logo Info-Social RH
Se connecter
Newsletter

Vie des entreprises

Temps de repos : une notion à géométrie variable

Vie des entreprises | CHRONIQUE JURIDIQUE | publié le : 01.11.1999 | Françoise Favennes-Héry

En droit du travail, les finalités du repos sont multiples. Les unes visent à protéger la santé du travailleur, comme le repos journalier ; les autres ont une connotation sociale, telle la règle du repos dominical ; les dernières constituent un mode d'aménagement du temps de travail, à l'instar du repos compensateur de remplacement ou de l'octroi de « jours de RTT ». Peut-on véritablement les assimiler ?

Les notions les plus centrales sont souvent les moins bien définies. Les lois Aubry I et II font appel au concept de temps de repos sans en avoir précisément délimité les contours : droit à un repos quotidien minimal de onze heures, droit à une pause minimale de vingt minutes toutes les six heures, aménagement du repos compensateur, RTT sous forme de jours de repos, périodes de repos, le mot recouvre-t-il toujours la même réalité ? L'interrogation n'est pas vaine ; la réponse apportée détermine en effet le régime juridique attaché à ces périodes. Or à cette mosaïque de temps de repos répond une définition floue et un régime aux multiples zones d'ombre.

I. Flou de la définition

• Pour l'instant, le temps de repos fait l'objet d'une approche purement négative. Il est tout d'abord défini par opposition au temps de travail. La directive 93/104 du 23 novembre 1993, préconisant des périodes minimales de repos, entend par là « toute période qui n'est pas du temps de travail ». En droit français, également, le temps de repos s'oppose au temps de travail effectif. La Cour de cassation l'a rappelé dans son arrêt Hecq du 9 mars 1999 : le fait pour une salariée, bien qu'ayant en apparence un temps de repos dans ses horaires, « de se tenir à la disposition de l'employeur sans pouvoir vaquer à ses occupations personnelles est du temps de travail effectif ».

Cette approche négative pourrait avoir le mérite de la simplicité si l'on appliquait à la lettre le texte communautaire et la dichotomie qu'il pose : tout ce qui n'est pas temps de travail effectif (ou ce qui y est assimilé) serait du temps de repos. La mise en œuvre des onze heures de repos quotidien en serait facilitée, l'addition de ce dernier et du repos hebdomadaire de vingt-quatre heures également. Totale liberté serait aussi laissée aux négociateurs dans l'organisation des « jours de RTT » qui pourraient ainsi abriter, sans état d'âme, jours de formation et autres activités qui ne se verraient pas appliquer stricto sensu la qualification de temps de travail effectif. Mais il n'en est rien : subsistent en droit français des phases intermédiaires, des zones grises qui se surajoutent au temps de travail effectif et repoussent d'autant les limites du repos.

La première a donné lieu à une abondante jurisprudence : il s'agit de l'astreinte, la vraie, celle qui consiste en « l'obligation pour un salarié de demeurer à son domicile ou à proximité en vue de répondre à un appel de son employeur pour effectuer un travail au service de l'entreprise » (Cass. soc., 3 juin 1998, 9 décembre 1998 et 4 mai 1999). Il ne s'agit alors, précise la Cour, ni d'un temps de travail effectif ni d'une période de repos. Que faire alors lorsque cette astreinte intervient la nuit ou le week-end ? Comment respecter dans ces conditions les exigences du repos journalier de onze heures et du repos hebdomadaire de vingt-quatre heures ? Le décompte de ces dernières doit-il démarrer au terme de la période d'astreinte ?

Constituent également une zone intermédiaire les temps d'équivalence, puisque présence et travail effectif ne se recoupent pas. Il s'agit pourtant de temps de travail effectif, mais la comptabilisation et le paiement de ces heures répond à un régime spécial. Susceptible d'être introduite par accords de branche étendus ou accords d'entreprise dérogatoires (Cass. soc., 29 juin 1999, Dr. soc. 1999, p. 771), cette pratique pourrait voir son extension freinée par la seconde loi Aubry, le texte amendé disposant que les heures d'équivalence ne pourraient être mises en place que par décret pris après conclusion d'une convention ou d'un accord de branche ou par décret en Conseil d'État.

À ces exceptions il faut ajouter l'apport de nombreux accords collectifs qui tentent de cibler des temps « contraints ». Certains sont assimilés à du temps de travail effectif : partie du temps de trajet, temps de pause lorsque le salarié ne peut s'éloigner de son poste de travail. D'autres donnent lieu à rémunération sans être imputés sur le temps de travail effectif : il en est ainsi d'un certain nombre de coupures, de temps de formation payés… Doivent-ils ou ne doivent-ils pas être ramenés dans le champ du temps de repos ? On aimerait ici des repères plus solides.

Le temps de repos peut encore être défini négativement par opposition à des hypothèses de suspension du contrat de travail : grève, maladie, maternité, chômage partiel… qui supposent une interruption dans le travail alors que les périodes de repos constituent l'un des aspects de l'exécution normale du contrat. Mais, là aussi, les frontières vacillent, car la suspension du contrat se résume, en fait, à la suspension de l'exécution de la prestation de travail… ce qui peut concerner le temps de repos. Absence et repos sont-ils si différents ?

• Ces incertitudes démontrent la nécessité d'adopter une approche positive du temps de repos.

Le terme repos recouvre différentes situations. En premier lieu, il peut s'agir d'une réalité physique. Le repos est alors synonyme d'inaction, voire de sommeil. L'objectif poursuivi est la protection de la santé et de la sécurité du salarié. Il peut intervenir hors de l'entreprise : repos journalier, hebdomadaire… Il peut être aménagé dans l'entreprise : pauses après quelques heures de travail. Cette approche a très largement inspiré la directive du 23 novembre 1993. Dans cette acception, la durée du repos devrait être fonction du type de métier assumé, de sa pénibilité ou du degré d'attention qu'il requiert. Il s'agit d'une période de repos « plancher » irréductible.

Mais le repos est également le temps passé en dehors de l'entreprise, celui ou l'intéressé retrouve l'exercice de sa liberté, le temps non professionnel. Il devient alors le moment où le salarié peut déployer une autre activité : loisirs, vie familiale, activité sociale, humanitaire, mandat électif, évolution de carrière… Dans cette seconde zone, il est tentant de faire réapparaître des activités qui, sans être du travail productif, ont un lien avec ce dernier : formation, transport, mandats, etc. Notion relative, notion à géométrie variable, l'incertitude du concept a des répercussions sur le régime juridique applicable.

II. Incertitude du régime juridique des jours de repos

Si le repos journalier, hebdomadaire et les congés payés ont un régime juridique relativement cadré, d'autres formes, telles que les jours de repos de l'article 4 des lois Aubry, soulèvent de nombreuses interrogations. Diverses interprétations en ont été données dans les accords. Faut-il leur appliquer le régime des congés ? Faut-il les assimiler à un mode de décompte du temps de travail plus proche d'une modulation du temps de travail ? La réponse détermine l'acquisition, le choix, l'usage, la pérennité des jours de RTT.

• L'application du régime des congés payés pourrait s'appuyer sur deux dispositions de la loi du 13 juin 1998 qui assimilent les jours de repos à du temps de travail effectif pour le décompte de l'ancienneté et des congés payés. Le rapprochement s'arrête cependant là et, à l'inverse, bien des éléments les distinguent du régime des congés payés. Tout d'abord, ces « jours de repos » ne s'acquièrent pas mois par mois. Ils s'appliquent instantanément et constituent, de fait, un mode de répartition du temps de travail. Si leur report éventuel est envisageable, il ne s'agit pas d'une condition de leur acquisition, mais d'un mode de leur utilisation.

La différence entre les jours de RTT et les congés payés concerne aussi leur choix. Les modalités de leur détermination doivent être fixées, pour l'instant, par accord collectif, partie au choix de l'employeur, partie au choix du salarié. À l'inverse, il appartient à l'employeur de déterminer la date précise des congés payés de chaque salarié. Pourtant, l'assimilation des jours de RTT à des jours de congés payés permettrait de résoudre certaines difficultés rencontrées par les praticiens. Ainsi en est-il de leur caractère périssable. S'ils n'ont pas été utilisés par le salarié, sont-ils perdus ou donnent-ils lieu à indemnisation ? S'agissant des congés payés, on sait que l'indemnité peut couvrir des périodes que le salarié n'a pu prendre du fait de l'employeur, mais qu'en revanche elle n'est pas due lorsque c'est le salarié qui y a renoncé. Qu'en est-il pour les jours de RTT ? Peut-on considérer qu'une indemnité est due au salarié lorsqu'il a été empêché de bénéficier de ceux arrêtés à l'initiative de l'employeur et que la solution est inverse lorsque ces jours ont été choisis par lui ? Peut-on s'inspirer de la règle posée par la Cour de cassation suivant laquelle le salarié qui n'a pas voulu profiter de la pause dont il disposait et pendant laquelle il n'est pas allégué qu'il restait à la disposition de son employeur ne peut se prévaloir d'heures supplémentaires ? (Cass. soc., 9 mars 1999, RJS 1999 n° 519). La qualification préalable de ces jours de repos pourrait être ici d'une grande utilité.

• L'analyse la plus communément retenue est celle d'un nouveau mode de répartition de la durée du travail. Par application de la seconde loi Aubry, les jours de RTT pourront être le fruit soit d'un accord de modulation (C. trav., art. L. 212-9 II), soit d'une décision unilatérale de l'employeur dans le cadre d'une période de quatre semaines. La difficulté tient au caractère généralement collectif des techniques de modulation du temps de travail alors que l'octroi de jours de repos présente un aspect individuel. Si on peut espérer que, à l'avenir, le nouvel article L. 212-8 apporte des solutions par la mise en œuvre d'une modulation individualisée, à l'heure actuelle, le bénéfice des jours de repos soulève des problèmes non encore résolus. Se pose notamment la question du décompte de ces jours en cas d'absence du salarié pour maladie. Celle-là n'est pas assimilée à du temps de travail effectif pour le calcul de la durée du travail. Aussi, ces périodes peuvent-elles être déduites du total des jours de repos prévus par l'accord collectif de réduction du temps de travail ?

Plusieurs solutions ont été adoptées dans les accords. Certains se réfèrent au seul temps de travail collectif sans tenir compte de la présence effective du salarié. D'autres accords, beaucoup plus rigoureux, décomptent annuellement le temps de travail, assimilent les absences à du repos et diminuent d'autant les jours de RTT. Cette solution est à la fois injuste sur le plan social et périlleuse à mettre en œuvre. L'absence peut en effet se situer en fin d'année alors que les jours de repos auront été préalablement utilisés. Il est alors nécessaire de faire le point mois par mois, ou trimestre par trimestre, du temps de travail effectif réellement accompli par le salarié. Une autre solution consiste à proratiser les jours de repos définis par l'accord en fonction du nombre de jours d'absence de l'intéressé. Enfin, certains accords distinguent suivant les types d'absence, leur durée, et pratiquent même des systèmes dégressifs.

Tout cela est approximatif et rend absolument nécessaire une clarification dans la seconde loi Aubry. Or l'article 4 du projet de loi ne règle pas véritablement la question et ne précise pas l'effet des temps d'absence sur le régime des jours de RTT. De manière plus générale, des efforts avaient été accomplis par le ministère du Travail en 1994 et en 1997 pour délimiter la notion de temps de travail effectif. Les réformes intervenues et l'importance pratique d'un calcul en jours de repos rendent nécessaire une nouvelle clarification. Une approche plus fine des temps de repos et de leurs diverses déclinaisons ne pourrait-elle constituer la clé de voûte de l'ensemble du régime de la durée du travail ?

Auteur

  • Françoise Favennes-Héry