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Vie des entreprises

Les restructurations après la loi de cohésion sociale

Vie des entreprises | CHRONIQUE JURIDIQUE | publié le : 01.02.2005 |

Le volet licenciement économique de la loi dite de cohésion sociale comporte des mesures de nature à dédramatiser un peu les restructurations des entreprises. Entre autres : la remise en cause de la très controversée jurisprudence Framatome-Majorette et la pérennisation des accords de méthode, dont le contenu devient beaucoup plus étoffé.

Alors que la Commission de Bruxelles annonce le recrutement d'un Monsieur Restructurations et souhaite associer les partenaires sociaux à la révision de la directive de 1994 sur le comité d'entreprise européen, « lieu de discussion, voire de négociation sur les restructurations » (cf. l'accord General Motors signé le 8 décembre 2004 pour accompagner les 12 000 suppressions de postes de sa filiale Opel), notre « modèle social français » cumulant procédures abracadabran tesques dans une atmosphère de crise pour les employeurs, sentiment d'insécurité sociale pour les salariés et taux de chômage à 10 % pour tout le monde fait figure de caricature.

Les deux échéances successives données aux partenaires sociaux pour négocier un accord interprofessionnel étant dépassées, le législateur devait intervenir. Et, tactiquement, il était prévisible que le controversé wagon des licenciements économiques de Gérard Larcher soit accroché in extremis à la consensuelle locomotive de la loi de cohésion sociale de Jean-Louis Borloo. Ce petit texte qui réforme grandement les réformes récentes du licenciement économique (loi de modernisation sociale de janvier 2002 dont l'abrogation de 10 articles nous ramène à la loi de 1993 ; loi Fillon de janvier 2003) aborde de multiples sujets : fixation de l'ordre du jour du comité d'entreprise, fin de l'hypocrisie s'agissant de l'articulation entre livre IV et livre III ou de la consultation préalable du comité d'entreprise en cas d'OPE, convention de reclassement en attendant le « contrat intermédiaire » pour les zones en difficulté, limitation des possibilités de réintégration en cas d'annulation du plan de sauvegarde de l'emploi (PSE)…

Deux mesures phares retiendront notre attention.

1° Légitime disparition de la jurisprudence dite Framatome-Majorette

Les deux arrêts du 3 décembre 1996 étaient destinés à ne pas laisser chaque salarié en tête à tête avec l'employeur, dans une optique d'anticipation d'éventuels licenciements : ils permettaient de créer ab initio un rapport de force collectif, avec une procédure fort dissuasive pour l'entreprise. De quoi permettre aux syndicats de négocier des conditions plus favorables (conditions de mutation, chèque-valise…). Il est également vrai que la modification est souvent l'antichambre du licenciement. Mais chaque salarié n'est pas un refuznik en puissance, comme le sous-entendait cette jurisprudence dont les effets pervers étaient devenus manifestes.

Outre les classiques phénomènes d'évitement (externalisation, contrats précaires, montée des licenciements personnels – environ 45 000 par mois, contre 15 000 licenciements économiques –, mise en œuvre ciblée de clauses de mobilité), de grandes entreprises finissaient par être en plan social permanent, même si tous leurs signaux étaient au vert. Ainsi du banal déménagement hors secteur géographique du siège d'une société qui va bien et souhaite vraiment garder tous ses collaborateurs. Ainsi de l'absorption d'une PME : l'égalité de traitement amenant l'employeur à devoir aligner les rémunérations, si le variable de plus de 10 commerciaux était visé, un PSE devait être monté pouvant déstabiliser non seulement l'établissement en cause mais toute l'entreprise. Obligeant l'employeur à se positionner dès le départ sur le terrain de la flexibilité externe plutôt qu'interne, Framatome-Majorette aboutissait au résultat inverse de celui recherché : puisque 12 projets de modification entraînaient le montage de ce fameux PSE si lourd à gérer juridiquement et socialement, autant en venir directement aux licenciements économiques. Une entreprise (vraiment) « socialement responsable » voulant pratiquer une (vraie) « gestion prévisionnelle des emplois et des compétences » (GPEC) préférait monter tout de suite un PSE, et voir large. C'était dissuader de reclasser à froid, efficacement, c'est-à-dire en se donnant le temps, sans l'atmosphère radicalisée d'un conflit.

Les premiers alinéas des articles L. 321-1 et L. 321-1-2 suppriment d'abord – enfin – toute référence à la « modification substantielle », disparue depuis les arrêts du 10 juillet 1996 : « Lorsque l'employeur, pour l'un des motifs énoncés à l'article L. 321-1 (i. e. économiques), envisage la modification d'un élément essentiel du contrat de travail, il en fait la proposition au salarié par lettre recommandée avec AR. » L'article L. 321-1-3 poursuit : « Lorsque au moins 10 salariés ont refusé la modification d'un élément essentiel de leur contrat de travail proposée par l'employeur pour l'un des motifs énoncés à l'article L. 321-1 et que leur licenciement est envisagé, celui-ci est soumis aux dispositions applicables en cas de licenciement collectif pour motif économique. »

Trois remarques sur cette subtile formulation.

– Le montage du PSE n'est donc pas lié au seul constat de 10 refus de modification : il faut que l'employeur envisage ensuite plus de 10 licenciements. Si seuls les meilleurs salariés se paient le luxe de refuser, l'entreprise peut évidemment renoncer à les licencier.

– Mais comme l'a indiqué la chambre sociale le 12 octobre 2004 : « Le licenciement consécutif au refus d'un salarié d'accepter une modification de son contrat de travail a une nature économique lorsque cette modification a un motif économique, peu important les motifs du refus du salarié. »

– Il faut enfin une modification d'« un élément essentiel » du contrat. « La mention du lieu de travail a valeur d'information, à moins qu'il ne soit stipulé par une clause claire et précise. – Il faut enfin une modification d'« un élément essentiel » du contrat. « La mention du lieu de travail a valeur d'information, à moins qu'il ne soit stipulé par une clause claire et précise. » (Cass. soc., 21 janvier 2004.) Dans cette affaire Aventis-Pharma, le très large plan de mobilité monté dans le vaste secteur géographique que représente la région parisienne constituait donc un simple changement des conditions de travail : pas plus hier que demain, le montage d'un PSE ne s'impose dans cette hypothèse. Même si le livre IV doit être respecté, et que l'on assiste aujourd'hui à une offensive de nombreux juges du fond pour restreindre le périmètre de ce fameux secteur. » (Cass. soc., 21 janvier 2004.) Dans cette affaire Aventis-Pharma, le très large plan de mobilité monté dans le vaste secteur géographique que représente la région parisienne constituait donc un simple changement des conditions de travail : pas plus hier que demain, le montage d'un PSE ne s'impose dans cette hypothèse. Même si le livre IV doit être respecté, et que l'on assiste aujourd'hui à une offensive de nombreux juges du fond pour restreindre le périmètre de ce fameux secteur.

Une entreprise voyant s'amonceler les nuages noirs à l'horizon pourra désormais mettre en place, à froid, un plan de mobilité interne sans devoir monter un PSE. Et même le négocier, avec les règles de majorité fixées par la loi du 4 mai 2004.

2° Relance et élargissement d'accords qui dépassent la méthode

Proches de l'esprit de la directive du 11 mars 2002 évoquant la consultation préalable des représentants du personnel « en vue d'aboutir à un accord », les « accords de méthode expérimentaux » de la loi de janvier 2003 reposaient sur un deal productif : sécurisation des procédures contre enrichissement du fond(s) du PSE, au sens propre et figuré, bref un contrat plus productif pour tout le monde. Cette association légalité/légitimité voulait aussi permettre d'assurer une gestion moins conflictuelle de cette période difficile, évitant ainsi des contentieux à répétition et un zèle judiciaire à hauteur de l'émotion de l'opinion publique locale.

Mais sur un thème aussi sensible, et à l'instar de l'échec de la négociation interprofessionnelle sur les restructurations, cette initiative avait rencontré un succès très mitigé. Malgré de brillantes exceptions – cf. le remarquable accord du 10 février 2004 sur « la méthode sociale d'accompagnement de la refondation de Rhodia » : « Bien que le présent accord ne saurait constituer une adhésion des organisations syndicales au contenu des plans de restructuration, l'ambition est de définir des dispositifs destinés à éviter les licenciements ou à assurer des reclassements ; de définir le cadre d'un dialogue social à la mesure des problèmes de Rhodia ; d'accompagner ce changement par l'expression d'une concertation organisée et transparente » –, seulement 173 accords ont été signés entre janvier 2003 et décembre 2004, la plupart à chaud, mais les deux tiers prévoyant une négociation sur le contenu du PSE. Il est en effet compréhensible que les syndicats ne veuillent pas sembler prêter la main à un plan social : quelles que soient les contreparties patronales, ils craignent que les futurs licenciés ne leur reprochent de faciliter ainsi leur éviction.

La loi élargit doublement la portée de ces accords.

– Mieux vaut prévenir : c'est la nouvelle obligation de négocier à froid sur la gestion prévisionnelle des emplois et des compétences (GPEC). Elle découle de l'article L. 320-2 nouveau : « Dans les entreprises et les groupes d'entreprises qui occupent au moins 300 salariés […], l'employeur est tenu d'engager tous les trois ans une négociation sur […] la mise en place d'un dispositif de GPEC, ainsi que sur les mesures d'accompagnement susceptibles de lui être associées, en particulier en matière de formation, de validation des acquis de l'expérience, de bilan de compétences ainsi que d'accompagnement de la mobilité professionnelle et géographique des salariés. » Symbole de la rapide montée en puissance des accords de groupe légalisés par la loi du 4 mai 2004, si un accord est signé à ce niveau, les entreprises comprises dans son périmètre «sont réputées avoir satisfait à ces obligations ». Mais cette négociation peut porter également sur les situations de crise, selon les modalités prévues à l'article L. 320-3.

– À chaud. Le créatif article L. 320-3 nouveau indique : « Des accords d'entreprise, de groupe ou de branche (pour les PME en particulier) peuvent fixer, par dérogation aux dispositions du présent livre III et du livre IV, les modalités d'information et de consultation du comité d'entreprise applicables lorsque l'employeur projette de prononcer le licenciement économique d'au moins 10 salariés sur une même période de trente jours. Ces accords fixent les conditions dans lesquelles le comité d'entreprise est réuni et informé de la situation économique et financière de l'entreprise, et peut formuler des propositions alternatives au projet économique à l'origine d'une restructuration ayant des incidences sur l'emploi et obtenir une réponse motivée de l'employeur à ses propositions […]. Ces accords peuvent aussi déterminer les conditions dans lesquelles l'établissement du plan de sauvegarde de l'emploi fait l'objet d'un accord, et anticiper le contenu de celui-ci. Ils ne peuvent déroger aux dispositions du troisième alinéa de l'article L. 321-1 (devoir d'adaptation et obligation de reclassement interne), à celles des 11 premiers alinéas de l'article L. 321-4 (smic de l'information-consultation du CE) ni à celles des articles L. 321-9 (consultations en cas de redressement ou de liquidation judiciaires) et L. 431-5 (principe d'une consultation préalable à toute décision). »

Malgré ces exceptions, la marge de manœuvre de l'entreprise, bien étroite avec la loi de janvier 2003, s'élargit singulièrement… à la condition que des syndicats majoritaires en voix n'utilisent pas leur droit d'opposition. Mais le feuilleton estival de Perrier-Vergèze, suivi de la « levée » de son droit d'opposition par la CGT, a montré qu'il fallait désormais se méfier de cette arme fatale.

La crainte d'une annulation aux effets ingérables car (encore) rétroactifs diminue également puisque « toute action en contestation (et pas seulement la nullité) visant tout ou partie de ces accords doit être formée, à peine d'irrecevabilité, avant l'expiration d'un délai de […] douze mois pour les accords qui déterminent ou anticipent le contenu du plan de sauvegarde de l'emploi ».

Insistant sur la prévention et la négociation à froid, cette loi n'est guère conforme à notre culture gauloise. Mais l'intelligence ne consiste-t-elle pas aujourd'hui à choisir entre de grands inconvénients ?