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Partouche joue petit bras sur le social, Barrière sauve la mise

Vie des entreprises | MATCH | publié le : 01.05.2004 | Sandrine Foulon

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Partouche joue petit bras sur le social, Barrière sauve la mise

Crédit photo Sandrine Foulon

Entre Partouche et Barrière, c'est une bataille sans merci pour le contrôle des établissements de jeux. Artisanale chez le premier, la politique RH est plus pro chez son rival : politique de recrutement, gestion des carrières, entretiens d'évaluation, formation… Mais la fusion avec Accor pourrait changer la donne.

« Le quoi ? » Silence prolongé au bout de la ligne. « Le DRH ? Mais nous n'avons pas de DRH », lâche, finalement, l'attaché de presse du Groupe Partouche, numéro un français pour quelques mois encore, peut-être, des casinos, avec 43 établissements et 5 000 salariés… Pour tout ce qui touche au social, prière de s'adresser à Benjamin Castaldo, qui, lui non plus, n'est pas sourcilleux sur les titres. « Écrivez juriste », suggère celui que salariés et syndicalistes appellent « l'avocat » et qui siège également au Syndicat patronal des casinos modernes de France. « Chez Partouche, on ne se la joue pas grande école. On est du métier », résume un croupier. Un groupe marqué par une belle saga familiale, qui commence par l'arrivée du patriarche, Isidore, débarqué d'Algérie en 1962. Ce fils de grossiste en épicerie a réussi, en rachetant le casino de Saint-Amand-les-Eaux en 1973, à mettre les siens à l'abri du besoin.

En face, le grand rival, le Groupe Lucien Barrière, numéro deux actuel du secteur, avec 17 casinos et hôtels et plus de 4 500 salariés, possède bel et bien un DRH. Même s'ils ont tendance à se succéder assez rapidement. Cet autre fleuron du petit monde des tapis verts compte aussi ses personnages de roman et ses tragédies familiales. Un groupe désormais lié par un contrat moral. Dominique Desseigne, un ancien notaire propulsé à la présidence en 1997, a en effet promis à sa femme, Diane Barrière, l'unique fille de Lucien, décédée des suites d'un accident d'avion en 2001, de remettre un jour les clés des casinos à leurs deux enfants.

Cet arbre généalogique ainsi planté, les deux ennemis de toujours affichent une image de marque radicalement différente. Pour la carte postale, l'empire Lucien Barrière, avec ses palaces cinq-étoiles et ses prestigieux casinos d'Enghien, de Deauville ou de La Baule, où les rois du pétrole se font de plus en plus rares… Et, côté Partouche, les riches retraités qui viennent en masse engloutir des 20 centimes d'euro dans les bandits manchots au casino du Touquet, à Forges-les-Eaux ou sur la Riviera. Une rivalité que les fusions n'ont fait qu'exacerber.

Des batailles de Monopoly
BARRIÈRE 13 casions, 4 500 salariés environ. 433 millions d'euros de produit brut des jeux en 2002-2003 (767 après fusion avec Accor).NICOLAS

Lucien Barrière vient de signer un protocole d'accord avec Accor Casinos et le fonds d'investissement Colony. Cet été, le groupe devrait totaliser 37 casinos, 13 hôtels de luxe, des restaurants réunissant environ 7 000 salariés et coifferait au poteau le numéro un actuel… La nouvelle entité rebaptisée Groupe Lucien Barrière regrouperait ainsi Accor Casinos, la Société hôtelière de la chaîne Lucien Barrière (SHCLB) et la Société des hôtels et casinos de Deauville (SHCD). Piqué au vif, Isidore Partouche est en tractation pour acheter les cinq casinos Didot-Bottin, dont le fleuron est Divonne-les-Bains, le troisième établissement français derrière Enghien-les-Bains, et Le Lyon vert, à Charbonnières, propriété du Groupe Partouche.

Loin de ces batailles de Monopoly pour gagner des parts de marché, les salariés des deux leaders du jeu travaillent dans des conditions bien différentes. Chez Barrière, on parle politique de recrutement, gestion des carrières, entretien annuel d'évaluation. Un budget formation est consacré à des cursus pour managers et dirigeants, histoire d'impulser une dynamique commune, d'approfondir l'encadrement d'équipe. « Des formations très terrain sont également mises en place pour les métiers du casino, souligne Laurence Martin, la DRH groupe. Des métiers qui se sont professionnalisés et qu'il est urgent de faire connaître pour attirer les jeunes. »

Chez Partouche, en revanche, l'autonomie est privilégiée. « Nous sommes très soucieux des contextes locaux, relève Benjamin Castaldo. Nous intervenons en conseil, c'est tout. C'est un métier où l'on manipule de l'argent. La confiance est essentielle. Inutile d'essayer d'imposer quelqu'un à un directeur de casino. » Pas question de parler, ici, de vivier de compétences, alors que tout fonctionne par le bouche-à-oreille et le travail en famille. Patrick Partouche, l'unique héritier d'Isidore, a bourlingué dans tous les jobs au sein des casinos du groupe avant d'en devenir directeur général. Son cousin, Hubert Benhamou, est président du directoire ; le frère d'Hubert, Guy, est directeur du Pharaon, le casino flambant neuf de la presqu'île, à Lyon. « Les directeurs de casino sont ceux qui ont commencé à tirer le râteau à 20 ans », explique l'avocat du groupe, qui lui-même a travaillé deux ans aux machines à sous. La philosophie du groupe : commencer petit et parler vrai. « Ici, on explique trois choses aux débutants : vous travaillez la nuit, les week-ends et les jours fériés et vous ne gagnez pas des sommes folles. Certains jeunes viennent chez nous attirés par les paillettes. Inutile de les bercer d'illusions », poursuit-il.

Paternaliste, le Groupe Partouche a le mérite de la franchise. Structuré comme une grande entreprise, Lucien Barrière est davantage gêné aux entournures. Difficile d'impulser une politique commune quand, sur le terrain, chaque casino possède ses propres lois, ses accords d'entreprise et, à sa tête, ses cadors. « Le Groupe Barrière est complètement désorganisé. Dominique Desseigne s'est certes entouré de conseils en management mais les grands barons font la loi dans leurs fiefs », commente un observateur du monde des casinos. Et la stabilité n'est pas de mise au siège. En témoigne la valse au sein des équipes dirigeantes depuis trois ans. « Il n'existe pas de vrai groupe, d'unité économique et sociale », souligne Pierre Mourgue, délégué syndical national pour la CFDT, trente-deux ans de casino et autant de nuits blanches. « Dans ces conditions, difficile d'avoir une politique cohérente. Harmoniser les statuts, pourquoi pas ? Mais c'est aussi ouvrir la boîte de Pandore. » Côté direction, la prudence est de rigueur. « Il faudra tendre, à terme, vers une certaine convergence, estime Laurence Martin. D'autant que la situation hétérogène peut être un frein à la mobilité. Mais tout cela prendra du temps. »

Pour l'heure, il y a les petits paradis et les petits casinos. Celui d'Enghien est considéré comme un eldorado. Un chef de partie principale, qui règne, dans l'ordre protocolaire, sur les chefs de table, les chefs de boule, les caissiers, croupiers de boule, cartiers, changeurs et autres valets, peut y gagner jusqu'à 5 500 euros par mois. Ailleurs, le même chef de partie frôle les planchers minimaux, à 2 104 euros mensuels. Le Croisette à Cannes passe pour être encore plus gâtée au sein du Groupe Barrière. « Ici, le salaire de base commence à 1 500 euros brut, souligne Stéphane Sèbe, délégué syndical CGT et membre du comité de direction aux machines à sous, ou MAS pour les initiés. La politique sociale dépend essentiellement du manager. On a des jours fériés payés double, des primes d'assiduité, l'ancienneté… Les cadres ont des primes d'objectif. Nous sommes un petit village gaulois. »

Des pourboires en chute libre

Ailleurs, les rémunérations ont plutôt tendance à s'aligner sur le smic. Terminée, la belle époque où les croupiers des jeux traditionnels – roulette anglaise, française, black jack, boule, stud-pocker… – gagnaient confortablement leur vie. Depuis le 11 septembre 2001, les gros clients ont déserté les tables de jeux et les employés de « jeux trad », entièrement rémunérés au pourboire, ont vu leur pouvoir d'achat dégringoler. « Ils ont perdu 30 % en dix-huit mois », estime Pierre Mourgue, de la CFDT. Signée en 2002 par son seul syndicat, la convention collective nationale, qui a mis six ans à aboutir et intègre pour la première fois les personnels des machines à sous et de l'hôtellerie-restauration, établit un minimum garanti. En clair, quand les pourboires n'atteignent pas le seuil prévu, c'est le casino qui complète.

Mais, aujourd'hui, si la plupart des salariés souhaitent le maintien des boîtes à pourboires – dont le produit tombe, pour une part, dans leur escarcelle, l'autre partie étant rétrocédée à l'employeur –, le Groupe Partouche est partisan de leur suppression. « À Aix-en-Provence, elles ont été retirées. Et, dans le nouveau Palais de la Méditerranée qui doit ouvrir bientôt, il n'y en aura vraisemblablement pas. À l'origine, le groupe faisait le pari que les pourboires non versés seraient réintégrés dans le jeu. Ce qui n'est pas le cas », explique François Dejana, délégué CGT au Lyon vert.

1 200 euros pour un valet de jeux

De plus en plus les salaires des employés de jeux nouvellement recrutés se rapprochent de ceux des employés des machines à sous. Selon les derniers minima mensuels garantis, un croupier débutant, une hôtesse, un valet de jeux traditionnels touchent 1 208 euros, tout comme une hôtesse ou un technicien affectés aux machines à sous. Un croupier de boule, un caissier de jeux traditionnels perçoit 1 255 euros. Idem pour un agent de sécurité ou un traiteur de monnaie des bandits manchots. Ironie du sort, ce sont pourtant les MAS, autorisées par Charles Pasqua en 1988, qui ont sauvé la mise des casinos. Elles représentent en moyenne plus de 92 % du chiffre d'affaires d'un établissement.

Surtout, les bandits manchots sont beaucoup moins gourmands en personnel que les « jeux trad » où les salariés sont plus anciens, plus syndiqués et mieux rémunérés. « À la roulette française, on a besoin de cinq croupiers, explique Charles Albert, délégué syndical CFTC à Enghien. À la roulette anglaise, il n'y en a plus que deux, plus un tournant. À la boule, un seul. » Et Enrique Cuevas, secrétaire fédéral pour les jeux et casinos à la CFDT, de renchérir : « Tout le marketing est axé sur les MAS et rien sur les jeux traditionnels. Nous ne voyons aucune volonté concrète de les faire vivre. On a l'impression que la profession s'oriente vers des grands centres de loisirs à la manière de Las Vegas. »

D'où le sentiment partagé d'une mort annoncée. D'autant que ces derniers mois, sous la houlette de l'ancien ministre de l'Intérieur, Nicolas Sarkozy, les employeurs se sont rencontrés dans le plus grand secret. « On l'a encore en travers de la gorge, souligne David Rousset, secrétaire fédéral FO pour les jeux. Sans consulter les partenaires sociaux, le ministère de tutelle a pondu une circulaire qui autorise la fermeture temporaire des salles de jeux traditionnels, voire définitive si l'établissement compte moins de 50 salariés, permettant de ne conserver que les machines à sous, à condition de garder uniquement la boule ».

À terme, sur les 180 casinos français, seule une vingtaine, parmi les plus prestigieux, pourraient conserver les tapis verts. Une politique qui oblige les syndicats de Partouche comme de Barrière à changer leur fusil d'épaule. « Il y a eu au départ une défiance des anciens à l'égard des nouveaux aux machines à sous. Mais c'est pourtant là que se trouve l'avenir du métier », constate David Rousset qui, par ailleurs, reste vigilant sur les questions de discrimination et d'indépendance syndicales. L'ascension de son prédécesseur, Dominique Zaï, propulsé directeur du Lyon vert et récemment nommé à la direction du Palais de la Méditerranée, a fait désordre. « La meilleure façon pour un délégué national de ne pas subir de pression est de ne pas travailler dans un casino », explique David Rousset, qui n'ignore pas que Force ouvrière a très longtemps exercé un quasi-monopole syndical dans le monde des jeux.

Le fiasco de la prévoyance

Reste que les organisations syndicales, qui avancent en rangs dispersés, ont du pain sur la planche, l'essentiel étant renvoyé aux accords d'entreprise. Les négociations nationales sur la prévoyance ont été un fiasco, le Groupe Partouche souhaitant en définitive conserver une liberté de choix sur le prestataire. Idem pour les 35 heures. À chaque établissement son accord. Quant au travail de nuit – les salles de MAS ouvrent en général à 10 heures, les jeux traditionnels à 16 heures pour fermer à 4 heures –, il n'est guère reconnu. Chez Partouche, la recommandation est de ne pas dépasser deux jours de récupération dans l'année afin d'éviter qu'un établissement soit en porte-à-faux. À Aix, pourtant, les salariés bénéficient de six jours. Côté Barrière, mêmes écarts de traitement : deux jours de récupération par an à Enghien, six à Deauville. À Royan, « les employés de jeux n'ont que 1,5 jour pour trente heures hebdomadaires de nuit ; les hôtesses et la « physionomie », une demi-journée par an… », indique Véronique Leprêtre, comptable et déléguée syndicale CFDT.

La pénibilité du travail ne se limite pas au travail de nuit. Loin des élégantes salles de jeux, celles des machines à sous sont loin d'être reposantes. Entre les jingles des jackpots, les sonneries, les tilts, les pièces qui tombent à grand fracas, le cliquetis des caisses et le brouhaha des joueurs, les changeurs et les techniciens en prennent plein les oreilles. Et plein les poumons aussi. L'interdiction de fumer dans les lieux publics n'a pas encore atteint les casinos. « Impossible d'empêcher un joueur d'en griller une, explique un technicien. Surtout quand il se fait plumer ! » Aux MAS ou aux tapis verts, le contact avec la clientèle est stressant. « Même si la plupart des noirs [les chats noirs ou perdants chroniques, NDLR] repartent avec le sourire », souligne Thierry Termini, croupier à Hyères (Partouche).

Surveillés en permanence par une batterie de caméras et de micros, les employés doivent rester concentrés. Et pas question de souffler aux petites heures du matin. Il s'agit de procéder à la comptée et à la pesée de la recette journalière. Du ventre des machines se déversent les jetons, recueillis dans des seaux « qui oscillent entre 30 et 50 kilos, commente Thierry Termini. Encaissez ça toute l'année, nuit et jours fériés compris, pour le smic, et vous aurez une petite idée du turnover ».

Quant aux derniers nababs, ils redoutent de perdre leurs avantages, à la faveur des rachats. « Chez Didot-Bottin, nous avons, selon les cas, un 13e, voire un 14e mois. Cela ne fait pas partie des traditions du Groupe Partouche », explique Pierre Lalanne, délégué syndical CFE-CGC à Annemasse, guère plus confiant pour la fusion entre Barrière et Accor. « J'ai travaillé à Niederbronn-les-Bains avant et après son rachat par Accor, poursuit le délégué syndical. Accor applique des méthodes héritées de l'hôtellerie. » Un sentiment partagé par Anne-Marie Moric, cégétiste, caissière au casino de Mandelieu (Accor). « Sur 17 caissières, je suis la seule à être à temps plein. Chez nous, le turnover est clairement favorisé… » Pour Charles Laurent, le DRH d'Accor Casinos, « il existe une politique sociale maison. Dans tous les domaines RH, nous avons harmonisé, en fonction des historiques, prévoyance, mutuelle, formation… ».

Mais qui, d'Accor ou de Lucien Barrière, imposera sa vision des RH après le mariage ? Sven Boinet, issu d'Accor, devrait présider le futur directoire, Dominique Desseigne prenant la tête du conseil de surveillance. « Autant dire que sur le terrain ce sera Accor », assure un croupier. Et chacun de gloser sur celui qui mangera l'autre. Lucien Barrière détient 51 % du capital, Accor devrait racheter les 15 % de Colony et passer à 49 %. Sur le terrain, les salariés savent que les doublons des sièges seront les premiers visés. Mais ils connaissent la règle d'or : que ce soit pour les jeux ou pour le social, le casino ne perd jamais.

Des emplois menacés
Barrière, qui possède déjà Enghien, est sur les rangs pour ouvrir un casino à Paris. Mais les groupes lorgnent surtout l'étranger, où la fiscalité est plus avantageuse.MOUSSE/MAXPPP

La poule aux œufs d'or montre des signes de faiblesse. Les casinotiers le savent bien, les croissances à deux chiffres réalisées grâce aux machines à sous ne sont pas éternelles. Et le marché français, premier au monde en nombre de casinos par tête d'habitant, sature. Certes, il subsiste encore des places fortes à conquérir. Paris reste protégé par une loi de Napoléon III afin que les ouvriers ne dilapident pas leurs soldes dans les jeux. « Mais Paris tombera, assure un casinotier, et Partouche et Lucien Barrière sont sur les rangs. » Dans les autres grandes agglomérations, les casinos avancent leurs pions. Depuis 1988, la loi autorise les grandes villes à ouvrir des casinos intra-muros. Des établissements devraient s'implanter au Havre, à Lille, Bordeaux, Toulouse… Avec peu d'emplois en perspective. « Un parc de 50 machines à sous supplémentaires ne nécessite que trois employés, souligne un syndicaliste. Alors qu'une seule table de roulette anglaise en requiert le même nombre. » Une rentabilité qui pousse les casinotiers à ne conserver que les activités juteuses et à lorgner l'étranger, où la taxation est plus avantageuse. En France, les casinos reversent de 55 % à 80 % du produit brut des jeux (la totalité des sommes perdues par les joueurs) à l'État, contre 27 % en Suisse, par exemple. Le Groupe Lucien Barrière, qui a racheté le casino de Montreux, en sait quelque chose. Le groupe, qui possède trois autres casinos à l'étranger, pourrait songer à multiplier les occasions. Idem pour le groupe Partouche, qui détient déjà sept casinos à l'étranger (dont Agadir et Djerba).

Mais les employés des jeux traditionnels ne sont pas les seuls à être inquiets pour leur avenir. Car les machines à sous pourraient bien un jour sortir de l'enceinte close des casinos et envahir les bars-tabacs, comme en Espagne. « Si la grogne des buralistes reprenait, ce serait l'occasion de leur offrir une compensation », avertit David Rousset, secrétaire fédéral de FO pour les jeux et casinos.

Auteur

  • Sandrine Foulon