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Pierre Blayau décloisonne les métiers de Geodis

Vie des entreprises | METHODE | publié le : 01.09.2004 | Catherine Lévi

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Pierre Blayau décloisonne les métiers de Geodis

Crédit photo Catherine Lévi

Approche multimétier, satisfaction du client, management participatif… Depuis quatre ans, Pierre Blayau a profondément transformé cette galaxie de sociétés issues de la SNCF, en prônant une large décentralisation. Pour attirer les jeunes, le groupe mise désormais sur la gestion des compétences.

Début 2004, Geodis lançait en grande pompe la célébration du centenaire de Calberson, le fleuron historique du groupe, en présence de Pierre Blayau, son P-DG. Depuis dix ans, le transporteur de marchandises a mis les bouchées doubles. En 1995, Calberson absorbe les sociétés Bourgey Montreuil, Sceta Transport et Sceta International et prend la dénomination sociale de Geodis. En 1996, le groupe est privatisé, la SNCF ne gardant que 45,09 % du capital. Et il se structure en quatre branches d'activité : messagerie et express, logistique, transport complet et lots, overseas. La reprise de Tailleur Industrie en 1997 renforce l'orientation stratégique du groupe vers la logistique. Aujourd'hui, Geodis, c'est 240 filiales, une présence dans 120 pays, 500 agences locales, 22 500 collaborateurs dont 79 % en France, 70 000 clients, un chiffre d'affaires de 3,216 milliards d'euros en 2003.

Dès son arrivée aux commandes en 2001, Pierre Blayau, confronté à de grosses difficultés financières, chamboule l'organisation et le fonctionnement du groupe. Objectif : instaurer une dynamique entre ses métiers face à des clients exigeants et insuffler une culture orientée business. Les résultats se redressent. Les pertes de 137,9 millions d'euros en 2001 se transforment en bénéfices : 22,1 millions d'euros l'an dernier. L'année 2004 devrait également être un bon cru. Mais, dans un groupe riche d'histoires multiples, Pierre Blayau a encore fort à faire pour consolider ses réformes…

1 DOTER LE GROUPE D'UNE CULTURE CLIENTS

En arrivant, Pierre Blayau constate que Geodis ne fait pas jouer les synergies entre ses métiers. Le groupe ressemble à un mille-feuille, au sein duquel se sont constituées des baronnies. Un fonctionnement forcément handicapant face à un marché global et exigeant. « Nous sommes de plus en plus sollicités par des clients qui veulent des prestations multiples », observe Patrick Tierny, directeur de la région Nord. Dès 2001, le nouveau P-DG décide donc de mettre un terme à ce cloisonnement pour proposer aux grands clients comme IBM, les 3 Suisses, Thomson Multimedia, Valeo, une offre multimétier et sectorisée (textile, santé, high-tech…). Ceci tout en conservant les spécificités des métiers, les marques historiques, comme Calberson, et une approche régionale proche du client.

Sous la responsabilité d'un comité de direction de 11 personnes, le groupe s'organise à l'échelle internationale en grandes zones géographiques. Au niveau national, une société, Geodis France, voit le jour, regroupant la messagerie, l'express et la logistique. La redistribution des cartes entraîne la fusion des directions de la messagerie et de la logistique aux niveaux central et régional. Une réorganisation, sans réduction d'effectifs, qui s'est plus ou moins bien passée. Considérée comme bonne élève, la nouvelle division marketing et commerciale du groupe fait école. « Nous avons reconstitué nos équipes selon une offre transversale en mettant en avant les apports de chacun, fait valoir Bruno Mandrin, directeur commercial et marketing de Geodis France. Je veille au maintien des expertises et j'organise la polycompétence. Nous avons beaucoup travaillé sur le mode projet et la responsabilité. Tout est structuré autour des services aux directions régionales. »

Piliers de la nouvelle stratégie de Geodis France, les 10 directions régionales multimétiers sont des unités opérationnelles qui viennent en support des entités locales spécialisées par métier. La région Nord, par exemple, coiffe 21 agences qui emploient 1 050 salariés dans trois départements. Elle est composée d'une équipe de 19 personnes réparties au sein de directions fonctionnelles multimétiers (qualité, commercial, informatique, RH…). « Un commercial de terrain dépend à la fois de son directeur d'agence et de la direction commerciale régionale », explique Patrick Tierny. Des comités transversaux associant des responsables et des opérationnels des différentes entités planchent sur les sujets d'intérêt régional.

Un cinquième métier transversal et à fort contenu de matière grise voit le jour : le pilotage et l'optimisation de la chaîne logistique. Il est porté par Geodis Solutions, une société d'ingénierie et d'études de 220 personnes aujourd'hui, qui conçoit des projets complexes liés à la chaîne d'approvisionnement pour des grands clients dans des périmètres européens ou intercontinentaux. Exemple : la conception et la création d'un entrepôt, l'embauche des équipes, le démarrage du site et la réalisation du plan de transport. « Nous accompagnons les régions sur un mode matriciel », précise Jean-Louis Demeulenaere, directeur général de l'entité. Emblème du virage du groupe : le déménagement en 2002 à Clichy (Hauts-de-Seine) dans un siège social unique des directions centrales, transverses et opérationnelles, soit 400 personnes.

2 PROMOUVOIR UN MANAGEMENT PARTICIPATIF

Ces réorganisations reposent sur une philosophie commune : la satisfaction totale du client, démarche mise en place dès 1998 pour la messagerie et l'express et progressivement étendue aux autres métiers du groupe. Un référentiel de 300 bonnes pratiques donne le la en matière de réunions, d'accueil, de courrier… Mais, pour Geodis, la satisfaction des clients est indissociable de celle des salariés. Introduite à partir de fin 1999, la satisfaction totale des collaborateurs (STC) vise à promouvoir le management participatif au sein du groupe. « Nous ne pouvons continuer à progresser en matière de qualité si nos collaborateurs ne se sentent pas reconnus, confiants et gagnants », explique Jean Depraeter, directeur général adjoint, à l'origine du projet. Objectif : favoriser l'initiative personnelle et la responsabilité des équipes.

Une centaine de standards communs concernant tous les aspects de la vie professionnelle (recrutement, intégration, formation, évolution…) ont été définis. « Nous n'avons pas été directifs car les agences sont très hétérogènes en taille et en style. Nous avons laissé chacun libre sur la façon de s'y prendre pour atteindre les objectifs », précise Laurence Ducharne, de ClientTeam, le cabinet de conseil associé à la démarche. Par exemple, le référentiel de « suivi de contribution » prévoit « qu'un collaborateur peut faire le point avec son supérieur quand il le souhaite, qu'il est félicité lorsque ses résultats sont supérieurs aux objectifs, qu'il se voit proposer des formations pour mieux réaliser sa mission ». Simple, mais parfois oublié. Aussi, chaque année, Geodis réalise des baromètres de satisfaction des salariés pour mesurer l'implication des managers et rectifier le tir, si nécessaire, par des actions de formation.

« Aujourd'hui tout passe par le dialogue, explique Christophe Havez, responsable d'une équipe de chauffeurs à Calberson Lille. Ces formations nous apportent beaucoup. Les choses ont bien évolué. » Christophe Dumont, chauffeur, confirme : « On a beaucoup de rapports avec nos responsables, il n'y a pas de barrage, ils prennent le temps de nous écouter. Dans les entreprises de notre secteur, le dialogue n'existe pas toujours », ajoute-t-il. Message également entendu à Calberson Paris. « On ne manage plus les équipes comme hier », fait valoir Christophe Duvernois, le directeur du site de 300 personnes. La synergie est de rigueur : les commerciaux accompagnent les chauffeurs lors de leurs tournées pour apprendre à mieux connaître leur métier et récupérer de précieuses informations du terrain. Geodis propose aussi des défis de STC qui mettent en vedette les entités les plus méritantes. Des challenges déclinés au niveau des équipes : la région Nord organise ainsi une compétition entre chauffeurs qui récompense leur savoir-faire sur des critères comme la sécurité, la propreté du véhicule, la qualité de livraison ou la remontée d'informations.

La « mayonnaise » a-t-elle pris ? Pas sûr, pour Jean-Marie Mutez, délégué syndical FO de Calberson Ile-de-France. « La STC est novatrice mais reste en partie théorique, juge-t-il. Les mentalités ont du mal à évoluer. Il ne suffit pas d'avoir de bonnes idées, il y a des endroits où la démarche peine à être appliquée. »

3 FAIRE VIVRE LA DÉCENTRALISATION

Pas question pour autant de verser dans le centralisme. Afin de favoriser la réactivité des équipes et de tenir compte du contexte économique et commercial de chaque structure locale, Pierre Blayau mise sur la décentralisation. « Nous travaillons dans un groupe qui donne de l'autonomie à ses entités dans le cadre d'une interdépendance nationale, régionale et réseau », résume Christophe Duvernois. Cette décentralisation est amplifiée par la persistance de nombreuses structures juridiques, reflet de la construction du groupe. On compte 240 filiales qui ne recoupent pas la nouvelle organisation opérationnelle. Chaque structure a la responsabilité de sa gestion et de ses équipes, malgré son rattachement à une direction régionale.

Reflet de la politique RH, le dialogue social est décentralisé. Il n'existe pas de comité de groupe, les élus de terrain négociant avec leur propre direction, la plupart du temps des patrons d'agence. Les évolutions salariales se négocient entreprise par entreprise, voire établissement par établissement. La plupart des filiales ont des accords d'intéressement établis sur la base de critères de performance spécifiques. Les partenaires sociaux jugent plutôt positivement ce dialogue social de proximité, malgré des disparités. « On a mis du temps pour sortir d'une situation conflictuelle. Nous nous positionnons aujourd'hui comme partenaire et travaillons en transparence », affirme Jean-Marie Mutez (FO). « On arrive toujours à trouver un terrain d'entente », renchérit Francis Toussaint, délégué syndical CGT de Calberson Paris.

Revers de la médaille, le groupe n'est pas très lisible pour les salariés, surtout à l'international. Tout le monde ne se retrouve pas dans l'enchevêtrement d'entités opérationnelles, de sociétés juridiques et de marques. « C'est un montage complexe, souligne Jean-Marie Mutez. Il y a eu tellement de changements que chacun a du mal à suivre. » « La politique RH du groupe n'est pas toujours claire pour nous. Il est, par exemple, difficile d'obtenir des renseignements précis sur les effectifs », abonde Jean-Pierre Rémy, délégué syndical CFDT de Geodis Bourgey Montreuil.

Ce déficit d'information se répercute sur les possibilités d'évolution des salariés, d'autant que la bourse de l'emploi ouverte en 2002 n'a pas donné les résultats escomptés et que la mobilité est freinée par l'absence de politique salariale commune. Les syndicats prêchent pour plus d'unité sociale au sein du groupe. « On voudrait fédérer un maximum de sociétés, car il existe des disparités salariales importantes dans le groupe en fonction notamment des métiers, ce qui fait que chacun a tendance à comparer sa situation avec celle des autres », explique Jean-Marie Mutez.

4 ENCOURAGER LA COHÉSION DU GROUPE

Pour Georges Troudart, secrétaire CFTC du CHSCT de Calberson Ile-de-France, l'absence de comité de groupe est un handicap. « Cette instance nous permettrait d'harmoniser les avancées sociales et d'avoir une vision globale du groupe. » « On ne contrôle pas tout. À notre niveau, on ne connaît pas l'ensemble des délégués syndicaux du groupe, souligne Jean-Marie Mutez. Pris dans le quotidien, les patrons d'agence ne sont pas toujours aussi réceptifs que la direction centrale au dialogue social. Si cette instance voyait le jour, il y aurait des retombées sur le terrain. »

La direction a fait un premier pas en créant en février 2000 un comité européen de concertation (CEC) de 21 membres représentant cinq pays. « Il nous permet d'obtenir des informations plus précises sur la situation économique du groupe et de regarder l'évolution de l'emploi, mais il n'a pas la portée d'un comité central de groupe », juge Jean-Pierre Rémy, également secrétaire du CEC. À défaut, les syndicats sont demandeurs de comités centraux régionaux. « Il y a bien des directeurs régionaux, pourquoi ne pas faire la même chose avec le dialogue social ? » estime Francis Toussaint. Certaines avancées sont néanmoins à noter. La totalité des salariés bénéficie aujourd'hui d'un plan d'épargne groupe. En outre, les sujets d'intérêt général, comme la mutuelle, se discutent en commissions au niveau national, métier par métier toutefois.

Geodis sait qu'il doit encore gagner en cohésion et affirmer sa culture de groupe, surtout dans une logique d'internationalisation insuffisante à ce jour. Les structures et les méthodes communes mises en place ne sont que les premières pierres de la maison Geodis. Jean-Pierre Rémy constate qu'« il reste beaucoup à faire pour imprimer une culture commune ».

Sans remettre en cause sa logique de décentralisation, la direction cherche donc de nouveaux éléments fédérateurs. Si le nombre de filiales a été réduit ces dernières années, Geodis mise plutôt sur la communication. « Notre magazine en trois langues, Geodis Mag, tiré à 23 000 exemplaires, est un précieux outil pour favoriser la connaissance de Geodis, explique Jean-Christophe Benetti, le DRH du groupe. Nous y faisons un large panorama de la vie du groupe. » Pour la formation, les responsables des entités disposent d'un catalogue commun, ce qui évite les disparités de niveau entre les salariés. Mais c'est la gestion des compétences, encore balbutiante, qui devrait véritablement booster la culture du groupe.

5 MISER SUR LES COMPÉTENCES

La multiplicité des entités et expertises, la diversité des savoir-faire nécessaires aux métiers du groupe (une centaine), la technicité de certains clients, une pyramide des âges vieillissante (31 % des salariés ont entre 40 et 50 ans) font de la gestion des compétences une priorité. Recruter est un casse-tête. La logistique et le transport n'attirent guère. Le secteur est jugé rébarbatif, les conditions de travail difficiles et les salaires peu attractifs. En outre, Geodis met la barre haut. « Nos difficultés de recrutement viennent de nos exigences de plus en plus fortes, explique Armand Dehont, responsable des RH de la région Nord. Aujourd'hui, par exemple, les chauffeurs doivent avoir une grande maîtrise technique et développer des qualités relationnelles et commerciales. » Les perles rares ne courent pas les rues. Lors de l'ouverture d'un site logistique pour les 3 Suisses en juillet 2003, Armand Dehont a eu les plus grandes difficultés à trouver 80 personnes qualifiées dans une zone qui connaît pourtant un fort chômage.

Geodis a cependant des atouts. « Nous pouvons offrir aux jeunes des possibilités de promotion rapides », fait valoir Jean-Louis Vincent, DRH de Geodis France. En outre, les salaires sont de 20 à 30 % au-dessus des conventions collectives, le treizième mois étant généralisé. Pour attirer les jeunes, Geodis a entrepris sous sa bannière collective des actions de lobbying auprès des écoles et des universités qui devraient aboutir à une démarche de « marque employeur » indispensable pour faire venir des cadres chevronnés. Le groupe a commencé à débaucher des « pointures », notamment pour Geodis Solutions. Didier Julien, par exemple, vient du conseil. Il n'a pas hésité à franchir le pas : « J'ai été séduit par le challenge et par les possibilités d'innovation offertes par le groupe.

Mais il ne suffit pas d'attirer les talents, encore faut-il les fidéliser par des perspectives de carrière alléchantes. Pour ce faire, le groupe généralise les entretiens annuels professionnels pour évaluer les compétences, favoriser leur développement et recenser les souhaits d'évolution. En parallèle, la détection et la gestion des potentiels, balbutiante, se met en place, ainsi que des business reviews des cadres dirigeants et des hauts potentiels du groupe et de ses unités opérationnelles. Une politique qui sera amplifiée par la création d'une université d'entreprise virtuelle. Enfin, la décentralisation n'est plus de mise au sommet de la pyramide. « Les salaires des 150 premiers cadres du groupe sont décidés en comité de direction », explique Jean-Christophe Benetti.

Pour que ces efforts aient un sens, Geodis doit booster la mobilité. À cet effet, le groupe va lancer une charte de mobilité afin de convaincre les directions locales, dont le fonctionnement reste un tantinet administratif, de raisonner en termes de carrières et de gestion des compétences. Et il se dote d'outils et de méthodes ad hoc. « Nous faisons évoluer notre SIRH organisé par branches vers un système unique de paie, explique ainsi Jean-Louis Vincent. Outre la simplification, notre but est de favoriser la gestion des compétences et d'en faire un outil multimétier. » Reste à vérifier si l'objectif de cohérence et la logique de décentralisation ne sont pas contradictoires sur la durée.

Entretien avec Pierre Blayau :
« Je ne vois pas aujourd'hui l'intérêt de remettre en cause les 35 heures, qui sont rentrées dans les têtes »

Diplômé de l'École nationale supérieure de Saint-Cloud, de Sciences po et de l'ENA, Pierre Blayau, 53 ans, à la tête de Geodis depuis janvier 2001, a le parcours type des élites à la française. Cet ancien inspecteur des finances a présidé aux destinées de PPR puis de Moulinex, ce qui lui vaut aujourd'hui d'être rattrapé par la justice. Un juge de Nanterre l'a mis, en juillet, en examen pour « banqueroute par emploi de moyens ruineux ». Dans l'adversité, il garde le cap et fait montre de pugnacité. Passionné de foot – il a notamment présidé le club de Rennes – et de voile, il aime la compétition. Le secteur de la logistique est en cela un parfait terrain d'exercice.

Pourquoi avoir modifié en profondeur le fonctionnement de Geodis ?

Pour tenir compte de la concurrence et des attentes des clients, nous avons décidé de changer l'organisation du groupe par branche en business units multimétiers géographiques et régionales en France, chacune sous la responsabilité d'un patron. Faire travailler tout le monde ensemble était aussi le moyen de mettre un terme aux conflits internes contre-productifs entre entités spécialisées. Ce nouveau cap n'a pas été pris sans difficulté. Au départ, il y a eu des résistances normales, mais très vite chacun a compris le bénéfice que le groupe pouvait tirer à faire jouer les synergies. Mais il nous reste encore des progrès à accomplir.

Votre cheval de bataille, la décentralisation, n'est-il pas un handicap pour la cohésion du groupe ?

Le groupe doit rester décentralisé pour des questions d'efficacité managériale car les problèmes sont très différents en fonction des agences. Personne ne gagnerait à avoir un groupe centralisé avec des discussions à n'en plus finir. Les sociétés juridiques du groupe expriment cette décentralisation. En contre-partie, un reporting serré des entités vers le siège a été mis en place. Cette culture de résultat est très fédératrice.

Êtes-vous favorable à une remise en cause des 35 heures ?

Clairement, les accords sur la réduction du temps de travail que nous avons négociés dans chacune de nos entités en tenant compte de leurs spécificités nous conviennent entièrement. Ils ont contribué à la mise en place d'une nouvelle organisation du travail, à l'amélioration de la productivité et à la modération salariale. En outre, nous avons pleinement bénéficié des aides accordées à cette occasion. Nous avons trouvé un équilibre. Je ne vois pas aujourd'hui l'intérêt de remettre en cause la réduction du temps de travail, rentrée dans les têtes.

Nous sommes davantage préoccupés par les discussions qui se déroulent actuellement au niveau professionnel sur l'harmonisation des directives européennes et des conditions de travail. Qu'il s'agisse du temps de travail ou des salaires, les différences sont significatives entre les opérateurs des nouveaux membres de la Communauté européenne et ceux de pays comme le nôtre. Si on ne fait rien, on va tuer les prestataires les plus en avance sur le plan social.

Certains industriels se livrent aujourd'hui à un chantage avec les 35 heures. Qu'en pensez-vous ?

Je suis sceptique quand je vois des industriels qui allongent le temps de travail sans augmentation de salaire en brandissant la menace des délocalisations. De telles solutions de crise ne peuvent avoir valeur d'exemple et être institutionnalisées. Elles pourraient braquer les salariés et sont même économiquement contre-productives car elles ne changent rien sur le long terme. L'important est plutôt de négocier, entreprise par entreprise, la souplesse requise et que chacun sorte gagnant. Des contreparties salariales ne peuvent donc être exclues.

Quelle est l'incidence de la réforme des retraites sur Geodis ?

Dans le transport et la logistique, elle pose un casse-tête, car elle se heurte à la pénibilité des tâches. Il n'est pas facile d'adapter les missions des chauffeurs ou du personnel des entrepôts en fonction de l'âge. Pour les cadres, en revanche, il est possible de mettre en œuvre des carrières plus longues, mais ils représentent à peine 10 % de nos salariés. Le problème est donc entier. Peut-on trouver des solutions par la formation ? Nous y réfléchissons.

Que pensez-vous de la réforme de la formation professionnelle ?

Dans nos métiers, les qualifications acquises par l'expérience et la fidélité à l'entreprise comptent davantage que les diplômes. Une des forces de Calberson, notre marque historique, a toujours été d'encourager la transmission des savoir-faire, répondant ainsi aux attentes des salariés qui sont très attachés à leur entreprise. La loi ne fait finalement que contractualiser ce qui existe chez nous. On ne peut donc qu'y être favorable.

Pour autant, nous ne voulons pas d'un système administratif trop lourd. C'est un des écueils du dispositif actuel.

Le gouvernement entend remettre en activité chômeurs et exclus. Pouvez-vous y contribuer ?

A priori, les métiers du transport et de la logistique sont présentés comme facilement accessibles à des personnes temporairement exclues du marché du travail ou qui n'ont pas de qualification de base suffisante. À la marge, nous pouvons offrir des solutions de reclassement, mais notre secteur n'est pas un débouché naturel car nos activités sont de plus en plus techniques. Par exemple, un chauffeur du réseau express doit aujourd'hui savoir scanner les colis et il dispose dans son camion d'une informatique embarquée qu'il doit parfaitement maîtriser. Ces tâches ne sont pas insurmontables, mais une formation adéquate est nécessaire. Notre démarche consiste davantage à intégrer des jeunes et à les former nous-mêmes.

Propos recueillis par Cathérine Lévi

Auteur

  • Catherine Lévi