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Politique sociale

Les services aux particuliers, un nouvel Eldorado pour l'emploi

Politique sociale | ZOOM | publié le : 01.03.2005 | Nathalie Grenet, Frédéric Rey

Aides-ménagères, nounous, coiffeuses, gardes pour chiens… les services à la personne ont le vent en poupe. Jean-Louis Borloo compte sur les groupes privés pour exploiter ce filon, où dominent les associations et où règne le travail au noir. Mondial Assistance, Accor, Adia… y ont déjà un pied. Encore faut-il solvabiliser la demande et rendre les emplois plus attractifs.

Jean-Louis Borloo, boîte à idées du gouvernement Raffarin ? Toujours est-il que le vibrionnant ministre de la Cohésion sociale fait feu de tout bois. Sa loi et ses 153 articles à peine votés, son contrat intermédiaire mis à l'étude, le voilà qui dégaine une nouvelle arme antichômage : un plan pour doper les services aux particuliers, histoire d'enrichir en emplois une croissance plutôt mollassonne dans ce domaine. L'objectif est ambitieux : 500 000 postes créés en trois ans. Un pari conforté par un récent rapport du Conseil d'analyse économique qui y décèle un formidable gisement d'emplois. Car, au regard du modèle nord-américain, le filon des services reste insuffisamment exploité dans l'Hexagone, estiment ses deux auteurs, Pierre Cahuc et Michèle Debonneuil.

La recette Borloo pour booster ce secteur ? Encourager les grandes entreprises à développer de véritables plates-formes proposant des bouquets de services. « La priorité n'est pas sur la solvabilité de la demande. Avec l'équivalent de 15 milliards d'euros, nous sommes déjà les champions du monde des aides fiscales et sociales dans ce domaine », souligne Jérôme Lacaille, chargé du dossier au sein de l'équipe Borloo. Hospitalisation à domicile, aide aux personnes âgées, garde d'enfants, soutien scolaire, téléassistance, conciergerie : la priorité est davantage d'organiser une offre qui regroupe les prestations les plus diverses.

Fort de 1,3 million de salariés, le secteur des services aux particuliers ressemble à un patchwork, avec des acteurs aux statuts différents, intervenant de façon totalement désordonnée. Pionnières depuis la dernière guerre, les associations s'y taillent la part du lion. Regroupées dans de grands réseaux (ADMR, Unassad…), ces 6 000 structures proposent une offre orientée vers les familles et le domaine médico-social. Mais, depuis une quinzaine d'années, des entreprises spécialisées ont émergé, ciblant, à l'origine, leur activité sur des tâches traditionnelles. Comme La Bambinerie, créée en 1989, spécialisée dans la garde d'enfants à domicile.

De nouveaux métiers font progressivement leur apparition. Famiclic, une petite entreprise de sept salariés, vend ainsi de l'assistance informatique à domicile. To do to Day s'est positionné sur l'entretien des résidences secondaires. Autre idée originale : celle d'Animado, créé il y a dix ans par un ancien allocataire du RMI, qui propose aux propriétaires de chien ou de chat de garder leur animal le temps d'une absence plus ou moins longue. « Notre originalité, souligne Pascal Richard, tient au fait que les animaux peuvent être placés dans des familles d'accueil en tenant compte des désirs de nos clients. J'ai récemment eu une demande d'une dame recherchant pour son jeune labrador une famille vivant dans un pavillon avec jardin et offrant une présence permanente auprès de son chien. »

Des porteurs de projet à la pelle

La très grande majorité des quelque 500 entreprises du secteur, qui emploient 30 000 salariés, sont des microstructures. Avec ses 3 000 coiffeurs à domicile, Viadom, qui cherche aujourd'hui à étendre son offre au ménage et jardinage, fait figure d'exception. Regroupées au sein du Syndicat des entreprises de services à la personne (Sesp), ces entreprises ne représentent que 6 % du marché. Mais, avec une progression de 5,5 % par an, les porteurs de projet se bousculent. « Nous recevons chaque année plus d'un millier d'appels de personnes qui veulent se lancer dans la création d'une société de services », indique Jean d'Alançon, délégué général du Sesp.

Ces créateurs d'entreprise ne sont pas les seuls à vouloir investir la place. Le marché des services aux particuliers suscite depuis une dizaine d'années la convoitise de quelques grandes entreprises. Les premières à avoir flairé le potentiel sont les professionnels de l'assistance. « À notre métier d'origine, le rapatriement médical, nous avons progressivement ajouté des services facilitant la vie quotidienne », explique Pascal Fanton, directeur des assistances de Mondial Assistance. Ces services viennent généralement en supplément d'un produit d'assurance ou de dépendance. Un client qui souscrit un contrat d'assurance habitation pourra ainsi bénéficier de l'intervention d'un serrurier en cas de perte de clé ou de la présence d'un vigile devant sa porte fracturée par un cambrioleur.

Pour fidéliser ses clients, Butagaz a décidé de coiffer ses bouteilles de gaz d'une petite collerette en papier où est inscrit un numéro de téléphone. « Celui-ci permet d'accéder à toute une palette de services qui sont aussi bien des explications d'installation de la bouteille qu'un conseil pour réussir une recette de cuisine », explique Nicole Pochat, directrice adjointe du marketing d'Europ Assistance, à qui Butagaz a confié la mise en relation de ses clients avec divers prestataires.

Crèches d'entreprise clés en main

D'autres entreprises s'adressent aux particuliers salariés via leur employeur. Depuis la mise en place du crédit d'impôt famille offrant un allégement fiscal aux entreprises qui facilitent la garde des enfants de leurs salariés, les crèches d'entreprise sont en plein boom. Une dizaine de sociétés, spécialisées dans la création de crèches, démarchent les grands groupes pour leur proposer des projets clés en main. Bien-Être à la carte, filiale d'Accor Services, s'est fait le chantre de la conciliation entre vie professionnelle et vie personnelle en proposant des services à la carte au domicile ou sur le lieu de travail. Un moyen également, selon Accor, de fidéliser des salariés. Si les initiatives sont nombreuses, peu de grandes entreprises s'adressent directement aux particuliers. Air liquide Santé fait figure d'exception. « Notre métier est de produire des gaz dont certains à destination médicale, explique Gérard Priet, directeur de la stratégie et du développement.

Depuis les années 90, nous nous sommes progressivement implantés dans l'assistance respiratoire à domicile. » Une niche dont le développement est favorisé par l'impératif de maîtrise des dépenses de santé qui privilégie les soins à domicile. L'offre couvre la fourniture d'oxygène et du matériel, mais aussi des services d'urgence ainsi que la formation du patient et de son entourage.

Plus récemment, Adom, filiale de l'intérimaire Adia, a ouvert à Paris une agence entièrement consacrée aux services à domicile. Recherche d'une gouvernante, d'une aide-ménagère ou d'une nounou bilingue français-espagnol… « Les besoins vont se développer, notamment en raison du vieillissement de la population et des pénuries annoncées dans certaines professions comme les assistantes maternelles, explique la directrice du projet, Nathalie Bournoville. Après avoir réfléchi durant plus d'un an, nous sommes à présent convaincus d'avoir un rôle à jouer dans la mise à disposition temporaire de personnel. » Adom s'est implanté à Lyon en janvier 2004 et compte bien ouvrir une dizaine d'autres agences dans le sud et en Ile-de-France.

Une carte d'abonnement annuel

Axa Assistance envisage aussi de s'adresser directement aux particuliers. « Le succès d'une entreprise comme Acadomia [voir le Match Acadomia/Complétude, p. 36] montre qu'il existe à l'évidence un modèle économique possible, souligne Yves Masson, P-DG d'Axa Assistance. La commercialisation pourrait, par exemple, se faire via une carte d'abonnement annuel. »

Pour beaucoup d'acteurs du secteur, le problème majeur reste celui de la solvabilité de la demande. « Tous les jours, nous recevons des appels de parents intéressés par nos prestations mais dont les revenus sont insuffisants pour pouvoir se les offrir, déplore Sandy Foucherand, de KeepSchool, une société spécialisée dans le soutien scolaire. Paradoxalement, ce sont les personnes qui en auraient le plus besoin qui ne peuvent se permettre ce type de dépenses. » Pascal Richard, le fondateur d'Animado, a chaque année 1 500 demandes de renseignement : « À raison de 24,50 euros par jour pour un chien dans une famille d'accueil, ce niveau de tarifs peut être un frein. Si la demande aboutissait, je pourrais embaucher deux fois plus de personnel. »

Si les aides existent, tout le monde n'en profite pas. Dans certains secteurs, les particuliers bénéficient de prestations sociales, comme l'Apa pour le maintien à domicile des personnes dépendantes et la Paje pour la garde d'enfants. Les emplois familiaux ouvrent droit à des réductions d'impôts sur le revenu pour le consommateur et à une TVA réduite pour l'entrepreneur. À condition, toutefois, pour ce dernier d'obtenir un agrément (voir encadré ci-contre). « Les aides financières sont indispensables, car notre principal ennemi c'est le travail au noir, explique Christian Lehr, dirigeant de Viadom. Un ménage doit au moins gagner 5 000 euros par mois pour trouver un intérêt suffisant à la réduction d'impôts. Tous les foyers ayant des revenus inférieurs seront tentés par le travail non déclaré. »

Des métiers à faible notoriété

Pour éviter cette dérive, les entrepreneurs ont revendiqué – et obtenu – l'élargissement et la pérennisation de la réduction de TVA à 5,5 % et l'instauration d'un crédit d'impôt. « C'est une excellente mesure, qui va concerner l'ensemble des Français et pas seulement les plus aisés », souligne Jean d'Alançon, du Sesp. Autre mesure, l'implication des employeurs ou des comités d'entreprise, qui pourront participer au financement, via le chèque service universel.

« Le titre emploi service n'était qu'une première étape qu'il fallait généraliser et encourager », estime Nathalie Bournoville, d'Adom.

En outre, ces travailleurs au noir doivent être incités à sortir de l'illégalité. « Les aides-ménagères travaillent pour la plupart au noir, regrette Christian Lehr, de Viadom. Notre entreprise ne peut pas vendre une heure de ménage au-dessous de 15 euros, ce qui équivaut à une rémunération de 6 euros pour le salarié. Au noir, le client et la femme de ménage vont s'entendre sur un tarif de 8 euros. »

Faibles rémunérations horaires, auxquelles s'ajoutent un recours au temps partiel quasi généralisé : le secteur n'est pas toujours en mesure d'offrir plus qu'un complément de revenus et, par conséquent, se heurte à des difficultés de recrutement. Famiclic recrute ainsi parmi les étudiants en troisième année d'études, tandis que les coiffeuses de Viadom sont majoritairement des mères de famille d'une trentaine d'années désireuses d'organiser librement leurs horaires. « Ces métiers manquent de notoriété, déplore Jérôme Lacaille, au ministère de la Cohésion sociale ; il faut professionnaliser le secteur, notamment en améliorant la formation. » Solvabiliser la clientèle, regrouper l'offre, attirer et former les salariés… Le pari des 500 000 emplois créés s'annonce, malgré tout, difficile à tenir.

Bataille pour l'agrément

Officiellement, la hache de guerre est enterrée depuis le 22 novembre dernier.

Ce jour-là, entreprises et associations de services à la personne ont signé une convention nationale dans laquelle elles s'engagent à travailler en bonne intelligence afin d'encourager le développement d'offres diversifiées. Un engagement en forme d'armistice dans un contexte de concurrence acharnée.

Les associations voient toujours d'un mauvais œil l'arrivée d'entreprises marchandes dans un secteur qu'elles jugent plus adapté aux valeurs solidaires portées par l'économie sociale. L'essentiel de la guerre se joue lors de la délivrance de l'agrément, indispensable pour exercer certains métiers. Et nécessaire financièrement, puisqu'il permet à l'entreprise de bénéficier d'une TVA à 5,5 % et au client de profiter de la réduction d'impôts.

Jusqu'à présent, ce sésame était délivré, suivant les cas, par le préfet du département ou de la région.

« Certaines associations font du lobbying auprès de ces pouvoirs publics pour verrouiller le marché et empêcher l'arrivée des entreprises », déplore Arnaud Maigre, de Réseau Plus, qui rassemble plusieurs prestataires. Pour Dominique Léry, directrice administrative d'Adhap, un réseau de franchisés s'adressant aux personnes de tout âge atteintes d'un handicap temporaire ou permanent et aux personnes âgées, l'obtention de cette habilitation est un véritable parcours du combattant : « Sur nos 43 partenaires, 17 sont en attente d'un agrément depuis juillet. Nous nous heurtons à des freins idéologiques face à des associations en situation de quasi-monopole depuis cinquante ans. »

Les entreprises pointent également une distorsion de concurrence au profit des associations qui, selon Jean d'Alançon, du Sesp, « bénéficient de subventions et d'une législation sociale et fiscale plus favorable. Elles peuvent, de ce fait, offrir à leurs salariés des avantages que les entreprises n'ont pas les moyens de proposer ». Les entrepreneurs attendent donc du gouvernement Raffarin une égalité de traitement.

Et menacent, s'ils étaient déçus, de saisir les instances européennes pour distorsion de concurrence.

Auteur

  • Nathalie Grenet, Frédéric Rey