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La création de maisons de l'emploi est-elle une bonne initiative ?

Débat | publié le : 01.01.2005 |

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La création de maisons de l'emploi est-elle une bonne initiative ?

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Portée par Jean-Louis Borloo, la loi de programmation pour la cohésion sociale votée avant les fêtes prévoit la création de maisons de l'emploi associant État, ANPE, Assedic, collectivités territoriales, structures d'insertion, etc. Ces nouvelles instances vont-elles améliorer le service rendu aux chômeurs, aux salariés en quête d'un nouvel emploi, ainsi qu'aux entreprises ? Des experts et acteurs de terrain donnent leur avis.

« Le nombre prévu laisse à penser que ce seront surtout des instances de coordination. »

PIERRE RALLE Directeur du Centre d'études de l'emploi.

Pour l'instant, le concept de « maisons de l'emploi », bien que très attractif, reste ambigu. Ces structures semblent répondre à deux objectifs.

Le premier est d'être un lieu de proximité, pour des usagers potentiels qui peuvent être des chômeurs, des salariés qui veulent changer d'emploi, des inactifs qui souhaitent entrer sur le marché du travail, mais aussi des employeurs et, en particulier, ceux qui dirigent des petites entreprises. Les organismes existants aujourd'hui qui portent le nom de « maison de l'emploi » et peuvent souhaiter être labellisés sur le plan national remplissent bien souvent cette fonction de service de proximité. Le mot même de maison indique nettement qu'elle doit être proche des personnes, que chacun doit s'y sentir à l'aise, etc.

Le second objectif qui peut être assigné aux maisons de l'emploi est d'être un lieu de coordination entre différents acteurs. Les premiers d'entre eux sont les agences pour l'emploi, les Assedic, les services de l'État, et aussi les services des collectivités territoriales.

Mais il semble que les maisons de l'emploi pourraient coordonner aussi la participation d'autres acteurs du service de l'emploi, l'Afpa par exemple, des structures visant à l'insertion professionnelle au niveau local, à l'instar des comités de bassin d'emploi ou des missions locales, ou même des fédérations professionnelles et des organisations syndicales et patronales…

On voit mal que cette coordination puisse se réaliser aisément à un échelon géographique trop fin. Il semble que le nombre prévu à ce jour de maisons de l'emploi (300 environ, soit presque trois fois moins que le nombre d'agences locales pour l'emploi), sauf si elles ne sont présentes que sur une faible partie du territoire, interdise qu'elles remplissent ce rôle de service de proximité, ce qui laisse à penser qu'elles seront surtout des instances de coordination.

Peut-on imaginer alors une structure à deux niveaux ? Trois cents maisons de l'emploi « virtuelles », lieux de coordination entre différents acteurs institutionnels, fédéreraient un plus grand nombre de maisons de l'emploi « réelles » réparties sur l'ensemble du territoire et pouvant assumer pleinement leur rôle de proximité. Une telle architecture, relativement complexe, nécessiterait vraisemblablement des moyens financiers et humains supérieurs à ceux qui sont actuellement mobilisés, même en faisant masse des moyens de tous les organismes qui seraient impliqués dans chacune des maisons de l'emploi.

Ce qui, dans le contexte budgétaire actuel, ne va pas de soi.

Quelle que soit la forme retenue, l'un des atouts majeurs de la structure réside dans sa grande souplesse. Certaines maisons de l'emploi vont résulter du rapprochement physique d'organismes existants. D'autres seront créées de toutes pièces. Ce seront des instances à géométrie variable, qui n'auront vraisemblablement pas la même configuration dans tous les territoires et n'y réuniront pas les mêmes protagonistes.

L'occasion est offerte aux acteurs locaux les plus dynamiques, et parmi eux les élus, de se saisir de ces maisons de l'emploi pour mener à bien des initiatives qui, en l'absence de ce cadre, auraient été plus difficiles à mettre en œuvre.

« Il ne faudrait pas rajouter une couche au mille-feuille de l'insertion et de l'emploi. »

JEAN-MARC TERRIEN Directeur de la mission locale Nantes Métropole et président de l'Association nationale des directeurs de missions locales.

La loi de programmation de cohésion sociale contient de nombreuses mesures qui constituent des avancées significatives pour les missions locales : leur inscription dans le Code du travail, la reconnaissance de leur Conseil national, l'instauration d'un « droit à l'accompagnement organisé par l'État pour les jeunes de 16 à 25 ans » (Civis), l'augmentation du crédit d'impôt pour les employeurs qui recruteront des apprentis parmi des bénéficiaires de ce Civis… La question des maisons de l'emploi nous semble aujourd'hui un peu moins claire. Compte tenu de la variété de l'organisation territoriale liée au partage de compétences entre l'État et les collectivités territoriales ou locales (partage dont les missions locales ont constitué dès 1982 un exemple frappant), le concept actuel apparaît susceptible d'une déclinaison très diversifiée. Une première chose nous semble incontournable, que la loi affirme clairement : les missions locales doivent être parties prenantes de ces maisons de l'emploi. Le territoire des maisons de l'emploi va-t-il correspondre aux territoires des diverses institutions qui œuvrent en ce domaine ?

Ceux-ci devront alors être remodelés, mais sur quel schéma va-t-on s'appuyer ? Les missions locales dans les grandes agglomérations ont généralement créé des antennes de proximité dans les quartiers en difficulté.

Cette implantation n'est pas toujours celle de l'ANPE et on a vu avec les équipes emploi insertion la difficulté qu'il pouvait y avoir à faire bouger les choses en ce domaine.

L'autre question posée par les maisons de l'emploi est celle de savoir s'il s'agira, dans un lieu clairement identifié, de l'intervention directe de professionnels issus des diverses institutions. Même si cette configuration a été à l'origine de la création des missions locales par Bertrand Schwartz, on peut penser qu'aujourd'hui cela se heurterait à de très nombreuses difficultés, voire à une certaine désorganisation des dispositifs existants. Sans doute pour répondre à cette objection, Jean-Louis Borloo a évoqué récemment le concept de « maison de l'emploi immatérielle ». Cela en ferait un organe de coordination entre les partenaires de l'emploi. Il faut renforcer cette coordination mais cela aurait pu se faire au travers du service public de l'emploi rénové. Il a été évoqué aussi l'idée d'un dossier « unique » du demandeur d'emploi. Notre pratique de l'accompagnement a abouti à la création d'un logiciel spécifique apprécié par les missions locales, fort différent du programme de l'ANPE. Un dossier unique serait une régression par rapport à l'outil de suivi dont nous disposons. On a souvent coutume de décrire l'organisation de l'insertion et de l'emploi comme un mille-feuille qui complique la tâche de ceux qui considèrent que chercher un emploi « n'est pas du gâteau ».

Les maisons de l'emploi ne doivent pas en rajouter une couche, la question étant de savoir si le tout sera plus « digeste », c'est-à-dire en l'occurrence plus facile d'accès et plus efficace.

« Le fait qu'elles ne soient pas absolument novatrices n'obère en rien leur intérêt. »

PHILIPPE LABBÉ Ethnologue, sociologue, consultant du cabinet Geste.

Les maisons de l'emploi (MDE) trouveraient leur place dans le Dictionnaire des idées reçues de Flaubert avec ce commentaire : « nul ne peut être contre ».

Le prédicat des MDE agence les notions de cohérence, lisibilité, proximité… donc d'efficacité et d'efficience, deux critères obligés des politiques publiques. On ne peut donc qu'y souscrire.

Pour partie, les maisons de l'emploi sont une façon de faire du neuf avec du vieux : sous diverses appellations, elles se sont multipliées sur le territoire. Et il ne s'agit pas uniquement du service aux demandeurs d'emploi : leurs fonctions de gestion prévisionnelle des emplois et des compétences et d'anticipation sur les restructurations d'entreprise sont, dans bien des cas, remplies par des comités de bassin d'emploi encore actifs, des « SPE techniques », issus de la globalisation puis de la territorialisation des politiques de l'emploi, des plates-formes de reconversion.

Le fait que les maisons de l'emploi ne soient pas absolument novatrices n'obère en rien leur intérêt. Tant mieux si des projets fondés sur des impératifs incontestables bénéficient de l'actif d'expérimentations réussies. Leur essaimage à une plus grande échelle n'en sera que facilité.

Les maisons de l'emploi sont présentées comme un dispositif proposé à trois catégories d'usagers : les demandeurs d'emploi, bien sûr, mais également les salariés actifs occupés, ainsi que les entreprises (recrutement, plans de formation…). Cette triade apparaît vertueuse, ne serait-ce que parce que les chômeurs ne constituent pas une classe à part, qui serait donc déjà hors emploi.

Plus discutable à défaut d'être débattu : le volet GPEC, qui va trouver quelques appuis dans les déclinaisons de l'accord interprofessionnel du 20 septembre 2003 (mise en place d'observatoires de branche et régionalisation), repose sur une croyance ou, du moins, un espoir : celui d'une possible adaptation « tenon-mortaise » entre les besoins des entreprises et la demande. L'épreuve du terrain fait la démonstration que les besoins des entreprises sont opaques, y compris pour elles-mêmes, et qu'existe un décalage entre le besoin et la réponse : les entreprises rêvent de générations spontanées alors que l'apprentissage et la formation exigent une temporalité longue. Bref, anticiper dans le brouillard des besoins à la nanoseconde et des réponses semestrielles n'est pas loin de la quadrature du cercle.

Restent trois points, beaucoup plus litigieux. Tout d'abord, les modalités de leur mise en œuvre et, en particulier, la place qui n'est plus réservée « de droit », comme cela l'était dans le préprojet de cahier des charges de la DGEFP, au département et à la région. Ensuite, l'inclusion des entreprises de travail temporaire et des agences de placement dans le service public de l'emploi, qui répond au principe sacro-saint de libre concurrence mais qui paraît source de confusion entre les instructeurs, les prescripteurs et les opérateurs.

Enfin, si le côté jardin de la proximité est l'accessibilité, son côté cour est le contrôle, ce qui renvoie à la thèse, dominante à défaut d'être juste, du workfare state et du glissement pervers d'une louable responsabilisation du chômeur à sa nécessaire responsabilité, puis à sa honteuse culpabilité.

D. R.D. R.