jacques Lauvergne, coordinateur RH France.

Mais le texte n'a été approuvé que par FO, la CFE-CGC et la CFTC. La DRH le reconnaît : le refus de signer de la CFDT est une rupture. Même si celle-ci n'a pas suivi la CGT dans l'exercice du droit d'opposition, ce qui aurait frappé le texte de nullité.

« Horizon 2008 est un accord au rabais par rapport au précédent accord Cap 2010, arrivé à échéance, s'insurge Patrick Auzanneau, délégué syndical national CFDT. Mais il reste meilleur que celui de la métallurgie sur le temps de travail. » Principal point de crispation pour le syndicat : la « remise en cause des 35 heures ». Une analyse que réfute Jacques Lauvergne : « Les 35 heures restent payées 39. Les salariés gardent leur niveau de salaire. Mais les modalités ont été revues pour autoriser une organisation du travail plus adaptée aux variations d'activité. »

Accord de groupe d'application directe, il met fin aux disparités introduites par des déclinaisons locales de Cap 2010, souvent plus favorables. La CGT a vite sorti sa calculette : « La référence horaire annuelle d'un salarié travaillant de jour, c'est 1 573 heures à Florange (Moselle), 1 575 à Fos-sur-Mer (Bouches-du-Rhône), 1 583 à Dunkerque (Nord). En portant cette référence à 1 603 heures, Horizon 2008 signifie un à six jours de travail gratuits en plus selon les sites », note Marc Bartel, délégué syndical national. En outre, les nouvelles règles de modulation-annualisation réduisent la part d'initiative des salariés dans la prise des jours de RTT, bien que 60 % restent à leur disposition. La souplesse jusqu'alors accordée avait conduit à l'explosion des comptes épargne temps sur certains sites, qui ne vérifiaient pas forcément la prise effective des jours. À Florange, plus de 40 millions d'euros ont dû être ainsi provisionnés pour les congés et les RTT.

Horizon 2008 autorise aussi la création d'un compte épargne temps collectif. Alimenté par les heures travaillées au-delà de la durée annuelle en période de forte activité, il permet d'affronter les baisses de production. Des dispositions fidèles à la nouvelle politique d'Arcelor qui s'articule autour de trois axes : privilégier les marges sur les volumes quitte à lever le pied sur la production, instaurer une certaine cohérence entre sites pour faciliter la mobilité interne et favoriser le maintien dans l'emploi plutôt que les départs anticipés. Mais cette volonté d'adaptation passe mal auprès de la CGT et de la CFDT. Surtout à l'heure des profits retrouvés. Dans Horizon 2008, elles voient une « reprise en main sociale » et la fin de la « politique contractuelle » de l'ex-Usinor.

Il est vrai que les méthodes ont changé. « Le coordinateur RH France a passé plus de temps à discuter du contenu du futur accord avec les patrons opérationnels qu'à négocier avec les syndicats », confie un cadre. « Chez Usinor, on posait tout sur la table et on se donnait du temps. Là, tout a été vite bouclé. La base de négociation a peu évolué », analyse un DRH qui a vingt-cinq ans de maison. Autant de virages pour les syndicats, qui pointent aussi l'accord signé début 2004 mettant fin au temps partiel aidé (mi-temps rémunéré 75 %) pour les fins de carrière, sauf en cas de plan de sauvegarde de l'emploi. « Dans la plupart des pays européens, nous entamons des discussions, sur la gestion des fins de carrière, qui ne s'inscrivent plus dans le tout-positif négocié avant. Le contexte a changé », reprend Jean-Louis Pierquin, DRH groupe.

5 CRÉER LES BASES DE L'APRÈS-FUSION

De l'Allemagne au Brésil, il n'y a plus une réunion qui ne débute sans la « minute sécurité », rappelant les derniers résultats. Guy Dollé en a fait une priorité, après l'année noire 2002 où 11 accidents mortels ont été déplorés parmi le personnel et 13 chez les sous-traitants. Un électrochoc. Pour montrer son engagement, le patron d'Arcelor a instauré les « jeudis de la sécurité », se rendant, une fois par mois, sur un site. Et fait une déclaration conjointe avec le comité d'entreprise européen, enjoignant aux managers de faire respecter par les cotraitants (jusqu'à 25 % des effectifs sur site) les normes de sécurité ou de ne plus travailler avec eux. L'amorce d'une politique couronnée, en février 2004, par la convention paritaire de Bilbao qui a réuni des centaines de syndicalistes et de managers pour élaborer un plan d'action.

« La sécurité est un outil d'intégration. C'était la première fois que nous étions dans un mode d'expression commun à tout le groupe. C'est cohérent avec le souci d'efficacité. S'il n'est pas capable de manager la sécurité, un cadre ne saura pas piloter ses troupes », explique Jean-Louis Pierquin. Le martèlement du discours, les échanges de pratiques ont déjà des effets tangibles. Le taux de fréquence a chuté de 9 accidents avec arrêt par million d'heures travaillées en 2002 à 3,6 en 2004. Idem pour le taux de gravité, réduit de moitié. Intégrée aux objectifs des managers, l'amélioration de la sécurité est susceptible de peser sur la rémunération variable. Et elle figure en tête des principes de responsabilité qui, depuis 2003, illustrent les standards de comportement.

Autre élément fédérateur, l'anglais est devenu la langue de référence d'Arcelor, surtout au sein de l'encadrement. Désormais, toutes les conventions se font dans la langue de Shakespeare. « L'an dernier, lors d'une convention à Lille, Guy Dollé a commencé à s'exprimer en anglais, avant de poursuivre en français. Mais il nous a indiqué que, cette année, il faudrait qu'on s'adapte », lance un DRH de site, qui prend des cours intensifs. « À Usinor, l'anglais était demandé. Chez Arcelor, il est exigé », renchérit une cadre de 35 ans.

Principaux vecteurs de cette culture commune : les hauts potentiels, formés au même moule des sessions managériales ou techniques d'Arcelor University. « Les secteurs ont utilisé, pour la première fois en 2004, la même grille d'analyse pour détecter leurs hauts potentiels. Une liste de 120 noms est remontée à la direction générale qui a tenu le premier comité de carrière du groupe, construit d'après des pratiques communes. Auparavant, chaque secteur envoyait les candidats de son choix, sans définition ni règles du jeu similaires », souligne Éric Bachellereau, le DRH du secteur aciers inoxydables.

Pour faire parler l'encadrement d'une même voix, le groupe déploie les mêmes pratiques de salaire variable. Premier concerné par cette mise en cohérence, le top 150, dont la structure de rémunération variable (jusqu'à la moitié du salaire) a été alignée en 2002. En 2006, ce sera le cas pour les 8 000 cadres, managers débutants compris (6 % du salaire en variable). Soucieux d'un retour d'expérience, le groupe a déjà sondé les deux tiers d'entre eux en 2003.

Résultat ? Les cadres se sentent d'abord appartenir à leur site, puis à Arcelor. Pour 97 % d'entre eux, la fusion était nécessaire. 91 % se déclarent optimistes pour l'avenir et 89 % motivés au travail. Un bémol, néanmoins, l'encadrement a le sentiment de ne pas être reconnu par la direction. « Les salariés de la sidérurgie sont légitimistes. Cela ne veut pas dire qu'ils sont nostalgiques. Ils expriment cependant un sentiment d'éloignement. Une fusion est une machine à créer de la distance », note Daniel Atlan, chargé de la prospective sociale à la DRH. Un souci pour Arcelor, qui a fait du management le moteur de sa croissance…

Entretien avec Guy Dollé
« Je ne serai pas fier si notre pays vote non. La France ne peut exister qu'avec et dans l'Europe »

Personne ne peut succéder à Francis Mer. » À son arrivée aux commandes du groupe sidérurgique, il y a trois ans, Guy Dollé, alors directeur général d'Usinor, a voulu marquer sa différence. Ce Lorrain de 62 ans a réussi son examen de passage. Mais ce ne sont pas les bénéfices du moment qui tourneront la tête de ce polytechnicien au caractère bien trempé, lecteur assidu de « l'Équipe ». Et marié avec l'acier dès sa sortie de l'X lorsqu'il entre au Centre de recherche de la sidérurgie, où il a passé quatorze ans avant de rejoindre Usinor. Depuis 1980, il a enchaîné les missions difficiles, comme la restructuration de la sidérurgie lorraine. Chez Arcelor, l'ampleur de la tâche ne l'effraie pas : il se dit prêt à rempiler, en 2008, passé son 65e anniversaire.

Les profits record du CAC 40, dont ceux d'Arcelor, ont déclenché une mobilisation sur les salaires. Votre réaction ?

De tous les pays où Arcelor est implanté, il n'y a qu'en France où l'on ait tant parlé de redistribution de profits. Ni les syndicats ni les médias ne se sont saisis de ce sujet en Allemagne, en Belgique, au Luxembourg ou en Espagne. Le plus surprenant est que la France est le seul pays européen où Arcelor applique naturellement, et pour tous, le principe du partage des fruits de la performance avec la participation, et l'intéressement depuis vingt ans. Cumulés, ils représentent, pour 2004, deux mois de salaire pour les rémunérations les moins élevées dans les sociétés du groupe les plus performantes.

L'envolée des salaires des P-DG attise la polémique. Quel est le vôtre ?

Comparé à certains de mes homologues américains qui ont touché, en 2004, 45 millions de dollars, je pourrais faire figure de parent pauvre ! Mon salaire annuel s'élève, en net fiscal, à 380 000 euros. S'y ajoute une part variable liée aux résultats, pouvant aller jusqu'à 75 %. Depuis que je suis président de la direction générale, j'ai aussi reçu 100 000 stock-options.

Arcelor se développe surtout à l'international… La France a-t-elle encore un avenir industriel ?

Il ne faut plus raisonner dans un périmètre français, mais au minimum européen. Bien sûr, l'industrie veut rester et se renforcer en Europe. Arcelor y investit plus de 1 milliard d'euros par an, en moyenne, pour conserver son outil à un niveau optimal. Mais l'Europe veut-elle garder son industrie ? Parfois j'en doute. Nous souffrons de l'absence d'une politique industrielle européenne. Je suis avec attention la réaction de nos clients face à la concurrence des pays émergents. S'ils s'implantent en Chine, ils y achèteront leur acier. Ce qui nous mettra en situation difficile.

À court terme, les délocalisations à l'Est sont préoccupantes. Il y est difficile de compenser, par l'innovation et la performance, un différentiel de coût de main-d'œuvre de 1 à 10.

La page de la fusion entre Usinor, Arbed et Aceralia est-elle tournée ?

Dix ans de recul sont nécessaires pour apprécier le succès d'une fusion. Je pense qu'elle est bien partie. La réaliser entre trois groupes a été une chance. Car si l'un veut imposer un modèle dominant, les deux autres peuvent s'y opposer. Mais l'intégration ne sera jamais totalement terminée étant donné le nombre de cultures nationales et régionales. Plutôt que de chercher à imposer une culture de groupe, nous avons introduit des principes de responsabilité – tel le souci de la sécurité ou du client – tout en respectant les différences culturelles.

Quel bilan tirez-vous de la création d'un comité d'entreprise européen ?

Il nous permet de privilégier un dialogue social fort, responsable au sein du groupe. Concernant les restructurations, certains m'ont cru fou de vouloir annoncer, en 2002, des fermetures qui auront lieu à l'horizon 2009-2010. Il n'est pas facile pour les syndicalistes d'être associés à un tel sujet. Mais, dans la mesure où la direction générale travaillait sur ce projet, la transparence, associée à la confiance, était nécessaire. Nous avons donc présenté, de manière proactive, les restructurations au comité restreint du comité européen. Notre responsabilité est d'aider à la réindustrialisation. Le comité d'entreprise européen fonctionne bien, même si chaque membre a des attentes différentes. La notion de participation n'est pas la même entre un Allemand pratiquant la cogestion, un Luxembourgeois habitué au tripartisme et un Français. Mais tous comprennent nos problématiques. Et ils disposent de temps pour étudier des solutions.

L'accord Horizon 2008 n'a été signé que par des syndicats minoritaires. Est-ce la fin de la politique sociale d'Usinor ?

Le contenu de l'accord a été mal compris. Car il a été renégocié en plein débat sur les 35 heures. Dans ce contexte, la communication interne n'était pas facile à gérer.

Les salariés d'Arcelor en France font 35 heures payées 39.

Nous n'avons pas touché au principe de rémunération.

Seuls quelques sites, qui travaillaient moins, devront effectuer 35 heures, ce qui diminuera un peu le nombre de jours de RTT. Le dispositif précédent, en laissant trop de souplesse dans la prise des jours de RTT, nous avait conduits à une vraie difficulté de gestion en nous obligeant à provisionner plus de 100 millions d'euros pour les jours non pris.

En outre, comme certains sites n'ont pas été rigoureux dans l'application, nous nous retrouvions avec des durées très différentes de temps de travail…

Si vous percevez que la politique sociale d'Usinor était laxiste dans l'application d'un accord que je jugeais équitable à l'origine, alors oui, on ne peut que la remettre en question.

Et si la CFDT avait suivi la CGT dans l'exercice du droit d'opposition ?

Nous serions passés aux 35 heures payées 35, ce qui est l'application du droit commun. Je regrette que la CFDT n'ait pas signé. Le désaccord n'était pas insurmontable.

Vous souhaitez aussi réformer le régime Usinor de complément retraite ?

Nous avons un régime complémentaire à prestations définies, incompatible avec la dégradation potentielle des régimes de retraite existants. De surcroît, notre système est inéquitable. Car les salariés embauchés après le 1er janvier 1990 n'en bénéficient pas. Ce n'est ni normal, ni juste.

Comment jugez-vous le syndicalisme français ?

Lorsque je suis allé sur le site allemand de Brême, la personne qui m'a présenté le programme de restructuration particulièrement lourd, y compris sous ses aspects sociaux, était le patron du Betriebsrat (comité d'entreprise, NDLR), c'est-à-dire le représentant d'IG Metall. Cela ne veut pas dire que les relations sont toujours faciles. Les syndicalistes allemands sont très exigeants sur la compréhension de la stratégie. Ils n'acceptent les décisions qu'à cette condition. Ce n'est pas toujours le cas en France, où le syndicalisme souffre d'une perte d'influence compte tenu de sa diversité.

Et l'action du Medef ?

Je ne m'y retrouve pas.

Je ne crois pas que la position du Medef, ces dernières années, ait aidé à la compréhension de l'entreprise. Son image, comme celle de ses dirigeants, en souffre. Elle était plus populaire et plus moderne il y a vingt ans.

Que pensez-vous de la montée du non à la Constitution européenne ?

Moi qui habite le Luxembourg, je ne serai pas fier si la France vote non. L'Europe est un facteur de stabilité, comme l'est l'euro. Qui peut penser que le poids de la France n'est pas aujourd'hui proportionnel à sa place sur l'échiquier mondial ? La France ne peut exister qu'avec et dans l'Europe.

Propos recueillis par Denis Boissard, Jean-Paul Coulange et Anne Fairise

Auteur

  • Anne Fairise