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Repères

Oui à l'Europe

Repères | publié le : 01.05.2005 | Denis Boissard

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Oui à l'Europe

Crédit photo Denis Boissard

Le malaise social qui sévit en France (voir notre enquête, pages 14 à 25) pourrait bien déboucher sur un coup d'arrêt durable à la construction européenne. Le traité constitutionnel risque en effet de faire les frais de la mauvaise humeur de nos concitoyens. Ce serait une lourde erreur, car ce texte vaut beaucoup mieux que la caricature qu'en dressent les partisans du non.

Il est exact que le traité est complexe, ambivalent et que certaines de ses dispositions prêtent à des interprétations contradictoires, mais pouvait-il en être autrement s'agissant d'un texte de compromis entre 25 pays ? Si le traité laisse sur sa faim, c'est qu'il résulte de délicats arbitrages entre des exigences divergentes, celles des fédéralistes et des non-fédéralistes, celles des libéraux, des conservateurs et des sociaux-démocrates. Par nature, il est donc forcément imparfait. On peut regretter qu'il n'aille pas plus loin dans l'intégration européenne, dans la coordination des politiques économiques face à la toute-puissance de la Banque centrale européenne, dans l'harmonisation fiscale et sociale. Mais la direction qu'il donne est indéniable : l'Europe qu'il dessine sera plus sociale et plus démocratique que celle qui résultait des précédents traités.

Prônant « une concurrence libre et non faussée », le texte serait d'essence avant tout libérale. La belle affaire ! Comme si la libre circulation des biens et des capitaux et le choix de l'économie de marché n'étaient pas dans les gènes de la construction européenne depuis le traité de Rome de 1957. La vraie question est de savoir s'il s'agira d'une libéralisation dérégulée, sans entraves, à l'anglo-saxonne, ou d'un marché encadré, soumis à des impératifs sociaux et environnementaux. Or c'est la première fois que l'Europe opte de façon aussi explicite pour une régulation sociale de son marché. Là où le traité de Nice en vigueur parle seulement d'« économie de marché ouverte » et de « taux d'emploi élevé », le traité constitutionnel assigne à l'Europe les objectifs d'« économie sociale de marché », de « plein-emploi » de « progrès social », de lutte contre « l'exclusion sociale et les discriminations », de promotion de la « protection sociale » et de « l'égalité entre les femmes et les hommes ». Autant de principes fondateurs dont devront s'inspirer les futures lois-cadres (les actuelles directives) européennes. Par ailleurs, la Charte des droits fondamentaux, jusqu'alors simplement annexée au traité de Nice, se voit conférer une valeur juridique d'ordre constitutionnel, puisqu'elle est incorporée dans la Constitution européenne. La Cour de justice des Communautés européennes, dont les décisions s'imposent aux États membres, devra donc interpréter le droit communautaire au regard des droits qu'elle prévoit (protection contre tout licenciement injustifié, droit de grève, durée maximale du travail et congés payés, accès à la sécurité sociale…). Des avancées telles que la Confédération européenne des syndicats et la plupart des syndicats en Europe ont décidé de soutenir ce traité.

Il faut, au passage, tordre le cou à une idée reçue : contrairement à ce qui se dit, l'Europe sociale existe. Et elle est, dans certains domaines, bien plus favorable aux salariés que ne l'était – avant son intervention – le droit social français. Mais, hormis les initiés, personne n'en a conscience. Car si nos responsables politiques n'hésitent pas à s'abriter derrière les « eurocrates » pour justifier la rigueur budgétaire ou l'engagement de réformes impopulaires, ils sont prompts à s'approprier des avancées sociales qui proviennent de textes communautaires. Qui sait, par exemple, que l'aménagement de la charge de la preuve en faveur de la victime d'une discrimination raciale ou sexuelle, que la création de la Haute Autorité de lutte contre les discriminations découlent de la transposition d'une directive européenne ? Qui sait qu'il en est de même de l'obligation pesant sur les entreprises d'établir et de mettre à jour un document unique portant sur l'évaluation des risques professionnels ? Qui sait que la négociation qui s'engage entre les partenaires sociaux sur le télétravail résulte d'un accord-cadre européen ?

Plus sociale, l'Europe qui émanera du traité constitutionnel sera aussi plus démocratique : la codécision entre le Parlement et le Conseil des ministres devient la procédure législative normale ; le président de la Commission est élu par le Parlement ; un droit d'initiative populaire est reconnu aux citoyens européens ; le vote à la majorité qualifiée est étendu, permettant de réduire les risques de blocage par un État membre… Autant d'ingrédients qui devraient permettre de construire une Europe plus politique.

Peut-on espérer mieux ? C'est le pari des partisans du non. Un pari illusoire tant on imagine mal nos partenaires accorder à une France affaiblie par son refus des concessions supplémentaires. Le risque, bien réel lui, est donc un retour au traité de Nice, à une Europe politiquement plus démunie face à la superpuissance américaine, et demain face à la Chine et l'Inde.

Auteur

  • Denis Boissard