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Les élections professionnelles, aujourd'hui et demain

Vie des entreprises | Chronique juridique | publié le : 01.01.2005 | Jean-Emmanuel Ray

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Les élections professionnelles, aujourd'hui et demain

Crédit photo Jean-Emmanuel Ray

Les élections du CE ou des DP vont, à l'avenir, avoir un rôle crucial : permettre de vérifier le caractère majoritaire, ou non, d'un accord collectif ou du droit d'opposition exercé à son encontre. Voilà qui devrait conduire les acteurs à s'intéresser de plus près encore aux modalités du scrutin.

Depuis la loi du 4 mai 2004, la fonction des élections professionnelles n'est plus ce qu'elle était. S'il s'agit toujours de désigner les « représentants du personnel » informés et consultés par le chef d'entreprise, dont le remarquable organisateur de l'arbre de Noël, le score respectif de chaque syndicat a désormais une redoutable importance : la validité de tout accord collectif – et non plus seulement des accords dérogatoires ou de régression – est désormais liée à l'idée majoritaire avec l'exigence d'une majorité positive si l'accord de branche en dispose ainsi (aucun à ce jour), négative avec le droit d'opposition bien à la française, reconfiguré et élargi façon mai 2004.

En amont de la signature d'un accord, évaluer le poids électoral de chaque syndicat représentatif est donc essentiel et détermine parfois la tactique de négociation côté patronal : y compris en termes de fixation de nouveaux périmètres afin de contourner autant que faire se peut un syndicat omniprésent ici, mais plus faible ailleurs (cf. l'évolution des structures de Nestlé Waters France après le feuilleton de l'été chez Perrier).

Mais aussi en aval : l'exercice parfois hasardeux de l'arme fatale qu'est devenu le nouveau droit d'opposition peut modifier la donne syndicale lors d'un prochain vote sanction, redistribuant les cartes pour la validité de l'accord suivant. Ce qui n'est pas inintéressant en ces temps de permissivité généralisée par convention d'entreprise.

Votes demandés par des syndicats peu sûrs de leur représentativité réelle (surtout lorsqu'il s'agit de s'opposer à un accord minoritaire comme le souhaite la CGT), mais aussi nécessité d'organiser une session de rattrapage-consultation du personnel en cas de texte minoritaire si l'accord de branche prévoit qu'il soit positivement majoritaire. La multiplication prévisible des votes invite à faire le point sur ce qui devient parfois « cauchemar à Clochemerle ».

1° Organisation du premier tour, base de la nouvelle représentativité électorale

Qui peut présenter des listes ? Les organisations syndicales représentatives dans le cadre considéré, et donc les cinq confédérations bénéficiant de la présomption irréfragable de représentativité. Club des cinq auquel le Conseil d'État a refusé le 4 novembre 2004 d'ajouter l'Unsa, malgré son score de 260 000 voix lors des élections prud'homales du 7 décembre 2002 (contre 35 000 en 1997) soit 5 % des votants. Comme le soulignait dans ses remarquables conclusions le commissaire du gouvernement Jacques-Henri Stahl, « si l'Unsa revendique plus de 300 000 adhérents et soutient que sa représentativité a été établie dans 24 branches, celles qui sont couvertes par des conventions collectives sont au nombre de 300, et l'essentiel de son implantation se situe encore dans la fonction publique ». Ajoutant sur un plan moins juridique mais socialement pertinent que « l'intérêt général incline à s'en tenir à un nombre restreint d'interlocuteurs […], la reconnaissance de la représentativité se révélant ensuite très difficilement réversible », avant de conclure que si certains pouvaient être tentés de « prendre position et d'inciter à des évolutions novatrices, de telles positions relèvent avant tout de l'autorité politique » (Dr. soc., décembre 2004, p. 1098).

À partir de quel effectif ? Même si cette question n'intervient qu'à la marge pour la majorité des entreprises (56 salariés ou 67, 1 556 ou 1 598 importe peu), à proximité des seuils fatidiques le calcul devient parfois problématique avec l'externalisation de l'emploi.

L'ordonnance de simplification (!) du 24 juin 2004 a rappelé que pour ce calcul des effectifs « les travailleurs mis à la disposition de l'entreprise par une entreprise extérieure sont pris en compte pro rata temporis ». Encore faut-il savoir qui sont exactement ces salariés, ni électeurs ni éligibles mais décomptés. « Ceux qui participent aux activités nécessaires au fonctionnement de l'entreprise utilisatrice : cette activité n'est pas restreinte au seul métier de l'entreprise ou à la seule activité principale de celle-ci », avait indiqué la chambre très sociale le 26 mai 2004, voulant reconstituer la collectivité de travail en dépassant un « cœur du métier » qui s'amenuise de jour en jour. Même si l'on voit mal des collaborateurs mis à disposition qui ne seraient pas « nécessaires au fonctionnement de l'entreprise utilisatrice », le décompte de dizaines, voire de centaines de salariés de ce type passant quelques jours dans les grandes structures pose de redoutables problèmes.

La seconde ordonnance de simplification du droit programmée pour début 2005, qui prévoit déjà une nécessaire unification du contentieux des litiges électoraux, pourrait utilement simplifier ce décompte en fixant un seuil minimal de présence (par exemple trente jours par an).

Le cadre de l'élection fait l'objet de la même sollicitude de la chambre sociale. S'agissant d'établissements distincts, elle cherche à faciliter l'implantation de représentants de proximité, toujours au plus près de la base. Elle énonçait par exemple, le 27 octobre 2004, que « l'existence d'un établissement distinct n'est pas conditionnée par une présence permanente, sur place, de la personne y représentant l'employeur ». Mais avec qui vont pouvoir discuter ces représentants du personnel ?

Même problématique s'agissant d'unité économique et sociale, après son revirement du 13 juillet 2004 : « La notion d'unité économique et sociale n'est pas relative » et sa reconnaissance par le juge se fait « selon des critères propres indépendants de la finalité des institutions représentatives comprises dans son périmètre ». Le 24 novembre 2004, la chambre sociale énonçait que « l'unité économique et sociale ayant pour finalité la défense des intérêts de la communauté de travailleurs dans un périmètre donné, le juge a pu décider que la circonstance que la société Amadeus n'ait pas de salariés ne faisait pas obstacle à la reconnaissance d'une unité économique et sociale »… UES alors très économique mais peu sociale.

Pour en terminer avec ce premier tour, rappelons que :

– Même unanime, un protocole d'accord préélectoral « ne peut déroger aux dispositions légales d'ordre public prévoyant un collège spécial pour les cadres dès lors que ceux-ci représentent un effectif d'au moins 25 salariés » (Cass. soc., 13 octobre 2004). A fortiori depuis la loi du 4 mai 2004 indiquant que lorsque un accord n'intéresse qu'une catégorie professionnelle déterminée, la condition de majorité doit alors s'apprécier « au regard des résultats électoraux dans le collège concerné ». En revanche, « le principe de simultanéité pour les élections de délégués du personnel et du comité d'entreprise n'implique pas que les élections aient lieu à la même date dans tous les établissements distincts de la même entreprise » (ou, en l'espèce, une unité économique et sociale, Cass. soc., 24 novembre 2004).

– Même si le quorum de 50 % des inscrits n'est pas atteint, il faut désormais procéder au dépouillement et décompter pour chaque syndicat les « suffrages valablement exprimés au premier tour pour les titulaires, et non les blancs et nuls » (circulaire DRT du 22 septembre 2004). Opération sans utilité pour l'élection elle-même, mais indispensable pour évaluer la force respective de chacun des acteurs dans le cadre des nouvelles règles de validité des accords collectifs.

– « La propagande électorale antérieure au premier tour est réservée aux syndicats représentatifs ». L'employeur ayant fait diffuser avant le premier tour au profit d'éventuels candidats libres un tract de propagande électorale pour le second tour, les élections sont annulées (Cass. soc., 14 janvier 2004). Mais avec la messagerie électronique souvent utilisée avec une grande créativité, cette interdiction sera plus difficile à mettre en œuvre.

2° Demain le vote électronique

Depuis la loi « sur la confiance dans l'économie numérique » du 21 juin 2004, les partenaires sociaux peuvent, par accord collectif, choisir le vote électronique pour les élections professionnelles, pratique jusqu'alors censurée au nom du droit commun électoral (Cass. soc., 20 octobre 1999). Et les élections prud'homales (reportées en 2008) pourront « à titre expérimental et dans des conditions fixées par décret avoir lieu par vote électronique, les matériels et logiciels utilisés devant respecter le secret du vote et la sincérité du scrutin ».

Vu de loin, ce type de vote paraît constituer un véritable miracle : en termes de participation, tout d'abord, ce mode très à la mode peut inciter les jeunes générations à voter. Il facilitera par ailleurs l'expression des expatriés et autres nombreux nomades itinérants ou télétravailleurs. Sans parler de la radicale simplification du dépouillement comme de la proclamation des résultats : exceptionnel gain de temps et d'organisation matérielle. Idem pour ce qui est de la propagande électorale électronique, même si la loi du 4 mai 2004 réserve toute action syndicale par cette voie à un accord collectif qui n'existe encore que rarement, et que ceux existants semblent fort restrictifs pour cet événement bien particulier.

Mais vu de près ? Outre la question de la solennité souhaitable de ces opérations qui mérite davantage qu'un revers de main (il n'est pas stupide que dans une démocratie l'électeur se déplace pour aller voter dans les écoles publiques de son enfance et autres maisons communes : voter n'est pas acheter en un clic 1 kilo de carottes), quid des nombreux cafouillages mis en valeur par les élections américaines ?

Après sa délibération n° 03-036 du 1er juillet 2003 sur la sécurité des systèmes de vote électronique, la Commission nationale de l'informatique et des libertés (Cnil) a rappelé dans sa délibération du 21 septembre 2004 (vote électronique à distance pour les membres des chambres de commerce) son « exigence forte en matière de transparence, afin de ne pas faire échapper les systèmes de vote au contrôle démocratique des bureaux de vote, des scrutateurs et des électeurs au profit de techniciens informatiques qui peuvent avoir leurs préférences ». Et la nouvelle autorité administrative indépendante, ragaillardie par la loi du 6 août 2004, d'insister sur trois points.

a) La mise en œuvre des traitements dénommés « fichier des électeurs » et « contenu de l'urne électronique » doit s'effectuer sur des systèmes informatiques distincts, dédiés et isolés. Ce qui suppose donc un traitement du fichier des électeurs sur un support différent de celui de l'urne électronique, « scellé, non réinscriptible, rendant son contenu inaltérable et probant, avec un chiffrement des données traitées dans l'urne électronique, et l'absence de lien permettant l'identification des électeurs ».

b) En l'espèce, le vote arrivait en clair sur le serveur de vote : il n'était chiffré que dans l'urne électronique. « Cette configuration a pour conséquence d'accroître les risques de perte de confidentialité ou de malveillance possibles si le serveur est mal protégé contre les attaques externes et contre les connivences internes. En cas de généralisation, la confidentialité devrait être renforcée par le recours au chiffrement du vote sur le poste de l'électeur ».

c) Et la Cnil de recommander « la conservation sous scellés de tous les fichiers support (copies des programmes sources et exécutables, matériels de vote, fichiers d'émargement, de résultats, sauvegardes) jusqu'à l'expiration des délais de recours contentieux » : le smic de la prudence.

De quoi, au moins pour la première votation, faire appel à des spécialistes… mis à disposition par une entreprise extérieure.

FLASH

Et les consultations organisées par l'employeur ?

Même si le vilain « plébiscite patronal », si vigoureusement dénoncé par les syndicats dans les années 80, s'est, depuis les lois sur les 35 heures, transformé en une consensuelle et légitime « consultation des salariés », même si les nouvelles technologies de l'information et de la communication (NTIC) permettent dans nombre de PME de provoquer en quelques minutes un référendum grandeur nature par messagerie ou SMS interposés, le chef d'entreprise n'est pas libre de consulter collectivement ses collaborateurs sur n'importe quoi.

A ainsi commis un délit d'entrave au bon fonctionnement du comité d'entreprise l'employeur qui, après avoir recueilli un avis négatif de celui-ci concernant le licenciement de deux représentants du personnel, avait appelé ses salariés à voter en leur demandant s'ils étaient favorables ou non aux sanctions prises contre ces deux élus. Si les juges du fond n'avaient vu aucune entrave au bon fonctionnement du comité puisque « cette consultation du personnel était intervenue après la consultation du comité d'entreprise », la chambre criminelle leur a répondu le 11 mai 2004 « qu'une telle démarche visait à dévaloriser le rôle du comité d'entreprise et à nuire à son bon fonctionnement en le discréditant ».

Avec les NTIC et dans notre société de la réputation, le nerf de la guerre n'est plus l'argent : c'est une communication adaptée à notre temps.

Jean-Emmanuel Ray Professeur à Paris I et à l'IEP de Paris, codirecteur du DESS Ressources humaines (Sorbonne). Il publiera en mars 2005 la 3e édition de « Droit du travail à l'épreuve des TIC » (éd. Liaisons, collection « Droit vivant »).D.R.

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  • Jean-Emmanuel Ray