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Des bonnes intentions à la pratique

Dossier | publié le : 01.02.2005 | S.D.

Lutte contre les discriminations, sécurité au travail renforcée, meilleur accompagnement des restructurations… Sous la pression des ONG, des investisseurs et des pouvoirs publics, les grands groupes étendent le champ de leur responsabilité sociale. En interne, toutefois, malgré les actions de sensibilisation, cette approche influence encore peu les pratiques de management.

En farouche partisan du développement durable, Thierry Castillo, directeur d'un hypermarché Carrefour à Bègles, mène depuis trois ans une expérience inédite de management environnemental. L'objectif étant de diminuer, notamment par l'application de politiques de gestion des déchets, l'impact polluant du site sur son environnement. En interne, une équipe d'une vingtaine d'employés adeptes du « commerce responsable » se charge de prêcher la bonne parole. « Ces ambassadeurs se réunissent une fois par mois pour organiser des actions de sensibilisation destinées à la fois au public et aux salariés », explique Thierry Castillo. Exemple : dans un couloir repeint en vert et blanc et baptisé rue de l'Environnement sont exposées des photos sur le recyclage du carton. « Nous présentons aussi à chaque recrue nos actions en matière de développement durable », poursuit le directeur de cet hypermarché qui emploie 450 personnes (en équivalent temps plein). Mais, pour lui, au quotidien, la responsabilité sociale ne s'arrête pas à l'environnement. C'est aussi un effort de formation accru, une généralisation de l'entretien d'appréciation à tous les employés et l'embauche de travailleurs handicapés à hauteur de 7 %, un objectif prioritaire pour l'ensemble du groupe. « J'ai parfois le sentiment de faire le grand écart entre des contraintes économiques, environnementales et sociales difficilement compatibles, mais l'obligation de résultat sur les trois tableaux enrichit ma fonction », reconnaît Thierry Castillo.

En retard sur les firmes anglo-saxonnes

Lutte contre les discriminations, insertion de travailleurs en difficulté, formation en hausse, sécurité et santé au travail renforcées, mais aussi accompagnement plus social des restructurations, relations plus équilibrées avec les sous-traitants et les fournisseurs… Sous la pression des ONG, des investisseurs et des pouvoirs publics, les grandes entreprises ont élargi le champ de leur responsabilité sociale. Ainsi, près de 250 entreprises françaises se sont aujourd'hui engagées en faveur du pacte mondial lancé au Forum économique mondial de Davos en 1999, contre une quarantaine début 2003. Cette initiative du secrétaire général de l'ONU, Kofi Annan, vise à les rassembler autour de 10 thèmes relatifs aux droits de l'homme, aux normes du travail et à l'environnement (respect de la liberté d'association, abolition du travail des enfants, lutte contre les discriminations, contre la corruption, etc.). La majorité des signataires s'est dotée de chartes éthiques ou de codes de conduite fixant des règles de travail valables partout dans le monde.

Une étude du cabinet Alpha réalisée en février 2004 auprès de 55 multinationales françaises publiques et privées révèle que plus de la moitié d'entre elles ont élaboré une charte éthique, rattrapant ainsi leur retard sur leurs homologues anglo-saxonnes. Car, selon l'OCDE, en 2001, 82 des 100 plus grandes entreprises mondiales avaient adopté des codes de conduite sur les relations de travail et 97 sur la santé et la sécurité. À lui seul, le groupe Suez compte pas moins de dix documents du genre, dont deux, la charte sociale internationale et celle sur la santé et la sécurité, ont été respectivement négociés en 1998 et en 2002 avec son instance de dialogue européenne.

Signe d'une prise de conscience, les nominations de responsables du développement durable se succèdent dans les groupes tandis que les comités éthiques se multiplient. « Depuis un an, un groupe de coordination éthique, valeurs et développement durable réunit plus d'une vingtaine de directeurs opérationnels et la direction générale pour favoriser la diffusion de bonnes pratiques entre la maison mère et ses filiales », témoigne Gérard Kuster, directeur de l'éthique chez Suez. Un autre nouveau métier est apparu depuis cinq ans chez le spécialiste de l'environnement et de l'énergie : celui de déontologue. « Avoir des codes, c'est bien, s'assurer qu'ils sont appliqués, c'est encore mieux, explique Gérard Kuster. Un réseau de 58 managers, souvent proches de la direction générale, est ainsi chargé de veiller au respect des normes et d'établir un bilan annuel. N'importe quel salarié peut leur révéler des dysfonctionnements éthiques en tout anonymat. »

Dans les entreprises cotées, les rapports sur le développement durable s'étoffent, en réponse à la loi sur les nouvelles régulations économiques (NRE) de mai 2001 qui les oblige à divulguer des informations sociales et environnementales. Pour évaluer au plus juste leurs forces et faiblesses, elles sont de plus en plus nombreuses à solliciter une notation sociale auprès des agences spécialisées comme Vigeo. Ciments Calcia fait partie du nombre depuis décembre 2003.

En fonction de leur activité, les grandes entreprises déclinent leur responsabilité sociale de multiples façons. La sécurité et la santé au travail sont devenues des thèmes de prédilection. C'est le cas de Vinci qui, dans son rapport annuel de 2003, vise le « zéro accident ». « Améliorer l'organisation de nos chantiers, réduire les nuisances sonores, utiliser des matériaux plus légers et ergonomiques ne sont pas des préoccupations totalement nouvelles, énonce Christophe Gobin, coordinateur recherche et développement chez GTM Construction, filiale du groupe. Seulement, la démarche de développement durable est plus exigeante car elle englobe à la fois des contraintes économiques, environnementales et sociales. Actuellement, nous expérimentons sur un site pilote la mise en place de SD 21 000, une sorte de métanorme qui fait la synthèse des trois facteurs. Le développement durable suppose une plus grande logique de concertation, de coconception avec les parties prenantes, les donneurs d'ordres notamment. Le retour sur investissement étant difficile à mesurer, un travail va donc être engagé pour monétariser les avantages de cette démarche de long terme. » Pour diffuser en interne cette nouvelle approche, GTM a constitué en 1999 un groupe de réflexion sur l'environnement et le développement durable.

Arcelor anticipe le reclassement de ses salariés

En butte à une saignée de ses effectifs depuis vingt ans, Arcelor, qui continue de perdre 3 à 4 % d'emplois par an, fait porter ses efforts sur l'accompagnement social des restructurations et le reclassement des salariés. « L'annonce des fermetures de sites d'ici à 2010 est une attitude responsable qui nous permet d'anticiper le reclassement du personnel, indique Jean-Louis Pierquin, DRH du groupe. Si cette chronique d'une mort annoncée est difficile à faire admettre aux syndicats, elle nous laisse le temps de mettre sur pied une politique de réindustrialisation avec les collectivités locales. En Lorraine, nous avons créé en 1998 une société baptisée Hommes et Emplois, filiale à 100 % du groupe, qui salarie 140 anciens ouvriers pour des travaux divers de bâtiment et de numérisation de documents. » Dans sa charte sur le développement durable signée avec l'instance européenne de dialogue en décembre 2002, Arcelor s'engage aussi à financer deux jours de formation par an à tous ses salariés afin d'améliorer leur employabilité. « Si l'accompagnement social n'est pas nouveau dans la sidérurgie, les pressions de l'extérieur se font plus fortes », observe Daniel Atlan, chargé du reporting social à la DRH d'Arcelor.

De son côté, Rhodia tente de faire rimer profitabilité et développement durable. Le chimiste, qui externalise depuis le début de l'année ses activités de transport, a choisi trois prestataires en fonction de critères non seulement économiques, mais aussi sociaux et environnementaux. « Nous avons veillé à ce qu'ils s'engagent à reclasser nos salariés à moins de 50 kilomètres de leur lieu de travail actuel, sans perte de salaire. Ils devront aussi leur proposer un cursus individualisé d'intégration et de formation, raconte Olivier Seignovert, responsable logistique de Rhodia. Dans le domaine environnemental, nous allons engager un certain nombre d'actions nous permettant dès cette année de réduire l'impact polluant de notre logistique, notamment en optimisant le chargement de nos camions et en basculant une partie de nos flux sur des modes moins polluants comme le transport fluvial. »

En revanche, les relations avec les sous-traitants et les fournisseurs restent un sujet souvent occulté. D'après l'OCDE, seulement 41 % des codes de conduite traitant des conditions de travail mentionnent les obligations faites aux sous-traitants ou à d'autres partenaires commerciaux. Depuis 1998, Carrefour s'est engagé avec la Fédération internationale des ligues des droits de l'homme (Fidh) dans une démarche de contrôle du respect des engagements (liberté d'association, interdiction du travail des enfants, rémunération décente, etc.) définis dans sa charte fournisseurs. Réunis dans l'association Infans, les deux partenaires ont rédigé une liste pointant les manquements constatés et prescrivant d'éventuelles corrections. Plusieurs audits inopinés ont été réalisés auprès des fournisseurs, au Bangladesh par exemple.

Un « management book » fixe les lignes blanches

Mais, en dépit des efforts de communication déployés en interne, la responsabilité sociale peine à imprégner la culture des entreprises. Sous la pression du court terme, le management intermédiaire a peu l'occasion de s'interroger sur ses décisions. « Le développement durable ne doit pas être la cerise sur le gâteau, argumente Jacques Kheliff, directeur du développement durable chez Rhodia.

Aujourd'hui, notre management en accepte la logique. De là à dire que le développement durable influence chaque processus de décision, nous n'en sommes pas là. Nous en avons intégré les principes dans les processus managériaux courants afin que cette politique implique le plus desalariés possible. Que chaque manager, à son niveau, se pose la question de savoir quelles sont ses responsabilités à l'égard de l'environnement et des parties prenantes : les fournisseurs, collectivités, salariés, actionnaires… » En 2002, le chimiste a publié sur son intranet un management book fixant les lignes blanches à ne pas dépasser. En l'occurrence, un rappel de principes déjà sanctionnés par la loi : l'interdiction de la corruption, du harcèlement…

Chez Vinci, près de 6 000 salariés ont bénéficié d'une formation aux enjeux et aux pratiques de développement durable en 2004. « Trois cents ambassadeurs, de la direction opérationnelle à la sécurité en passant par la recherche et le développement, ont intégré au quotidien les problématiques liées au développement durable », souligne Christian Caye, délégué au développement durable de Vinci. Fin 2003, Arcelor a lancé une campagne d'information visant à sensibiliser ses 98 000 salariés, et un guide pratique a été distribué pour que chacun mette en application les principes du développement durable.

Reste que les partenaires sociaux continuent de se méfier de la responsabilité sociale des entreprises (RSE), y discernant parfois une stratégie pour contourner les réglementations internationales, par autorégulation. Le Livre vert publié en 2001 par la Commission européenne est, pourtant, sans appel. « La RSE ne devrait pas être vue comme un substitut à la réglementation ou à la législation concernant les droits sociaux ou les normes environnementales, y compris à l'élaboration d'une nouvelle législation appropriée. Dans les pays où de telles réglementations n'existent pas, les efforts devraient se concentrer sur la mise en place du cadre réglementaire ou législatif adéquat afin de définir une base équitable, à partir de laquelle les pratiques socialement responsables peuvent être développées. » Rien de tel, en effet, que l'aiguillon de la loi pour convaincre les plus récalcitrants.

Auteur

  • S.D.