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Le bloc-notes

Oui à l'Europe sociale

Le bloc-notes | publié le : 01.05.2005 | Bernard Brunhes

Un étrange raisonnement

Peut-être les Français diront-ils non au traité constitutionnel le 29 mai. Ils le diront pour des raisons multiples et contradictoires. À gauche, c'est le déficit d'Europe sociale qui motive le refus de ce nouveau pas en avant de la construction européenne. Est-ce bien sérieux ? N'est-on pas en train de faire un procès injuste à ce texte en déniant les progrès sociaux qui y figurent ?

Au sein de l'Europe – celle des Quinze, telle qu'elle était avant l'élargissement – la France se distingue par une situation sociale particulièrement mauvaise : chômage à 10 % lorsque beaucoup de pays membres sont aux environs de 5 % ; insertion des jeunes lente et difficile ; un taux d'emploi des seniors parmi les derniers du continent ; système de santé et d'assurance maladie en pleine crise et incapable de se réformer en profondeur ; fracture sociale dramatique dans les banlieues des grandes villes ; incapacité des institutions à faire face aux conséquences sociales des restructurations et autres délocalisations ; partenaires sociaux empêtrés dans un dialogue social désordonné et vain ; sans compter la panne du pouvoir d'achat de ces dernières années.

Dans l'Europe « sociale », la France fait figure de mauvais élève, tout en rêvant tout haut d'une Europe qui protégerait mieux ses travailleurs et ses citoyens contre les aléas de l'emploi et de la vie. Elle rêve d'institutions et de politiques qui luttent contre les inégalités, mais elle ne sait pas le faire chez elle. Il n'y a qu'un conseil à donner aux Français : allez voir dans le reste de l'Europe comment ces problèmes sont traités. Dites-vous que l'Europe a en moyenne une situation sociale plus satisfaisante que la seule France. Où irions-nous si l'Europe suivait les errements français en matière sociale ? Mettons plus d'Europe dans notre social avant de mettre plus de social dans l'Europe.

Les progrès de la Constitution

Le traité constitutionnel, s'il reste trop modeste dans ce domaine, fait des pas en avant appréciables. L'objectif de plein-emploi est explicite, ce qui est nouveau (« une économie sociale de marché hautement compétitive, qui tend au plein-emploi et au progrès social »).

La Charte des droits fondamentaux, qui ne figurait pas dans les précédents traités, représente le deuxième chapitre du traité constitutionnel. En devenant la loi de tous les pays de l'Union, elle définit une société de droits ; des droits que la plupart des pays du monde (y compris provisoirement certains des nouveaux arrivants) seraient bien incapables d'assurer. Sur la liberté syndicale, le droit de grève, la protection de la santé, les obligations à l'égard des travailleurs licenciés, etc., commençons donc, dans toute l'Europe, par respecter les articles de la Charte ; ce sera déjà un progrès.

Certes, le pouvoir de décision, dans le domaine social, reste pour l'essentiel de la compétence des États. L'Europe n'est pas prête à uniformiser ses pratiques sociales. Le chemin sera encore long. Mais qu'espèrent les tenants du non ? Que dans le domaine du temps de travail les autres pays s'alignent sur la législation française des 35 heures ? Que les Polonais ou les Baltes renoncent dans l'immédiat à des conditions et à un coût du travail qui leur permettront progressivement de se mettre à niveau au fur et à mesure qu'ils amélioreront leur productivité ? Que le Code du travail français, dans toute sa complexité et ses contradictions, pourrait devenir le modèle pour les autres ? Croient-ils que les voisins observent avec envie le trou persistant de la Sécurité sociale ou les palinodies du dialogue social à la française ?

Perfide Albion

Dans cette mésaventure référendaire, il y a au moins une chose qui fait plaisir : la satisfaction des éditorialistes de la presse britannique qui s'en donnent à cœur joie dans leurs colonnes sur les conséquences du non. Affaiblie, la France laissera libre cours aux Européens qui ne rêvent que de marché, de libéralisme et de mondialisation sans frein. L'inverse, si l'on comprend bien, des objectifs du non de gauche.

Auteur

  • Bernard Brunhes