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1991/1997 LA CRISE DE CONFIANCE

Enquête | publié le : 01.11.2004 | Valérie Devillechabrolle

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1991/1997 LA CRISE DE CONFIANCE

Crédit photo Valérie Devillechabrolle

Avec la guerre du Golfe et la montée en puissance de l'actionnaire, les dégraissages se multiplient pour restaurer mais aussi accroître la rentabilité. Les DRH doivent se montrer inventifs. « Reengineering » et « incentive » sont à l'ordre du jour.

Avec pas moins de 16 000 suppressions d'emplois annoncées en une seule journée chez Air France (4 000), Peugeot (4 000), Bull, Snecma… ce mercredi 15 septembre 1993 restera dans la mémoire de Dominique Balmary, ex-délégué général à l'Emploi, comme un jour noir. Survenue dans le sillage de la première guerre du Golfe, la récession mondiale s'est propagée comme une traînée de poudre. « En l'espace de quelques mois en 1992, les règles du jeu de la compétitivité mondiale ont été bouleversées, ce qui nous a contraints à faire des efforts majeurs d'adaptation », explique le DRH d'une entreprise industrielle. Quant à Michel Huc, l'ancien leader de FO Métaux, il note qu'« à partir de 1993 les logiques financières ont débarqué en force. Les entreprises ne négocient plus qu'en vertu de perspectives de rentabilité définies : le CAC 40 est passé par là ».

Cela se traduit par des annonces de plans de suppressions d'emplois en cascade : « En lieu et place des grosses restructurations aidées par l'État et concernant des pans entiers de l'industrie lourde, les années 90 se caractérisent par une succession de restructurations d'entreprises, annoncées non plus toujours à chaud, mais également à froid, en vertu du maintien de la compétitivité et de raisonnements financiers », raconte le consultant Bernard Brunhes. Un changement de braquet souvent mal vécu par des DRH bientôt érigés en « videurs de la maison », selon l'expression de Bernard Galambaud, professeur à l'ESCP-EAP. Car, « si les plans sociaux étaient décidés par les P-DG, la mise en œuvre en incombait aux DRH », confirme Hughes Roy, consultant chez Algoé, à l'époque chez Arthur Andersen. « Nous n'étions jamais sereins car nous étions toujours sollicités très tardivement », renchérit Max Matta, alors DRH de Sextant Avionique, qui a ainsi hérité de la gestion de trois plans sociaux en quatre ans.

Une masse salariale à réduire

Dans le même temps, les RH sont, à l'instar des autres facteurs de coûts, de plus en plus soumises au régime du serrage de boulons. « Il ne s'agissait plus seulement de supprimer des sureffectifs, mais de réduire le pourcentage de masse salariale par rapport à un chiffre d'affaires en baisse », témoigne Hervé Hannebicque, l'ancien DRH de Bull, qui, au printemps 1993, entamait son huitième plan social en trois ans. Écœurée par ce « malthusianisme imposé, en pleine période de crise, par le P-DG au nom de la compétitivité », Martine Bidegain, grande figure des ressources humaines de Thomson, préfère jeter l'éponge…

Garants du bon déroulement de la procédure, les DRH sont alors confrontés à un véritable emballement législatif et judiciaire. « Personne n'avait vu que, derrière l'abandon de l'autorisation administrative de licenciement, se profilerait l'intervention du juge », reprend le DRH d'une grande entreprise industrielle. « Soucieux de répondre, au moins politiquement, à l'émotion suscitée par ces annonces, certains députés tentent d'obliger les entreprises à enrichir en mesures de reclassement le contenu des plans sociaux », relate Dominique Balmary. Un amendement communiste à la loi Aubry sur les licenciements est ainsi voté en pleine nuit, au mois de décembre 1992, afin de permettre l'annulation d'un plan social en cas d'absence ou d'insuffisance de contenu. Affaiblis par l'effondrement de leurs bastions traditionnels, les syndicats prennent l'habitude de combattre les décisions de suppression d'emplois en se tournant vers la justice. Ce qui, selon l'ancien délégué général à l'Emploi, « amène la Cour de cassation à bâtir un véritable droit jurisprudentiel au reclassement ».

« Face à un tel mur judiciaire, les DRH ont bel et bien été forcés d'inventer de nouveaux modes de gestion de leurs restructurations », se félicite l'avocat Gilles Bélier. C'est ainsi que fleurissent, notamment dans les grandes banques de détail, les plans de départs « volontaires » ou « négociés », réputés plus indolores, mais plus lourds en réorganisations internes et en formations. Parallèlement, les DRH tentent de « border leur plan social », à l'instar de Max Matta. Dès 1993, il organise avec l'aval des organisations syndicales un référendum sur le contenu d'un plan social introduisant, en avant-première, une réduction du temps de travail défensive. « Un accord de méthode avant la lettre ! » jubile-t-il aujourd'hui.

À la faveur de ces restructurations, les DRH planchent sur l'organisation du travail avec les cabinets de conseils anglo-saxons qui surfent sur la vague du reengineering théorisé par le consultant américain Michael Hammer : « Si, jusque-là, nous travaillions sur ces réorganisations d'entreprise plutôt avec les patrons opérationnels, nous commençons à travailler aussi avec les DRH, notamment sur les aspects de conduite du changement, d'évolution des compétences et de développement du leadership », raconte Alain Hengsen, alors consultant chez Pricewaterhouse. But de la manœuvre : faire maigrir les organisations grâce à une transformation radicale de leur fonctionnement. Inaugurée en grande pompe en 1992 par Martine Aubry, l'usine Pechiney de Dunkerque fait figure de modèle. « Grâce à l'enrichissement du travail et des évolutions de qualifications de personnel, nous pensions avoir trouvé la réponse permettant aux salariés de s'adapter, d'y trouver un intérêt et une reconnaissance suffisante », se souvient un ancien DRH du producteur d'aluminium.

Individualisation pour tous

L'individualisation de la gestion des salariés, des cadres en particulier, fait florès. Profitant de la diminution progressive de l'inflation, les entreprises reviennent en effet sur l'indexation des salaires sur le coût de la vie : « En contrepartie, nous lui avons substitué la notion d'incentive, c'est-à-dire un salaire de performance fondé sur une culture de progrès et susceptible d'être remis en cause chaque année », se félicite Hervé Hannebicque, ancien DRH de Bull. « Cela a contribué à crédibiliser le management. Lorsque tout le monde monte à l'ancienneté, la hiérarchie n'a aucun pouvoir », renchérit Martine Bidegain, qui vient de s'attaquer au plan de redressement d'Air France. À charge pour les DRH d'investir dans de nouveaux outils « objectifs et équitables » permettant de crédibiliser ces décisions individuelles. Dès 1991, Max Matta, DRH de Sextant Avionique, met ainsi en place « la méthode Hay de pesée des postes pour les cadres, en corrélation directe et automatique avec les salaires et l'état du marché de l'emploi local ».

Parallèlement, l'adoption par le gouvernement Balladur d'une nouvelle législation sur l'intéressement incite les entreprises à bâtir des plans à plus long terme, soumis à des charges sociales réduites. « Au fur et à mesure que le business se développe, l'entreprise a commencé à réfléchir à une autre façon de partager les fruits de la croissance », indique Hervé Hannebicque, qui a développé les premiers plans d'actionnariat salarié chez Bull. De son côté, Total transforme ses plans d'épargne salariale hérités des années 60 pour introduire un plan d'intéressement constitué pour partie d'actions Total, assis sur la performance du groupe, et un compte d'épargne retraite à long terme.

Au fil de ces années 90, l'internationalisation des entreprises s'accentue. Pour les DRH, cela se traduit notamment par la nécessité, à partir de la seconde moitié de la décennie et sous la pression de Bruxelles, de mettre en place un comité d'entreprise européen. « Cela a fait émerger de nouveaux champs de négociation, en nous obligeant pour la première fois à articuler une stratégie globale avec des négociations locales », explique l'ancienne DRH d'un groupe de télécommunications confronté, en 1996, à une crise frappant en même temps tous les pays d'Europe dans lesquels il était implanté.

1992

Le cap des 3 millions de chômeurs est franchi à l'automne. Alors que le nombre des licenciements explose, Martine Aubry, ministre du Travail, fait adopter en décembre un amendement visant à annuler la procédure de plan social en cas de mesures de reclassement insuffisantes.

1993

En janvier, Hoover annonce le transfert des 600 emplois de son usine de Longvic (Côte-d'Or) en Écosse.

Alors que les accords d'aménagement-réduction du temps de travail sont conclus chez Patain, SKF, Talbot Poissy pour éviter les licenciements, la discussion parlementaire du projet de lot quinquennale sur l'emploi se focalise à l'automne sur l'introduction, finalement repoussée, des 32 heures hebdomadaires.

1994

La directive sur les comités d'entreprise européens est adoptée. Dès 1991, les grandes entreprises (Elf Aquitaine, Thomson, Airbus, Renault en tête) commencent à se doter d'une instance d'information et de consultation européenne.

Soucieux de favoriser la constitution d'une épargne retraite par capitalisation, Édouard Balladur élargit en juillet les possibilités d'abondement défiscalisé dans les plans d'épargne d'entreprise, notamment ceux investis en actions.

En avril, la Cour de cassation reconnaît aux entreprises, dans l'arrêt Vidéocolor, le droit de procéder à des licenciements économiques pour sauvegarder leur compétitivité. Mais, un mois plus tard, la Cour renforce les obligations de l'employeur en matière de plan social (arrêt Everite). Le patronat hurle au rétablissement de l'autorisation administrative de licenciement.

1997

En février, la chambre sociale de la Cour de cassation décide la nullité du plan social de la Samaritaine, annule les licenciements prononcés et oblige l'entreprise à réintégrer les salariés concernés.

En mars, 100 000 personnes manifestent à Bruxelles contre la décision de Renault de fermer l'usine belge de Vilvorde, une décision pour laquelle le constructeur français sera sanctionné par la justice pour défaut de consultation préalable de son comité de groupe européen.

Auteur

  • Valérie Devillechabrolle