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Repères

Il faut faire vivre la réforme

Repères | publié le : 01.12.2004 | Denis Boissard

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Il faut faire vivre la réforme

Crédit photo Denis Boissard

Dernière ligne droite pour les entreprises. D'ici à la fin du mois, elles devront avoir bouclé et présenté au comité d'entreprise leur plan de formation pour 2005. Prise de tête garantie : si elles ne l'ont pas déjà fait, elles vont devoir classer leurs actions de formation en trois catégories, avec des incidences importantes sur leur réalisation dans ou hors temps de travail, donc sur le budget consacré à la formation, mettre en place des modalités d'exercice du nouveau droit individuel à la formation, imaginer la façon dont peuvent s'articuler plan de formation, DIF et périodes de professionnalisation… le tout dans le respect d'un cadre défini par les négociateurs de branche. Le moins que l'on puisse dire c'est que la réforme de la formation issue de l'accord interprofessionnel de septembre 2003, et mise en musique par la loi Fillon du 4 mai dernier, remanie profondément un paysage modelé il y a plus de trente ans.

Le risque est que les entreprises n'y voient qu'une source de complexité nouvelle et de dérive potentielle des sommes qu'elles consacrent à la formation. Le risque est qu'elles se focalisent sur la tuyauterie juridique, qu'elles déploient des trésors d'imagination pour en minimiser le coût et en fassent une application a minima. Le risque est que les partenaires sociaux ne soient pas associés à la mise en place et au suivi du nouveau dispositif dans l'entreprise, soit parce qu'ils en sous-estiment l'importance, soit parce que la direction préfère garder les mains libres. Le risque est que les entreprises passent à côté de l'essentiel : l'opportunité d'une réflexion stratégique sur leur investissement dans la formation.

L'enjeu de cette réforme n'est en effet pas seulement capital pour notre pays, son aptitude à jouer encore dans la cour des grands de l'économie de la connaissance et sa capacité à résorber un chômage de masse qui touche au premier chef les non-qualifiés, il est aussi primordial pour les entreprises et les salariés. Dans une concurrence de plus en plus exacerbée, où la réactivité, l'innovation et l'amélioration de la qualité sont des atouts majeurs de compétitivité, notamment face aux produits et services des pays à bas coûts de main-d'œuvre, le développement des compétences devrait logiquement être considéré comme stratégique par l'entreprise. D'autant qu'une politique dynamique dans ce domaine risque de devenir, pour cette dernière, un élément fort d'attractivité sur un marché du travail où la main-d'œuvre se fera bientôt plus rare.

Or c'est peu dire que l'investissement des entreprises n'est pas, sauf dans certaines, à la hauteur de l'enjeu : un salarié sur quatre seulement part en formation chaque année, dont un cadre sur deux… et environ un employé ou un ouvrier sur six. Les moins bien lotis sont les salariés des petites entreprises : une femme non qualifiée travaillant dans une structure de moins de 10 salariés a 25 fois moins de chances d'accéder à la formation qu'un ingénieur d'une firme de plus de 500 salariés. C'est l'effet Matthieu popularisé par l'expert de la protection sociale qu'est Jean-Jacques Dupeyroux : la redistribution s'effectue à l'envers… ici la formation professionnelle profite d'abord aux plus diplômés. Pièce maîtresse de la réforme, le DIF est en germe un puissant correctif aux inégalités d'accès à la formation.

L'intérêt des salariés est non moins évident: le nouveau dispositif a vocation, dans un univers économique mouvant, où leur entreprise peut à tout moment être rachetée, leur activité restructurée, externalisée ou délocalisée, à préserver et renforcer leur employabilité, bref à sécuriser un peu mieux leur trajectoire professionnelle. L'éclairage sur l'évolution des métiers que vont apporter les observatoires prospectifs de branche, la création prochaine d'un entretien professionnel et d'un passeport formation, le DIF codécidé entre employeur et salarié et capitalisable sur six ans, les périodes de professionnalisation en alternance ouvertes aux salariés les plus vulnérables, le doublement de l'effort légal de formation des petites entreprises, la définition plus souple des actions de formation dites « éligibles »… sont autant d'ingrédients qui doivent, sur le papier, permettre d'enclencher une spirale vertueuse combinant développement des compétences et préservation de l'employabilité.

Reste à faire vivre la réforme. Ce n'est pas gagné. Sa réussite repose entre autres sur l'aptitude des Opca à conseiller les petites entreprises en matière d'ingénierie de formation, sur la mobilisation des représentants du personnel pour garantir que le dispositif soit équilibré, attractif et transparent aux yeux des salariés, sur la capacité des entreprises tout à la fois à convaincre les managers de l'importance stratégique de laisser leurs collaborateurs partir en formation, à surmonter le manque d'appétence des moins qualifiés et à faire en sorte que la logistique de formation suive efficacement la montée en puissance des besoins. Bref, la balle est dans le camp des acteurs de terrain.

Auteur

  • Denis Boissard