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Enquête

LE SOCIAL DISCOUNT DE WAL-MART

Enquête | publié le : 01.09.2004 | Isabelle Lesniak, à New York

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LE SOCIAL DISCOUNT DE WAL-MART

Crédit photo Isabelle Lesniak, à New York

Le numéro un mondial de la distribution a bâti son succès sur ses « low prices ». Mais au prix d'une politique sociale au rabais qui commence à susciter la fronde de salariés et d'une partie de ses clients.

Everyday low prices (« des prix bas tous les jours ») : tel est le slogan sur lequel Wal-Mart, la plus grande entreprise de la planète et le premier employeur américain, a bâti sa renommée. Chaque semaine, 138 millions de consommateurs se rendent dans l'un des 4 750 magasins que la chaîne contrôle dans le monde, traquant les produits moins chers que chez les concurrents. Selon une étude d'UBS Warburg de 2002, Wal-Mart propose sur ses étiquettes des prix inférieurs en moyenne de 14 % à ceux des Safeway, Kroger et autres hypermarchés américains. Les consultants de McKinsey vont jusqu'à attribuer un huitième des gains de productivité et une partie de la désinflation obtenus par l'économie américaine entre 1995 et 1999 à l'« effet Wal-Mart ». « Wal-Mart a énormément aidé le consommateur américain », a reconnu l'historien James Hoopes, professeur au Babson College (Massachusetts), lors d'une conférence consacrée au « phénomène Wal-Mart » organisée en avril dernier à l'université de Californie.

Le succès de la chaîne ne s'est jamais démenti depuis l'ouverture de son premier magasin en 1962 à Bentonville, dans l'Arkansas. Alors que 13 000 autres supermarchés ont fermé leurs portes ces dix dernières années, le chiffre d'affaires de Wal-Mart (259 milliards de dollars) continue de connaître une progression annuelle de 15 %. Une croissance qui se traduit de façon spectaculaire dans la courbe des effectifs : 335 nouveaux magasins doivent être ouverts en 2004, et 800 000 salariés embauchés d'ici à quatre ans, en plus des 1,4 million d'employés actuels. Car, après avoir envahi banlieues et zones rurales, Wal-Mart s'attaque désormais au marché de villes comme Los Angeles ou Chicago.

La chaîne contrôle 38 magasins urbains, contre 13 il y a dix ans. Un magasin Wal-Mart ouvert en 2003 à Baldwin Hills (Los Angeles) a contribué à revitaliser ce centre commercial déserté après la fermeture du grand magasin Macy's local il y a cinq ans. Les consommateurs, des Noirs et des Latinos issus de quartiers défavorisés, sont revenus dans le centre commercial, attirés par les tarifs de Wal-Mart. La plupart des commerces de proximité se sont adaptés à cette redoutable concurrence et se sont même remis à recruter… Mais la réussite de Wal-Mart a son talon d'Achille : une politique RH au rabais, qui commence à lui porter ombrage auprès des Américains.

Des clandestins à 7 dollars l'heure
Alors que les salaires sont au plancher, l'assurance maladie proposée par Wal-Mart à ses employés est si chère que la moitié d'entre eux préfèrent s'en passer.LEYNSE/REA

Cet automne, la firme a été prise en flagrant délit en train d'employer des clandestins payés 7 dollars l'heure, en liquide. Son personnel « légal » est à peine mieux loti. Bien qu'ils soient pompeusement appelés « associés », les employés des caisses gagnaient en moyenne 13 861 dollars par an en 2001, alors que le seuil fédéral de pauvreté était de… 14 360 dollars. La couverture santé proposée par l'entreprise est si onéreuse (un cinquième du revenu brut moyen d'un salarié) que la moitié des salariés de Wal-Mart s'en passe. Ils comptent sur l'assistance fédérale ou l'éventuelle couverture de leur conjoint quand ils ne sont pas dépourvus d'assurance médicale.

Le numéro un mondial de la distribution doit actuellement faire face à une quarantaine de procès en raison des conditions de travail déplorables de ses salariés. Wal-Mart est accusé de contraindre son personnel à faire des heures supplémentaires non rémunérées, de sacrifier les pauses déjeuner, de ne pas respecter les horaires légaux, même pour les mineurs. En début d'année, une enquête du quotidien The New York Times affirmait même que les salariés qui travaillent de nuit chez Wal-Mart sont enfermés dans les magasins.

Un symbole à abattre

Au chapitre judiciaire, les ennuis du premier employeur privé au monde ne font d'ailleurs que commencer. Car un juge californien a accepté, en juin dernier, de donner suite à une plainte en nom collectif déposée en 2001 par six employées qui s'estimaient lésées par rapport à leurs collègues masculins, en termes de salaire et de déroulement de carrière. S'il était effectivement condamné pour discrimination sexuelle, le groupe pourrait avoir à dédommager la bagatelle de 1,6 million d'employées, 750 000 salariées actuelles et 850 000 qui ont quitté l'enseigne, à raison de 4 000 dollars par personne. Soit 6,4 milliards de dollars au total… Il est clair que, pour beaucoup, Wal-Mart est devenu un symbole à abattre. « Wal-Mart influence le capitalisme américain comme a pu le faire General Motors, mais à l'envers, estime Nelson Lichtenstein, professeur à l'université de Californie. Au milieu du xxe siècle, GM a contribué à créer la classe moyenne la plus riche du monde en payant bien son personnel, en lui offrant des plans de santé et de retraite généreux et en poussant les concurrents à s'adapter à la hausse. S'il a aussi un rôle prescripteur sur les entreprises américaines, Wal-Mart impose au contraire le plus petit dénominateur commun au niveau social. »

Maintenant qu'elle prend conscience des dessous peu reluisants du système Wal-Mart, l'Amérique va-t-elle boycotter son entreprise à la fois la plus admirée et la plus haïe ? Le 6 avril, les habitants d'Inglewood, une banlieue pauvre de Los Angeles, ont rejeté par référendum l'implantation d'un Wal-Mart géant qui aurait pourtant créé des centaines d'emplois. Le 5 mai, le conseil municipal de Chicago s'est prononcé dans le même sens. Bien qu'ils soient des clients de Wal-Mart comblés, les Américains ne veulent plus en être des salariés exploités. Leur schizophrénie est peut-être en train de prendre fin.

Auteur

  • Isabelle Lesniak, à New York