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Faut-il applaudir la réforme de l'assurance maladie ?

Débat | publié le : 01.09.2004 |

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Faut-il applaudir la réforme de l'assurance maladie ?

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Le gouvernement Raffarin a mené à terme son chantier estival de 2004, celui de l'assurance maladie. Le texte adopté le 30 juillet par le Parlement comporte des mesures de financement, prévoit la mise en place d'outils de maîtrise médicalisée des dépenses et réforme la gouvernance du système. La loi Douste-Blazy permettra-t-elle de réguler l'évolution des dépenses ? La réponse, plutôt sceptique, de trois experts.

« La vraie réforme est la prise en main par l'État des rares leviers qui lui échappaient encore. »

GILLES JOHANET Directeur santé collective aux AGF.

Apprécier aujourd'hui le caractère réformateur des décisions gouvernementales est délicat, nombre de ces innovations n'étant connues que dans leur principe. Toutefois, la modestie de la réforme sur l'équilibre des dépenses et recettes est une affaire entendue. Il ne pouvait guère en être autrement, dès lors qu'on ne s'est pas interrogé sur la justification médicale du taux de croissance des dépenses et qu'on n'a pas pris conscience du fait que si la santé est, dans les pays développés, une économie d'offre, elle est, chez nous, une économie de rente administrée. L'excès d'offre n'entraîne nulle baisse de prix, mais rend exsangue l'assurance maladie obligatoire. L'abandon implicite du rétablissement des comptes signifie que nous sommes installés dans le déficit permanent dont on sait, l'exemple de l'État aidant, qu'il faudra bien sortir.

C'est dans cette perspective qu'il faut apprécier le recours, à durée illimitée désormais, à la Cades et la contribution de 1 euro par consultation. Celle-ci prétend responsabiliser les patients alors que l'usage en France a démontré qu'un ticket modérateur ne responsabilise que les très pauvres. Elle ne s'applique qu'aux actes médicaux, qui ne constituent pas le moteur de la croissance des dépenses. Enfin, son prélèvement dès la première consultation et jusqu'à la cinquantième relève d'une approche comptable alors que la maîtrise médicalisée est la seule légitime.

La vraie réforme est donc la gouvernance, avec la prise en main par l'État des rares leviers de commande qui lui échappaient encore. Le retrait du Medef et l'abandon consensuel du paritarisme rendaient quasi inéluctable cet accord des textes avec les faits. L'étatisation s'opère intelligemment puisque des organismes boucliers – haute autorité, comité d'alerte, institut des données de soins, etc. – minimiseront le risque que l'État prend à se placer non plus seulement en pilote de la santé publique, garant de la solidarité, mais en gérant du système. Plus préoccupant est le caractère partiel de la réforme.

Si, au sein de l'aire publique, les pouvoirs ont été redéfinis, les liens qu'entretient cette dernière avec le monde médical et la société restent à clarifier. De même, la relation entre l'aire publique et l'aire sociétale doit être précisée. Les assureurs complémentaires peuvent s'interroger à bon droit sur ce que l'État leur prépare : la notion de contrat responsable avec un plancher et un plafond de remboursement dessine-t-elle l'étau dans lequel on va les normaliser ? Reste l'organisation du système de soins. Le dossier médical personnel constitue un progrès, essentiellement potentiel puisqu'il n'existe aucune possibilité pour le praticien de savoir si le dossier est complet. La coordination des soins a été reconnue dans le plan Juppé comme « indispensable à la qualité des soins ». Neuf ans après, avec le parcours de soins, l'État rend vertueux l'accès aux soins coordonnés et ouvre la voie aux honoraires majorés en cas d'accès direct. Subreptice pourrait donc être le qualificatif de la réforme. Elle ne constitue pas un faux-semblant, car les perspectives ouvertes, les ambitions ou les nécessités reconnues comme essentielles ne pourront plus être escamotées. Mais il reste du chemin à parcourir pour donner un contenu à chacune et faire de toutes un ensemble.

« On attend toujours une réforme financière qui serait cohérente avec la politique fiscale. »

RÉMI PELLET Maître de conférences au Cnam et à l'IEP de Paris.

Au chapitre des recettes, la loi apure le passé et même le futur proche, le déficit des années 2005 et 2006, en reportant la charge financière de la dette sociale sur les générations à venir. C'était peut-être fatal, mais la prolongation d'un impôt proportionnel et généralisé qu'est la CRDS et l'élargissement de l'assiette de la CSG payée par les salariés contrastent avec les baisses récentes de l'impôt progressif qu'est l'impôt sur le revenu. Les entreprises sont aussi sollicitées par le relèvement de la contribution sociale de solidarité, mais l'État doit toujours rembourser chaque année à la Sécurité sociale au titre des allégements de charges patronales l'équivalent de la participation budgétaire de la France à l'Europe. L'assurance maladie reste financée par un mixte de cotisations sociales, de CSG, de taxes et, désormais, par une contribution forfaitaire qui devrait rester symbolique. La loi prévoit, certes, la restitution à l'assurance maladie de la part des droits sur le tabac récemment affectée à l'État, après l'avoir été, par le gouvernement précédent, au financement… des 35 heures ! Cette restitution est heureuse, mais elle n'est vraiment pas suffisante : pourquoi maintenir des cotisations patronales à hauteur de 12,8 % assises sur les seuls salaires pour financer les dépenses de solidarité que sont celles de l'assurance maladie ?

On attend donc toujours une réforme financière qui serait cohérente avec la politique fiscale. Les dépenses ensuite, et leur maîtrise « médicalisée » bien sûr, puisqu'une maîtrise « comptable » serait une provocation. La loi dessine des pistes intéressantes et notamment le passage obligé du patient chez un « médecin traitant » sous peine d'un moindre remboursement, mesure qui devrait réduire le « nomadisme » des patients les moins fortunés. C'est tout et c'est un peu court. Certes, la loi crée aussi le dossier médical personnel informatisé qui devrait permettre au médecin de connaître les antécédents du patient. Mais rien ne garantit que le dossier sera complet. Le système est censé s'appliquer en 2007, année sensible. Quand on se souvient du temps de montée en charge de Sesam-Vitale, on a le droit d'être sceptique. Un retard ne serait peut-être pas un mal, d'ailleurs, parce que la loi est restée très évasive sur les conditions d'hébergement de ces informations ultrasensibles, parce que commercialement très convoitées, que sont les données de santé personnelles : il serait bon que les responsables prennent le temps d'éviter tout risque de « fuites ». Reste l'aspect institutionnel de la réforme, avec la création d'une nouvelle caisse d'assurance maladie, qui fédérera les autres et les représentera dans la négociation avec les syndicats de médecins. On ne dira rien, par charité d'âme, sur cette nouvelle sédimentation administrative : toute réforme entraîne la création d'un nouvel organisme sans en fermer aucun. La négociation conventionnelle reste centralisée et, pour cette raison, échouera forcément, de sorte que la décision restera aux mains du ministre. Qu'en fera-t-il ?

« Il manque au plan un mécanisme de rémunération moins inflationniste que le paiement à l'acte. »

BÉATRICE MAJNONI D'INTIGNANO Professeur à Paris XII-Créteil, membre du Conseil d'analyse économique.

La réforme Douste-Blazy lève la contrainte macroéconomique, ou maîtrise comptable, pour lui préférer l'optimisation microéconomique, dite maîtrise médicalisée. La première répond à l'exigence du préambule de notre Constitution : le Parlement contrôle la dépense de santé remboursée car elle est financée par des prélèvements obligatoires. Désormais, un objectif pluriannuel sera fixé, mais aucun mécanisme équilibrant n'en garantit le respect. La seconde exige la vertu des prescripteurs. L'expérience internationale montre que toute réforme met entre cinq et six ans à produire ses effets, qu'elle commence par coûter cher, et qu'il faut l'assortir d'incitations financières. En faisant confiance à la vertu, le gouvernement doit savoir que le déficit perdurera. D'autant plus que la demande de soins sera plus pressante à cause du vieillissement de la population. Trois mesures phares, médecin traitant, dossier médical et honoraires libres, devraient bouleverser les comportements. Employées par bien des pays (États-Unis, Canada, Danemark, Espagne, Grèce, Irlande, Italie, Pays-Bas, Royaume-Uni…) elles ont fait leurs preuves. Mais il manque au plan français le mécanisme de rémunération qui en renforcerait la logique : la capitation ou le forfait par client inscrit sur sa liste. Continuer à payer à l'acte, c'est laisser subsister le mécanisme inflationniste et encourager le stakhanovisme, alors que la clientèle s'installe dans les 35 heures et que la croissance reste faible. Le forfait de 1 euro par consultation ne responsabilisera personne. Symbolique par son montant (1/5 du prix d'un paquet de cigarettes) et important par sa base, il fera entrer de l'argent dans les caisses et pourra être augmenté.

Le Conseil constitutionnel a validé la réforme, mais rappelé que la Nation doit garantir à tous la protection de la santé. Ce principe vague met l'accent sur le dilemme auquel est soumis tout gouvernement. On finance les dépenses de santé soit par de l'argent public – impôt ou cotisations sociales – porteur de gratuité donc d'égalité, sympathique à l'électeur et au citoyen, mais limité par le niveau élevé de notre dépense publique et de notre déficit ; soit par de l'argent privé – tickets modérateurs et primes d'assurances ou de mutuelles complémentaires – porteur d'inégalité. Tous les pays consacrent à peu près 6 % de leur PIB aux soins remboursés, la France se situant dans la norme. En revanche, les Américains affectent plus de 5 % de leur PIB à la dépense privée de santé, les Anglais et les Japonais 1,5 %, et nous 3,5 %. Nos gouvernements hésitent toujours entre l'exigence d'égalité, qui implique plus d'argent public, mais aussi une forme de rationnement, et donc moins d'emploi et de revenus ; et l'exigence des professions de santé qui veulent augmenter revenus et emploi, ce que permet l'argent privé – consultations privées des hôpitaux, liberté des honoraires –, au prix d'un sentiment d'inégalité chez les Français.

En introduisant des réserves d'interprétation, le Conseil constitutionnel a donné aux corporatismes et aux partis politiques le poison leur permettant de saper le plan Douste-Blazy au nom du refus du rationnement et de l'égalité d'accès aux soins par des combats juridiques d'arrière-garde.