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Politique sociale

Jean-Louis Borloo, le joker social de la maison Chirac

Politique sociale | PORTRAIT | publié le : 01.11.2004 | Frédéric Rey

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Jean-Louis Borloo, le joker social de la maison Chirac

Crédit photo Frédéric Rey

Son style décontracté séduit ou irrite. Brillant avocat d'affaires, cet Ovni entré tard en politique a acquis sa crédibilité sur le terrain, à Valenciennes. Propulsé par l'Élysée grand ordonnateur de la lutte contre l'exclusion après avoir fait ses armes au ministère de la Ville, il lui reste à prouver que son plan est autre chose qu'un cautère sur une jambe de bois.

En 2002, Jean-Louis Borloo ne donnait pas cher de son avenir en politique : « J'ai été parfois convaincu par les arguments selon lesquels ces quelques propos me mettront en marge de la vie politique », écrivait-il alors en conclusion de son livre Un homme en colère, réquisitoire musclé contre la « monarchie administrative et le gâchis français ». Deux ans plus tard, le voilà numéro quatre du gouvernement. Après la déroute de la droite aux élections régionales et le remaniement ministériel qui a suivi, l'ex-avocat d'affaires a été parachuté du petit ministère de la Ville à la tête d'une véritable holding avec cinq ministres délégués et secrétaires d'État sous sa coupe. Mission : sauver le pays de la décomposition sociale. Rien de moins.

Un scénario écrit quelques mois plus tôt à Valenciennes. En octobre 2003, après les remous suscités par la réforme des retraites, Jacques Chirac entend renouer avec son thème fétiche, la fracture sociale, et c'est en terre borlooiste qu'il choisit de le faire. Jean-Louis Borloo lui fait visiter une ville en pleine renaissance. Avec l'implantation, en 2001, du constructeur automobile japonais Toyota, Valenciennes a amorcé sa reconversion industrielle. La vieille cité minière s'offre maintenant un relookage complet avec un projet de nouveau centre-ville et un tramway en chantier. « Chirac a pu vérifier que ce type n'était pas qu'un phraseur, explique un membre de l'entourage de Jean-Louis Borloo. Il s'est coltiné une des villes les plus pourries du pays qu'il a réussi à sortir de l'ornière. »

Autre atout de la météorite Borloo : son passage réussi au ministère de la Ville. Sa loi sur le désendettement ou la création de l'Agence nationale pour la rénovation urbaine ont reçu une large approbation. L'homme fait même des émules à gauche. « Borloo fait des promesses et il les tient », assène Gérard Collomb, le maire socialiste de Lyon. Bref, Jean-Louis Borloo acquiert une crédibilité qui lui permet d'incarner le tournant social du gouvernement. « La cohésion sociale ne dépend pas des retombées économiques, mais elle est le moteur de la croissance », répète-t-il à l'envi.

Sa promotion surprend néanmoins. Car Jean-Louis Borloo fait figure d'Ovni dans la classe politique. Son style ne passe pas inaperçu. « Tu sors de prison ? » lui demande un jour Alain Lambert, alors ministre du Budget, quand il le voit débarquer à une réunion avec une de ses chaussures sans lacet. Ses retards à l'allumage le matin ou sa mine mal rasée sont devenus légendaires. « Certains jours, on a l'impression qu'il a dormi avec sa chemise », s'amuse un de ses conseillers, en précisant qu'il a fait des efforts depuis qu'il est Rue de Grenelle. Mais le naturel reprend vite le dessus. Comme à Lyon, début septembre, où il visite un centre de formation implanté au cœur de la cité de la Duchère. Malgré la présence des caméras et des photographes, le ministre garde l'allure décontractée : les lunettes sur le bout du nez, jambes allongées, les mains derrière la tête, sa chemise déboutonnée. « S'il vous plaît, vous filmez en plan serré », chuchote, un brin gêné, un de ses conseillers à l'oreille d'un cameraman de France Télévisions.

Le Bonimenteur des « Guignols »

Un style qu'il cultive aussi à l'oral. Non satisfait de la réponse à la question qu'il pose à une formatrice sur l'aide à la création d'entreprise, il reformule à sa manière : « Si je veux créer taxi-brousse, comment est-ce que je dois m'y prendre ? » Ce look atypique séduit, et Jean-Louis Borloo n'hésite pas à en jouer. Ne l'a-t-on pas vu cet été en photo dans Paris Match vêtu de son pull fétiche ou d'un simple maillot de bain en compagnie de Béatrice Schönberg, la présentatrice du JT de France 2 ? Cette médiatisation lui a valu d'entrer dans le panthéon des « Guignols » de Canal + où il est apparu sous l'étiquette peu flatteuse de Bonimenteur. Un sobriquet que ne renierait certainement pas Bernard Frimat, sénateur socialiste du Nord : « Ce faux air de vieil étudiant, les cheveux en broussaille, c'est trop étudié pour être vraiment naturel. »

Son parcours politique n'est pas, non plus, très orthodoxe. Difficile de définir la ligne idéologique d'un homme qui a été, tour à tour, cofondateur avec Brice Lalonde de Génération Écologie avant de rejoindre François Bayrou à l'UDF pour, enfin, devenir adhérent de l'UMP. Avant la présidentielle de 2002, Jean-Louis Borloo aurait même misé sur Lionel Jospin. « Il était persuadé que celui-ci allait gagner, raconte un député de la majorité. Si le rapprochement ne s'est jamais concrétisé, c'est parce que Jospin ne lui a pas fait de propositions suffisamment intéressantes. »

Pas de passé militant ni de longue expérience d'élu à son actif. Jean-Louis Borloo est arrivé tardivement à la politique. À 37 ans, cet avocat au barreau de Paris spécialisé dans les entreprises en difficulté s'est fait un nom dans le monde des affaires en conseillant notamment Bernard Tapie. Le magazine américain Fortune le classe alors parmi les cinq avocats les mieux payés au monde. « Jean-Louis s'est rapidement imposé comme un leader de la profession, raconte Jean-Dominique Daudier de Cassini, un de ses anciens associés. À la fin des années 80, le cabinet qu'il avait fondé était en passe de devenir un des plus importants de la place. » Puis survient l'épisode Valenciennes. Tel saint Paul sur le chemin de Damas, sa rencontre avec la ville nordiste va le convertir à la cause sociale. C'est Colette Gadeyne, syndic au tribunal de commerce, qui lui ouvre les portes de la cité en lui proposant de reprendre le club de foot en cessation de paiements. « Elle l'a emmené voir les gamins à l'entraînement, se souvient Bernard Brouillet, maire adjoint de la ville. Il les a vus jouer avec leurs maillots élimés, leurs shorts déchirés. Il a un côté tellement boy-scout qu'il n'a pas pu refuser. »

Le défi de Valenciennes
En bon avocat, Jean-Louis Borloo sillonne la France pour vendre son plan de cohésion sociale aux élus et aux fonctionnaires.FACELLY/SIPA PRESS

Implantée entre le corridor minier et le bassin sidérurgique, Valenciennes est alors une ville sinistrée. Sa passion du ballon rond permet à Jean-Louis Borloo de rencontrer beaucoup de monde. « Nous étions toute une équipe de médecins, chefs d'entreprise, qui rêvaient d'en finir avec cette municipalité au pouvoir depuis quarante ans », raconte Bernard Brouillet. Au cours d'une de ces soirées à refaire le monde entre copains, ils lancent l'idée de monter une liste aux élections municipales de 1989. Jean-Louis Borloo apparaît alors comme l'homme providentiel. « Nous lui avons proposé de prendre la tête de la liste », poursuit Bernard Brouillet. Borloo accepte… à la grande surprise de ses amis : « Le voir partir en campagne à Valenciennes m'en a bouché un coin, se souvient Dominique Liger, un de ses proches, aujourd'hui conseiller spécial au ministère. Il a voulu relever le défi de redresser une ville qui lui est tombée dans les bras, mais il a été aussi très ému par la détresse de certains Valenciennois. » Après une campagne très terrain, le résultat dépasse tous les espoirs : 76 % des suffrages. « Il a pris le virus de la politique le soir du premier tour, se souvient Jean-Dominique Daudier de Cassini. De nombreux habitants étaient descendus dans la rue pour vivre cet événement. Ce fut un moment très intense. »

Ces treize années à la mairie vont être déterminantes. « Valenciennes était un concentré de tous les maux qui affectent le pays, explique Dominique Liger. Le plan de cohésion sociale, réponse à une population en souffrance et mal prise en compte par l'État providence, trouve ses origines dans l'expérience valenciennoise. » Sa confrontation à une technostructure qui saucissonne dossiers et financements l'incite aujourd'hui à regrouper les protagonistes. Les maisons de l'emploi, qu'il appelle de ses vœux (voir page 38), doivent permettre une meilleure coordination des acteurs du service public de l'emploi. De même, sa méfiance à l'égard de l'administration centrale le conduit à privilégier les élus locaux pour piloter le contrat d'avenir. « Ce programme, ce n'est pas Einstein qui l'a imaginé, dit-il, c'est un recueil de ce que pensent tous les mecs de terrain. » Jean-Louis Borloo s'inspire également des expériences étrangères comme celles du Danemark pour l'« activation des dépenses sociales » ou des États-Unis pour l'égalité des chances. « Il est très ouvert d'esprit, souligne Jean-Dominique Daudier de Cassini. Si une idée a marché quelque part, il va essayer de l'appliquer. À Valenciennes, il avait même imaginé un moment de créer des kibboutz. »

Bras de fer avec la chancellerie

Pour impliquer fonctionnaires et élus locaux, l'équipe ministérielle sillonne l'Hexagone depuis septembre. Après l'Alsace et Rhône-Alpes, le groupe de projet devrait se rendre en Paca, en Aquitaine et en Bretagne. « En bon avocat, Jean-Louis va s'attacher à convaincre le maximum de monde, souligne la sénatrice Valérie Létard. Il peut passer trois heures à discuter avec quelqu'un pour le faire changer d'avis. » Et si ses interlocuteurs sont rétifs, il n'hésite pas à user du rapport de force. Face à la SNCF qui refusait de desservir Valenciennes par le TGV, il avait ainsi brandi la menace de créer une liaison par cars au départ de la gare du Nord à Paris, des véhicules grand confort avec des hôtesses à bord, le tout sous le regard complice des caméras et des photographes.

Borloo n'hésite pas à court-circuiter ses collègues : « Sur le dossier du désendettement, raconte Dominique Liger, son ex-directeur de cabinet au ministère de la Ville, nous savions que la chancellerie risquait de s'y opposer à cause de l'engorgement des tribunaux. Pour gagner ce bras de fer, nous sommes donc allés au préalable rencontrer une dizaine de présidents de tribunal qui nous ont expliqué à quel point les affaires de surendettement s'accumulaient et que nos mesures allégeraient au contraire la charge des juges. Durant un an et demi, nous avons travaillé comme un commando qui devait prendre des bastions. »

Son cabinet est composé des fidèles de l'épopée valenciennoise, à l'instar de Dominique Liger. Mais, pour contrer Bercy, Jean-Louis Borloo s'est aussi entouré de fonctionnaires des Finances, comme Augustin de Romanet de Beaune, qui était le numéro un de son cabinet avant de rejoindre Matignon. « Il est intuitif et manager, dit de lui Marc-Philippe Daubresse, secrétaire d'État au Logement et chasseur de têtes dans le civil. Il a une capacité à déléguer très importante et agit comme un chef d'orchestre en prenant soin d'éviter les conflits. »

Le portable greffé à l'oreille

L'équipe ministérielle se voit trois fois par semaine durant une demi-journée mais, entre chaque réunion, les consultations continuent, souvent grâce au téléphone portable qu'il a pratiquement greffé à l'oreille. « Ce qui me fascine, c'est de le voir continuer à donner son numéro aux nombreuses personnes qu'il rencontre », s'amuse Dominique Liger. « C'est quelqu'un d'angoissé qui a besoin de beaucoup consulter », précise un autre de ses conseillers.

Après sa nomination, le black-out a été total Rue de Grenelle. Borloo s'est plongé dans l'élaboration de son plan, sous-traitant à ses ministres délégués les sujets périphériques. Les 35 heures, les délocalisations ? « Voyez Gérard Larcher », lance-t-il aux journalistes. À l'émission « 100 Minutes pour convaincre », examen médiatique obligé des premiers ministrables, il se montre persuasif quand il parle de rénovation urbaine ou de solidarité, mais apparaît mal à l'aise face aux questions techniques de François Chérèque sur les 35 heures.

« Je ne l'ai jamais vu réellement s'intéresser aux relations du travail ou aux RH », assure un patron du Valenciennois, qui avoue ne pas croire à « ce personnage très dilettante ». Ses adversaires dénoncent un spécialiste des coups médiatiques, servant de caution sociale au gouvernement. « Sa partition est très claire, fustige un haut fonctionnaire socialiste. Face à la brute Sarko, on nous agite le bon Borloo. » Une chose est sûre : à 53 ans, il joue son avenir politique. « C'est l'homme des missions difficiles, confie son copain Bernard Tapie, qui ne cache pas ses doutes : je pense qu'il n'a pas le poids politique pour être véritablement un contrepoids social. Il ne doit son pouvoir qu'à la volonté du président de la République de contrer les ambitions de Nicolas Sarkozy. » Jean-Louis Borloo a encore du pain sur la planche pour faire taire les sceptiques. Et la réussite, ou l'échec, du plan de cohésion sociale sera déterminant pour la suite de sa carrière politique.

Doper les emplois de services
S'appuyant sur une étude remise au Conseil d'analyse économique, Jean-Louis Borloo veut booster les services de proximité. Objectif : créer 500 000 emplois en trois ans.HENRY-CREMON/EDITINGSERVER.COM

Un nouveau plan pour Noël. À peine le chantier de la cohésion sociale est-il bouclé que Jean-Louis Borloo a trouvé son nouveau cheval de bataille : développer les emplois d'aide à la personne. Selon le ministre, ce secteur constitue en effet un énorme gisement d'environ 3,5 millions d'emplois. Ces estimations s'appuient sur les travaux de deux économistes, Pierre Cahuc et Michèle Debonneuil, qui ont rendu au printemps un rapport pour le Conseil d'analyse économique. Selon les auteurs de cette étude, le développement de ce secteur peut permettre d'atteindre le plein-emploi. De quelle façon ? En développant une offre de qualité. « On estime que la valeur des services domestiques autoconsommés représente l'équivalent de 50 à 70 % du PIB. Cela donne une idée du potentiel de valeur ajoutée que constitue l'externalisation d'une partie, même minime, de ces services », expliquent-ils. Les deux économistes prennent l'exemple des États-Unis où le commerce et la restauration emploient 20 % de la population active, contre 11 % seulement en France. « Si la France créait proportionnellement à sa population active autant d'emplois, notent Pierre Cahuc et Michèle Debonneuil, elle ne connaîtrait plus le chômage. » Jean-Louis Borloo s'en tient pour l'instant à des objectifs plus modestes en annonçant 500 000 emplois créés par les associations dans les trois ans à venir. Pour y parvenir, il va réunir un groupe composé d'associations, du syndicat des entreprises privées et des Caisses d'épargne. Autre chantier : la mise en place d'une plate-forme téléphonique qui permettra aux particuliers d'accéder 24 heures sur 24 à des offres de services. Ouverture prévue en 2005.

Auteur

  • Frédéric Rey