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1984/1991 TOUT FEU TOUT FLAMME

Enquête | publié le : 01.11.2004 | Sandrine Foulon

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1984/1991 TOUT FEU TOUT FLAMME

Crédit photo Sandrine Foulon

Sur fond de restructurations industrielles, les RH font leur apparition. Projets d'entreprise, management participatif, individualisation des salaires, tout est bon pour doper la performance des équipes… et gagner en productivité.

Tapis rouge pour les salariés. Au début des années 80, il n'y en a que pour eux. Pas un rapport annuel, pas un projet d'entreprise qui ne fasse référence à la seule vraie richesse qui vaille : les ressources humaines. Dans les discours, l'homme est assurément au cœur de l'entreprise. Mais il est aussi de plus en plus souvent dehors, son chèque-valise à la main. En 1984, les chantiers navals voient leurs carnets de commandes se vider et, avec eux, les effectifs. Ces derniers chutent pour la seule Normed de 10 000 à 5 000 en 1987. Un an plus tard, les chantiers déposent le bilan. Le textile, avec les Boussac et consorts, continue sa descente aux enfers. Horizon tout aussi douloureux pour la sidérurgie.

Mais, à l'époque, les moyens ne manquent pas et les nouveaux DRH – qui viennent pour la plupart de biffer la mention directeur du personnel sur leurs cartes de visite – font tout leur possible pour limiter la casse sociale. L'État, actionnaire de la plupart de ces énormes groupes, ouvre toutes grandes les vannes des préretraites FNE, en échange d'un droit de regard sur le contenu des plans. Qui se négociait directement dans les bureaux ministériels. « Jusque dans les années 90, nous avons vécu avec des mesures exorbitantes du droit commun. Des salariés ont pu partir en préretraite à 50 ou 55 ans », souligne Jacques Lauvergne, ancien DRH d'Usinor. Aujourd'hui directeur de la coordination RH France du groupe Arcelor, il ne manque pas de rappeler les actions menées en parallèle pour dynamiser les bassins d'emploi. Chaque unité disposait d'une structure de reconversion industrielle comme la Sodie. « Les directions travaillaient avec les collectivités locales. Il y avait à la fois une gestion réaliste et humaine et une compréhension par le corps social de ce qui se passait. On pouvait traiter les vrais sujets », ajoute un ancien DRH de la métallurgie.

Un état d'esprit offensif
La sidérurgie lorraine (ici, l'occupation de Sollac en 1984) est frappée au premier chef par les reconversions industrielles. Des restructurations facilitées par un recours massif aux préretraites.HANNA/PITOIS/REA-FIEVEZ/DELAHAYE/SIPA PRESSE-LE REPUBLICAIN LORRAIN/MAXPPP

Entrée en 1982 chez Thomson en tant que présidente de la mission de reconversion industrielle (Geris), Martine Bidegain – qui prendra ensuite la DRH de Thomson puis celle d'Air France – se mobilise, comme nombre de ses homologues, pour l'emploi. « Il s'agissait de dynamiser un bassin en échange d'une embauche prioritaire de nos anciens salariés. En dix ans, nous avons aidé à la création de 10 000 emplois. Car, sur cette période, nous avons vécu une énorme transfusion d'emplois : le recentrage sur le cœur de métier et de nombreuses ventes d'actifs se sont soldés par 65 000 départs pour 65 000 entrées sur 100 000 salariés. « À Saint-Gobain, José Bidegain, son mari et vice-président du groupe, avait déjà mis sur pied Saint-Gobain Développement afin d'accompagner la suppression de 25 000 emplois. Et, dans les entreprises, on se repasse Moderniser, mode d'emploi (1988), l'ouvrage d'Antoine Riboud, alors patron de BSN, devenu Danone, pionnier des missions de reconversion.

En 1987, dans un contexte plus favorable pour l'emploi, les restructurations passent au second plan. « On parlait déjà de pénurie de main-d'œuvre, raconte Jean-Marie Peretti, professeur à l'Essec et à l'IAE de Corse. L'état d'esprit était offensif. » C'est aussi la période où les DRH s'intéressent à la réduction du temps de travail. « La nécessité des restructurations et de l'augmentation de la productivité, le souci constant du maintien de l'emploi nous conduisent dès 1977 à étudier la question de la réduction du travail », écrit Jean Léon Donnadieu, le DRH de BSN, dans son ouvrage D'hommes à hommes : itinéraire d'un DRH (éd. L'Harmattan, 1999). En 1982, le groupe signe un accord à 33 h 36 pour les verreries à bouteilles. En 1984, Gervais-Danone passe aux 35 heures…

Parallèlement, la vétusté d'une partie de l'appareil industriel et l'obligation de s'adapter à un marché mondial poussent à faire évoluer la GRH en profondeur. Pour fabriquer des voitures de meilleure qualité et moins chères, Renault table sur la requalification des OS. « Renault sera essentiellement fait demain des hommes et des femmes qui le constituent aujourd'hui », clame le P-DG Raymond Lévy. Avec son DRH Michel Praderie, il élabore l'accord « À vivre », signé en 1989, qui repose sur la gestion prévisionnelle de l'emploi, de la formation, de la mobilité et du temps de travail. Parcours de carrière et entretiens annuels sont généralisés. 25 000 agents, dont 5 000 illettrés, doivent accroître leurs compétences. L'organisation du temps de travail est modifiée, les lignes hiérarchiques simplifiées. Les ouvriers travaillent en unités de base pour développer leur polyvalence. Dans les grands groupes, Taylor devient has been. L'heure est au management participatif, à la responsabilisation des salariés : cercles de qualité, groupes d'expression directe ou de progrès se multiplient. Autonomie et empowerment entrent dans le lexique managérial. On croit à la créativité des collaborateurs pour améliorer la qualité et doper la productivité. Et on les mobilise autour d'un dessein commun, le « projet d'entreprise ».

Chez Usinor aussi, à l'époque, une page avait déjà été tournée. « Il a fallu mettre un couvercle sur les préretraites, imaginer un autre système. Nous avons misé sur la démarche compétences, explique Jacques Lauvergne. Nous avons abandonné la logique de poste et opté pour une évaluation de l'investissement de chacun dans son travail qui ne se limite pas à la dimension technique mais intègre les aspects relationnels, économiques et qualité. Nous avons mis en place des référentiels métiers. » Ce sera l'accord Acap 2000 signé en 1990.

L'euphorie de « Vive la crise ! »

Le milieu des années 80 restera celui de la gestion prévisionnelle des emplois et des compétences (GPEC). Les DRH se sont mués en cartographes des métiers, camemberts et graphiques à l'appui. Mais avec des succès divers. « Dans GPEC il y a une lettre de trop, explique le DRH d'une grande entreprise de services. La démographie se prête éventuellement à la prévision quantitative, mais comment maîtriser, projeter des organisations à dix, quinze ans ? Pourtant, on dressait même des organigrammes sur vingt ans. » Et un cadre de se souvenir : « À l'été 1990, Thomson signait un grand accord de gestion prévisionnelle et préventive de l'emploi et des qualifications. Un mois plus tard, le groupe annonçait 3 000 suppressions d'emplois. C'était la démonstration in vivo que la GPEC ne pouvait mettre un terme aux plans sociaux. »

Le secret espoir de pouvoir tout instrumentaliser prend fin. Un malentendu pour Dominique Thierry, ancien vice-président de Développement et Emploi, l'un des pères fondateurs de la gestion prévisionnelle et préventive de l'emploi. « Certains DRH ont transformé ces outils de GPPEC en usines à gaz. Il y a eu une conception mythique qui n'a jamais été la nôtre. » Et de déplorer l'appropriation partielle de la démarche par nombre de sociétés. « Dès 1983-1984, les compétences commencent à être considérées comme un élément fondateur de la compétitivité. Sur ce point, nous avons été assez bien entendus. Beaucoup d'entreprises ont considérablement amélioré leurs plans de formation. En revanche, sur la gestion prévisionnelle et préventive, sur la nécessité de sécuriser le parcours des salariés, de développer l'employabilité, le bide a été total. »

Sur fond de délitement syndical, les années 80 voient aussi la montée des individualismes. « La période est euphorique. Des émissions comme “Vive la crise !” en 1985 avec Yves Montand et Michel Albert font un tabac. C'est la génération Tapie. On y croit. On vit la mort du schéma idéologique de la soumission. À chacun de se prendre en main. Le projet d'entreprise nourrit l'espoir. Les gourous, à l'instar de Daniel-Léonard Blanc, galvanisent les parterres de cadres. Le leadership est à la mode », se souvient Bruno Jarrosson, consultant en stratégie chez Atlantic Intelligence. Du coup, en marge des premiers plans d'intéressement qui explosent entre 1987 et 1990 et de l'actionnariat salarié dopé par les privatisations de 1986, les DRH innovent en matière de rémunération ciblée. Les cadres sont payés sur la base de la performance. « À partir de 1984, j'ai mis en place des systèmes de promotion à base de contrôle des connaissances du niveau de compétences requis. Cela m'a permis de contourner le système pervers d'un syndicat FO qui décidait des augmentations de rémunération », souligne un ancien DRH de l'aéronautique. « Chez Thomson, nous avions supprimé l'ancienneté et les augmentations générales pour les cadres. C'était révolutionnaire », renchérit Martine Bidegain, qui propose à Alain Gomez, le P-DG, la création d'une université d'entreprise qui accueillera 600 ingénieurs et cadres chaque année.

Il n'y en a que pour les hauts potentiels

Cette individualisation de la GRH initie une segmentation sociale qui ne fera que s'amplifier. « Les cadres sont au cœur de l'entreprise. On leur crée des comités de carrière, des people reviews… On les fidélise. Les cadres sont gérés, les employés et ouvriers administrés », constate Bernard Galambaud, professeur à l'ESCP-EAP. C'est le début de la vision très élitiste des high pot. Shell repère ses hauts potentiels avant 30 ans. Les cabinets anglo-saxons se targuent de connaître la cotation d'un poste dans le monde entier. Tant que la croissance a été de la partie, le développement des carrières a été possible. Mais, avec la crise, les RH porteuses d'espoir n'ont pas tenu toutes leurs promesses. « On est alors sur un modèle ambigu, analyse Bernard Galambaud. Les RH, symbole de la gloire de l'entreprise communautaire, émergent au moment même où cette dernière commence à se déliter. En réalité, à partir de 1984, on gère la crise plus que les RH. »

Et Bruno Jarrosson de renchérir. « Les années 80 sont à la fois le triomphe et le chant du cygne des relations humaines. On a cru qu'en gérant les RH on allait motiver des salariés censés être mus par les mêmes objectifs. On a beaucoup joué sur les émotions et la communication. Or le désenchantement provient de là. Fin des années 80, c'est plutôt l'école de Crozier qui rafle la mise. Pour lui, les hommes et les femmes agissent en fonction d'intérêts divergents. » Mais la guerre du Golfe va sonner le glas des grands shows sur la stratégie d'entreprise. Avec des hordes de cadres inscrits aux Assedic, l'euphorie retombe. C'est bien le rationnel qui prend le pas sur l'émotionnel. Et la GRH adopte un profil bas.

Jean-Marie Peretti, professeur de sciences humaines à l'IAE de Corse et à l'Essec :
“Un discours volontariste”
THIERRY LEDOUX

Comment s'explique la naissance des ressources humaines en 1984 ?

Jusqu'en 1983, les chefs du personnel se contentent d'une gestion laxiste. Les mesures d'âge fleurissent. Le bonheur est dans la préretraite. Mais, en 1983, l'environnement change et c'est lui qui va jouer le rôle de déclencheur.

Les frais de personnel explosent : ils atteignent 70 % de la valeur ajoutée, un maximum jamais atteint. L'entreprise ne peut plus se développer. Elle a un besoin vital de remettre ses pratiques à plat. D'où ce besoin de changer l'appellation fonction du personnel en direction des ressources humaines.

Comment va se traduire cette nouvelle GRH ?

C'est l'apogée de la gestion des effectifs avec son corollaire, le développement de l'employabilité. On voit apparaître la gestion prévisionnelle des emplois et des compétences, la GPEC. Puis on rajoute progressivement des P pour préventive, partagée, personnalisée, ce qui nous donne la GPPPPEC. C'est assez significatif de cette époque où le discours n'a jamais été aussi volontariste et conquérant.

Est-ce la fin de la gestion de masse ?

On assiste à un développement de la personnalisation dans tous les domaines. C'est la fin des augmentations générales fortes et l'essor de la reconnaissance du mérite, pour les cadres essentiellement.

Bouygues figure parmi les premiers à adhérer à ce modèle. Mais l'époque voit aussi l'avènement d'une génération plus individualiste, en quête de davantage d'équité que d'égalité. Les salariés entrés dans le monde du travail au début des années 80 comparent leur contribution avec celle des anciens.

Comment les DRH faisaient-ils partager leur vision ?

C'était l'époque où le projet d'entreprise était l'affaire des DRH.

On mettait en place des groupes d'expression directe, on prônait le management participatif, le travail en commun, les boîtes à idées… On importait des modèles japonais pour multiplier les cercles de qualité. Il aura fallu le retournement des années 90 pour faire retomber le soufflé du discours participatif.

Avec l'accumulation des plans sociaux, les RH ont-elles perdu en crédibilité ?

Il ne faut pas jeter le bébé avec l'eau du bain. À la fin des années 80, la DRH a réussi sa professionnalisation. Elle a su s'imposer comme un partenaire stratégique, elle a modifié son approche de la motivation et de la rémunération, et a su accompagner le changement au travers de projets d'entreprise. Elle a aussi modifié son rapport au plan de formation et enrichi les tâches et parcours professionnels.

1982

Le cap des 2 millions de chômeurs est franchi. Le gouvernement Mauroy adopte une politique d'austérité.

Les lois Auroux démocratisent le dialogue social dans l'entreprise.

1984

Le gouvernement Mauroy adopte un plan d'accompagnement des mutations industrielles. But avoué : lutter contre les licenciements secs par l'instauration de congés de conversion.

Creusot-Loire est mis en règlement judiciaire. La direction de Citroen demande 2 937 licenciements qui seront refusés par l'administration.

Une note confidentielle de François Dalle, président de la Commission nationale de l'industrie automobile, estime que 70 000 suppressions d'emplois sont nécessaires dans la branche d'ici à 1988.

1986

Après l'échec des négociations des partenaires sociaux sur la flexibilité et au terme d'un marathon judiciaire, Michel Delebarre fait adopter en février une loi d'aménagement du temps de travail introduisant une plus grande flexibilité des horaires.

Philippe Séguin, ministre des Affaires sociales, supprime l'autorisation administrative de licenciement.

Édouard Balladur favorise par ordonnance les régimes d'épargne salariale en simplifiant et en harmonisant les dispositifs d'intéressement, de participation et les plans d'actionnariat salarié.

1990

Sur fond d'affaiblissement des syndicats, Axa conclut avec la CFDT, la CGC et la CFTC un accord sur la nécessité d'aboutir lors des négociations annuelles d'entreprise en contrepartie de l'octroi d'un chèque syndical.

1991

17 janvier. Les troupes de la coalition bombardent le Koweït envahi par l'Irak.

La guerre du Golfe durera un mois et demi. Fin 1991, en France, c'est la « sinistrose » L'accent est mis sur le recours au chômage partiel pour éviter les licenciements.

Les contrats emploi solidarité sont mis en place. Michel Rocard instaure la CSG.

Auteur

  • Sandrine Foulon