logo Info-Social RH
Se connecter
Newsletter

Dossier

La stratégie des petits pas

Dossier | publié le : 01.03.2005 | S.L.

Autant la gestion des compétences n'est pas une idée neuve pour les DRH, autant les évolutions démographiques et législatives les incitent aujourd'hui à engager une transformation plus radicale, en particulier en informatisant des pans entiers de cette activité. Mais les prestataires ont beau pousser à la roue, peu de responsables RH ont encore franchi le pas d'une informatisation complète de la GPEC.

Départs massifs des baby-boomers à la retraite avec, pour corollaire, une intensification des recrutements, allongement de la durée d'activité liée à la réforme des retraites de 2003, mise en œuvre de la réforme de la formation professionnelle et entrée en vigueur du droit individuel à la formation : la gestion des emplois et des compétences sera, en cette année 2005, au cœur des préoccupations des entreprises. Et inutile de dire que cette perspective fait saliver les prestataires informatiques. Selon le cabinet d'études Markess International, qui a mené une enquête sur un échantillon cible de 66 entreprises de plus de 500 salariés, le marché de la gestion des compétences, qui représentait plus de 1 milliard d'euros l'année dernière, devrait littéralement décoller en 2006. Ainsi, 90 % des sociétés interrogées déclarent qu'elles géreront informatiquement la mobilité et les recrutements avant la fin 2006 (alors que 60 % le font déjà) ; les deux tiers auront mis en place des applications sur l'ingénierie des compétences d'ici à la fin de l'année prochaine (au lieu de 45 % aujourd'hui) ; 85 %, des applications liées à la formation (contre 60 % actuellement) ; et 55 %, des applications liées à la gestion des connaissances (au lieu d'un tiers aujourd'hui). Professeur associé au département management et ressources humaines de HEC, Charles-Henri Besseyre des Horts se montre prudent : « Dans le domaine de la gestion des compétences, on a parfois monté, depuis quelques années, de gigantesques applications théoriques, très séduisantes intellectuellement, fondées sur des matrices et des niveaux de compétences codifiés, mais totalement inefficaces et inexploitables dans la réalité de l'entreprise. »

Des cartographies plus ou moins lisibles

Pour Sandrine Pluvinet, consultante spécialisée chez CBL Consulting, société de conseil en systèmes d'information pour la gestion des ressources humaines, tout a commencé, il y a plus de cinquante ans, par le biais des qualifications. « Mais on s'est rendu compte que qualification ne voulait pas forcément dire compétence. On a alors commencé à parler de gestion prévisionnelle des emplois et des compétences et on s'est livré à un travail extrêmement fastidieux afin de répertorier les postes, les fonctions et d'inventorier les compétences nécessaires pour occuper les postes non seulement en termes de savoir-faire, mais aussi de savoir-être. » Cette conception, davantage fondée sur une description statique des postes et des compétences associées, alimentée par les fiches d'évaluation et les entretiens annuels, est aujourd'hui encore en vigueur dans beaucoup d'entreprises. Elle a donné lieu à l'élaboration de superbes cartographies, de référentiels et d'arbres de compétences plus ou moins lisibles qui décrivent la situation de l'entreprise à un instant donné mais ne lui permettent pas de se projeter dans l'avenir.

Président de la commission des affaires sociales et de la formation professionnelle des fédérations Syntec et CICF, Alain Donzeaud, signataire en début d'année d'un accord de branche sur la formation professionnelle des ingénieurs, des cadres et des techniciens, reconnaît que « la gestion des compétences a entraîné des dispositifs compliqués, des définitions de référentiels, dans lesquels beaucoup de sociétés se sont engluées ». Des applications où la GPEC concerne plus souvent la gestion prévisionnelle des emplois que celle des compétences, selon Laurent Galle, directeur général de Trivium, un éditeur spécialisé dans la gestion informatisée de compétences. « En matière de GPEC, on retrouve le plus souvent une mise en ligne des besoins personnels, un suivi des candidatures et la publication nominative des mobilités réalisées », constate Hélène Mouiche, du cabinet d'études Markess International.

Une logique plus opérationnelle

Progressivement, les applications liées à la GPEC ont offert de nouvelles fonctionnalités. « L'entreprise est entrée dans une logique plus opérationnelle et elle s'intéresse de plus en plus à la notion de capital humain, fait remarquer Patrick Storhaye, directeur de Shared Value, acquis par le groupe ADP-GSI. Grâce à des outils comme les portefeuilles de compétences, il s'agit de construire aujourd'hui les compétences dont le salarié aura besoin demain. » Par l'intermédiaire d'approches de type ESS (employee self-service) ou MSS (manager self-service), le salarié devient l'acteur de l'évolution de ses compétences.

C'est la philosophie sous-tendue par la loi du 17 janvier 2002 sur la dialogue social et la validation des acquis de l'expérience, et surtout de la récente loi du 4 mai 2004 relative à la formation professionnelle tout au long de la vie, qui introduit le « droit individuel à la formation d'une durée de vingt heures ». Il est expressément précisé que « la mise en œuvre [de ce droit] relève de l'initiative du salarié », ce qui le rend, de fait, acteur de sa formation et responsable de ses compétences.

« Une forte demande des salariés »

Vice-président des ressources humaines du groupe Bridgestone (11 000 salariés présents dans 17 pays), Éric Motte a mis en place en 2000 un système de gestion de performances baptisé PPDP (performance and people development program) qui fait la relation entre l'analyse des compétences du salarié et l'appréciation de sa performance. Accessible depuis 2002 par intranet, cet outil permet de gérer des applications de type ESS et MSS : « Je veux donner au management et aux salariés des outils qui correspondent à leur mode de fonctionnement, qui soient flexibles, conviviaux et qui ne constituent pas un frein à nos évolutions futures », indique Éric Motte.

Appliqués à la gestion des compétences, les atouts de l'informatique sont réels : transparence, fluidité, rapidité de circulation de l'information, adaptation aux nouveaux enjeux de l'entreprise, prise de responsabilités des salariés… « Ces outils informatiques sont parfaitement adaptés aux nouveaux métiers et au changement d'organisation et permettent réellement aux salariés d'acquérir des compétences supplémentaires. Ne nous leurrons pas: il y a une très forte demande de la part des salariés », souligne Didier Marcel, directeur de la division gestion des temps et des activités (GTA) de GFI Progiciels. « Grâce à l'utilisation de l'informatique, la GPEC devient de plus en plus un outil de transformation des métiers », abonde Laurent Galle, de Trivium.

Le « knowledge management » encore balbutiant

Reste que les applications dynamiques ont du mal à décoller, du moins dans l'Hexagone. La loi sur la formation professionnelle a fait naître de grands espoirs dans ce domaine. Mais peu d'entreprises l'ont déjà intégrée dans leur dispositif de GPEC. Et les applications plus sophistiquées, comme la gestion du capital humain ou le knowledge management (KM), sont encore balbutiantes. Pour Michel Fourmy, de la Cegos, l'évolution des pratiques des entreprises françaises, dans ce domaine, s'apparente à la « stratégie des petits pas ». Témoin, ce directeur des ressources humaines d'une grande banque de la place qui ne souhaite pas passer à une gestion informatisée des entretiens annuels d'évaluation, car « le SIRH de l'entreprise ne parvient pas à en restituer la finesse ».

Autre exemple révélateur, celui du groupe Bayer. « En matière de gestion des compétences, nous avons d'abord recensé les savoir-faire de chaque personne, en dressant une cartographie des compétences en face des métiers.

C'est un outil interne que nous avons développé sur une base Lotus Notes qui nous a permis de dresser une cartographie. Ensuite, nous avons développé un projet plus ambitieux via un ERP (voir glossaire ci-contre), qui verra probablement le jour en 2006 », indique Joseph-Serge Zaafrani, responsable du SIRH du groupe pharmaceutique et chimique. Même si une gestion totalement informatisée des compétences n'est pas pour demain, le choc démographique, les mouvements de rapprochement et les tensions sur les recrutements vont bien obliger les entreprises à revoir et à moderniser leurs procédures.

Auteur

  • S.L.