logo Info-Social RH
Se connecter
Newsletter

Enquête

Annick Allégret, directrice de l'unité management et leadership à la Cegos : « DE NOMBREUX CADRES SE REFUGIENT DANS UN CHOIX DE SOUMISSION STRATEGIQUE »

Enquête | publié le : 01.10.2004 | Valérie Devillechabrolle, Isabelle Moreau

Image

Annick Allégret, directrice de l'unité management et leadership à la Cegos : « DE NOMBREUX CADRES SE REFUGIENT DANS UN CHOIX DE SOUMISSION STRATEGIQUE »

Crédit photo Valérie Devillechabrolle, Isabelle Moreau

Plus d'un cadre sur trois n'adhère pas aux orientations stratégiques de son entreprise. Une telle proportion vous surprend-elle ?

Non, cela ne me surprend pas vraiment. D'une part, les cadres deviennent de plus en plus méfiants à l'égard de leur entreprise en raison des « dérives » qui ont pu mettre en péril un grand nombre d'emplois ces dernières années, malgré des discours stratégiques très porteurs. D'autre part, même si, dernièrement, les dirigeants se sont efforcés de mieux communiquer sur leur stratégie, cette communication n'est en elle-même pas suffisante pour susciter la compréhension et l'adhésion. Enfin, le rythme accéléré des changements dans l'entreprise est dissonant avec la capacité d'assimilation et d'appropriation des cadres, qui se replient dans une attitude d'attentisme critique.

Quel est l'impact de ce déficit d'échanges dans l'entreprise ?

L'effet perçu par les cadres dans l'entreprise, c'est parfois le manque de visibilité sur le futur et souvent un sentiment de faible cohérence entre les décisions au sein d'une même entreprise. Ça peut être aussi un sentiment d'impuissance vis-à-vis du moyen terme. On parle aujourd'hui beaucoup de leadership ; le rôle de leader consiste justement à donner un cap à l'entreprise, du sens à l'action de chacun et l'envie de contribuer activement aux orientations en travaillant avec les autres. Autant de champs sur lesquels on attend des cadres dirigeants qu'ils exercent leur leadership.

Pourquoi les dirigeants sous-estiment-ils autant le degré d'insatisfaction de leurs cadres ?

Ce déphasage s'explique d'abord par le fait que les cadres dirigeants ne sollicitent et n'écoutent pas suffisamment leurs collaborateurs, même s'ils en ont l'intention et ont le sentiment de le faire. Dans le même temps, on observe de plus en plus un choix de soumission stratégique dans lequel se réfugient de nombreux cadres, tentés de faire prévaloir leur confort et leur sécurité, quitte à taire leur insatisfaction.

Cette soumission n'arrange-t-elle pas l'entreprise ?

Au début, les effets peuvent être perçus comme bénéfiques par certains dirigeants qui privilégient les climats « pas de vague », mais, très rapidement, ils deviennent négatifs. La soumission stratégique des cadres dans l'entreprise se traduit inévitablement par une baisse de l'innovation, à commencer par la faible capacité à prendre des risques et des initiatives. Certains dirigeants sont intellectuellement conscients de cet écueil mais ont des difficultés à mesurer le degré de soumission de leurs collaborateurs.

Comment expliquez-vous qu'une majorité de cadres se sentent peu ou pas associés à la définition des objectifs stratégiques ?

Sur ce point, l'incompréhension entre dirigeants et cadres est fréquente. Dans le champ de la stratégie, les règles du jeu sont rarement clarifiées, elles laissent donc chacun donner libre cours à son imagination, à ses fantasmes et à ses souhaits. Peut-être faudrait-il rappeler plus souvent ce qui est de la responsabilité de chaque acteur dans l'entreprise. Qui est chargé de la définition et de l'appropriation de la stratégie, qui est chargé de sa bonne exécution…

En cinq ans, le nombre de cadres se déclarant plus proches des salariés que de leur direction générale a sensiblement augmenté. Pourquoi ?

Être cadre aujourd'hui ne veut plus rien dire. Le statut se vide de sens et ne reflète pas forcément une responsabilité de management humain ou de management de business. Par ailleurs, la reconnaissance et les avantages traditionnels liés au statut de cadre disparaissent progressivement et, depuis une petite décennie, les cadres ne sont plus protégés par leur entreprise. De plus en plus, la scission se fait entre le top management – dans la plupart des cas une petite dizaine de personnes – et le reste de l'entreprise. Enfin, l'espace-temps dans lequel interviennent les cadres est de plus en plus le court terme. Le résultat opérationnel immédiat et la satisfaction du client deviennent prépondérants au détriment, quelquefois, de la réflexion et de la maturation.

Pourquoi les cadres focalisent-ils leurs critiques sur le management des entreprises ?

Il s'agit probablement d'un des effets de la délégation à outrance sur le management opérationnel de missions auparavant exercées par d'autres dans l'entreprise, ajoutée au cumul de responsabilités, qu'elles soient hiérarchiques, transversales ou liées à des projets. Aujourd'hui, il est très difficile d'être un manager performant dans l'ensemble des champs car, souvent, l'entreprise lui demande tout et n'importe quoi, et tout simplement trop. Par ailleurs, beaucoup d'entreprises mettent en place des chartes managériales qui définissent des valeurs ou des pratiques recherchées, alors que, dans le même temps, elles s'assurent de moins en moins de l'homogénéité des pratiques en termes de management. Peut-être s'agit-il aussi de l'expression du fossé culturel entre les quadras-quinquas orientés « management traditionnel » et les plus jeunes cadres orientés « business et court terme ».

Auteur

  • Valérie Devillechabrolle, Isabelle Moreau