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Politique sociale

Borloo séduit par les idées de nos voisins pour les salariés licenciés

Politique sociale | ZOOM | publié le : 01.02.2005 | Isabelle Moreau, avec nos correspondants

Un contrat de travail intermédiaire pour aider les salariés licenciés pour motif économique à rebondir ? C'est la dernière trouvaille de Jean-Louis Borloo. Cette proposition originale, encore à l'étude, s'inspire d'expériences étrangères : les sociétés de transfert en Allemagne, la « Cassa integrazione » en Italie ou les fondations paritaires en Suède.

Jean-Louis Borloo ne manque décidément pas d'imagination. Sa dernière trouvaille ? Créer, à côté du CDI, du CDD, du contrat de travail temporaire, un nouveau contrat « intermédiaire » visant à favoriser le reclassement des salariés victimes d'un licenciement économique. Une idée qui a fait sursauter Jean-Pierre Raffarin, manifestement pris de court par l'initiative de son vibrionnant ministre de la Cohésion sociale, mais plutôt bien reçue par les syndicats. Il est vrai que le projet a quelques airs de ressemblance avec la sécurité sociale professionnelle revendiquée par la CGT ou avec le fonds de mutualisation souhaité par Force ouvrière pour accompagner les salariés licenciés.

De quoi s'agit-il ? D'éviter aux personnes licenciées pour raison économique de tomber dans l'isolement du chômage en leur proposant, au sein d'une « agence locale de retour à l'emploi », un nouveau contrat d'une durée qui pourrait aller de neuf à dix-huit mois, aux mêmes conditions de salaire qu'auparavant. « Destinée à accompagner les périodes de transition inhérentes aux mutations économiques » en sécurisant « les parcours professionnels des salariés », comme le précise Jean-Louis Borloo dans une lettre adressée à la mi-décembre aux partenaires sociaux, cette sorte de contrat-relais, de sas avant le retour à l'emploi… ou le chômage, permettrait aux intéressés de bénéficier d'une mutualisation des outils de reconversion et de reclassement des entreprises appartenant à un même bassin d'emploi.

Reste la question délicate du financement. Jean-Louis Borloo, qui n'a peur de rien, entend mettre à contribution les entreprises, l'État et l'Unedic. Une suggestion qui a toutes chances d'être fraîchement accueillie aussi bien par le Medef, toujours vent debout lorsqu'il s'agit d'augmenter les prélèvements sur les entreprises, que par Bercy, du fait de l'étroitesse des marges de manœuvre budgétaires, et par les gestionnaires du régime d'assurance chômage, lesquels doivent faire face à un déficit record de plus de 10 milliards d'euros cette année.

Autant dire que le projet Borloo est encore dans les limbes. Pour en vérifier la pertinence et la faisabilité, le locataire de la Rue de Grenellea nommé un émission d'exploration confiée à Yazid Sabeg, président de Communication et Systèmes, épaulé par trois experts : Christian Larose, président de la section du travail du CES et ex-patron de la CGT Textile ; Dominique-Jean Chertier, DRH de la Snecma, ancien DG de l'Unedic et ancien conseiller social à Matignon ; et Jean-Pierre Aubert, patron de la mission interministérielle sur les mutations économiques. Cette mission, qui auditionnera les partenaires sociaux, devra remettre ses conclusions à la fin du mois.

Les quatre membres de la mission Sabeg devront, précise le ministre, s'inspirer « des expériences étrangères ». Dans certains pays européens, des dispositifs transitoires entre l'emploi et le chômage existent en effet sous diverses formes. À commencer par la Cassa integrazione italienne qui accueille les salariés en cas de difficultés conjoncturelles ou de restructuration de leur entreprise. En Suède, ce sont des « fondations », créées par une ou plusieurs entreprises, qui accompagnent les personnes licenciées. Outre-Rhin, le reclassement des salariés menacés de licenciement ou ceux dont l'emploi a été supprimé peut être pris en charge par des agences ou des sociétés de transfert.

Allemagne

Le succès des sociétés de transfert

L'Allemagne respire. Il n'y aura pas de fermeture d'usine chez Opel. « Nous avons conclu un accord qui me semble socialement supportable pour les salariés qui doivent quitter l'entreprise », déclarait Klaus Franz, le président du comité d'entreprise d'Opel, le 9 décembre dernier, après plusieurs nuits d'âpres négociations avec les syndicats. Attendu par le pays tout entier, le plan social du constructeur automobile allemand précise que les salariés nés avant 1946 partiront en préretraite. Quant aux autres, ils peuvent choisir entre quitter l'entreprise avec une indemnité de départ ou passer sous contrat de l'une des deux sociétés de transfert (Transfergesellschaft ou TG) créées pour l'occasion.

« Pendant le mois de décembre, nous avons organisé de nombreuses réunions avec les salariés pour expliquer qu'une TG n'est pas un parc pour futurs chômeurs mais une chance pour la plupart d'entre eux », explique Rainer Schwille, directeur général de Mypegasus, l'une des deux sociétés choisies pour reclasser les salariés d'Opel, mais aussi la première société gestionnaire de Transfergesellschfaten avec, à son actif, la gestion de 450 sociétés de transfert et de 45 000 salariés en dix ans.

Les sociétés de transfert, qui ont vu le jour au début des années 90 outre-Rhin, s'inspirent de différentes idées mises en œuvre dans le domaine du reclassement et de la requalification. « Une TG est conçue pour empêcher un salarié licencié de connaître le chômage. Elle peut être mise en place dans le cadre d'un plan social », explique Rainer Schwille, tout en soulignant que sa société est à but non lucratif, contrairement aux cabinets d'outplacement privés, de plus en plus nombreux sur le marché.

Un salarié licencié qui choisit d'intégrer une société de transfert signe un contrat de travail d'un an avec elle, une période durant laquelle il perçoit 80 % de son dernier salaire net : 60 % sont pris en charge par l'Agence pour l'emploi, les 20 % restants et les charges sociales par l'entreprise. En échange, il doit démissionner sans préavis et renoncer à tout ou partie de son indemnité de licenciement qui est reversée par l'entreprise à la société de transfert.

« La durée de vie de ces sociétés a été ramenée de deux à un an. Auparavant, elles ont été souvent utilisées comme un pont jusqu'à la retraite ou la préretraite. Ce n'est plus possible depuis 1998. L'objectif est désormais exclusivement le reclassement sur le marché du travail », explique Johannes Jakob, responsable de l'emploi à la Confédération des syndicats allemands (DGB). Après définition de son profil et de ses souhaits professionnels, le salarié se voit proposer des mesures de reclassement et un service professionnel de recherche d'emploi : « Il n'y a pas d'assurance de retrouver un emploi. Mais c'est une solution relativement efficace qui fait plus qu'amortir un choc social », poursuit Johannes Jakob. Pour les entreprises, la solution est un peu plus coûteuse qu'un licenciement économique. Mais les avantages sont nombreux tant en termes d'image que de gestion sociale, juridique et comptable des licenciements.

« À l'annonce de mon licenciement, j'étais anéantie. Je n'ai pas de difficulté à me présenter dans les entretiens d'embauche. Mais je n'avais aucune idée de comment et où chercher un emploi », indique Renate, une informaticienne berlinoise de 51 ans licenciée par la filiale allemande de Bombardier Transportation en juin 2004. Après un profiling, elle a été prise en charge par une équipe de psychologues et un service de recherche d'emploi. « Sans cette structure, j'aurais plongé. Aujourd'hui, je reçois une dizaine d'offres par semaine. C'est assez professionnel. »

Si les observateurs les plus critiques ne remettent pas en cause le rôle de filet social joué par les sociétés de transfert, leurs performances et leur nombre n'ont jamais été évalués. On sait seulement qu'il en existe plus d'une centaine en Allemagne (une tendance à la hausse) et que, sur les onze premiers mois de 2004, l'Agence pour l'emploi leur a versé 28,4 millions d'euros pour 5 700 salariés par mois en moyenne. « Nous avons un taux de réussite de 70 %, affirme Rainer Schwille. Évidemment, les taux de placement sont meilleurs dans la région très industrialisée de Stuttgart que dans le nord-est de l'Allemagne. La réussite dépend des contacts et du professionnalisme de la société gestionnaire mais aussi de la mobilité, de l'âge et du profil des candidats. Le reclassement le plus difficile que j'ai eu à faire, c'était à la Deutsche Bahn, qui a fortement réduit ses effectifs dans les ateliers. Nous nous sommes retrouvés avec des mécaniciens formés il y a vingt ans, avec des savoir-faire spécifiques au monde ferroviaire. Dans des cas comme celui-là, le taux de reclassements peut descendre à 40 %. » En clair, les sociétés de transfert ne peuvent pas faire de miracles.

Thomas Schnee, à Berlin

Suède

Des fondations paritaires pour reclasser les chômeurs

En Suède, l'équivalent des sociétés de transfert allemandes, ce sont les fondations mises en place à l'initiative d'une ou de plusieurs entreprises, ou bien d'une branche. Les unes, comme Industrikompetens, créée en 1997 par des firmes industrielles, proposent un nouveau contrat de travail aux salariés licenciés qu'elles placent ensuite à court ou à long terme dans des entreprises. Les autres les accompagnent dans leur retour à l'emploi mais ne les recrutent pas, à l'instar de TRR, le Conseil suédois pour la sécurité de l'emploi, une fondation à but non lucratif d'outplacement créée il y a une trentaine d'années entre Svenskt Näringsliv, l'organisation patronale suédoise, et PTK, un cartel de quatre syndicats de cols blancs du secteur privé. Y sont affiliées 32 000 entreprises employant 700 000 salariés, moyennant une cotisation de 0,3 % de leur masse salariale.

Fredrik Lidby, 44 ans, travaillait depuis dix-huit mois comme responsable des achats et de la logistique chez Nissan Suède lorsqu'il a été licencié en 2002. Quelques semaines plus tard, un conseiller de TRR a pris contact avec lui. « On a commencé par regarder mon CV, faire le point sur mon expérience et envisager les formations que je pourrais suivre. » Fredrik Lidby a ainsi pris des cours sur les plans de carrière, le quotient émotionnel ou l'élaboration d'un CV. Il se rend souvent dans les locaux de TRR, à Stockholm, dont il peut utiliser l'informatique, le fax ou le téléphone…

« J'ai des horaires de bureau. Je rencontre d'autres personnes et, surtout, j'ai un contact personnel avec mon conseiller que je peux consulter régulièrement. » Ce suivi personnalisé, c'est le leitmotiv des 280 conseillers de TRR. « Nous nous considérons comme un complément d'AMS (l'ANPE suédoise), note Stefan Eklund, le directeur du marketing. Sa préoccupation principale est de satisfaire les besoins du marché du travail en main-d'œuvre. La nôtre, c'est celle de l'individu. » Au cours des dix dernières années, TRR a aidé 155 000 « clients » de 20 000 entreprises à se réinsérer. 90 % de ceux qui ont fait une recherche active ont retrouvé un emploi.

Précurseur en Suède, TRR n'est plus seul sur le marché. Cette approche paritaire a également été étendue en 1990 aux fonctionnaires d'État, lorsqu'ils ont perdu la garantie de l'emploi. Leur fondation, TSN, offre des conditions encore plus généreuses. Les fonctionnaires touchent 100 % de leur salaire (80 % normalement au chômage) pendant deux à douze mois durant lesquels ils bénéficient de formations. « S'ils retrouvent un emploi moins bien payé, TSN complète la différence de salaire pendant deux ans, avec un plafond équivalant à 30 % de l'ancienne rémunération », note Jan Knutsson-Hall, consultant chez TSN. Depuis septembre 2004, une fondation d'outplacement pour les cols bleus, TSL, a également vu le jour, fruit d'un partenariat entre le patronat et la grande centrale syndicale LO.

De son côté, Ericsson, qui a supprimé plus de 9 000 emplois en Suède entre 2001 et 2003, a fait appel aux services de TRR, mais aussi d'Empower (Manpower) et Antenn (Proffice) pour monter des projets adaptés à ses besoins, comme il l'avait déjà fait en 1997. Cette année-là, des centaines de salariés d'Ericsson remerciés avaient choisi comme porte de sortie un CDD d'un an chez Proffice, une grosse agence d'intérim, où ils conservaient leur salaire tout en bénéficiant d'une formation. « Ericsson avait émis des souhaits particuliers parce que la majorité des personnes licenciées avaient fait toute leur carrière dans l'entreprise, explique Erik Wickbom, embauché par TRR il y a deux ans et demi pour s'occuper spécifiquement des ex-salariés d'Ericsson. Très soucieux de son image quand il licencie, Ericsson souhaite, en effet, que chaque consultant suive relativement peu de personnes pour bien s'en occuper »…

Olivier Truc, à Stockholm

Italie

Viva la « Cassa integrazione » !

Instituée en 1945, la Cassa per l'integrazione dei guadagni (CIG), littéralement la « Caisse pour l'intégration des revenus », est une pièce maîtresse de l'État providence italien. À l'origine prévue pour les ouvriers des grands groupes industriels, dont ceux de Fiat, la CIG couvre aujourd'hui les salariés des entreprises industrielles et du BTP employant plus de 15 personnes et, sous certaines conditions, les entreprises du commerce, de la logistique et du tourisme de plus de 50 salariés.

Celles-ci versent 0,6 % de leur masse salariale à la Cassa – gérée par l'institut de prévoyance italien – tandis que les salariés cotisent à hauteur de 0,3 %. En cas de baisse temporaire d'activité, les entreprises font appel à la CIG ordinaire, l'équivalent de notre chômage partiel. En cas de crise durable ou de restructuration, les entreprises peuvent, moyennant une cotisation supplémentaire, recourir à la CIG exceptionnelle : les travailleurs reçoivent alors une indemnité équivalant à 80 % de leur salaire pendant une durée de douze à vingt-quatre mois (contre 40 % pendant six mois à l'assurance chômage). Une période durant laquelle ils restent salariés de leur entreprise mais sont tenus de suivre les formations qui leur sont proposées et d'accepter, sauf refus motivé, les emplois qui leur sont offerts dans le cadre d'un parcours personnalisé de réinsertion sur le marché du travail.

Les syndicats défendent le système, tout en reconnaissant ses limites. « C'est un soutien efficace pour les salariés, même si cela permet dans certains cas à l'entreprise de se défausser de ses erreurs sur la collectivité », estime Elisa Cancellieri, de la CGIL. Selon Giorgio Santini, secrétaire confédéral de la CISL, « les abus restent marginaux et le système fonctionne. Le problème est plutôt de l'étendre aux secteurs qui en sont dépourvus ». À l'automne dernier, il a fallu une modification législative pour étendre la CIG au transport aérien et permettre aux salariés licenciés par Alitalia d'en profiter…

Marie-Noëlle Terrisse, à Milan

Auteur

  • Isabelle Moreau, avec nos correspondants