logo Info-Social RH
Se connecter
Newsletter

Vie des entreprises

La « Star Ac » des businessmen fait rêver l'Amérique

Vie des entreprises | ZOOM | publié le : 01.09.2004 | Isabelle Lesniak, à New York

Image

La « Star Ac » des businessmen fait rêver l'Amérique

Crédit photo Isabelle Lesniak, à New York

« The Apprentice » entame une deuxième saison très attendue. Ce « reality show » met diplômés et jeunes entrepreneurs aux prises avec les défis lancés par l'homme d'affaires Donald Trump qui les élimine un à un pour recruter le meilleur. Véritable phénomène de société outre-Atlantique, l'émission valorise une image de la réussite par tous les moyens.

C'est incontestablement l'événement médiatique de la rentrée aux États-Unis. L'Apprenti 2, la deuxième mouture de l'émission de téléréalité de l'homme d'affaires Donald Trump, ne débutera sur la chaîne NBC que le 9 septembre, mais elle défraye la chronique depuis le printemps. Avec 34 épisodes annoncés, au lieu de 16 lors de la première saison, et 18 candidats – soit deux de plus qu'au cours de la précédente édition –, la bagarre s'annonce rude pour les participants de cette « Star Ac » des businessmen. Des jeunes pleins de talent, diplômés des plus grandes universités américaines (quatre sont issus de Harvard, trois de la Wharton School of Finance) ou self-made men déjà millionnaires en dépit de leur jeune âge. Autre point commun : tous arborent un look glamour. Deux d'entre eux, surnommés Barbie et Ken par la presse d'outre-Atlantique, sont déjà bien placés pour devenir les nouveaux chouchous du public.

Avec tous ces arguments, NBC n'aura aucun mal à rassembler les foules, tous les jeudis soir, à 21 heures, autour de la suite de The Apprentice. L'hiver dernier, ils étaient plus de 20 millions de téléspectateurs à se passionner pour la compétition entre 16 candidats d'une trentaine d'années prêts à relever les défis lancés par le pape de l'immobilier, dans l'espoir que celui-ci les embauche. Du genre rénover et louer un appartement en vingt-quatre heures, gérer le Planet Hollywood de Manhattan, quémander des objets appartenant à des stars new-yorkaises pour les vendre aux enchères chez Sotheby's ou encore monter des tournois de golf et des concerts de rock en un temps limité. Le 16 avril 2004, l'Audimat a battu tous les records : 27,6 millions d'Américains ont assisté à la victoire en direct de Bill Rancic, souriant fondateur d'une entreprise de vente en ligne de cigares, sur Kwame Jackson, détenteur d'un MBA de Harvard et gestionnaire de fonds à Wall Street, chez Goldman Sachs. Ce soir-là, en bon patron américain, Trump a préféré récompenser l'entrepreneur plutôt que le diplômé en déclarant Bill vainqueur. Ce dernier s'est vu offrir un CDD d'un an, payé 250 000 dollars, pour diriger l'une des filiales immobilières de Trump, avec pour mission de superviser la construction d'un gratte-ciel de luxe à Chicago.

La fable d'un capitalisme brutal

Fort d'un mentor qui fait à nouveau rêver l'Amérique (malgré sa faillite retentissante au début des années 90), de son concept original et de ses vues époustouflantes sur Manhattan, The Apprentice est devenu, en quatre mois, un véritable phénomène de société, suivi par un large public qui rassemble aussi bien les nounous que les avocats d'affaires. Les 18-49 ans, cible de choix des annonceurs, se sont laissé prendre à cette fable sans nuances d'un capitalisme à la fois brutal et ultradynamique : 17,5 millions d'entre eux se sont branchés sur NBC pour la finale de la première saison.

La phrase lancée par Trump à la fin de chaque épisode au perdant du jour – You're fired (« Vous êtes viré ») – est désormais passée dans le langage courant. Reprise sur tous les tons, elle sert de slogan dans une publicité pour des téléphones cellulaires et figure même dans une version de Don Giovanni montée sur une scène new-yorkaise, où la statue du Commandeur châtie le libertin par ces mots.

Dans tous les campus du pays, où les étudiants étaient aussi passionnés que leurs professeurs, quelque peu sidérés par l'impact du show, moult colloques et lectures ont été consacrés à The Apprentice. Un cours sur la série a même été lancé à l'University of Washington de Seattle. Étudiante en mastère de gestion, Darlene Henwood, 28 ans, explique parfaitement pourquoi l'émission de Trump plaît autant : « Qui aurait cru que l'on puisse empocher des milliers de dollars en installant un kiosque de limonade sur le trottoir près de Times Square, comme la première épreuve de The Apprentice l'imposait aux candidats ? La philosophie de cette émission, c'est que l'on peut encore faire fortune dans ce pays à condition de trouver le truc qui marche et d'y croire. Bien sûr que c'est un message qui parle aux jeunes Américains. »

Alan Confere, qui a participé à de nombreux chats consacrés au show sur Internet, partage le même enthousiasme : « De la première saison, j'ai retenu tout d'abord qu'un businessman est quelqu'un capable de tout vendre et, ensuite, que la formation est un critère important dans la recherche d'emploi mais qu'elle ne remplace pas un bon QI. »

Une sélection impitoyable

Tous les Darlene et Alan du pays rêvent de participer à The Apprentice. NBC affirme avoir reçu 1 million de candidatures en ligne pour la deuxième saison, quatre fois plus que pour la première édition. Autant dire que la sélection est impitoyable. Après avoir renvoyé un dossier de préinscription (des pages de questions du genre : « Comment vos collègues vous décrivent-ils ? », « Êtes-vous heureux en affaires ? », « Racontez une anecdote embarrassante pour vous », « Comment vous imaginez-vous dans cinq ans ?») et une vidéo d'autopromotion, 21 000 personnes ont été conviées aux épreuves de présélection organisées dans une quinzaine de villes du pays, de Little Rock à Miami. Seules conditions exigées : avoir au moins 21 ans, être en excellente condition physique et mentale et ne pas avoir été candidat à plus de deux reality shows aux États-Unis au cours des deux dernières années.

À New York, le 18 mars dernier, plus de 2 000 jeunes gens ont ainsi fait la queue, dès 5 heures du matin, pour être les premiers à passer un entretien avec l'un des lieutenants de Trump. Certains avaient installé tente et sac de couchage devant le Trump Building du 40, Wall Street, pour rendre l'attente plus supportable. Au bout du compte, ils ne seront que 18 à participer à l'émission. Des battants qui n'ont pas attendu le show télévisé pour faire carrière. « Les candidats de l'Apprenti n'ont pas du tout le profil habituel de ceux qui se présentent aux séries télévisées », reconnaît Rob La Plante, 28 ans, chargé du casting chez Burnett, la société de production de l'émission. « Ce ne sont pas des serveurs de restaurant ni des acteurs au chômage, mais des détenteurs d'un MBA qui voient dans ces épreuves une façon de se surpasser professionnellement. Certains m'ont même avoué qu'ils préféreraient ne pas passer à la télé. »

Tous les coups sont permis

Pour pouvoir concourir à la première série, Kwame Jackson a quitté un lucratif emploi de banquier d'affaires. Le très individualiste Sam Solovey dirige la prospère société Internet qu'il avait créée dans le Maryland quatre ans plus tôt. Katrina Campins, salariée d'une agence immobilière à Miami, était spécialisée dans la recherche d'appartements pour les stars du football américain. Elle a raconté comment elle a débuté dans les affaires, à 17 ans, en touchant une commission de 35 000 dollars à l'occasion de sa première vente. Rien que des futurs Rockefeller, auxquels une Amérique traumatisée par les licenciements des dernières années a envie de s'identifier. « L'Apprenti a envahi nos écrans à un moment où beaucoup d'Américains sont ou bien au chômage, ou pour le moins inquiets quant à leurs perspectives professionnelles. Dans ce contexte, savoir que l'un d'entre eux va décrocher le poste du siècle sans passer des mois à chercher un emploi est naturellement fascinant », observe Verne Gay, journaliste à l'Orlando City Beat, une gazette de Floride.

Et, pour gagner, tous les coups sont permis à The Apprentice. Même si les scandales Enron et Worldcom sont encore présents dans les esprits, les candidats n'ont pas fait preuve d'une grande moralité au combat. Le gentil Kwame Jackson n'a pas hésité à signer des autographes en se faisant passer pour une star du basket afin d'attirer les clients au Planet Hollywood. Les filles jouent sans vergogne de leur sex-appeal. Toujours court vêtues, elles se jettent au cou de ceux qui leur permettent de gagner et adoptent souvent le ton du flirt avec leurs interlocuteurs. Un comble dans un pays aussi à cheval sur les principes. Quant à Sam Solovey, il a carrément reconnu qu'il avait versé 50 dollars à la première des 700 personnes qui faisaient la queue aux épreuves de présélection pour échapper aux quatre heures d'attente. Une preuve d'ingéniosité, selon Donald Trump…

« Je regrette l'impact que peut avoir l'Apprenti sur mes étudiants, estime Glan Taylor, professeur au John H. Sykes College of Business de Tampa. Ce que Trump valorise, c'est le fait de gagner et non de gérer des ressources humaines. C'est le règne du chacun pour soi et du j'écrase les autres. » Jeffrey Sonnenfeld, de la Yale School of Management, partage ce sentiment : « L'image de la vie en entreprise qui ressort de ce show est affreuse. Chaque épisode se termine sur une mauvaise réponse ou un comportement déviant. Trump félicite les candidats les plus fourbes, et les plus loyaux sont éliminés. » L'écrivaine Deborrah Himsel, auteur d'une chronique hebdomadaire sur l'Apprenti I dans le premier quotidien américain, USA Today, est encore plus critique : « L'émission véhicule un modèle féodal de management fondé sur la peur d'être licencié. La Corporate America a fait tant d'efforts durant les récentes vagues de downsizing pour rendre la procédure de licenciement moins dégradante. Et voilà qu'il suffit à Trump de pointer son doigt sur quelqu'un pour le bannir de la communauté des travailleurs. »

Pas de souci pour les « virés »
Le fameux « You're fired » (Vous êtes viré) prononcé par Trump à l'adresse du perdant à chaque épisode du show est tellement populaire qu'il est passé dans le langage courant.FABIANO/SIPA PRESS

Ceux qui ont été « virés » pour les besoins de l'émission n'ont pas de souci à se faire. Invités au gala annuel de la presse par le président Bush, sollicités pour donner le coup d'envoi des matchs de base-ball, conviés par le milliardaire Warren Buffet dans son ranch d'Omaha, courtisés par la publicité, les apprentis malheureux débordent de propositions. Trump a offert à l'un d'eux, Troy, une formation pour doper ses affaires immobilières. Son compère Jason a vu son listing de logements multiplié par trois après son bref passage dans le show. Goldman Sachs a vainement proposé de récupérer Kwame, qui a décliné l'offre de son ex-employeur pour prendre un job dont rêvent tous les jeunes Américains : travailler pour Mark Cuban, le milliardaire qui contrôle l'équipe de basket des Dallas Mavericks.

Amy, la dernière participante à avoir été éliminée durant la première saison, prépare un livre de management où elle expliquera aux femmes comment réussir dans l'univers de l'entreprise dominé par la gent masculine. Enfin, Nick, vendeur de photocopieurs malchanceux au cours de la précédente édition, gère la publicité d'un journal haut de gamme, le Gotham Magazine. En attendant, précise-t-il, de devenir le prochain gouverneur de Californie. Il a bien retenu la leçon numéro un du père de The Apprentice : quand on entreprend de décrocher la lune, il ne faut pas craindre le ridicule…

Du mieux pour les diplômés
Selon le site de recherche d'emploi en ligne Monster, un bon tiers des jeunes diplômés de 2003 n'ont toujours pas trouvé un job un an après la fin de leurs études.PELAEZ INC./CORBIS

« Les diplômés de 2004 peuvent se montrer prudemment optimistes pour leur première recherche d'emploi. » La conclusion de l'étude menée en avril 2004 par la National Association of Colleges and Employers a mis un peu de baume au cœur des étudiants américains.

Plus de la moitié (51,5 %) des 209 patrons interrogés comptent recruter plus de jeunes diplômés d'ici à la fin 2004 que l'an dernier, dans les services (où les intentions d'embauche sont en hausse de 16,1 %), mais aussi dans l'industrie (+ 12,6 %). Les perspectives sont, en revanche, moins prometteuses dans l'administration.

De manière générale, la concurrence reste rude quand il s'agit de décrocher son premier job : selon le site de recherche d'emploi en ligne Monster, 35 % des diplômés de 2003 sont encore au chômage près d'un an après la fin de leurs études. La cuvée 2004 ne doit pas se faire trop d'illusions quant à ses rémunérations futures : le premier salaire proposé par la moitié des sociétés américaines ne dépasse pas les 30 000 dollars par an. Les mieux lotis sont à nouveau les informaticiens, dont le salaire de départ a connu sa première augmentation depuis 2001 (+ 7,5 % entre le premier trimestre 2004 et le premier trimestre 2003). Les développeurs et les experts en software peuvent aujourd'hui tabler sur 55 000 dollars à l'embauche.

Les comptables qui intègrent un cabinet prestigieux peuvent espérer gagner 42 000 dollars, les diplômés en finances ou économie 40 000 dollars. Ceux qui rêvent de faire carrière dans la communication – très touchée par la crise – doivent se contenter de moins de 28 000 dollars par an. Même si les diplômés sont nettement moins courtisés que durant le boom de la fin des années 90, les études restent une bonne parade contre le chômage. Selon le Bureau of Labor Statistics, en mai 2004, alors que le taux de chômage de la population était de 5,6 %, il s'élevait respectivement à 8,8 % pour ceux qui n'étaient pas allés au-delà du bac et à 2,9 % pour ceux qui avaient au moins une licence universitaire.

Auteur

  • Isabelle Lesniak, à New York