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Enquête

CES EMPLOYEURS QUI LOGENT LEUR PERSONNEL

Enquête | publié le : 01.03.2005 | Sandrine Foulon, Frédéric Rey

Faute de logements, attirer des salariés peut relever du casse-tête. Construction d'immeubles, recours aux foyers de travailleurs, conventions avec les bailleurs sociaux… Disney, Toyota ou ADP ont décidé de mettre la main au portefeuille.

Ici, bientôt, 26 studios et T2. À Lamballe, dans les Côtes-d'Armor, l'ancien internat du lycée va être reconverti en appartements. Une petite opération immobilière qui apportera un peu d'air à cette commune de 11 000 habitants souffrant d'une pénurie de logements. Son promoteur ? La Cooperl, une coopérative d'abattage et de transformation des viandes. Cinquante ans après la création du 1 % logement, qui a confié la politique du logement à des organismes extérieurs, certaines entreprises renouent avec une tradition paternaliste. « Comme au XIXe siècle, qui a vu naître les corons, les entreprises construisent pour attirer de la main-d'œuvre et tenter de la fixer sur place », constate Jules-Mathieu Meunier, chercheur à l'Institut d'urbanisme de Paris.

C'est le cas de la Cooperl qui essaie tant bien que mal de recruter plusieurs dizaines de salariés. « Sur place, la mobilité est très faible, souligne Joseph Carfantan, responsable du personnel. Les horaires de la SNCF sont en décalage par rapport à notre organisation du travail : une voiture est donc nécessaire. Ces appartements sont une solution de dépannage pour les nouveaux embauchés le temps qu'ils trouvent un logement. Mais nous allons certainement devoir prendre en compte les demandes émanant de nos salariés en place. Certains d'entre eux, à la suite d'une rupture familiale ou pour cause de surendettement, sont contraints de quitter leur logement et peinent à se reloger. »

Même émoi aux Sables-d'Olonne. Poussés par la difficulté des hôteliers et restaurateurs à trouver des serveurs, les élus de la communauté de communes des Olonnes ont décidé de construire une centaine de logements à loyers modérés pour accueillir saisonniers et autres salariés en CDD dès 2006. Car, partout en France, les répercussions de cette crise immobilière sur la compétitivité des sociétés et l'économie locale incitent les collectivités à réagir. « Des entreprises commencent à faire savoir qu'elles ont renoncé à s'implanter en Isère à cause de la cherté du logement », souligne Benoît Giroud, jeune fondateur d'E-Mobilia, société de relocation grenobloise. Le renversement de situation est total. Alors que le logement courait derrière l'emploi, c'est désormais l'emploi qui se plie au diktat du logement.

700 logements provisoires chez Disney

Dès son arrivée en France, Disney l'a bien compris. Le groupe de loisirs a construit trois résidences avec l'appui du 1 % patronal. Au total, 700 logements sont mis à la disposition des collaborateurs venant de province ou de l'étranger. « Ces logements sont provisoires, le temps d'une mission en CDD ou pour les CDI en attente de trouver autre chose, précise Alain Beauséjour, responsable du service logement de Disney. Par ailleurs, nous avons complété cette offre par la mise en place d'un réseau d'une centaine de chambres chez l'habitant. » Le parc d'attractions ne s'arrête pas là et s'est tourné vers l'Association de logements de jeunes travailleurs (ALJT) pour faire sortir de terre, en 2007, une résidence de 175 lits au Val d'Europe, à proximité du site.

Comme Disney, nombre d'entreprises s'adressent aujourd'hui à ces foyers qui trouvent là l'occasion de modifier leur image. « Les entreprises connaissent mal l'offre des foyers de jeunes travailleurs qui représente 23 000 logements sur le territoire, soit moins de 1 % du logement social, explique Jean-Jacques Tartinville, directeur général de l'ALJT en Ile-de-France. Elles en ont une image désuète et décalée. » À raison de 380 euros avant l'aide personnalisée au logement pour une place en foyer, la formule est avantageuse pour ces jeunes salariés. Ce qui explique l'avalanche de demandes : 24 000 par an pour 4 000 places. À l'horizon 2010, l'objectif est de passer à 6 000 places en Ile-de-France et de rénover 21 résidences, soit la quasi-totalité du parc francilien. L'ALJT a également signé une convention de partenariat avec le Fonds d'action sociale du travail temporaire qui permet aux intérimaires d'avoir accès à sa centrale de réservations.

L'occasion aussi d'accueillir un autre public, les jeunes en formation, parfois contraints de dormir dans les MisterBed et autres Formule 1 des alentours. « Sans logement, il n'y a pas de lien entre la formation et l'emploi, poursuit Jean-Jacques Tartinville. Or la situation diffère de celle des années 50 où les plus démunis et les classes moyennes ne parvenaient pas à se loger. Aujourd'hui, la mobilité exigée par la formation et les activités économiques s'accélère. Les modes d'entrée sur le marché du travail sont plus complexes, moins linéaires. » Planent néanmoins des incertitudes sur les financements de l'ensemble de ces programmes.

Un comité habitat à Roissy

Aéroports de Paris, qui, lui aussi, a fait appel à l'ALJT pour la construction d'un foyer de 200 lits à Roissy livrable en 2007, s'est mobilisé pour le logement de ses actifs. Las d'un turnover trop important et de retards trop nombreux, les entreprises de la plate-forme aéroportuaire ont réagi. Un comité habitat a été créé en 1995, à l'initiative d'ADP, d'Air France, de Sapser… « À l'époque, il s'agissait surtout de prouver aux bailleurs sociaux de la Seine-Saint-Denis qui disposaient de logements vides que l'on pouvait leur proposer des salariés solvables, explique Anne Bouvet, salariée de l'association. La pénurie est énorme. En 1996, 54 000 personnes travaillaient sur la zone de Roissy. Actuellement, elles sont 70 000. Nous enregistrons 1 millier de demandes de logement social par an. En 2004, nous avons fait une bonne année en trouvant… 160 logements. Vous comprenez notre douleur. » Pour pallier les problèmes de transport, ADP et le conseil général du Val-d'Oise ont mis en place une navette de bus Allo Bus. Ce qui n'enlève rien aux temps de trajet, colossaux pour ceux qui habitent Meaux, Senlis ou Soissons.

Déjà 700 « packs logement » chez Toyota

La préoccupation du logement est partagée par Toyota. Lorsqu'il s'est implanté en 1999 dans le Valenciennois, le constructeur automobile s'est rapidement retrouvé avec un personnel émietté. Nombre d'opérateurs habitent loin et beaucoup de jeunes résident encore chez leurs parents. Le constructeur sait qu'ils souhaiteront tôt ou tard quitter le foyer familial et décide alors d'arrêter un programme d'aide au logement pour leur permettre de se rapprocher de leur lieu de travail. Pas question, en effet, d'employer des salariés « pollués par la seule question de savoir où dormir le soir ». Le constructeur s'est associé à quatre grands bailleurs sociaux et a mis au point le principe du formulaire unique : un salarié qui débarque chez Toyota remplit une demande qui sera ensuite examinée dans les six parcs de logements du Valenciennois. En 2004, plus de 600 salariés sur 3 200 ont bénéficié de ce guichet unique.

Toyota s'est également appuyé sur les pouvoirs publics et les professionnels du logement qui ont joué le jeu. « Pour vaincre leur frilosité et accélérer les programmes de construction de logements sociaux, nous avons mis en avant l'aspect durable de l'activité, rassuré sur la solvabilité de nos salariés », explique-t-on sur le site d'Onnaing.

L'entreprise a également mis en place un « pack logement » qui comprend des aides aux salariés pour l'accession à la location via le Loca-Pass – soit un dépôt de garantie et une assurance contre les impayés pendant dix-huit mois –, dont 700 personnes ont bénéficié, et pour l'accession à la propriété, grâce à un système d'intéressement. Dans le cadre du plan d'épargne d'entreprise, les sommes déposées par les salariés sont abondées par le constructeur. Aujourd'hui, 80 % du personnel vit dans un rayon de 50 kilomètres.

À l'autre bout de la chaîne, les entreprises qui doivent loger leurs cadres en mission ou en phase d'installation pour des durées variant de dix-huit jours à sept mois n'ont d'autre choix que de se tourner vers de nouveaux prestataires. Mais la note est plus salée. À Paris, Home Rental Service propose ainsi la location de studios à 2 000 euros mensuels – 3 500 euros pour un trois-pièces –, payables d'avance. « Nous offrons une garantie de paiement aux propriétaires. Car c'est ce qui empêche nombre d'entre eux de louer », souligne Claude Chopard Lallier, fondateur de cette société qui dispose d'un parc de 200 logements, en plein développement. Mais, pour des emménagements à plus long terme, ce sont désormais les patrons qui s'impliquent en se portant caution pour leurs salariés. « Nous recrutons pas mal de jeunes venant de province et ne connaissant personne à Paris, explique Marco Tinelli, président de l'agence de conseil en marketing FullSix. Tous rencontraient des difficultés à louer un appartement à cause de l'absence de garantie familiale. Je leur ai proposé de me porter caution, c'était juste du bon sens. C'est même devenu un usage dans l'entreprise. » Quinze salariés ont bénéficié du cautionnement de leur président ou de certains associés.

Et si un salarié quitte l'entreprise ? La caution est maintenue. Une seule fois il est arrivé que ce président reçoive une lettre d'huissier au nom de l'un de ses anciens salariés. L'indélicat a réglé le problème dans la journée…

Relooké, le 1 % redevient un acteur du marché du logement

C'est la seconde vie du 1 % patronal. Depuis sa réforme, en 1998, ce dispositif d'aide au logement des salariés a élargi sa gamme d'interventions afin de répondre à leurs nouvelles attentes.

Le Loca-Pass, qui permet une avance du montant de garantie pour le loyer ou une avance en cas d'impayés, a ainsi profité en 2004 à 521 000 ménages. Par ailleurs, 105 800 prêts au titre du Pass-Travaux ont été accordés.

Ce mode de financement assis sur une cotisation patronale fixée, à sa création en 1953, à 1 % de la masse salariale, a pourtant bien failli disparaître.

À la fin des années 90, une partie du patronat au sein du CNPF envisageait carrément de supprimer cette cotisation logement.

Mais les syndicats de salariés, avec l'appui notamment des employeurs du bâtiment, ont âprement bagarré pour son maintien. « Cette crise a été salvatrice pour le 1 % qui a adopté une attitude beaucoup plus offensive », souligne Jean-Luc Berho, secrétaire confédéral chargé du logement à la CFDT.

Les partenaires sociaux ont obtenu la gouvernance de 109 sociétés de HLM qui représentent quelque 900 000 logements. « Nous nous sommes battus contre un risque de privatisation de ces organismes, poursuit Jean-Luc Berho. Et le 1 % est devenu un acteur de la politique de logement. »

À travers son association paritaire La Foncière Logement, fondée en 2002, les partenaires sociaux ont même pris le pari de faire construire et de gérer des logements à destination des salariés. 10 000 à 15 000 logements devraient sortir de terre chaque année à partir de 2006 dans des quartiers difficiles mais aussi dans des communes aisées qui n'atteignent pas le quota de 20 % de logements sociaux prévus par la loi relative à la solidarité et renouvellement urbain, dite SRU, adoptée en 2000. Dans ce immeubles, un tiers de la surface sera réservée aux ménages les plus modestes afin de garantir une bonne mixité sociale.

Au bout de quinze ans, ces appartements pourront être vendus à leurs occupants… pour profiter au financement des retraites. L'argent de la vente doit en effet alimenter les caisses des organismes de retraite complémentaire.

Investissements et conventions pour abriter infirmières, postiers et gardiens de musée

À la tête d'un vaste parc immobilier de près de 6 500 logements en Ile-de-France, l'Assistance publique-Hôpitaux de Paris peine néanmoins à abriter ses infirmières. « Ces logements sont proposés à des tarifs inférieurs de 45 % au prix du marché locatif privé. Mais la liste d'attente pour pouvoir accéder à ce parc immobilier est longue et peu d'appartements se libèrent de leurs occupants, explique Yves Poirier, de la direction des ressources humaines. Nous avons par ailleurs conclu des conventions avec des organismes de logement social, mais les critères d'attribution de ces bailleurs sont de plus en plus drastiques. Par conséquent, il y a des dossiers que nous ne présentons même plus.

Nous savons d'avance qu'ils seront rejetés. » Le mastodonte qu'est l'AP-HP vient donc de lancer une opération de ratissage de tous les mètres carrés disponibles dans les hôpitaux. « L'idée, poursuit Yves Poirier, est de pouvoir transformer ces surfaces en studios supplémentaires pour les jeunes infirmières qui nous font défaut. »

En effet, sur les 2 000 postes vacants, 1 500 sont des emplois d'infirmière. L'AP-HP espère pouvoir construire dès ce printemps 200 studios qui seront proposés à des élèves des écoles de province en même temps qu'un emploi.

Se loger lorsqu'on est gardien de musée n'est pas non plus gagné d'avance. Devant l'incapacité des agents à trouver un logement, le musée du Louvre a boosté son service logement en 2004. Comme le secteur public ne peut cotiser au 1 % patronal, le Louvre a développé une politique de réservation d'appartements auprès de l'Opac, de la Siemp, ou de la Régie immobilière de la ville de Paris. « Pour ces conventions, nous disposons d'une enveloppe budgétaire qui est passée de 91 000 euros en 2003 à 1,4 million d'euros aujourd'hui », souligne Henri Poinsignon, le DRH du Louvre, qui dispose désormais de 37 logements disponibles.

Quant aux postiers, grâce à une convention signée en novembre avec la fédération des coopératives de HLM, ils devraient accéder plus facilement au locatif et à la propriété. D'ici à 2007, l'entreprise a l'ambition de disposer de 9 000 logements en plus des 30 000 qu'elle possède déjà pour loger les postiers et leur famille.

Auteur

  • Sandrine Foulon, Frédéric Rey