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LES IDÉES REÇUES DU SOCIAL AU BANC D'ESSAI

Enquête | publié le : 01.02.2005 |

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LES IDÉES REÇUES DU SOCIAL AU BANC D'ESSAI

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Les Français ne travaillent pas assez, ne sont pas mobiles, sont trop assistés ; pauvres et salariés précaires sont de plus en plus nombreux ; il y a trop de fonctionnaires… En matière sociale, nombre de responsables politiques, patronaux et syndicaux procèdent à coups d'affirmations péremptoires. Passage au crible de quelques-uns des raccourcis les plus courants.

Les clichés sur la France et ses handicaps sociaux ont la vie dure. Malgré un appareillage d'études et de statistiques très étoffé, nombre d'hommes politiques, de responsables patronaux et syndicaux émaillent leurs discours, déclarations ou tribunes d'affirmations péremptoires et non étayées, d'assertions approximatives ou de raccourcis trompeurs. Soit en toute mauvaise foi pour mieux convaincre leur auditoire du bien-fondé de leur analyse, soit par paresse intellectuelle, faute d'avoir pris le temps de vérifier l'information qu'ils véhiculent.

Résultat, sur les questions sociales, on entend tout et son contraire. Pour les uns, les salariés français sont parmi les plus productifs et les plus qualifiés du monde ; pour les autres, ils ne travaillent pas assez et le système éducatif tricolore est en pleine déconfiture. À écouter les uns, les travailleurs de l'Hexagone sont à la fois trop assistés par un État providence généreux et surprotégés par une réglementation du travail tatillonne ; à entendre les autres, la France s'appauvrit et se précarise à la vitesse grand V.

Évidemment outrancières, ces regards divergents, voire antinomiques, sur les réalités socioéconomiques hexagonales ne facilitent pas l'émergence d'une vision claire des difficultés de la France par l'opinion publique. Pas étonnant, dès lors, que même les données les moins contestables, par exemple le vieillissement démographique de la France et ses conséquences sur notre système de retraite par répartition, fassent l'objet de débats sans fin. Or, sans diagnostic partagé, impossible de faire aboutir la moindre réforme. Les politiques l'ont bien compris qui multiplient depuis quelques années les lieux de discussion et de concertation pour déminer les dossiers. Ainsi du Conseil d'orientation des retraites, créé par le gouvernement Jospin, ou, plus récemment, du Haut Conseil pour l'avenir de l'assurance maladie. Des instances qui viennent s'ajouter à la liste déjà longue des organismes publics d'étude, d'analyse et de prospective : Plan, Conseil d'analyse économique, Conseil économique et social…

Désireux d'apporter sa petite pierre à l'édifice, Liaisons sociales Magazine s'est plongé dans les chiffres et les rapports pour tenter de dresser un bilan social le plus objectif possible de la France d'aujourd'hui. De la longue liste des affirmations péremptoires entendues dans les discussions de café du Commerce se sont détachées 12 idées reçues portant sur des sujets particulièrement sensibles : la pauvreté, la désindustrialisation, le coût du travail, la conflictualité, le niveau de protection sociale, le poids du secteur public… Éclairés par des experts, nous avons tenté, pour chacune, de démêler le vrai du faux, les on-dit des réalités objectives et mesurables. Et cela sans tabous ni arrière-pensées. Un exercice délicat, qui ne permet pas toujours de fournir des réponses tranchées.

Il y a de plus en plus de pauvres en France

FAUX

Sur une longue période, c'est faux. En 2001, 6,1 % des ménages français, soit 3,6 millions de personnes, vivaient sous le seuil de pauvreté, contre 12 % des ménages en 1970. Cette réduction de la pauvreté, très marquée jusqu'au milieu des années 80, puis beaucoup plus lente, a surtout profité aux personnes âgées. En trente ans, leur taux de pauvreté a été divisé par sept, passant de 27,3 % en 1970 à 3,8 % en 2001. « Cette diminution spectaculaire s'explique en grande partie par les fortes revalorisations des pensions et du minimum vieillesse », explique Pascal Chevalier, chef de la division revenus et patrimoines de l'Insee. Pour les ménages de salariés, qui incluent les chômeurs ayant déjà travaillé auparavant, les résultats sont nettement moins flatteurs : leur taux de pauvreté a augmenté d'un tiers en trente ans, pour atteindre 5,4 % en 2001.

Mais encore faut-il s'entendre sur la notion de pauvreté, qui est très relative. En France, sont considérées comme pauvres les personnes disposant d'un revenu disponible inférieur à 50 % du revenu médian par « unité de consommation ». Une définition plus restrictive que celle de l'Union européenne qui retient le seuil de 60 %. Ce qui conduit, mécaniquement, à doubler le nombre de pauvres dans l'Hexagone ! Si l'on s'en tient à la définition française, le seuil de pauvreté s'établissait, en 2001, à 602 euros mensuels pour une personne seule. Un montant qui, en euros constants, a presque doublé en trente ans : en 1970, 340 euros suffisaient pour sortir des statistiques de la pauvreté.

Reste que cette appréciation de la pauvreté monétaire est loin de faire l'unanimité. Assise sur le seul revenu médian, elle ne tient, en particulier, aucun compte de la hausse vertigineuse du prix du logement, qui précarise de plus en plus de ménages. Circonstance aggravante, les enquêtes « revenus fiscaux » de l'Insee, qui servent à établir les données, se font au porte-à-porte, hors logements en collectivité (foyers, hôtels, maisons de retraite). « Il faudrait avoir une approche multidimensionnelle, en prenant en compte les difficultés d'accès à certains services ou droits fondamentaux comme la santé, le logement, la justice ou l'éducation », estime Pierre Concialdi, économiste à l'Ires.

Les chiffres des associations d'aide aux plus démunis sont sans nuances. Le Secours catholique, Emmaüs France ou Les Restos du cœur font tous état d'une augmentation de la pauvreté. L'an dernier, Les Restos du cœur ont servi 66,5 millions de repas, soit 8 % de plus qu'en 2003. Les bénévoles du Secours catholique ont traité 690 000 cas de pauvreté en 2003, soit près de 3 % de plus qu'en 2001. Des statistiques non officielles que l'Insee pourrait, demain, avoir à confirmer. Pour peu que la hausse du chômage et la forte augmentation du nombre d'allocataires des minima sociaux en 2003 et 2004 constituent des indicateurs avancés d'une aggravation de la pauvreté.

S. B.

Les Français sont de moins en moins bien formés

FAUX

À l'école d'antan, les enfants connaissaient l'orthographe, les collégiens étaient pacifiques et les universités ne fabriquaient pas des chômeurs. À écouter certains nostalgiques, rien n'irait plus aujourd'hui. Selon la dernière enquête de l'OCDE qui mesure les performances de 275 000 élèves âgés de 15 ans dans 41 pays, les lycéens français n'arrivent qu'en 13e position en mathématiques dans les pays les plus industrialisés, reculant ainsi de trois places par rapport à 2000, derrière les jeunes Finlandais, Coréens, Belges, Tchèques…

Et pourtant, c'est indéniable, sur le long terme, l'école a réalisé d'énormes progrès. Davantage de personnes possèdent au moins le baccalauréat. En 1999, c'était le cas de 37 % de la population active, contre 14,4 % en 1971. Depuis la loi d'orientation de Lionel Jospin de 1989 et son fameux défi d'amener 80 % d'une classe d'âge au bac, le bilan est encourageant. Si, quinze ans plus tard, nous n'en sommes qu'à 69 %, c'est deux fois plus qu'en 1980. Idem pour les sorties avant la dernière année de BEP ou de CAP.

Certes, en 2001, 60 000 jeunes par an quittaient encore l'école sans qualification, mais ils étaient 82 000 en 1990. La multiplication des filières techniques et la modernisation des lycées professionnels ont permis d'absorber nombre d'élèves. Quant aux filières courtes à bac + 2, IUT et sections de techniciens supérieurs (STS), elles ont prouvé leur efficience. Elles attirent 22 % des élèves en âge d'y accéder, contre 16 % dans la moyenne de l'OCDE. Des efforts en quantité mais aussi en qualité qui battent en brèche les discours nostalgiques. « Il faut se méfier des comparaisons. Jadis, ceux qui franchissaient le cap du collège étaient forcément les meilleurs. On ne peut pas attendre d'une génération plus hétérogène qu'elle soit plus performante. Néanmoins, le niveau global a monté. Le bac n'a pas réduit ses exigences. Le nombre de jeunes qui accèdent au baccalauréat général (S, ES, L) a baissé au cours des dix dernières années », estime André Gauron, membre du Haut Conseil de l'évaluation de l'école.

Ce qui n'empêche pas les experts de pointer les dysfonctionnements de toute la chaîne scolaire. L'école, conçue sur un modèle élitiste, ne s'est pas remise en question. Et reste socialement inégalitaire. 87 % d'enfants de cadres sup obtiennent le bac, contre 45 % d'enfants d'ouvriers non qualifiés. De son côté, l'université souffre de nombreux handicaps. En France, seuls 37 % des jeunes en âge d'y entrer s'y inscrivent, contre 64 % aux États-Unis, selon l'OCDE. En dépit des très bons résultats des grandes écoles et de certaines filières universitaires, le système pâtit d'un manque de financement et d'un réel problème d'orientation. Faute de place, des bacheliers de sciences et technologies tertiaires (STT) sont dirigés vers la licence universitaire alors qu'ils devraient aller en IUT ou en STS. Le rapport annuel de l'OCDE sur l'éducation publié en septembre dernier note un taux d'abandon des étudiants français parmi les plus élevés en début de parcours : seuls six étudiants inscrits en fac sur dix obtiennent le niveau licence. Et, en l'absence de sélection, trop d'étudiants continuent à s'engouffrer dans des filières sans débouché. Ainsi, 38 000 étudiants étaient inscrits en fac de psychologie en 2003…

S. F.

Les salariés français travaillent moins que les autres

VRAI

Paresseux, les Français ? Bien au contraire, si l'on compare leur productivité horaire de travail à celle observée dans la plupart des grands pays industrialisés, selon les statistiques de l'OCDE ou d'Eurostat, ils figuraient en 2002 dans le peloton de tête des salariés les plus efficaces pendant leurs heures de bureau ou en usine, devant les Américains, les Allemands, les Britanniques ou les Japonais. Le hic, c'est que bénéficiant à la fois des 35 heures (sauf dans les petites entreprises), de cinq semaines de congés payés et de dix jours fériés, ils travaillent beaucoup moins d'heures que ces derniers… à l'exception de leurs voisins d'outre-Rhin. Planchant devant les députés en janvier 2003 sur la durée du travail dans les grands pays industrialisés, John P. Martin, directeur de l'emploi à l'OCDE, rappelait que la France est « l'un des pays ou le nombre d'heures travaillées par personne employée est le plus faible ». Il est inférieur de près de 7 % à la moyenne européenne, de 15 % par rapport aux États-Unis et de 19 % par rapport au Japon. En 2003, les Français ayant un emploi travaillaient en moyenne 1 453 heures par an. Seuls l'Allemagne, la Norvège et les Pays-Bas font moins bien au sein des pays de l'OCDE.

Rien d'étonnant, puisque la France s'est – avec les lois Aubry – singularisée par une politique autoritaire de réduction collective du temps de travail. Une exception au sein des pays industrialisés où la diminution de la durée du travail résulte en général de la négociation de branche ou d'entreprise, ou du développement du temps partiel, d'où des processus plus lents et progressifs. Cela dit, si la France se caractérise par une réduction plus ample et plus brutale que dans les autres pays, la dynamique est la même partout : depuis le début des années 70, le nombre d'heures travaillées par actif occupé tend à baisser dans la grande majorité des pays de l'OCDE. Au Japon et en Italie, la durée légale a été ramenée à 40 heures hebdomadaires. Aux Pays-Bas et en Allemagne, des accords ont entériné le passage à 38, 35, voire à 32 heures.

Mais la position de la France se détériore encore si l'on s'intéresse au nombre d'heures travaillées non plus par salarié, mais par habitant. Avec un taux de chômage très élevé – 10 % de la population active –, un taux d'emploi des seniors et des jeunes parmi les plus bas des pays industrialisés, le travail est, dans l'Hexagone, très concentré sur une partie de la population active, celle qui est dans la force de l'âge. Résultat : avec 611 heures annuelles de travail par habitant en 2002, contre par exemple 685 en Allemagne, 785 au Royaume-Uni ou 866 aux États-Unis, la France est la lanterne rouge des pays de l'OCDE.

Conclusion : quand ils ont un emploi, les Français ne lésinent pas. Ils peuvent même se targuer d'une très forte productivité horaire de travail, d'autant plus que ceux considérés comme moins performants par les entreprises sont au chômage ou en préretraite. Il reste que, collectivement, les Français travaillent moins que les autres.

E. B.

Le coût du travail est trop élevé

VRAI/FAUX

Les salariés français sont trop chers. L'antienne est connue. Avec 3 355 euros par mois en 2001 – presque trois fois le prix d'un Portugais et dix fois celui d'un Lituanien –, le coût moyen d'un salarié français est, selon Eurostat, l'un des plus élevés de l'Union européenne. Doit-on alors craindre, avec la mondialisation des échanges et l'élargissement de l'Europe, une spirale négative pour l'emploi : moindre compétitivité des entreprises tricolores, délocalisations et fermetures de sites ?

Pas vraiment. D'abord parce que si l'on rapporte le coût de la main-d'œuvre à sa productivité, les disparités entre pays se réduisent fortement, les salariés des pays les plus industrialisés étant plus performants. Ensuite parce que les écarts entre pays doivent être corrigés en fonction de la structure de leurs secteurs d'activité et des niveaux de qualification de leur population active. Ainsi, le tissu industriel allemand ou français est plus demandeur en salariés qualifiés que celui du Portugal ou de la Grèce.

En réalité, le coût du travail ne pose problème que pour les salariés peu ou non qualifiés, qui subissent de plein fouet la concurrence des pays à main-d'œuvre bon marché, et pour les activités de services dont les niveaux de prix, fortement dépendants du coût du travail, freinent le développement. Dans le collimateur, l'envolée du smic – le salaire plancher fixé par la loi – sous la conjonction des revalorisations légales, des « coups de pouce » et du rattrapage lié aux 35 heures : en 1975, moins de 5 % des salariés étaient rémunérés au smic ; en 1993, ils étaient plus de 8 % ; et ils sont aujourd'hui 14 %. Le salaire minimum est-il l'ennemi de l'emploi peu ou non qualifié ? Tout dépend de son niveau. Suffisamment élevé, il peut – même s'il réduit la marge de l'employeur – inciter des personnes au chômage ou bénéficiaires de minima sociaux à chercher plus activement un emploi. Trop élevé, il aboutit à ce que certains salariés coûtent plus cher à l'entreprise qu'ils ne lui rapportent, incitant celle-ci à licencier ou à ne pas embaucher. Différentes études montrent ainsi qu'en France les hausses du coût du travail au niveau du smic sont un frein à l'emploi des personnes peu qualifiées.

Faut-il, dès lors, remettre en cause le salaire minimum légal ? Politiquement explosive, une telle mesure serait économiquement risquée, en raison des effets récessifs qu'elle aurait sur la consommation et sur la croissance. Depuis 1993, les gouvernements successifs – Balladur, Juppé, Jospin et Raffarin – ont donc choisi de baisser le coût du travail peu qualifié sans toucher au salaire net mais en allégeant fortement les cotisations patronales sur les bas salaires : ces dernières sont ainsi passées de 45 % à 25 % du smic. Une politique efficace : selon les estimations de deux chercheurs de l'Insee, elle aurait permis de créer ou de sauvegarder 460 000 emplois entre fin 1994 et fin 1997.

P.-D. L.

Les travailleurs précaires sont de plus en plus nombreux

VRAI

En l'espace de vingt ans, les contrats précaires, catégorie dans laquelle les économistes rangent les CDD, y compris les contrats saisonniers, et l'intérim, ont connu un véritable boom. Au point de représenter l'essentiel des jobs proposés à l'embauche et, pour les jeunes, le point de passage obligé à la sortie du système scolaire. 73 % des recrutements se font en CDD.

Majoritaires dans les flux d'embauche, les contrats précaires ont pris durablement du volume dans le total de l'emploi privé. Mais la norme reste toujours, et de très loin, le fameux contrat à durée indéterminée. En 2002, 1,4 million de travailleurs étaient concernés par un contrat précaire, soit 9 % des salariés du secteur privé, 3 fois plus qu'en 1982 : 900 000 avaient un CDD et 500 000 une mission d'intérim. Les rangs des intérimaires se sont étoffés puisqu'ils représentent désormais plus d'un tiers des emplois précaires, contre un bon quart voici vingt ans. « L'essor de ces formes d'emploi, observé en période de chômage élevé, se poursuit même quand le chômage diminue », constatent les experts de la Dares. À cela, une bonne raison : « Les entreprises apprécient la flexibilité qu'autorisent l'intérim et le CDD, qui leur permettent notamment une adaptation rapide aux fluctuations conjoncturelles. » Est-ce à dire que l'avenir du travail sera associé à l'emploi précaire ? Tous les analystes s'accordent à reconnaître que, jusqu'à présent, l'apparition de situations fragiles d'emploi n'a pas abouti à une instabilité généralisée ni à la disparition du salariat, un temps pronostiquée.

C'est surtout la norme correspondant à la période du plein-emploi, celle du salarié en CDI à temps plein, qui a été malmenée : elle ne concerne plus que 56 % de la population active. Celle-ci est battue en brèche par le développement des « formes particulières d'emploi » qui regroupent à la fois les emplois présentant une instabilité contractuelle (CDD et intérim), mais aussi les stages professionnels rémunérés, les contrats aidés, le temps partiel… Autant de situations assimilées, dans l'opinion publique, à du travail précaire mais qui, pour les économistes, n'en ont pas le statut. Un temps partiel à durée indéterminée n'est pas forcément précaire. Reste que beaucoup de spécialistes différencient le temps partiel « contraint » du temps « choisi » et le rangent dans la catégorie travail précaire aux côtés du CDD et de l'intérim. Au-delà des subtilités sémantiques, la dualisation du marché du travail générée par le développement du travail précaire pose problème. D'où les réflexions sur une reconfiguration du contrat de travail afin d'assurer une protection à ceux qui sont exclus du CDI. Fin 2004, deux rapports, l'un rédigé par Michel Camdessus, l'ancien patron du FMI, l'autre par Pierre Cahuc et Francis Kramarz, ont ainsi recommandé de supprimer le CDD introduit en 1979, dont les conditions d'accès ont déjà été durcies plusieurs fois.

A. F.

La France est championne des grèves

VRAI/FAUX

Un pays paralysé contre le plan Juppé sur la Sécu à l'hiver 1995, des fonctionnaires dans la rue pour dire non à la réforme des retraites au printemps 2003, une semaine de mobilisation des agents du secteur public le mois dernier… Dans l'Hexagone, on compte plus de six conflits du travail et près de 400 grévistes chaque jour. Les Français seraient-ils les recordmen des arrêts de travail ? Non, répond Eurostat. Mais ils figurent sur le podium. En 2001, on comptabilisait 85,8 jours de travail perdus pour 1 000 salariés (120,3 en 2000). C'est 100 fois plus que chez notre voisin allemand, qui affichait 0,8 jour de travail perdu pour 1 000 travailleurs (0,3 en 2000), mais moins que l'Espagne, avec 142,5 jours (294 en 2000). Des données européennes à prendre avec précaution, tout comme les statistiques françaises qui, pour le secteur privé, reposent sur les signalements effectués par les inspecteurs du travail.

D'où « une sous-évaluation statistique (seuls 16 % des conflits, hors fonction publique, font l'objet d'une fiche de signalement) qui n'empêche cependant pas les comparaisons, le rapport entre nombre de conflits recensés et nombre réel de conflits n'ayant guère varié depuis des années », explique Guy Groux, du Cevipof.

Dans l'Hexagone, la « grévitude » est clairement orientée à la baisse dans les entreprises des secteurs privé et public nationalisés. « Le nombre de journées de grève recensées a connu une baisse de 10 % par an de 1970 à 1998. Cette évolution va de pair avec une diminution de l'intensité des conflits », observe la promotion Romain-Gary de l'ENA dans un récent rapport sur le dialogue social. Résultat : les journées de grève ont été divisées par cinq, dégringolant de 3,7 millions en 1977 à 690 000 en 2001. Dans la fonction publique d'État, en revanche, la conflictualité est plutôt à la hausse. Avec 1,1 million de journées de grève en 2001 (1,6 million en 2000), les fonctionnaires d'État, y compris La Poste, ont cessé le travail quatre fois plus souvent qu'au début des années 90. À eux seuls, ils sont responsables de près des deux tiers des arrêts de travail recensés en France en 2000 et 2001, un chiffre en progression quasi constante depuis une décennie.

« Si la grève est très présente dans l'enseignement public et à la SNCF, ce n'est pas un hasard. C'est parce que ces structures sont en situation de monopole et que les syndicats n'ont pas peur d'affaiblir l'entreprise », analyse Yves Cannac, président honoraire de l'Institut de l'entreprise. En pointe dans la conflictualité, le secteur des transports comptabilisait 39 % des jours de grève dans les conflits localisés en 2001, après 28 % en 2000, note la Dares. Et, au sein des transports, le secteur public est à l'origine de huit arrêts de travail sur dix.

I. M.

Les Français ne sont pas mobiles

FAUX

Les deux pieds dans la glaise ! En 2001, la Chambre de commerce et d'industrie de Paris notait que « par comparaison avec d'autres pays européens, la France apparaît comme un pays de modeste mobilité intracommunautaire mais aussi de faible expatriation sur toutes les zones ». Les Français seraient-ils d'indécrottables sédentaires ? Plusieurs enquêtes viennent tordre le cou à cet a priori. Dans une note publiée en 2003 par l'Insee, la cellule statistique du ministère des Affaires étrangères constate ainsi, entre 1991 et 2002, une forte augmentation du nombre d'immatriculations de Français à l'étranger (280 000 de plus). À l'issue de ces onze années, le solde migratoire est même nettement positif. Ces migrations se tournent de plus en plus vers l'Europe et l'Amérique du Nord, qui comptent les deux tiers des Français expatriés, au détriment de l'Afrique.

Certes, l'importance des binationaux n'y est pas étrangère, tandis que la population détachée diminue de façon marquée, les entreprises françaises se tournant désormais davantage vers les recrutements locaux. Mais la mobilité pour une période limitée est en pleine expansion. Elle correspond à un quart de la population immatriculée en Europe et en Amérique du Nord. Une tendance confirmée par une enquête de l'OCDE rendue publique en novembre 2004. « Ces mouvements d'étudiants, de chercheurs ou de personnels d'entreprise sont directement liés à la globalisation du marché du travail, souligne Jean-Christophe Dumont, et les Français ne sont pas à la traîne par rapport à d'autres. »

À l'intérieur des frontières, les changements de résidence des Français ne sont pas moins importants que ceux de nos voisins européens. Après avoir baissé dans les années 70, le taux de mobilité régionale a légèrement progressé au cours des années 90, tandis que les changements de commune ou de logement ont augmenté plus fortement.

« Et encore, ces instrument de mesure sont loin d'être parfaits, souligne Christophe Guilluy, géographe, coauteur d'un Atlas des nouvelles fractures sociales en France : « Pour une personne qui aura déménagé deux fois dans la période considérée, seul un changement sera comptabilisé. Ces résultats sont certainement minorés. » Le niveau de diplôme, la région d'origine, la situation familiale, l'âge et la catégorie socioprofessionnelle sont autant de facteurs qui influent sur le taux de mobilité. Dans un contexte d'insertion professionnelle, par exemple, un jeune sur cinq ayant quitté le système éducatif en 1998 habitait trois ans plus tard dans une autre région que celle où il avait suivi sa formation initiale. Proportionnellement, les plus nombreux à avoir déménagé sont les Limougeauds et les moins mobiles, les Corses.

F. R.

Les minima sociaux sont trop élevés

VRAI/FAUX

Rapportés à l'ensemble des prestations sociales, les 7,7 milliards d'euros d'allocations versées au titre du RMI et de l'allocation spécifique de solidarité (ASS) ne représentent en réalité qu'une goutte d'eau sur les 465 milliards d'euros redistribués en 2003. De fait, les 1,3 million de bénéficiaires de ces minima se sont partagé moins de 0,5 % du PIB national. Comparés à leurs homologues des autres pays développés, les allocataires de minima sociaux français ne font pas non plus figure de privilégiés : « Ce niveau de prestation, qui représente l'équivalent de 20 % du salaire moyen, est comparable à la moyenne des pays de l'OCDE », confirme Raymond Torres, chef de la division emploi de l'OCDE.

Parallèlement, si les trois quarts de ces allocataires le sont encore deux ans plus tard, selon l'enquête publiée en juin dernier par la Dress sur les trajectoires professionnelles des bénéficiaires des minima sociaux, ce n'est pas faute d'avoir activement recherché un emploi (pour près de la moitié d'entre eux), voire d'en avoir trouvé un (dans un cas sur sept en moyenne). Néanmoins, leurs démarches de recherche d'emploi restent souvent vaines du fait de leurs difficultés spécifiques : l'âge et la santé pour les bénéficiaires de l'ASS, l'absence de formation ou d'expérience professionnelle pour les RMIstes et les contraintes familiales pour les titulaires de l'allocation parent isolé (API).

Une chose est sûre : leur motivation à retrouver un emploi ne se justifie pas par l'appât du gain. Car, comme l'a calculé Marc Gurgand, chargé de recherche au CNRS, « les gains financiers à la reprise d'emploi sont très modestes par rapport aux minima ». Ainsi, en 2002, le revenu disponible mensuel d'un célibataire au RMI ayant accédé à un emploi ne s'est, par exemple, accru que de 72 euros. « Non seulement la plupart des allocataires ne retrouvent qu'un emploi rémunéré au smic horaire, mais un sur trois est en réalité cantonné dans un emploi aidé à temps partiel », précise Laurence Rioux, rapporteuse au Conseil de l'emploi, des revenus et de la cohésion sociale (Cerc). À cet égard, les bénéficiaires de l'API qui combinent emplois à temps partiel et frais de garde d'enfants élevés sont les plus mal lotis.

Quant aux différents mécanismes d'intéressement (prime pour l'emploi, cumul salaire-RMI) institués à partir de 2001 pour réduire ces « trappes à inactivité », ils n'ont en réalité modifié qu'à la marge le niveau de vie des allocataires de ces minima. Saupoudrée sur 8 millions de foyers fiscaux, « la prime pour l'emploi – d'un montant maximal de 600 euros pour une personne seule – ne représente qu'un faible montant nominal », constate Raymond Torres en citant, a contrario, l'exemple de pays comme le Royaume-Uni où « ces primes davantage ciblées constituent, par exemple, jusqu'à 20 % du salaire moyen d'un parent isolé »…

V. D.

Il y a trop de fonctionnaires

VRAI

Difficile de prétendre le contraire quand on sait que 4,9 millions de fonctionnaires travaillent dans les administrations françaises. Cela représente près d'un salarié français sur quatre (23 %), selon l'OCDE, loin devant les États-Unis (15,7 %) et l'Allemagne (11,1 %), mais derrière les pays nordiques qui dépassent allègrement les 30 %. Tous ces agents ne travaillent pas que pour l'État : 1,4 million d'entre eux sont employés dans les collectivités territoriales et 884 000 dans les hôpitaux publics.

Plus que leur poids dans l'emploi total, c'est la croissance des effectifs qui est préoccupante. Si la hausse du nombre des agents de l'État a été contenue à 9,9 % depuis 1990, les effectifs hospitaliers, et surtout territoriaux, se sont, eux, envolés de 12,9 % et 25,2 %. Conséquence : les frais de personnel accaparent une part croissante des budgets, notamment celui de l'État, qui y a consacré 44 % de ses dépenses en 2003 (41,3 % en 1993). « Sur une décennie, confirme la Cour des comptes, plus de la moitié de l'augmentation du budget général de l'État est imputable aux dépenses de personnel. » Une dérive due en particulier aux pensions, en très forte croissance depuis 1998, sous l'effet du choc démographique.

Sur une longue période, les créations d'emplois n'en correspondent pas moins à des évolutions légitimes de la société. Tandis qu'un meilleur accès aux soin sa entraîné de nombreuses créations de postes dans les hôpitaux, la croissance des effectifs territoriaux est carrelée aux besoins d'une population urbaine en forte augmentation et aux transferts de personnels découlant de la décentralisation, notamment en matière d'action sociale. Au sein de l'État, les principaux ministères gagnants sont l'Éducation nationale (avec la massification de l'enseignement secondaire et universitaire), la Justice, la sécurité intérieure et extérieure (avec la professionnalisation des armées).

Là où le bât blesse, c'est qu'en contrepartie de ces créations d'emplois l'État ne sait pas réduire ses effectifs dans les domaines moins prioritaires. « En dehors de la transformation de La Poste et de France Télécom en établissements publics, l'organisation de l'État n'a pas connu de bouleversement majeur », souligne Catherine Zaidman, secrétaire générale de l'Observatoire de l'emploi public. En dépit de progrès technologiques considérables, les employés et agents d'exécution représentent toujours un tiers des emplois, une proportion comparable à celle de 1980. D'une façon générale, note Raymond Torres, chef de la division emploi de l'OCDE, « les redéploiements de personnels publics sont très lents à mettre en œuvre en France ». Il a ainsi fallu plus de dix ans de bataille avec les administrations centrales et les syndicats pour organiser la décentralisation des personnels du ministère de l'Équipement chargés de l'entretien des routes nationales… Si la perspective des départs massifs à la retraite doit dans l'absolu permettre d'accélérer le rythme d'adaptation, cela ne se fera pas sans douleur, sauf à améliorer considérablement la GRH.

V. D.

Le papy-boom nous sauvera du chômage

FAUX

La recette miracle ressort régulièrement des tiroirs. Inutile de s'inquiéter, nous explique-t-on, le départ à la retraite des baby-boomers permettra de résorber le chômage et de revenir au plein-emploi. Dès cette année, et avec un pic en 2006, les générations les plus nombreuses de l'après-guerre vont goûter à la retraite, avec en moyenne quelque 600 000 départs par an. Et comme les enfants du baby-boom ont été moins féconds, la population active va bientôt commencer à diminuer (alors que, ces dernières années, elle augmentait en moyenne de quelque 150 000 personnes par an). Les demandeurs d'emploi n'auront plus qu'à occuper la place encore chaude et le tour sera joué.

Un scénario de vases communicants trop mécanique pour être convaincant. D'abord parce que la décrue de la population active s'effectuera de façon très progressive, d'autant plus lentement qu'en allongeant la durée de cotisation requise pour une pension à taux plein la réforme des retraites devrait inciter nombre de salariés à retarder l'âge de leur départ. Ensuite parce que le vieillissement des Français risque de peser sur le dynamisme de l'économie, et donc sur l'emploi. Moins d'enfants, c'est moins de besoins en mètres carrés de logement, en équipement électroménager, en moyens de transport. Des personnes âgées, c'est, à revenu identique, une consommation moindre et une thésaurisation plus importante. Un ratio actifs-inactifs trop déséquilibré, c'est un alourdissement des prélèvements sociaux sur le travail, peu favorable aux créations d'emplois.

Par ailleurs, nombre de secteurs d'activité pourraient bien – comme l'envisagent déjà la banque ou l'assurance – profiter des départs à la retraite d'une partie de leurs troupes pour réaliser des gains de productivité en ne les remplaçant qu'avec parcimonie. Comme le souligne Claude Seibel, qui anime le groupe Prospective des métiers et qualifications au sein du commissariat général du Plan, dans les Métiers de demain (éd. Alternatives économiques) : « il ne faut pas attendre de miracle. Le papy-boom aura évidemment pour effet de dynamiser l'embauche dans certains secteurs ainsi que sur certains territoires, mais les vagues massives de départ à la retraite que nous allons connaître dans les prochaines années pourraient en fait se traduire par une baisse sensible du niveau d'emploi ». Car tous les partants ne seront pas remplacés.

Le retour au plein-emploi risque enfin de buter sur un écueil de taille : l'inadéquation entre le niveau de formation d'une partie des chômeurs et la qualification requise par les entreprises pour occuper les emplois libérés ou créés. Un handicap que la France connaît déjà avec la coexistence de pénuries de main-d'œuvre dans certains secteurs et d'un chômage de masse. Or les mutations technologiques aidant, les exigences des employeurs ne cessent de s'élever : selon les prévisions du Bipe et de l'Insee, on comptera ainsi en 2015 quelque 200 000 emplois d'ouvriers non qualifiés et 100 000 postes de contremaîtres en moins, et près de 900 000 jobs de cadres en plus.

À défaut de trouver les profils requis dans l'Hexagone, les entreprises pourraient être tentées de faire appel à de la main-d'œuvre étrangère ou de délocaliser. Il n'y aura pas de miracle. À défaut d'un effort massif de formation et de reconversion professionnelles, les moins qualifiés resteront sur le bord de la route.

S.F.

Il n'y aura plus d'usines en France

FAUX

France, ton industrie fout le camp ! Depuis deux ans, la multiplication des fermetures de sites industriels et certaines délocalisations très médiatisées vers des eldorados à bas coûts de main-d'œuvre ont fait resurgir le spectre d'une France bientôt sans usines. En 2002 et 2003, près de 100 000 postes dans l'industrie ont été détruits par année. Résultat, l'emploi industriel ne représentait plus que 16 % de la population active en 2003, contre près d'un quart en 1981. Pourtant, toutes les études convergent, les déménagements à l'étranger d'unités de production ne sont pas responsables de cette contraction des effectifs de l'industrie. Aujourd'hui comme hier, « les délocalisations ont un impact limité sur le recul de l'emploi industriel », observent les économistes Jean-Hervé Lorenzi et Lionel Fontagné dans leur rapport publié en novembre 2004 par le Conseil d'analyse économique. L'explication réside, en grande partie, du côté des restructurations et des faillites. En 2003, les délocalisations ont représenté moins de 3 % des investissements directs français à l'étranger.

Inéluctable dans une économie se tertiarisant, la baisse continue de l'emploi industriel, engagée en France dans les années 70, a d'autres raisons. Elle résulte au premier chef des gains de productivité qui entraînent, à production constante, une baisse des effectifs. En vingt ans, l'industrie française a augmenté de 30 % sa production alors que ses effectifs baissaient de 1,3 million. Elle découle aussi d'une nouvelle gestion de la main-d'œuvre : de la maintenance jusqu'à la recherche et développement, les industriels ont massivement externalisé et sous-traité sur des métiers de plus en plus proches de la production. Et ces effectifs « externalisés » sont comptabilisés dans les services. Idem pour les intérimaires, dont le nombre dans l'industrie a doublé au cours des années 90 (passant de 150 000 à 300 000). En 2003, ils représentaient 1,1 % de l'emploi total. « La baisse de la part de l'industrie dans la population active est donc moins marquée qu'il n'y paraît », note l'économiste Pierre-Étienne Bastouil, auteur d'un rapport pour le Cercle de l'industrie, qui pointe des frontières de plus en plus floues et de plus en plus poreuses entre emplois industriels et emplois de services.

Pas de quoi, cependant, changer le diagnostic, celui d'une « mutation industrielle » selon la Datar, qui rappelle que la part de l'industrie dans le PIB est restée pratiquement inchangée en vingt ans. Nouveauté depuis 2001 : la destruction d'emplois qualifiés, notamment ceux de recherche dans les activités de haute technologie, n'en est pas moins inquiétante et le signal précurseur, pour Jean-Hervé Lorenzi et Lionel Fontagné, d'une « perte de substance », susceptible cette fois de mettre en danger toute la base industrielle. C'est pourquoi les spécialistes appellent à un renouveau de la politique industrielle et prônent le renforcement des capacités d'innovation par le soutien à la recherche, la constitution de pôles sectoriels de compétitivité ou la création d'une « agence pour le développement industriel » chargée d'impulser de grands programmes. Si la France n'est pas près de devenir un désert industriel, une chose est sûre : l'avenir des usines passera, demain plus que jamais, par les cols blancs.

A.F.

Les inégalités s'accroissent

VRAI

Si l'on s'en tient aux revenus déclarés au fisc, on observe depuis vingt ans une très grande stabilité du rapport des niveaux de vie entre les 10 % de Français les plus pauvres et les 10 % les plus riches. D'après les statistiques 2001 de l'Insee, le premier décile se partage toujours 3 % des revenus disponibles, le dernier, 24,7 %. Des écarts très significatifs, mais constants, et largement atténués par notre système sociofiscal. En ne considérant que les revenus initiaux (salaires ou pensions), le niveau de vie moyen des 20 % d'individus les plus aisés vaut 7,3 fois celui des 20 % les plus pauvres. Après prise en compte des impôts et des prestations sociales, ce rapport s'établit à 3,8.

« On aurait pu penser que la reprise économique favoriserait la baisse des inégalités. Ça n'a pas été le cas », souligne Pascal Chevalier, chef de la division revenus et patrimoines de l'Insee. D'après les experts de la Porte de Vanves, les réformes gouvernementales mises en œuvre entre 2000 et 2003 (modification des aides au logement dans le secteur locatif, baisse des impôts, prime pour l'emploi, hausses du smic) n'ont guère modifié l'écart entre la France d'en bas et celle d'en haut. Car ce sont les deux extrémités qui en ont proportionnellement le plus profité. Ainsi, les prestations sociales, qui ont majoré de 53 % le revenu initial des 20 % d'individus les plus modestes, n'auraient représenté que 50 % à législation inchangée, tandis que les prélèvements fiscaux n'ont diminué que de 20 % les revenus des 20 % les plus aisés, contre 22 % à législation constante.

Reste que ces données font l'impasse totale sur les revenus du patrimoine. Un défaut majeur, dans la mesure où ils sont fortement concentrés dans les hauts revenus. En particulier les revenus financiers. En 1998, l'Insee notait dans sa dernière étude complète sur le patrimoine des ménages que « la moitié des actifs financiers est détenue par 5 % des ménages, tandis que la moitié des ménages la moins dotée ne détient que 5 % du patrimoine financier ». Si les mouvements erratiques de la Bourse entre 1998 et aujourd'hui rendent difficile la mesure de l'évolution du patrimoine financier des ménages aisés, la très forte hausse de l'immobilier laisse, elle, plutôt présager d'un accroissement des inégalités entre les plus pauvres et les plus riches.

S. B.

Ce qu'ils en pensent

Martin Hirsch, président d'Emmaüs France.

L'indexation du seuil de pauvreté sur les seuls revenus laisse complètement de côté le problème numéro un, celui du logement. Or, comme les loyers augmentent de 10 % par an, le seuil de pauvreté se paupérise ! Toute définition purement monétaire, sans équivalence en niveau de vie, n'a donc aucune pertinence. À Emmaüs, on observe une augmentation et une diversification de la pauvreté. On est passé d'une population masculine de 40-55 ans à une population mixte, tous âges. On voit aussi de plus en plus de salariés modestes qui, pour équilibrer leur budget, sont obligés de faire appel à nous. Toutes les données de terrain concordent pour affirmer que la pauvreté augmente. Sur la période allant de mi-2003 à fin 2004, je fais le pari que les statistiques de l'Insee viendront le confirmer.

Michel Dollé, rapporteur général du Cerc.

Si on mettait le RMI au niveau du seuil de pauvreté, il n'y aurait plus, en théorie, de pauvres en France. Et pourtant, on n'aurait rien réglé ! Il est donc autrement plus urgent de s'interroger sur les facteurs de pauvreté et les moyens de lutter contre que de discourir sur le franchissement, ou non, d'une barre fixée à 50 % ou 60 % du revenu médian. En 2004, le Cerc a travaillé sur les enfants pauvres.

En France, on en compte entre 1 et 2 millions selon que l'on retient la définition française ou européenne. On a notamment montré que le fait de grandir dans un foyer pauvre augmentait considérablement le risque d'être un adulte pauvre. En la matière, les politiques publiques françaises sont très loin de compenser les inégalités sociales subies.

Ce qu'ils en pensent

Hervé Hamon, écrivain, auteur de « Tant qu'il y aura des élèves » (Seuil).

Le niveau moyen a incontestablement monté. Il y a vingt ans, les lycées professionnels étaient de véritables parkings à chômeurs. Aujourd'hui, si nombre d'élèves y sont toujours orientés par défaut, ils se sont considérablement modernisés et sont à l'écoute des besoins des entreprises. Contrairement à ce que l'on dit, l'ascenseur social n'est pas en panne. Mais l'école est devenue socialement plus étanche. Les secteurs d'excellence se sont protégés contre la vague de démocratisation. Nous avons un système à quarante vitesses avec des discriminations ethniques et sexistes. Aujourd'hui, ni la droite ni la gauche n'ont l'ambition de combler ces écarts. Or l'Éducation nationale doit recruter 145 000 profs d'ici à 2011. C'est l'occasion unique de changer d'approche.

Élie Cohen, économiste, directeur de recherche au CNRS.

Le collège, que l'on considérait comme l'un des meilleurs au monde, décline. Et pourtant, sur les vingt dernières années, la dépense moyenne par élève des premier et second degrés a doublé alors qu'elle n'a crû que d'un quart pour l'université. L'enquête Pisa de l'OCDE montre que les performances des lycéens baissent en maths, en lecture… Et lorsqu'on constate une stagnation, voire une baisse des résultats des élèves français année après année, il faut s'interroger. Les pays performants sont ceux qui ont développé une stratégie d'investissement en matière d'échec scolaire, de recherche, de technologie. Quant à notre système d'enseignement supérieur, faussement égalitaire, il est aujourd'hui dans l'incapacité de mener la plus grande fraction d'une classe d'âge à la qualification.

Ce qu'ils en pensent

Christian Saint-Étienne, professeur d'économie à l'université de Tours.

Nous ne travaillons pas assez longtemps et, en même temps, notre PIB par heure travaillée est parmi les plus élevés du monde. Ce paradoxe est issu des 35 heures. Les entreprises ont répondu à la RTT par une réorganisation de leurs processus industriels. Elles se sont séparées des salariés les moins productifs et pressent très fortement ceux qui restent. À l'arrivée, elles produisent autant qu'avant, avec des salariés – à temps plein – qui travaillent en moyenne 1 600 heures par an, contre 1 850 heures pour les salariés américains. Parallèlement, la durée moyenne de vie au travail en nombre d'heures est, en France, inférieure de 30 % à celle des États-Unis. Les taux d'emploi des 18-25 ans et des plus de 50 ans y sont moindres, ce qui représente l'équivalent de 10 à 15 % d'actifs en moins.

Gilbert Cette, professeur d'économie à l'université de la Méditerranée, Aix-Marseille II

Il faut remettre la RTT en perspective. En France, de 1995 à 2003, le temps travaillé par personne en emploi s'est réduit en moyenne de 0,8 % par an. Pour une réduction de 0,75 % par an entre 1970 et 1995. Dans ses « Perspectives économiques » d'août 2004, l'OCDE indique que le nombre total d'heures travaillées a augmenté de 2 % en France depuis 1995, alors qu'il a baissé de 2,75 % en Allemagne sur la même période. Plus généralement, la réduction du temps de travail n'est pas une spécificité française mais un mouvement séculaire et général lorsqu'on la regarde sur une longue période. Aux États-Unis, par exemple, la durée moyenne du travail a baissé de 2 960 heures par an en 1870 à 1 600 heures par an en 1998, certes, en comptant les temps partiels.

Ce qu'ils en pensent

Éric Heyer, directeur adjoint du département analyse et prévision à l'OFCE.

Le coût du travail en France par unité produite se situe en deçà de la moyenne de la zone euro. La politique de baisse des charges a compensé les revalorisations récentes du smic liées à la réduction du temps de travail. Si l'on prend en compte le coût du travail mais aussi le niveau de productivité, on s'aperçoit que la France gagne même en compétitivité par rapport aux États-Unis depuis 1996.

En revanche, il existe un différentiel important de niveau de coût du travail favorable aux pays émergents. Cet écart est difficilement rattrapable, sauf à diviser par quatre le niveau du smic ! La France, comme l'Union européenne, doit développer de nouveaux avantages comparatifs hors coût, comme l'innovation ou la qualité des produits et des services.

Michel Martinez, directeur adjoint de Rexecode.

Il faut distinguer les coûts moyens et ceux au voisinage du smic. Les comparaisons internationales de coût moyen, notamment celles qui prennent en compte la productivité, ne sont pas inquiétantes. En revanche, au niveau du smic, la France est l'un des pays industrialisés où le coût est le plus élevé. Les entreprises qui ont besoin d'embaucher des salariés peu qualifiés éprouvent des difficultés à le faire pour des raisons de coût. Elles se sentent très contraintes, si bien qu'elles se trouvent devant une alternative : soit elles ne rémunèrent guère plus que le smic, soit elles n'embauchent pas. In fine, la part des salariés au smic est très élevée en France (14 %), contre moins de 5 % dans l'Union européenne, et le taux de chômage des non-qualifiés est excessif (plus de 15 %).

Ce qu'ils en pensent

Yannick L'Horty, professeur d'économie à l'université d'Évry.

Certes, l'emploi précaire est devenu un passage obligé pour accéder à l'emploi durable en CDI. Il représente plus de 70 % des embauches. Mais, si l'on considère le total de l'emploi privé, la part de l'emploi précaire reste limitée et inférieure à 10 %. Voilà le critère pertinent. Et lorsqu'on accède à l'emploi stable, c'est pour longtemps. Le rapport que j'ai réalisé pour le Cerc (Conseil de l'emploi, des revenus et de la cohésion sociale) sur l'instabilité de l'emploi le suggère.

Entre 1969 et 2002, il n'y a pas eu d'augmentation du risque de perdre son emploi. Au contraire, on constate une stabilité de la stabilité de l'emploi. Cela n'est pas incompatible avec le plus fort sentiment d'insécurité des ménages. Car ils expriment non pas le risque accru de quitter l'emploi, mais les moindres chances d'en retrouver un.

Claude Seibel, président du groupe Prospectives des métiers et des qualifications du Plan.

Les formes atypiques d'emploi, dont certaines précaires, se développent depuis vingt ans. La transition d'un emploi précaire vers un emploi permanent se fait moins bien en France que partout en Europe. Il y a une réelle précarisation du travail. Mais il ne faut pas l'aborder par les seules statistiques, en opposant la proportion de CDI et d'emplois précaires. Il faut la voir comme un processus qui fragilise toute la société salariale. Le marché du travail s'est dualisé, entre les salariés en CDI ayant des perspectives et ceux en contrat précaire, entre les diplômés et les non-diplômés. Si les embauches se font majoritairement par des CDD, les qualifiés se stabiliseront vite tandis que les non-diplômés enchaîneront les contrats précaires. C'est cela qui est dangereux.

Ce qu'ils en pensent

Jacques Freyssinet, président du conseil scientifique du Centre d'études de l'emploi (CEE).

Non, la France n'est pas toujours en grève. Depuis 1995, l'ampleur des grèves a durablement et fortement diminué. Le nombre de travailleurs impliqués dans un conflit collectif est même assez faible en France, comparativement à l'Espagne ou l'Italie. En revanche, en termes de journées de travail perdues, la France est moins bien lotie que ses voisins car les grèves y sont plus longues. C'est particulièrement vrai dans les réseaux de services publics, même si de récents progrès ont été faits à la SNCF. Ces grèves frappent les Français, car elles sont massives. Mais il y a aussi des grèves longues dans le secteur privé qui sont un réflexe défensif pour limiter l'impact des décisions prises par l'entreprise, comme des licenciements collectifs.

Bernard Zimmern, président de l'Institut français de recherche sur les administrations publiques.

C'est vrai si l'on croit la perception des Français, régulièrement pris en otages lorsque les transports publics se mettent en grève. Notamment la SNCF, qui est championne de France, avec un ratio d'une journée de grève par salarié en 2001. C'est trois fois plus que dans la fonction publique d'État, dont un agent est six fois plus souvent en grève qu'un salarié du privé. Si, globalement, la France se situe dans la moyenne européenne pour le total des journées de grève, l'essentiel du phénomène concerne des secteurs en situation de monopole, comme la SNCF ou La Poste. La grève devient alors un instrument politique pour les syndicats. Cela n'a rien à voir avec la grève telle qu'on peut la concevoir comme facteur d'équilibre entre salariés et patrons.

Ce qu'ils en pensent

Jean-Christophe Dumont, économiste à l'OCDE.

En s'appuyant sur les recensements réalisés dans tous les pays de l'OCDE aux alentours de 2000, nous avons créé une nouvelle base de données sur les immigrés et expatriés. Nous constatons qu'à ce jeu de globalisation du marché du travail et de la mobilité internationale la France fait partie des gagnants. En matière de mouvement de personnes hautement qualifiées, notamment, la France compte à peu près autant d'immigrés diplômés de l'enseignement supérieur venus des autres pays de l'OCDE que d'expatriés dans les autres pays de l'Organisation. Autre indication, le pourcentage de tous les expatriés hautement qualifiés représente presque 5 % de l'ensemble de la population, un chiffre certes moins bon qu'en Irlande ou en Grande-Bretagne, mais nettement plus élevé qu'au Japon ou aux États-Unis.

Brigitte Baccaïni, responsable du pôle analyse territoriale à l'Insee.

En matière de mobilité régionale, la France est tout à fait dans la moyenne des pays européens. À partir des données des recensements réalisés durant la décennie 90, nous avons comparé cette mobilité des Français avec celle des habitants de neuf autres États.

Si les niveaux les plus élevés de mobilité sont observés aux Pays-Bas et en Norvège, la France se situe dans un groupe de pays intermédiaires parmi lesquels figurent le Royaume-Uni, l'Allemagne, le Portugal. Les pays ayant les moins bons scores appartiennent à l'ancien bloc de l'Est : Roumanie, République tchèque et Pologne. De façon générale, chaque année en Europe, une moyenne de 10 % de personnes changent de logement. Cette mobilité est moitié moins importante qu'en Amérique du Nord, mais elle est à peu près du même niveau qu'au Japon.

Ce qu'ils en pensent

Michel Godet, professeur au Cnam, auteur du « Choc de 2006 » (Odile Jacob).

Si le smic était resté indexé sur l'inflation – et n'avait pas augmenté avec des coups de pouce réguliers depuis trente ans –, il serait aujourd'hui au niveau du RMI, soit environ la moitié de ce qu'il est. Un couple de RMIstes avec deux enfants dispose, « tous comptes faits », avec l'aide personnalisée au logement, l'exonération de taxes d'habitation, l'aide sociale, d'un revenu disponible plus élevé qu'une famille comparable vivant avec un smic. Il faut vraiment avoir envie de se lever le matin et d'avoir un patron sur le dos pour aller travailler !

Il ne devrait pas y avoir de revenu sans contrepartie : la solidarité collective ne doit pas détruire la responsabilité individuelle. Il est impossible d'augmenter le smic sans nuire à l'emploi, il faut donc renforcer la prime à l'emploi pour inciter au travail.

Jean-Baptiste de Foucauld, président de Solidarités nouvelles face au chômage.

Il faut distinguer parmi les minima sociaux entre ceux qui s'adressent à des personnes sorties du marché du travail et ceux qui constituent un revenu temporaire dans l'attente d'une reprise d'activité. Dans ce dernier cas, il faut résoudre la contradiction entre un minimum trop bas qui ne permet pas de vivre et un minimum trop élevé susceptible de freiner la reprise d'emploi. Deux voies sont possibles : dans une logique individualiste, le minimum social ne doit pas être trop élevé, quitte à être compensé par une prime à l'emploi ; dans une vision de solidarité active, le minimum est plus élevé, mais il est assorti d'un accompagnement structuré orienté vers les emplois disponibles.

Ce qu'ils en pensent

Nicolas Tenzer, auteur de « France : la réforme impossible ? » (Flammarion).

Maintenir le rythme actuel de recrutement des fonctionnaires de l'État est insoutenable pour des raisons budgétaires et démographiques. Accroître la concurrence public-privé à l'embauche dans un contexte de pénurie de main-d'œuvre qualifiée serait désastreux pour notre économie et pour le secteur public qui, déjà, ne parvient pas toujours à recruter. Diminuer le nombre de fonctionnaires suppose de réfléchir à leurs missions et aux compétences dont l'État aura besoin, sachant qu'ils sont recrutés pour quarante années. Certaines fonctions sont inutiles, d'autres doivent être développées. Or, comparée aux autres pays, la France se caractérise par la relative lenteur avec laquelle les redéploiements s'opèrent. Le pilotage interministériel à moyen terme doit être renforcé.

Lucile Schmid, coauteur de « Changer l'État », Les Notes de la Fondation Jean-Jaurès.

Le débat sur le nombre de fonctionnaires ne se réduit pas aux nécessités budgétaires. Il s'agit aussi de la capacité de l'État à faire évoluer les effectifs des agents publics vers des secteurs prioritaires comme la santé, l'action sociale, la sécurité. Cela implique une réflexion sur le périmètre de l'État. Sur ce point, les débats récents sur la décentralisation ont été marqués par la confusion. Une politique centrée sur une réduction aveugle des effectifs peut même aller à l'encontre d'une plus grande efficacité de l'action publique, en incitant les services concernés à privilégier des postures conservatrices. Pour permettre à l'État d'être efficace, il faut organiser des évolutions dans le temps sans être obsédé par l'annualité budgétaire et mettre en place une politique de GRH digne de ce nom.

Ce qu'ils en pensent

Pierre Cahuc, économiste à l'Insee-Crest.

Aucun élément empirique ne permet d'affirmer qu'il existe une corrélation entre une baisse de la population active et la baisse du chômage. Le discours sur les pénuries d'emplois et l'idée qu'une personne est substituable à une autre est un leurre. Le système n'est pas figé et ne fonctionne pas comme ça. La structure productive est malléable. La question fondamentale à se poser est pourquoi une personne se trouve au chômage. Une entreprise ne l'embauchera que si elle lui coûte moins qu'elle ne lui rapporte. On peut toujours croire qu'avec les départs en retraite, les entreprises jetteront leur dévolu sur « un deuxième choix », mais c'est prendre le risque d'être moins compétitif. Ce sont les caractéristiques personnelles d'un individu qui s'avèrent déterminantes. Le papy-boom n'y changera rien.

Henri Sterdyniak, économiste à l'OFCE.

Une croissance de 2,2 % est aujourd'hui nécessaire pour faire baisser le chômage. Demain, grâce à l'évolution démographique et aux départs en retraite, on estime qu'il ne faudra que 1,6 %. On pourrait donc imaginer que le chômage baisse rapidement. Mais, avec la réforme des retraites, les entreprises vont devoir retenir les salariés jusqu'à 62 ans puis 65 ans. En outre, afin que les entreprises commencent à recruter des plus jeunes, il faudrait imaginer de faire évoluer l'emploi des quinquas. Accepter par exemple qu'à partir de 55 ans un instituteur se consacre aux tâches administratives, qu'un conducteur de bus se mette à vendre des tickets. Par ailleurs, le système des retraites fragilisé, les salariés vont devoir épargner davantage, ce qui ne va pas arranger le dynamisme de notre économie.

Ce qu'ils en pensent

Élisabeth Waelbroeck-Rocha, directrice générale du Bipe.

Imaginer une France sans usine, c'est-à-dire important l'ensemble de ses produits manufacturés, n'est pas réaliste. Cela supposerait que les pays émergents exportent toute leur production, après avoir connu un effondrement de leur demande interne et une rupture de croissance. Qu'ils aient développé, malgré tout, les conditions de bonne marche de leur industrie et attiré les entreprises étrangères. Qu'ils aient investi en formation ou que les cadres et les ouvriers spécialisés français aient suivi les délocalisations pour accélérer la transmission de compétences. Cela supposerait encore une standardisation de tous les produits manufacturés. Et que la France ait développé d'énormes capacités de transport, notamment portuaire, pour importer massivement.

Élie Cohen, économiste, directeur de recherche au CNRS.

Ça n'a pas de sens. Bien sûr, la désindustrialisation, qui est la marque de développement de l'économie, se poursuivra. La France n'a pas atteint le stade observé aux États-Unis : un redéploiement industriel vers les technologies de pointe et les services haut de gamme aux entreprises, avec un cœur manufacturé réduit à des fonctions d'ensemblier et des activités de proximité, comme l'agroalimentaire. Mais il restera des usines. La question est de savoir sur quelles technologies différenciées. Car la France n'a pas de forte spécialisation industrielle. Elle a décroché en matière de recherche. Cela la met en situation délicate dans un modèle de division internationale du travail où les pays développés conservent une avance technologique et les pays émergents sont sous-traitants.

Ce qu'ils en pensent

Pierre Concialdi, économiste à l'Ires.

La très grande majorité des revenus du patrimoine ne se retrouve pas dans les feuilles d'impôts. Ils échappent donc aux statistiques de l'Insee lors de ses enquêtes sur les revenus fiscaux. Or, depuis la fin des années 80, les revenus du patrimoine, qui sont très concentrés dans le haut de l'échelle, ont été multipliés par trois en euros constants, quand les revenus du travail n'ont, eux, augmenté que de 35 %. Il y a donc un biais énorme dans les chiffres de l'Insee. Si on prend en compte l'ensemble des revenus des ménages français, il est évident qu'on assiste depuis quinze ans à un accroissement des inégalités.

Michel Dollé, rapporteur général du Cerc.

Il nous manque une partie de la photo pour mesurer valablement les inégalités entre riches et pauvres et nous prononcer sur leur éventuel accroissement. Manquent tout d'abord les revenus du patrimoine. Si on en avait une image plus fidèle, on obtiendrait une vision tout autre de ceux qui sont tout en haut de l'échelle. On se rendrait compte, par exemple, que leurs taux d'imposition réels sont nettement inférieurs à ceux affichés aujourd'hui. Manque aussi la valorisation des logements occupés par leur propriétaire. Ce loyer fictif n'apparaît pas dans les feuilles d'impôts, alors qu'il s'agit bien d'un revenu implicite.