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CES EMPLOYEURS QUI CHASSENT LES PREJUGES

Enquête | publié le : 01.12.2004 | Anne Fairise

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CES EMPLOYEURS QUI CHASSENT LES PREJUGES

Crédit photo Anne Fairise

Mieux vaut tard que jamais ! Les entreprises commencent à s'engager en faveur de la diversité. Même si elles n'en sont encore qu'aux premiers balbutiements. Affichage externe et interne, méthodes de recrutement, pratiques de management : passage en revue de leurs initiatives.

Du jamais-vu ! Le 22 octobre, sous le feu des caméras, une trentaine de dirigeants de sociétés privées et publiques – Accor, Carrefour, Rhodia, Sodexho, PSA, Total, France Télévisions, SNCF, Arcelor… – ont paraphé une « charte de la diversité », s'engageant à « refléter dans leur effectif les diverses composantes de la société française ». « Par cette charte, les chefs d'entreprise reconnaissent l'existence de phénomènes de discrimination. C'est historique », a martelé Serge Weinberg, le président du directoire de PPR, l'un des artisans de cette première sortie groupée de chefs d'entreprise. Initiée par l'Institut Montaigne, think tank libéral créé par Claude Bébéar, l'ancien président d'Axa, l'opération n'a pas été facile à monter. « Certains patrons doutaient de la nécessité de faire de la publicité sur leur engagement. Surtout que la plupart n'ont pas fait grand-chose », reconnaissait-on à l'Institut Montaigne.

L'entreprise black-blanc-beur-jaune n'est pas encore pour demain. Mais, au moins, la charte de la diversité devrait faire des émules. L'ANDCP compte inciter ses 4 000 adhérents à respecter cette nouvelle bible. Le Centre des jeunes dirigeants va lancer, parmi ses 2 000 membres, une « expérimentation nationale » pour distinguer les bonnes pratiques. Première organisation professionnelle mobilisée, le Syndicat des entreprises de travail temporaire proposera, dès 2005, des formations concernant la lutte contre les discriminations au personnel des agences. Début 2005, l'ANPE présentera à son tour sa charte d'engagement…

En attendant que ces initiatives fassent boule de neige, force est de constater que rares sont les sociétés qui se sont attaquées aux discriminations raciales. Parmi les pionnières, il y a celles qui se sont engagées par conviction ou pour se prémunir de risques juridiques, celles qui ont déjà mis en œuvre une politique citoyenne ou celles, encore, qui adoptent une véritable « gestion de la diversité ». Une approche typiquement anglo-saxonne, qui recouvre les pratiques les plus diverses, depuis le simple management interculturel jusqu'à la politique active de non-discrimination. Vade-mecum de l'entreprise vertueuse.

Rendre visible son engagement
La présence d'Audrey Pulvar sur « Soir 3 » depuis la rentrée traduit l'engagement de France Télévisions de « refléter la diversité de la population française ».LUC PERENOMLe 22 octobre 2004, une trentaine de grands patrons paraphaient une « charte de la diversité ». Une action qui a le mérite de signifier publiquement leur reconnaissance des discriminations.ERIC FLOGNY/ALEPH

Les sociétés de production travaillant avec France Télévisions sont averties. Depuis septembre, la « charte de l'antenne » commune à France 2, France 3, France 5 et RFO inclut « l'engagement de refléter la diversité de la population française » dans ses images, ses programmes et parmi les personnes – témoins, comédiens, journalistes – intervenant à l'antenne. Une volonté forte, symbolisée par la présence, au sein du nouveau tandem de présentateurs de Soir 3, d'Audrey Pulvar, une jeune femme d'origine antillaise, même si « elle le doit à ses compétences », assure Édouard Pellet (adjoint du président Marc Tessier), concepteur et responsable du « plan d'action positive en faveur de l'intégration ».France Télévisions va plus loin en exigeant désormais que 10 % des personnes apparaissant à l'antenne soient issues de l'immigration, hors Union européenne. Un impératif inscrit dans le préambule des contrats de production. « Cette exigence pourrait être intégrée au contrat même, ou devenir un critère de sélection quand il y a mise en concurrence », commente Édouard Pellet.

À l'origine de cette initiative, une conversation entre Marc Tessier et le directeur général de la BBC. Constatant une présence marginale à l'antenne des minorités issues de pays étrangers, ce dernier souhaitait que « la BBC devienne de toutes les couleurs ». « En France, le contexte de l'élection présidentielle de 2002 poussait à la réflexion », explique Édouard Pellet. Marc Tessier a lancé son plan à grand renfort de tambours et de trompettes. « Communiquer est primordial. Il faut marquer les esprits », note Édouard Pellet. Dans le genre, BNP Paribas n'a pas fait dans le détail, avec la campagne de recrutement type Benetton parue cet automne : trois photos de classe où se mêlent des jeunes diplômés de toutes origines, asiatiques, africaines ou européennes. Pour ceux qui n'auraient pas compris, le slogan clarifie le message: « C'est votre personnalité qui compte pour nous. » Et non pas la couleur de peau. « À travers ces pubs, il fallait que personne ne puisse se dire : je ne peux pas me faire embaucher par cette banque », explique Patrick Lara, directeur commercial de l'agence TBWA Paris.

Un affichage interne et externe, des consignes claires reprises dans le management… Les spécialistes du recrutement ont une longueur d'avance sur le sujet. À grands coups d'affiches 4 x 3, Adia a fait de la lutte contre les discriminations sa marque employeur depuis 2001. « Recruter sans discrimination » : pas un document qui ne rappelle la « déontologie de l'entreprise » chez Adecco, qui a lancé en 2000 un plan contre les discriminations.Coïncidence, le groupe d'intérim venait d'être épinglé à la suite de la découverte, dans une agence spécialisée en - hôtellerie-restauration, de fichiers recensant les intérimaires d'origine étrangère. Chaque salarié a reçu un courrier stipulant que la discrimination raciale constitue une faute professionnelle. Et 200 grandes entreprises clientes ont reçu un courrier rappelant les termes de la loi. « Cela a donné une légitimité aux salariés, qui étaient démunis face aux demandes discriminantes », note Arnaud Gauci, responsable du pôle de lutte contre les discriminations.

Même politique chez Michael Page International, épinglé en 2003 pour des fiches comportant des annotations ethniques sur les candidats. L'ANPE, quant à elle, prépare des plaquettes pour les demandeurs d'emploi et les entrepri- ses, rappelant notamment la loi à ces dernières. À l'agence de La Courneuve, les murs annoncent l'engagement. « Pour agir sur les discriminations raciales, il faut déjà que l'interdiction soit visible », note Daniel Piquet, adjoint au directeur. Mieux qu'une charte, PSA a conclu, en septembre, un accord sur « la diversité et la cohésion sociale », signé par tous les syndicats. « Il participe d'une réflexion sur les ressources humaines et sur la performance économique de l'entreprise ainsi que d'une volonté de prendre en compte les enjeux de société », explique Xavier Chéreau, chargé de son suivi chez le constructeur automobile.

De l'aveu même des syndicats, ceux-ci n'attendaient pas Jean-Martin Folz sur ce terrain. « Au début, on craignait que ce soit du marketing social, rappelle Vincent Bottazzi, délégué central CFDT. Mais l'accord met en dynamique les accords déjà signés sur l'insertion des handicapés, le droit syndical, le développement de l'emploi féminin. PSA prend des engagements chiffrés, met en place des procédures de suivi, bref s'engage dans la durée et avec les syndicats. Cela nous a décidés à signer. » L'observatoire paritaire sur l'emploi féminin s'est vu adjoindre une nouvelle prérogative : la lutte contre la discrimination. La Sagep, qui approvisionne Paris en eau, a également choisi une approche paritaire. La gestion de la diversité relève désormais d'une commission éthique qui réunit chaque mois les membres de la DRH, du CE et les syndicats. Organisme de recours et de sensibilisation des salariés, elle planchait déjà sur le harcèlement moral.

Autre signe d'engagement fort, l'apparition d'une nouvelle fonction dans les organigrammes. Chez PSA, Total, France Télévisions, des « responsables diversité » ont été nommés. À Casino, Mansour Zoberi préfère son titre de directeur de la politique de la ville et de la solidarité. Arnaud Gauci, d'Adecco, a conservé celui de responsable de la lutte contre les discriminations. À la Sagep, c'est le DRH, Pascal Bernard, qui suit le dossier. Un choix judicieux selon Jean-François Amadieu, professeur de gestion à Paris I : « Pour être effective, la gestion de la diversité, ou de la non-discrimination, doit être conduite par toute la DRH. On risque, sinon, d'en faire un gadget. »

Modifier les représentations

Bonne présentation, réponses intéressantes, CV sans failles… le candidat noir répond en tous points aux exigences du poste. Et pourtant, le DRH grisonnant qui l'interroge… s'interroge. « Il doit être musulman. Pas du genre montagne. C'est pourtant là qu'on fait nos séminaires. Qui dit qu'il s'intégrera à la culture d'entreprise ? » Voilà l'une des scènes projetées, depuis novembre, chez Michael Page. À charge pour les consultants de convaincre ce DRH fictif de dépasser ses préjugés. Ce film conçu avec SOS-Racisme est une étape indispensable pour Fabrice Lacombe, directeur général du cabinet de recrutement. Et « une suite logique » à la charte déontologique. Pour enfoncer le clou, le cabinet s'est engagé à compenser l'éventuelle baisse de chiffre d'affaires du consultant en cas de perte du client. Afin de former les commerciaux et les responsables de ses 1 000 agences à repérer les discriminations et à y faire face, Adecco a préféré les jeux de rôle. L'ANPE a élaboré, à partir des situations vécues par les agents, une bibliothèque de 17 cas de discrimination explicites ou non, chacun assorti de la justification de l'employeur et des réponses à lui apporter. Que sa justification soit purement raciste, qu'elle reflète une ethnicisation de la tâche, qu'elle mette en avant le besoin de préserver les équilibres au sein de l'équipe ou anticipe la réaction supposée négative de la clientèle…

« Cela légitime les agents et les repositionne en professionnels. Alors qu'auparavant le sujet des discriminations était un peu considéré comme relevant de l'intimité », note Pierrette Catel, chargée de mission à l'ANPE. À l'agence de La Courneuve, les agents ont été préalablement interrogéssur la manière dont ils ressentent les discriminations et sur leurs propres représentations socioculturelles. Conclusion ? « Tout le monde a été discriminé ou est potentiellement discriminant », estime Daniel Piquet, adjoint du directeur. « Avant d'être une problématique collective, la discrimination est une problématique individuelle. Même quand on a été formé, il faut s'obliger à y penser lorsqu'on recrute pour prendre du recul », renchérit Claude-Gabriel Ruche, d'Accueil et formation pour l'intégration et la citoyenneté (Afic).

Le travail sur les représentations, les entreprises commencent à s'y mettre. Chez Casino, en septembre, une centaine de cadres de la DRH ont assisté à un séminaire sur l'égalité des chances et la diversité, organisé avec l'Institut du mécénat social (IMS). Chez PSA, qui a promis dix mille heures de formation pour les recruteurs et les managers, « les modules sont en cours d'élaboration et seront déployés début 2005 ». On en est au rappel de la loi. Depuis novembre, le règlement intérieur du constructeur mentionne l'interdiction de proférer des injures racistes, sexistes, et énumère les sanctions encourues. « Lorsqu'on explique aux employeurs qu'ils risquent trois ans de prison et 45 000 euros d'amende en cas de discrimination à l'embauche, ils tombent des nues », note un consultant.

Revoir les méthodes de recrutement

Auditer ses recruteurs pour mettre au jour d'éventuels délits de « sale CV » ? C'est l'option choisie par PSA, qui annonce d'ici à la fin 2004 une opération de testing interne. Une démarche à laquelle songe Adecco : « Nous sommes encore dans une phase de formation », note Arnaud Gauci. Objectiver le processus de recrutement est, en tout cas, devenu l'antienne des consultants. Un chantier rendu nécessaire par la loi de novembre 2001, qui distingue discrimination directe et indirecte. « Pour mettre en évidence une discrimination indirecte à l'emploi, il faut comparer. Comme la charge de la preuve revient désormais à l'employeur, celui-ci doit pouvoir justifier de son choix de recrutement en se fondant sur des faits objectifs. Pour cela, il doit rendre son processus de recrutement le plus transparent possible, le baser uniquement sur les compétences », note Claude-Gabriel Ruche, de l'Afic. Dans ce domaine, certaines entreprises britanniques, dotées d'outils statistiques permettant de comparer les profils des candidats et des recrutés, ont une longueur d'avance.

Les exigences de la nouvelle loi risquent de booster le recours aux méthodes de recrutement, privilégiant la mise en situation. Ikea France, qui a fait de la diversité une priorité RH, compte développer le recours à l'assessment centre, « même pour les promotions », précise Emmanuel Caron, DRH France. PSA souhaite utiliser davantage la méthode des habiletés, développée par l'ANPE, lors des recrutements. Depuis 2002, Casino l'utilise presque systématiquement pour chaque ouverture d'établissement. À Roubaix, 240 habitants ont été embauchés au lieu d'une centaine prévue. « Parce qu'il repose sur des critères objectivants, le recrutement par habiletés a permis de dépasser le pronostic initial », note Mansour Zoberi.

Diversifier ses filières de recrutement est une autre solution. Total, Axa, McDonald's, Schneider Electric, PPR, Suez, Pierre & Vacances s'y sont essayés, avec SOS-Racisme, dans le cadre de l'opération « Ça va être possible », lancée en 2002 par Claude Bébéar et Malek Boutih, alors président du mouvement. Son objectif ? Faire accéder 1 000 jeunes diplômés issus de l'immigration à des emplois répondant à leurs qualifications, l'association se chargeant de recueillir et de transmettre les CV. 1 600 candidatures reçues, « surtout de bac + 5 », une dizaine de recrutements… les résultats sont mitigés. « Le contexte économique était dégradé. Et peut-être n'avons-nous pas été assez réactifs dans la transmission des CV », commente Samuel Thomas, vice-président de SOS-Racisme. Mais l'opération vient d'être relancée. Et l'Association pour faciliter l'insertion professionnelle des jeunes diplômés (Afij), spécialiste de l'insertion, implantée dans 300 quartiers en zones urbaines sensibles (ZUS), y a été associée.

Individuellement, les entreprises commencent à créer de nouvelles procédures de recrutement. À France Télévisions, les candidatures extérieures des personnes issues de l'immigration atterrissent sur le bureau d'Édouard Pellet, qui revendique « un coup de pouce, dans le respect de la méritocratie républicaine ». Signature de conventions avec Sciences po et l'Institut pratique de journalisme, appel à candidatures dans les zones d'éducation prioritaire pour une formation aux métiers de l'audiovisuel… le groupe s'engage. Sur les 400 dossiers reçus des ZEP, après sélection par un jury de professionnels, 17 jeunes de niveau bac + 2 ont bénéficié d'un stage au sein des chaînes publiques avant de passer en contrat de qualification. Dès 2005, PSA embauchera 45 diplômés, de bac + 2 à bac + 5, issus de quartiers sensibles. Un premier pas, au regard des 2 000 ingénieurs et cadres recrutés en 2003. Au titre d'une convention avec le ministère de la Ville, Casino s'est engagé à embaucher, entre 2002 et 2006 sur des fonctions d'encadrement, 250 diplômés (bac à bac + 2) issus des quartiers prioritaires. En 2003 déjà, 76 de ces profils ont rejoint le groupe.

De la discrimination positive ? « Non, rétorque Mansour Zoberi, il s'agit de favoriser l'égalité des chances. » Même réponse chez PSA, qui refuse de parler de quota : « Le chiffre de 45 résulte de la négociation avec les syndicats », reprend Xavier Chéreau. Pour Samuel Thomas, de SOS-Racisme, « l'opération Ça va être possible, si elle crée une nouvelle filière d'accès aux entretiens d'embauche, rétablit l'égalité des chances et ne met pas en avant des candidats moins diplômés, moins compétents ». Certains observateurs sont néanmoins dubitatifs. À l'instar de Daniel Sabbagh, chercheur au Ceri-Sciences po, qui estime que prendre en compte l'origine des candidats, ne serait-ce que dans la procédure de recrutement, s'apparente à « une variante soft de discrimination positive ».

Agir sur le management

Garantir aux personnes issues de l'immigration une égalité de traitement dans les évolutions professionnelles, voilà le prochain chantier des entreprises. À la Sagep, un module intitulé « management éthique » visant à prévenir toute discrimination a été intégré en 2003 au cursus de formation de tout futur cadre. Mieux, les futurs managers passent une épreuve de management éthique représentant un tiers de la note finale. « Pour être promu, il faut montrer qu'on a assimilé les valeurs de l'entreprise », note le DRH, Pascal Bernard. Les managers sont aussi appréciés, lors de l'entretien annuel d'activité, sur leurs actions concrètes. Chez Casino, il est prévu que « les actions des managers pour rétablir l'égalité des chances » soient prises en compte dans l'évaluation des managers.

Encore faudrait-il que les entreprises sachent d'où elles partent. Car elles achoppent sur la mesure des discriminations raciales, toute statistique en la matière étant illégale. Casino a accepté, en concertation avec les syndicats, que les effectifs de quatre de ses établissements en Rhône-Alpes fassent l'objet d'une étude sur leurs origines, à partir des patronymes. Les résultats de l'opération, menée par l'institut ISM Corum, avec l'aval de la Cnil, seront connus en janvier 2005. « L'étude patronymique permet d'aller plus loin que le critère de la nationalité. Cette analyse statistique donnera lieu à des comparaisons entre catégories professionnelles, voire établissements », note Annie Maguer, d'ISM Corum. « Cela va briser un tabou. Ce diagnostic autorisera le lancement d'un plan global », note Mansour Zoberi. France Télévisions travaille aussi à l'élaboration d'un instrument de mesure, « sans être dans l'illégalité ». Signe tangible, la Cnil aurait déjà accordé une demi-douzaine de dérogations similaires à celle obtenue par le groupe Casino.

Claude Bébéar veut repeindre les entreprises « aux couleurs de la France »

Chargé, en mai dernier, par Jean-Pierre Raffarin d'élaborer des mesures pour « résorber les inégalités d'insertion dans l'entreprise » des Français d'origine étrangère, Claude Bébéar a remis, le 23 novembre, sa copie au Premier ministre. Dans ce rapport intitulé « Des entreprises aux couleurs de la France », l'ancien patron d'Axa énonce 24 propositions afin de « faire participer davantage à la vie de la communauté nationale, à travers les entreprises, les populations marginalisées, notamment celles vivant dans les 750 quartiers répertoriés comme sensibles ».

Sont visées les populations appartenant aux minorités dites visibles, mais plus largement celles « issues ou non de l'immigration ».

Bien loin d'une affaire de compassion, la lutte contre les discriminations en entreprise est, d'abord, une « affaire d'intérêt bien compris » selon Claude Bébéar, notamment en raison du vieillissement de la population active.

Mais c'est aussi une affaire d'engagement. Car, pour que les choses évoluent, il « n'est pas besoin d'argent supplémentaire ni de nouveaux textes » selon lui, mais d'une « évolution des mentalités, à commencer bien sûr par les chefs d'entreprise », et d'un soutien des pouvoirs publics.

Claude Bébéar en appelle d'abord aux entreprises, en préconisant des mesures – pour l'essentiel axées sur le recrutement – qui relèvent de leur seule initiative. Il leur propose ainsi de « rendre anonymes systématiquement, et pour tous, les CV (ni nom, ni adresse, ni photo, ni âge, ni sexe) ». Pour lutter contre la discrimination à l'embauche ou dans l'accès aux stages, il leur enjoint de diversifier leurs filières de recrutement, en rejoignant des opérations du type de celle menée par SOS-Racisme et l'Afij (qui relaient les candidatures de jeunes diplômés issus de quartiers sensibles) ou de mettre en place avec les instituts de formation un « contrat confiance stage » par lequel les entreprises s'engageraient à ne refuser aucun des stagiaires qui leur sont adressés.

Pour faire émerger les élites, il leur suggère encore, à l'instar d'Euris ou de PPR, de « prendre en charge financièrement et d'accompagner des élèves doués, mais d'origine modeste, à franchir le seuil des études longues ».

Sujet explosif, Claude Bébéar propose de réaliser « une photographie statistique de l'entreprise sur une base anonyme, chaque salarié déclarant – s'il le souhaite – appartenir ou non à une minorité visible ». « Cela permettra de mesurer l'évolution de la diversité dans l'entreprise ». Il recommande aussi de procéder à des « audits diversité, dont les résultats seront mentionnés dans le rapport d'activité de l'entreprise et pris en compte par les agences de notation sociale ».

La seconde partie du rapport est consacrée aux initiatives menées conjointement par les entreprises et les « institutions », surtout celles du monde de l'enseignement. L'ancien P-DG d'Axa y préconise d'augmenter le nombre d'écoles de la deuxième chance et de diversifier le recrutement des grandes écoles.

Pour ancrer les actions et les coordonner, il juge indispensable la création, « dans chaque zone sensible », d'une cellule entreprises et quartiers, et conseille aux sociétés de se regrouper dans une association. Enfin, il suggère au gouvernement de lancer une campagne nationale sur le thème des discriminations, « en continu, durant dix ans ». Sur le modèle de celle pour la prévention routière. Car la lutte contre les discriminations en entreprise est un chantier de longue haleine…

A.F.

L'ancien P-DG d'Axa préconise notamment la création de cellules entreprises et quartiers dans chaque zone sensible.LUDOVIC/REA

Auteur

  • Anne Fairise