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Vie des entreprises

Chez Koné et Otis, l'ascenseur social grimpe sans à-coups

Vie des entreprises | MATCH | publié le : 01.09.2004 | Sandrine Foulon

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Chez Koné et Otis, l'ascenseur social grimpe sans à-coups

Crédit photo Sandrine Foulon

Sécurité, rémunérations, carrières, dialogue social : les deux leaders du marché de l'ascenseur sont quasiment au coude-à-coude. Il n'y a guère que sur la formation que le numéro un, Otis, est devancé par son challenger. Un enjeu important pour la maintenance, car le renforcement de la législation sur le contrôle des installations va prochainement doper l'activité.

Trois blessés graves dans la chute d'un ascenseur d'un immeuble du IIIe arrondissement, début août, à Paris. L'appareil, qui datait de 1970, a dévalé près de cinq étages avant de s'écraser. Des faits divers plus ou moins tragiques, des récits d'usagers coincés des nuits entières, des histoires de sachets de drogue cachés dans les gaines, les spécialistes de la maintenance des ascenseurs en ont à profusion. Cet hiver, l'un d'entre eux a trouvé la mort au tribunal de Bobigny, électrocuté dans l'installation qu'il était en train de dépanner. « Le problème de notre profession est qu'il y a des machineries inaccessibles, sur les toits, sans balustrade, explique un syndicaliste. Ni les architectes ni les propriétaires d'immeuble ne pensent à nous lors de la conception des bâtiments. » Et la France possède en outre le plus vieux parc d'Europe : 60 % des ascenseurs ont plus de vingt ans d'âge. Une hantise pour les deux leaders de la fabrication et de la réparation d'ascenseurs, l'américain Otis, numéro un (5 800 salariés dans l'Hexagone), et son challenger, le finlandais Koné (3 000 salariés), au coude-à-coude avec le suisse Schindler (voir encadré page 50).

On ne lésine pas sur la sécurité
KONÉ Effectif France : 3 000 salariés dont 1 950 techniciens. CA : 360 millions d'euros. 90 000 ascenseurs sous contrat de maintenance.NICOLAS

Grâce à un plan d'action engagé il y a quinze ans et axé sur des formations lourdes, Koné se targue d'avoir le plus faible taux d'accidents du secteur. « Nous avons un taux de fréquence inférieur à 10. C'est-à-dire moins d'un accident pour 100 000 heures de travail », souligne Bernadette Penazzi-Guyot, la DRH. En 2003, l'entreprise n'a recensé que 45 accidents du travail et ne déplore aucun événement mortel depuis trois ans. Pour sa part, Otis a divisé par six en huit ans le nombre d'accidents, selon Thierry Robert, le responsable des relations sociales, des rémunérations et des systèmes d'information RH. Le groupe a enregistré 59 accidents du travail en 2003 contre 127 en 2001. Harnais, casques, chaussures, Otis ne lésine pas sur le matériel de sécurité ni sur les procédures à n'en plus finir. Dans le cadre de sa bataille contre les accidents du travail, Koné forme également les techniciens à la sécurité routière, car l'essentiel des troupes se déplace à deux roues et en voiture.

C'est d'ailleurs sur le terrain de la formation que l'écart est le plus criant entre les numéros un et deux du marché de l'ascenseur. Avantage à Koné, qui y consacre plus de 5 % de sa masse salariale. Créé en 1973 dans des entrepôts délaissés par l'Otan, en pleine campagne berrichonne, le centre de Châteauroux, doté d'un budget de fonctionnement de 2 261 000 euros annuels, est le seul agréé en France pour accueillir des jeunes stagiaires de l'ANPE rémunérés par les Assedic. Dans la perspective d'être recrutés en CDI, 120 jeunes y passent trois mois et demi en immersion totale. Par ailleurs, le centre accueille tous les ans 1 500 salariés en poste pour des modules d'une à trois semaines.

Fini le compagnonnage

Sur place, les techniciens peuvent se former aux nouvelles technologies, comme aux anciennes techniques, sur des armoires électriques datant de l'antiquité ou des versions électroniques dernier cri. Avec 18 gaines d'ascenseurs au total, le centre propose toutes les sortes de portes existantes, ces véritables talons d'Achille des ascenseurs qui sont à l'origine de 60 % des pannes. Un impératif, car « on ne trouve pas de jeunes diplômés formés à nos métiers, rappelle Daniel Henrotte, directeur du centre. La filière électromécanique a disparu. Pour la filière maintenance, nous puisons actuellement dans les BEP, CAP, BTS et les bac pro équipement et installations électriques (EIE) et Maintenance des systèmes mécaniques automatisés (MSMA) ».

Si Otis possède également un centre de formation technique à Argenteuil où les jeunes embauchés bénéficient d'un stage à la sécurité, l'intégration n'est pas jugée suffisante par certains syndicats. « Quand je suis entré chez Otis il y a trente-cinq ans, il y avait une sorte de compagnonnage, se souvient Serge Piednoir, délégué syndical central de FO. La jeune recrue était formée pendant trois à quatre mois et était accompagnée pendant un an et demi par un salarié confirmé. Aujourd'hui, les nouveaux embauchés suivent un stage court et plongent dans le grand bain. » Reste que le numéro un investit tout de même 3,67 % de sa masse salariale dans la formation. « Il s'agit de former les nouveaux embauchés mais aussi de faire monter en compétences la population existante, explique Sylvie Rouzay, directrice de la formation et du développement des compétences. C'est pourquoi nous avons mis au point le programme Compétence Up il y a un an et demi pour analyser et identifier, à partir de tests de connaissances, les besoins en formation des salariés dédiés au montage, à la maintenance et à la modernisation. »

Car les deux entreprises savent aussi qu'il faut assurer la relève. « Nous essayons de multiplier les partenariats avec les lycées professionnels et nous développons l'alternance », précise Laurence Paris-Aubry, responsable du recrutement. Par l'intermédiaire de leur fédération professionnelle, les employeurs ont fait le siège de l'Éducation nationale pour que soit ajoutée une mention « ascensoriste » dans le cadre de la rénovation du bac pro MSMA. Ceci pour sensibiliser les jeunes, qui ne se précipitent pas pour faire carrière dans le métier. La faute à une méconnaissance du secteur mais aussi à de fortes contraintes d'horaires, assurent les professionnels.

Astreintes et permanences
OTIS Effectif France : 5 800 salariés dont 3 500 ouvriers et techniciens. CA : 911 millions d'euros. 159 000 ascenseurs sous contrat de maintenance.NICOLAS

Basé à Monaco, Rémi, un jeune technicien, est consigné chez lui une fois par semaine. « Si je suis d'astreinte le lundi, cela signifie que depuis dimanche minuit je reste chez moi avec le téléphone portable jusqu'au lundi midi. Puis je travaille normalement jusqu'à 20 heures et ensuite je suis à nouveau d'astreinte à la maison jusqu'à minuit. » Les salariés bénéficient d'une gratification de 14 euros pour la permanence, et les heures de nuit entre 21 heures et 6 heures donnent lieu à une majoration de 4 euros. Pas de quoi inciter les jeunes et les pères de famille à multiplier les astreintes. « Et quand bien même on serait bien payé, assure un technicien d'Otis, beaucoup de collègues préfèrent avoir une vie sociale. Car, passé 50 ans, les dépannages de nuit… »

Les quatre grands du secteur, Otis, Koné, Schindler et ThyssenKrupp, vont devoir déployer des trésors de séduction. Car la nouvelle loi urbanisme et habitat, dont les décrets étaient attendus fin août, va les contraindre à embaucher des réparateurs d'ascenseur à tour de bras dans les années à venir. Plus connue sous le nom de code UEH dans le jargon de la profession, elle oblige en effet les propriétaires d'ascenseur à mettre en conformité leur installation d'ici à quinze ans au maximum, par tranches de cinq ans, en fonction de 17 risques identifiés. Un marché qui s'annonce juteux. Otis a embauché 500 personnes rien qu'en 2003. Koné, qui a recruté 317 salariés, dont 118 de moins de 25 ans l'an dernier, pour le seul renouvellement de ses troupes, estime à 100, voire à 130, le nombre d'embauches à réaliser cette année. Et « il ne fait pas de doute que nous allons rester sur ce rythme dans les années à venir », pronostique la DRH.

Avis aux candidats : Koné, société familiale située au quatrième rang mondial du secteur, et Otis, le leader mondial, groupe coté en Bourse et détenu depuis 1975 par United Technologies Corporation (UTC), ce n'est pas tout à fait la même chose. Si les niveaux de rémunérations sont sensiblement les mêmes, si la participation et l'intéressement s'élèvent bon an mal an à deux mois et demi de salaire supplémentaires pour les employés des deux groupes, et si la tendance à l'individualisation se dessine très nettement, Otis se montre beaucoup plus offensif sur la notion de mérite. « Pas de promotion à l'ancienneté, mais priorité aux compétences », affirme ainsi Thierry Robert, le responsable RH du siège de Courbevoie. En plus des primes individuelles d'objectif versées une fois par an, les salariés peuvent bénéficier de bonus immédiats récompensant un effort particulier.

Le régime de la carotte

Une politique dénoncée par la plupart des syndicats, FO, CGT, CFDT en tête. « Otis ne jure que par une très forte politique de primes. C'est le régime de la carotte, regrette Franck Pfister, délégué syndical central CFDT. Aujourd'hui, un jeune embauché peut gagner autant qu'un ancien présent depuis vingt ans dans la boîte. » Et Jean-Luc Rigail, délégué syndical central CGT, de renchérir : « Les écarts se creusent. Otis a mis en place un “ciblage”. Chaque année, la direction identifie des salariés méritants et leur octroie des augmentations. Quant aux augmentations collectives, elles n'atteignent que 0,5 %. » À ces griefs, Xavier Savigny, le DRH d'Otis, répond en brandissant l'enquête de climat social : « Les indices de satisfaction liés à la rémunération figurent parmi ceux qui ont le plus progressé. » Sur la feuille de paie, le salaire brut cumulé (fixe, variable, participation et intéressement) s'élève en moyenne à 1 600 euros mensuels pour les ouvriers et techniciens, 1 900 euros pour les administratifs, 2 240 euros pour les agents de maîtrise, 3 500 euros pour les cadres.

Chez Koné, le personnel a bénéficié cette année de 1,5 % d'augmentation générale mais, pour la première fois, la part liée au mérite a dépassé le collectif, avec 1,7 %. Pour autant, la part variable n'est pas l'obsession de l'entreprise. Fait rarissime dans la profession, même les commerciaux perçoivent un salaire fixe. « L'idée que nous défendons est de ne pas les démotiver avec des objectifs inatteignables et de ne pas les détourner de la qualité. Il s'agit de stimuler l'esprit d'équipe », explique Bernadette Penazzi-Guyot, la DRH. Quant aux rémunérations des autres catégories, elles sont très voisines de celles d'Otis. Un technicien débutant gagne en effet 1 300 euros mensuels brut sur treize mois.

En tout cas, les deux groupes ont longtemps été à l'abri de démissions et de départs volontaires, le turnover avoisinant les 10 %. Ils offrent de réelles perspectives de carrière. Chez Koné, près d'un quart des techniciens affichent plus de vingt ans d'ancienneté. À l'image de Patrick Artico, qui y est entré comme technicien il y a trente ans, aujourd'hui directeur opérationnel. La promotion interne est également une réalité chez Otis, où un technicien sur quatre totalise plus de trente ans de présence. « L'ensemble des directeurs est issu de l'interne, ajoute le DRH Xavier Savigny, arrivé il y a dix ans au sein du groupe. On a l'avantage d'être une grande entreprise très structurée où les passerelles entre les différents métiers sont nombreuses. Nous n'avons pas besoin de courir après les techniciens ni d'alimenter la surenchère salariale. »

Reste que la mise en œuvre de loi UEH a commencé à changer la donne. Les petits ascensoristes indépendants sont à l'affût du personnel bien formé des grands du secteur. Quand ce ne sont pas les leaders eux-mêmes qui tentent de débaucher des salariés chez leurs concurrents. « Sur Mulhouse, Otis a recruté toute l'équipe de chez Schindler, explique Franck Pfister. Et toute l'équipe d'Otis est partie chez Schindler… en Suisse. »

Départs de salariés expérimentés

Même scénario chez Koné. « Depuis cinq à six ans, le turnover est plus important, note Gérard Rivallain, délégué syndical central FO. On voit partir des gens dotés d'un vrai savoir. » Délégué CGT de Koné, Jacky Jardin, embauché il y a quarante-deux ans, constate lui aussi des départs de salariés expérimentés, « pour gagner 300 à 400 euros de plus ». À l'instar de Pierre, un technicien parisien parti il y a deux ans chez Schindler après plus de vingt-cinq ans au service d'Otis, en faisant au passage une culbute de 450 euros mensuels. Sept autres techniciens lui ont emboîté le pas. « Personne n'a essayé de me retenir. C'est hallucinant. Nous étions onze sous l'autorité d'un contremaître. À présent, les trois derniers s'en vont et deux d'entre eux nous rejoignent. En deux ans, l'équipe a été totalement renouvelée. »

Mais si Pierre a quitté Otis, c'est aussi, selon lui, parce que les conditions de travail se sont dégradées chez le leader du marché. « Tout est dorénavant dicté par la rentabilité. Pour vérifier 380 appareils une fois par mois, nous n'étions que deux techniciens, l'un travaillant le matin, l'autre le soir. Évidemment, il y avait les primes mais, sur la durée, on ne peut plus tenir. »

Vingt minutes par appareil

Jean-Luc Rigail, syndiqué CGT chez Otis, confirme cette intensification du travail. « Lorsqu'un technicien réalise entre 20 et 25 visites par jour, il peut difficilement faire un boulot de qualité. Cela fait vingt minutes en moyenne par appareil. Ce n'est pas suffisant. Malheureusement, nous ne sommes pas parvenus à faire intégrer dans la nouvelle législation des critères de qualité sur la maintenance des ascenseurs. Celle-ci a été négligée au profit de la modernisation du parc. Et pourtant, la source des profits est clairement sur les contrats de maintenance, puisque chaque propriétaire est tenu d'en avoir un. » Même cri d'alarme de Franck Pfister, de la CFDT. « Il y a dix ans, les techniciens contrôlaient au maximum 80 appareils par mois, sans compter les pannes. Aujourd'hui, on frôle les 150 visites mensuelles. Les techniciens possèdent un outil qui leur permet de badger à chaque visite d'entretien. On ne fait plus que ça : du badgeage. »

Et les représentants syndicaux de dénoncer une politique qui consisterait à laisser le parc se dégrader afin de proposer du matériel neuf. Ce que le DRH d'Otis réfute catégoriquement. « Si nous étions amenés à développer des indices de performance aux dépens des clients, si les conditions de travail venaient à se détériorer au détriment de la qualité du service, nous perdrions des contrats. Ce n'est pas le cas. Et nos indices de satisfaction clients sont bons. »

Souvent critiqués par les organisations syndicales, les deux groupes entretiennent néanmoins des relations étroites avec leurs partenaires sociaux respectifs. Chez l'ascensoriste Otis, qui vient de signer un accord de droit syndical, le dialogue social est soutenu entre la direction et les cinq organisations syndicales représentées.

Selon Bernadette Penazzi-Guyot, la DRH, chez Koné aussi, le dialogue social est sans nuages. « Depuis 1975, nous n'avons pas comptabilisé une minute de grève. Nos partenaires sociaux sont d'une grande maturité. » Que d'aucuns jugent plutôt d'une « grande docilité ». « La force des ascensoristes vient du fait que les délégués syndicaux sont disséminés partout en France et en prise directe avec leur chef d'agence. Et là, c'est la loterie, car il est plus facile de s'en prendre à un salarié isolé », explique un technicien de Koné. Didier Zerbib, un ingénieur des ventes qui a créé une section CFDT en 2002, a été mis à pied par son employeur et réintégré par l'inspecteur du travail. « Le fait de porter la contradiction a été une déclaration de guerre », explique-t-il. Pas question de faire des vagues

Comment Schindler motive ses troupes
Chez Otis, un quart des techniciens ont plus de trente ans de maison – plus de vingt chez Koné. Mais cette main-d'œuvre bien formée suscite de plus en plus de débauchages.FOURMY/REA

Numéro trois sur le marché français, dans un mouchoir de poche avec Koné, le suisse Schindler, 2 300 salariés, entreprise à capitaux familiaux, doit aussi fidéliser et motiver ses troupes. Certes, dans ce secteur de l'ascenseur, stabilisé mais concurrentiel, François Lucas, le DRH de Schindler, estime à « 2 à 3 % le turnover subi » et avance que 600 personnes ont plus de vingt-cinq ans d'ancienneté. Malgré tout, le groupe a souhaité revoir son management afin de donner aux salariés une visibilité à long terme.

Nom de code du projet lancé il y a deux ans : Odyssée. « L'idée est de se projeter en 2010. Pour cela, nous avons créé des groupes de travail de salariés et analysé avec le DG et l'actionnaire ce que doit être l'entreprise de demain. Parmi les valeurs essentielles qui fondent ce nouveau mode de management, nous nous sommes penchés sur la notion de véritable client, le changement, le travail en équipe, le respect de l'homme… Les collaborateurs ont besoin de comprendre où on les emmène. »

Tous les ans, des réunions ont lieu pour expliquer la stratégie. Et, surtout, la direction s'est employée à faire vivre le réseau. « Nous sommes très éclatés géographiquement et l'objectif est que chaque décision soit bien comprise et appliquée jusque dans les plus petites antennes. »

Toujours dans une optique de motivation, Schindler a également modifié son système de rémunération pour introduire une part variable plus importante. Cette année, les augmentations individuelles se sont élevées à 1,5 %, contre 1,1 % pour le général.

« Mais nous valorisons immédiatement les efforts, sans attendre six mois, voire la fin de l'année, par des primes qui peuvent varier de 100 à 1 000 euros… », poursuit François Lucas. Une orientation que n'approuvent pas les syndicats de l'entreprise. « Mais cela enrichit le dialogue », explique le DRH.

Auteur

  • Sandrine Foulon