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Repères

Une réforme plutôt bienvenue

Repères | publié le : 01.01.2005 | Denis Boissard

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Une réforme plutôt bienvenue

Crédit photo Denis Boissard

C'est un psychodrame dont la France politico-sociale a le secret qui s'est joué sur la réforme du licenciement économique. Une pièce à rebondissements : Medef qui rit puis Medef qui pleure ; tollé puis – relatif – soulagement syndical.

Et au final, après d'ultimes arbitrages devant le Parlement, un texte qui vaut au gouvernement l'ire du patronat et la grogne des syndicats. Pourtant le compromis ainsi échafaudé, qui reprend à son compte bon nombre des avancées de la négociation avortée entre patronat et syndicats, est de nature à changer positivement la donne dans les entreprises.

D'abord parce qu'il pousse les acteurs des entreprises et groupes d'une certaine taille (300 salariés) à sortir d'une gestion à chaud – donc forcément tardive et inévitablement conflictuelle – des restructurations, pour les contraindre à entrer dans une logique de négociation triennale sur une gestion prévisionnelle des reconversions nécessaires (laquelle pourra utilement s'articuler avec l'information-consultation annuelle du CE sur l'évolution de l'emploi et des qualifications). Bref, dans une démarche de traitement en amont, à froid, d'un processus de réorganisation devenu quasi permanent dans beaucoup d'entreprises.

Les nouveaux outils mis en place par la réforme de la formation professionnelle – droit individuel à la formation (DIF) capitalisable sur six ans, périodes de professionnalisation ouvertes aux salariés les plus vulnérables, entretien professionnel, passeport formation, éclairage des observatoires prospectifs de branche… – devraient y contribuer. Encore faudra-t-il que cet engagement de négociation ne soit pas vécu comme une simple formalité par les entreprises, que leurs dirigeants acceptent de mettre toutes les cartes sur la table et que leurs interlocuteurs syndicaux consentent à sortir de leur pré carré défensif.

L'autre qualité de la réforme est qu'elle s'efforce de déminer tout ce qui, dans le droit légal et jurisprudentiel du licenciement économique, pouvait conduire les acteurs à mener une bataille procédurière, un combat d'arrière-garde, plutôt qu'à dialoguer. Exit donc la possibilité pour le secrétaire du CE de retarder les consultations sur le licenciement économique en s'opposant à leur inscription à l'ordre du jour de la convocation du comité. Exit la séparation drastique et bien artificielle, imposée par la très formaliste « loi de modernisation sociale » (sic), des procédures du livre IV et du livre III du Code du travail : l'entreprise pourra à nouveau mener concomitamment les consultations du CE sur le projet de restructuration et sur ses conséquences. Exit enfin la très contestable jurisprudence Framatome et Majorette qui contraignait l'entreprise à déclencher un plan social chaque fois qu'elle envisageait une modification du contrat de travail touchant au moins 10 salariés : la procédure ne s'imposera désormais qu'à partir du moment où, les salariés refusant l'évolution qui leur est proposée, l'employeur projette de les licencier. À l'inverse, les « accords de méthode » instaurés à titre expérimental par la loi Fillon du 3 janvier 2003 – et qui se sont révélés un outil efficace de décrispation – sont pérennisés et élargis, au-delà des modalités de procédure, à la mise en œuvre anticipée de plans de sauvegarde de l'emploi… Un pas de plus vers des plans sociaux négociés, une pratique courante chez quelques-uns de nos voisins européens. Mieux, de tels accords pourront désormais être conclus au niveau d'un groupe ou d'une branche, de façon à couvrir des PME moins outillées pour mener un tel dialogue.

Dernier mérite de cette réforme, et non l'un des moindres : elle tente de combler l'inégalité de traitement devant le licenciement économique entre les salariés des grandes entreprises et ceux des PME.

À l'inverse de leurs homologues compris dans un plan social, 80 % des salariés licenciés pour motif économique ne bénéficiaient jusqu'alors d'aucune garantie de reclassement. C'est désormais chose faite avec la proposition qui devra leur être faite d'une convention de reclassement personnalisé, laquelle sera notamment financée par un doublement du reliquat du DIF.

Bref, à la fois pour les entreprises et les salariés, cette réforme est plutôt bienvenue. Dès lors, la polémique lancée par le Medef sur l'abandon par le gouvernement de la notion de « sauvegarde de la compétitivité » dans la définition du licenciement économique apparaît quelque peu dérisoire. Ce motif de licenciement est en effet explicitement consacré par la jurisprudence Vidéocolor de la Cour de cassation et par le Conseil constitutionnel au nom de la liberté d'entreprendre.

Et on ne voit pas bien ce qui conduirait aujourd'hui le juge à revenir en arrière. Pour parvenir à convaincre l'opinion et les pouvoirs publics du bien-fondé de ses revendications, le patronat gagnerait sans doute à être un peu moins intégriste et un peu plus pragmatique.

Auteur

  • Denis Boissard