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Vie des entreprises

Luc Vigneron muscle Giat en mettant ses troupes au régime sec

Vie des entreprises | METHODE | publié le : 01.03.2005 | Isabelle Moreau

C'est une mutation industrielle radicale qu'a engagée le fabricant d'armement, propriété à 100 % de l'État. Au prix d'une cure d'amaigrissement spectaculaire, compensée par un volet social fort généreux, le P-DG, Luc Vigneron, veut amorcer un virage vers l'ingénierie tout en préservant la paix sociale.

Un rendez-vous incontournable. À la mi-février, Luc Vigneron, P-DG de Giat Industries, et ses collaborateurs se sont envolés vers Abu Dhabi pour participer à l'Idex, le grand salon de l'armement terrestre organisé tous les deux ans aux Émirats arabes unis. Le seul pays étranger à avoir acheté des chars Leclerc, produit-vedette du fabricant français. Héritier des arsenaux dont la création remonte au XVIIIe siècle, le groupe d'armement terrestre ne peut plus se contenter des seules commandes de l'État, son actionnaire à 100 %, pour espérer sortir du rouge et réduire des pertes qui se sont élevées à 640 millions d'euros en 2003 (après provisions pour restructuration).

L'État a beau renflouer régulièrement les caisses d'une entreprise qui a cumulé erreurs de gestion et contrats à l'export mal négociés, la cure d'amaigrissement est inéluctable. D'autant que Giat Industries possède un outil industriel surdimensionné. En avril 2004, le groupe – qui a employé jusqu'à 18 000 personnes et ne compte plus que 5 700 salariés – a lancé son plan de la dernière chance, le « projet Giat 2006 ». Un plan de restructuration, comportant un volet industriel, et un plan social radical qui prévoit une réduction de moitié des effectifs à la mi-2006, via des mesures d'âge, des départs volontaires et des licenciements. Pour Luc Vigneron, qui doit s'atteler au reclassement de son personnel et à la mutation de l'entreprise, 2005 s'annonce donc comme une année capitale.

1 REUSSIR LA MISE EN ŒUVRE DU PLAN SOCIAL

Pour les rescapés des cinq plans sociaux précédents, la pilule est amère. Au terme du nouveau plan de redressement, l'effectif devrait être divisé par deux, passant sous la barre des 3 000 personnes (2 902 salariés) mi-2006. L'objectif affiché est de réduire le contingent d'« ouvriers sous décret » (OSD), ces ex-ouvriers d'État qui ont conservé – après la transformation de Giat en société nationale en 1990 – les droits associés à leur ancien statut, grâce à un décret du 9 juillet 1990. Un statut doré : retraite à 55 ans, pension prenant en compte primes et heures supplémentaires et calculée sur les douze derniers mois d'activité, prime mensuelle de rendement de 12 à 32 % du brut s'ajoutant à des salaires confortables (1 731 euros brut mensuels pour un débutant). Des personnels très privilégiés qui cohabitent avec des fonctionnaires détachés et des salariés de droit privé, relevant de la CCN de la métallurgie et appelés en interne les « conventions collectives », également touchés par le plan social.

Par les moyens mis en œuvre, le plan de sauvegarde de l'emploi (PSE) de Giat est exceptionnel. L'enveloppe avoisine les 600 millions d'euros, dont 570 millions ont été provisionnés sur l'exercice 2003. « Sans compter que Giat est la société, en France, qui a dépensé le plus d'argent en expertises extérieures pour le compte du comité d'entreprise », ajoute Jean-Pierre Aubert, délégué interministériel aux restructurations de défense. Mais, à la différence du précédent plan (1999-2002) qui ne comportait que des mesures d'âge et des reclassements volontaires, celui-ci prévoit deux tiers de reclassements volontaires et contraints.

Échelonné en deux étapes, le plan n'a pas connu d'accroc lors de la première phase (affichage des postes supprimés en juillet 2004 et notification des licenciements le 1er octobre 2004). Il est vrai qu'en raison du report sur 2005 de près de 500 suppressions d'emplois pour respecter le plan de charge de l'entreprise, seules sept notifications ont été prononcées. Reste à mettre en musique la seconde phase du PSE. « Au 1er juillet 2005, nous allons déterminer les derniers postes supprimés. Et le 1er octobre, nous verrons quelles sont les personnes qui ne se sont pas portées volontaires et celles qui ne sont pas touchées par une mesure d'âge », explique Thierry Smagghe, le DRH. L'entreprise doit tenir son « objectif cible », dit-on en interne. En espérant que les notifications soient les moins nombreuses possibles.

2 PEAUFINER LES RECLASSEMENTS

Pendant la durée du projet Giat 2006, une direction de la reconversion sociale, créée pour l'occasion, est chargée de piloter le dispositif d'accompagnement social. Ingénieur de formation, Catherine Roux chapeaute ce dispositif et supervise l'activité des huit relais mobilité mis en place au niveau local. Des structures installées à l'extérieur des sites et animées par des équipes mixtes, personnels de Giat et consultants des cabinets de reclassement BPI pour les cadres et Altedia pour les « mensuels », les non-cadres en langage maison. « Cela présente beaucoup d'avantages. Les consultants extérieurs apportent leur savoir-faire tandis que les conseillers internes, qui sont souvent des opérationnels, apportent leur connaissance des statuts et des métiers de l'entreprise », explique Catherine Roux.

Ce dispositif garantit un suivi individuel au salarié qui adhère au congé de réorientation professionnelle de neuf mois, suivi d'un congé de reclassement de six mois. Un mensuel se voit proposer jusqu'à cinq offres valables d'emploi (un poste avec une rémunération égale à 85 % du salaire brut de base, situé à moins de 50 kilomètres et à moins d'une heure et demie du domicile) ; un ouvrier sous décret deux postes dans la fonction publique (dont un à la Défense), un certain nombre d'OVE et un contrat sur mesure : un CDI dans la fonction publique lui permettant de conserver le bénéfice de certaines dispositions du régime de retraite. « On a mis un an afin que chaque ministère ait son CDI type pour pouvoir accueillir les ouvriers sous décret. S'il n'y a plus d'obstacle technique, il reste à trouver des postes. Au total, tous statuts confondus, 1 000 personnes ont déjà une solution (86 dans la fonction publique, hors Défense). On a fait la moitié du chemin », indique Catherine Roux.

Dans le relais mobilité de Roanne situé à moins de dix minutes du site, une quinzaine de personnes travaillent d'arrache-pied pour dénicher des postes. Mais l'installation d'un établissement de maintenance du commissariat de l'armée de terre dans la ville facilite les choses. à Tulle, c'est le soulagement après l'annonce de l'arrivée d'un détachement du matériel de l'armée de terre « grâce à la chiraquie hollandaise », ironise André Golliard, délégué central CFDT. Ainsi qu'à Tarbes, où la Sagem va s'installer, avec 30 recrutements à la clé.

D'autres établissements, à l'instar de Cusset, dans l'Allier, ou de Saint-Chamond, dans la Loire, ne bénéficient pas d'un tel coup de pouce. Sur le site saint-chamonais, qui compte 650 personnes, seule demeurera une petite unité de 64 personnes. « Même s'il y a des transferts de personnels vers Roanne (141 postes) et vers Tulle (16 postes), je crains qu'il y ait encore 240 personnes à reclasser d'ici à octobre 2005 », estime Jean-Pierre Brat, délégué central CGT.

À Roanne, où les OSD sont nombreux, les reclassements sont plus difficiles. « Ils perdent leurs repères, car ils sont entrés comme apprentis dans l'entreprise », explique Jean-Pierre Brat. Rien de comparable avec le bureau d'études de Satory (Yvelines), où le processus a été plus rapide. « Le personnel est plus jeune, sous convention collective et n'a pas la même histoire », note Jean-Patrick Baillet, directeur du soutien logistique.

Les OSD, très syndiqués et souvent étiquetés de rebelles par les PME qui hésitent à les embaucher, sont a contrario les bienvenus dans les directions départementales de l'équipement en raison de leur qualification. Reste à faire l'arbitrage entre le salaire proposé, le statut et la proximité géographique. Dans la fonction publique par exemple, les postes de catégorie C sont souvent à proximité du domicile, mais moins bien payés. « Parfois, la perte de salaire va jusqu'à 30 % », reconnaît Catherine Roux. À l'inverse, les postes de catégorie B, plus attractifs sur le plan salarial, sont plus éloignés.

Même s'ils bénéficient de l'allocation temporaire qui compense la différence de salaire pendant trois ans (27 % du salaire brut annuel plafonné à 743 euros mensuels brut, puis 22 % la deuxième année et 15 % la troisième), certains hésitent à franchir le pas. Daniel Gerbault, syndicaliste CGT à Tarbes, observe d'un œil circonspect la vingtaine de ses collègues qui ont suivi des reconversions lourdes pour devenir brancardiers ou ambulanciers. À Roanne, on a assisté à « des reconversions originales : un mécano-monteur mué en frigoriste ; un informaticien devenu diététicien ; un dessinateur industriel, chauffeur de taxi », indique André Marcon, responsable du relais de Roanne.

Chez les cadres aussi, le volontariat a bien marché, selon Anne Bastard, chef de projet à BPI. À tel point que la direction a été parfois contrainte de fermer les vannes. À Roanne, la DRH a refusé six départs. Il faut dire que, pour tout le monde, le plan est très attractif. Un ouvrier avec dix à quinze ans d'ancienneté percevra une indemnité de départ de 22 868 euros (30 490 euros s'il part dans le privé) et de 68 603 euros s'il a plus de vingt-cinq ans de maison (91 470 euros s'il va dans le privé). Un « mensuel » avec cinq ans d'ancienneté touchera six mois de salaire et un an avec douze ans de maison. Un package séduisant, y compris pour des quinquas qui boudent parfois les mesures d'âge et préfèrent un reclassement à l'extérieur. Si la direction se montre confiante, les syndicats tirent cependant la sonnette d'alarme. « Ceux qui sont partis en premier sont ceux qui avaient le plus de potentiel », souligne Joseph Chalayer, délégué central CFE-CGC.

3 EVITER UNE DETERIORATION DU CLIMAT SOCIAL

Le calme avant la tempête ? Dans un courrier de novembre 2004 à la ministre de la Défense, Michèle Alliot-Marie, André Golliard et Gérard Coignac, les délégués centraux CFDT de Giat, rappelaient que « si une accalmie a été possible, tout doit être fait pour éviter une nouvelle explosion sociale l'été prochain ». Car c'est en juillet 2005 que la liste des postes supprimés sera affichée avant que le nombre des licenciements ne soit connu. Une échéance qui coïncide avec la filialisation de l'entreprise et, surtout, la tenue d'élections professionnelles qui « sont souvent l'occasion de faire de la surenchère syndicale », admet Gérard Coignac.

Il y a deux ans, le sélections s'étaient déroulées sur fond de très fort mécontentement social. Particulièrement mobilisé lors des grèves qui ont émaillé l'année 2003, à la suite de l'annonce du plan de restructuration, le site de Roanne en garde les stigmates, la CGT ayant tagué chacun des arbres qui bordent l'avenue située en son cœur. Si, à l'époque, « la contestation était importante, explique un consultant, c'est que les syndicats ne croyaient pas que l'État irait jusqu'au bout. C'est pour cela qu'il y a eu un raidissement des positions et des barouds d'honneur ». En témoignent notamment les actions des syndicats en justice, alors qu'un accord de méthode avait été signé en mai 2003. « Nous avons attaqué le plan pour renégocier la partie sociale et la justice nous a donné raison », se justifie André Golliard, le délégué central CFDT. Finalement, la direction a dû revoir sa copie. Selon le rapport financier de 2003, les grèves ont coûté à Giat la bagatelle de 30 millions d'euros. « 2003 a été une année complète de blocage », se souvient Joseph Chalayer, à la CFE-CGC. La livraison des chars Leclerc en a fortement pâti.

Ce conflit musclé, « avec les dérapages qui l'ont accompagné, ça laisse des séquelles », reconnaît Laurent Chauveau, directeur du site de Roanne. Aujourd'hui, le « dialogue social s'est normalisé », estime Thierry Smagghe, le DRH. Mais les négociations salariales, dont la deuxième réunion aura lieu ce mois-ci, pourraient entraîner de nouvelles crispations. Car les syndicats, CFDT en tête, verraient dans des augmentations substantielles un signe fort de la direction pour remotiver le personnel restant.

Autre pomme de discorde : le « talon », une augmentation générale jusqu'alors accordée aux cadres. Supprimée l'an passé, elle devrait totalement disparaître au profit des augmentations individuelles. La direction souhaite en effet généraliser la partie variable de la rémunération des cadres, « comme cela se fait dans les grands groupes », précise le DRH. Mais gare au risque d'embrasement !

4 DEVELOPPER LA PROMOTION INTERNE

« Avec le plan de charge qui est le nôtre, il est difficile de conduire un plan social, car on n'a pas la ressource nécessaire pour répondre aux exigences contractuelles. C'est le problème des plans sociaux qui durent », estime Denis Ancé, responsable RH de Roanne. Son directeur, Laurent Chauveau, renchérit : « Nous sommes dans une période de flou. La motivation n'est pas au rendez-vous. On ne peut pas attendre des personnels qu'ils soient motivés tant que la date du 1er octobre 2005 n'est pas passée. C'est pourquoi nous acceptons d'avoir une productivité de seulement 68 %, 15 points au-dessous de la normale. »

Dans d'autres sites, où l'avenir est plus rose, la productivité est, comme par hasard, au rendez-vous. À Tulle, « où les gens sont plus confiants, elle est de 85 % », indique le cédétiste Gérard Coignac. La production est donc très dépendante du moral et de l'état des troupes. « On a d'un côté des techniciens en sureffectif et de l'autre des cadres qui sont partis », explique André Golliard, délégué central CFDT, qui réclame « le développement d'une véritable politique de promotion interne ».

Une revendication qui rencontre un écho favorable à la DRH de Giat. Charles Desseaume, directeur de la formation du groupe, rappelle d'ailleurs que l'un des chantiers en cours est le programme Prêt pour un changement de métier, destiné aux agents de maîtrise qui souhaitent devenir cadres. « Nous demandons aux RH sur les sites de repérer les gens qui seraient aptes à évoluer, y compris avec une formation lourde. Cela peut concerner au total entre 50 et 150 personnes », poursuit Charles Desseaume, qui dirige l'École des compétences industrielles et des technologies (Ecit), l'organisme de formation de Giat. Le groupe consacre d'ailleurs environ 7 % de sa masse salariale à la formation, sans compter les actions prévues dans le PSE (39 millions d'euros).

De son côté, le cédétiste André Golliard réclame la mise en place d'une véritable gestion prévisionnelle des emplois et des compétences. Il craint « la perte de compétences dans des secteurs identifiés comme stratégiques pour l'entreprise, à savoir la pyrotechnie ou les études amont ». À Roanne, la transmission des savoirs est sur les rails. « Nous avons déjà des experts soudeurs qui transmettent leur savoir à des jeunes, explique Didier Montet, responsable de l'unité mécano-soudure et chargé de travailler sur le développement des compétences. Mais cela demande du temps », reconnaît ce fils et petit-fils de salarié de Giat.

5 ACCOMPAGNER LE VIRAGE VERS L'INGENIERIE

Dans le nouveau Giat, chaque site sera spécialisé. Celui de Roanne sera dédié à l'activité industrielle. L'établissement a vocation à être l'intégrateur du char Leclerc et le lieu d'ingénierie des systèmes, Giat devenant un systémier intégrateur. « Un grand challenge nous attend, car il faut terminer les chars Leclerc en cours et préparer la société pour l'avenir. C'est-à-dire transformer l'arsenal monoproduit en une entreprise multiproduit. Nous allons intégrer des méthodes nouvelles assez éloignées du modèle de production du char Leclerc. Et si les compétences sont là, elles ont besoin d'être repositionnées », estime Laurent Chauveau, directeur du site de Roanne.

À terme, les lignes de produits seront modulaires. Une réorganisation de la production qui fait suite à celle déjà mise en œuvre dans certains établissements, grâce aux équipes opérationnelles de production, favorisant la concertation entre les ouvriers et une meilleure organisation du travail. Les personnels de Roanne devront également maintenir en condition opérationnelle des blindés, qui ont une durée de vie d'environ trente ans. Mais attention, prévient Thierry Smagghe, « Giat ne se transforme pas en entreprise sans usine ». Reste qu'aux yeux de Didier Périchon, de la CGT de Roanne, une page est en train de se tourner. « On supprime la production. Et, en même temps, on modifie la composition du salariat. » De fait, la proportion des cadres devrait passer de 28 à 45 %, reconnaît le P-DG, Luc Vigneron.

Car Giat Industries va désormais s'appuyer davantage sur l'ingénierie. Les bureaux d'études seront plus sollicités qu'auparavant. « Nous allons remobiliser les personnels sur les nouveaux produits que sont le véhicule blindé de combat d'infanterie et le système d'artillerie Caesar, explique Jean-Michel Baillet, directeur technique systèmes de Giat. Cela va dynamiser les personnels car, avec tous ces plans sociaux, ils ont mis un peu de côté leur talent et leur fierté de faire ce métier. »

Responsable du département technique au sein de la direction services aux clients, Nicolas Silvestre travaille, à Satory, sur le site Internet E-Service qui permet aux clients de suivre en temps réel l'état d'avancement de leur commande. Il gère également la hot line, outil de télédiagnostic par liaison satellite qui permet d'aider un utilisateur de blindés en difficulté… la préfiguration du « nouveau Giat », qui fera de plus en plus appel aux compétences des ingénieurs systèmes et de moins en moins à celles des ouvriers métallos.

Entretien avec Luc Vigneron :
« Chez les salariés de Giat, les notions de culture du client et de résultat entrent petit à petit dans les mœurs »

Depuis son accession à la présidence de Giat Industries en octobre 2001, c'est le deuxième plan social que Luc Vigneron, 50 ans, doit mener à bien pour amorcer le redressement du fabricant d'armement terrestre.

Une épreuve pour ce X-Ponts qui a été persona non grata sur les sites lors des conflits sociaux qui ont marqué l'annonce du plan en 2003. Ce manager plutôt discret a débuté au ministère de l'Équipement, puis aux Finances, avant de rejoindre le monde de l'entreprise il y a vingt ans. Il a fait l'essentiel de sa carrière à la Compagnie générale d'électricité, devenue Alcatel Alsthom, puis Alcatel. Il y a occupé de nombreuses fonctions de direction, dont celle de directeur de la stratégie en 1995, avant de rejoindre Giat Industries, en 1998, comme directeur général.

Depuis 2003, Luc Vigneron préside le conseil des industries de défense

Comment se déroule le plan social que vous avez mis en place dans le cadre du projet Giat 2006 ?

Giat 2006 est un projet d'entreprise très large engagé en 2004 qui comporte à la fois un plan de sauvegarde de l'emploi (PSE) et un projet industriel.

Le volet social, qui concerne 10 établissements et des personnels relevant de trois statuts différents – des ouvriers sous décret, des fonctionnaires détachés et des salariés de droit privé –, se déroule sur plus de deux ans, compte tenu de son ampleur. Il est aujourd'hui sur les rails. Pour un volume d'un peu plus de 2 000 reclassements à réaliser d'ici à la mi-2006, nous avons plus de 1 millier de solutions acquises. Cela me rend confiant dans notre capacité à remplir nos objectifs.

Quels moyens y avez-vous consacré ?

Au regard des moyens engagés, et notamment les 572 millions d'euros provisionnés dans les comptes 2003, le projet Giat se situe dans la fourchette haute des plans sociaux. L'ampleur des mesures proposées, en termes de formation, de portage de personnel en phase de recherche d'emploi ou de reclassement, de recours à des cabinets de reclassement… est relativement exceptionnelle.

Comme les plans précédents, il prévoit des mesures d'âge mais, dans les deux tiers des cas, des reclassements volontaires ou contraints sont nécessaires pour atteindre l'objectif fixé à la mi-2006.

En matière de reclassement, n'avez-vous pas mangé votre pain blanc ?

Ce n'est pas évident. Certes, dans toute opération de reclassement, on est amené en fin de processus à traiter des cas particuliers. Mais nous n'en sommes pas encore là. Chez Giat, en dépit du poids de l'histoire et de la culture de l'entreprise, le déclic psychologique qui permet aux gens d'accepter le changement est en train de se produire. Ce n'est qu'une question de temps.

Pourquoi avoir signé un accord de méthode ?

L'accord nous a donné le délai supplémentaire indispensable pour discuter avec les partenaires sociaux. Car, compte tenu de la sensibilité extrême du dossier, il était impossible de se contenter de la procédure légale de trois mois. Dans la pratique, les discussions qui ont duré dix mois ont compté pour beaucoup dans la signature de l'accord avec les syndicats début 2004. La volonté de transparence affichée par la direction a également pesé dans la balance. Elle a permis une prise de conscience des problématiques de l'entreprise.

Que pensez-vous de la nouvelle règle de l'accord majoritaire ?

C'est davantage sur des principes qu'il faudrait se mettre d'accord plutôt que sur des règles mathématiques. Ce qui paraît logique dans un cas peut devenir stupide dans un autre.

Chez Giat, notre accord n'est pas majoritaire, mais il a néanmoins permis d'enclencher la mutation inéluctable de l'entreprise et de donner un référentiel dans le déroulement du projet. Un référentiel repris aujourd'hui par tous les syndicats, y compris par les non signataires.

L'année 2003 a été marquée par d'importants mouvements sociaux. Quel est, aujourd'hui, l'état du dialogue social ?

Si on le mesure à l'aune du temps passé en réunions, le dialogue social chez Giat est intense. Mais c'est indispensable dans une entreprise marquée par son histoire. Depuis la fin 2004, les relations sociales se sont normalisées. Nous pouvons avoir un dialogue social constructif sur de nombreux sujets.

Mais pas sur tous, car on retombe alors dans un jeu de rôle.

Avec une deuxième vague de postes supprimés en juillet prochain, 2005 ne s'annonce-t-elle pas comme très conflictuelle ?

Je me garderai bien de faire des pronostics, mais c'est en tout cas l'année où Giat va basculer vers l'avenir. C'est pourquoi nous avons décidé de mettre la priorité sur la communication auprès de ceux qui restent. La DRH a lancé un panel d'actions de formation-reconversion sur un certain nombre de métiers d'avenir. L'important est de tenir nos objectifs de retour à la profitabilité. Pour remotiver les troupes, la direction et moi-même multiplions les déjeuners avec les ingénieurs, les réunions avec les cadres, qui ne dépassent jamais 50 à 60 personnes.

Et nous allons reprendre les visites sur le terrain.

À quoi va ressembler ce que vous appelez le « nouveau Giat » ?

Nous allons nous concentrer sur notre cœur de métier, celui d'intégrateur de plates-formes terrestres et de munitions.

Même si nous conservons une composante industrielle significative au sein du groupe, nous faisons passer notre centre de gravité de l'industriel pur à l'ingénierie. Ce qui suppose un profond changement de culture. Mais les notions de culture du client et de résultat entrent petit à petit dans les mœurs.

À terme, quel est l'avenir de Giat ?

On pourrait assister à une concentration horizontale se traduisant par une alliance avec d'autres sociétés européennes d'armement terrestre et à une concentration verticale via des partenariats avec d'autres groupes de défense multimétiers. Le secteur de l'armement terrestre suivrait ainsi une évolution déjà connue dans l'aéronautique, les hélicoptères et les missiles.

Le fait que l'État soit actionnaire à 100 % et que Giat emploie des salariés sous statut peut-il freiner ces évolutions ?

Le fait que l'État soit actionnaire à 100 % de Giat peut clairement poser des problèmes en matière d'alliances avec des entreprises étrangères.

En revanche, s'il n'est pas simple de gérer trois catégories de personnels, cela ne devrait pas soulever de difficultés majeures pour des mariages futurs. Les ouvriers sous décret seront mis à disposition du « nouveau Giat » par Giat Industries SA.

À l'export, êtes-vous handicapé par le coût du travail ?

Les marchés exports sur lesquels nous sommes engagés sont extrêmement concurrentiels. Il y a très peu d'affaires et la compétition est internationale. Mais le coût du travail n'est pas le seul problème, car nous réalisons des produits technologiques à forte valeur ajoutée. En revanche, comme nous évoluons souvent sur des marchés en dollars, le niveau de l'euro ne nous aide pas.

Au vu de la mutation de Giat, pensez-vous qu'il soit possible de réformer le secteur public ?

Quand je vois l'énergie qu'il faut déployer pour faire évoluer une entité comme Giat Industries, je me dis que faire bouger 2,5 millions de fonctionnaires ne peut se réaliser d'un coup de baguette magique…

Les phénomènes culturels sont des freins colossaux à la modernisation. Quand on change les règles du jeu dans une entité où il y a des milliers de personnes, c'est un travail extrêmement long et consommateur d'énergie.

Propos recueillis par Jean-Paul Coulange et Isabelle Moreau

Auteur

  • Isabelle Moreau