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Vie des entreprises

Gilles Moutel allie dialogue et fermeté à Chronopost

Vie des entreprises | METHODE | publié le : 01.03.2004 | Isabelle Moreau

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Gilles Moutel allie dialogue et fermeté à Chronopost

Crédit photo Isabelle Moreau

Décentralisation des RH, mobilité du personnel, promotion interne… Dans une entreprise jeune, conflictuelle, aux conditions de travail difficiles, Gilles Moutel s'attache à fidéliser les salariés tout en affichant sa volonté de combattre les actes d'incivilité qui se multiplient dans l'entreprise.

Comme chaque année, la Saint-Valentin a mobilisé les salariés de Chronopost international, qui ont acheminé en express les cartes d'amour et autres petits cadeaux que s'échangent rituellement les amoureux au mois de février. Créé en 1985 pour répondre à l'arrivée sur le marché français des géants américains du petit colis express, Chronopost international est parvenu en moins de vingt ans au rang de leader sur le marché hexagonal. Mais cette filiale à 100 % du groupe La Poste voit plus grand. Elle veut devenir le numéro deux du transport de petits colis en Europe grâce à ses entreprises soelig;urs DPD en Allemagne et Parcel Line en Grande-Bretagne.

Managée par Gilles Moutel, un postier de 51 ans, aux commandes de l'entreprise depuis 1999 après avoir succédé à Frédéric Tiberghien, cette entreprise de main-d'œuvre transporte plus de 52 millions de plis et de colis chaque année grâce à une flotte de 1 600 véhicules et de 11 avions, qui relient chaque nuit le hub de Roissy aux 53 agences régionales. Maillon indispensable du transporteur, ces agences assurent la gestion des 3 600 salariés de Chronopost international en France. Car si la politique de ressources humaines est arrêtée au niveau du siège, ce sont les directeurs de site qui la déclinent au quotidien sur le terrain.

1 MISER SUR UNE LARGE DÉLÉGATION DE POUVOIRS

Huit heures du matin à l'agence de Bercy. Dans ce vaste entrepôt de 5 500 mètres carrés, les chauffeurs-livreurs prennent en charge leur livraison. Arrivée à 4 h 55 pour décharger les camions en provenance de Roissy, l'équipe du matin effectue le tri des plis et des colis qui sont ensuite répartis par secteurs avant d'être récupérés par les livreurs. Philippe scanne des codes-barres et mémorise son parcours, puis saute dans son véhicule aux couleurs bleu et orange de Chronopost pour effectuer sa tournée. Une course contre la montre car la livraison express doit être faite avant midi.

Chaque jour, 30 000 objets de moins de 30 kilos transitent par ce site qui dessert la capitale. Embauché chez Chronopost en 1988, aux commandes du centre de Bercy depuis onze ans, Gatien Gilles manage 170 salariés, épaulés par autant de salariés appartenant à des sociétés sous-traitantes. « Une variable d'ajustement nécessaire en cas de pic d'activité », souligne-t-il. Chez Chronopost, la délégation de pouvoirs est le maître mot. Y compris pour la gestion des ressources humaines. « La DRH est là pour définir des politiques au niveau du groupe, mais pas pour les mettre en œuvre sur le terrain », explique Odile Juchs, DRH de Chronopost. « Ce sont les chefs d'agence qui sont responsables du management », confirme Serge Drocheiner, délégué central FO et secrétaire du comité d'entreprise. S'ils ont toute latitude pour embaucher les ouvriers et les employés dont ils ont besoin, ils doivent néanmoins obtenir le feu vert de la DRH pour recruter du personnel d'encadrement.

Travaillant en binôme avec un responsable d'exploitation, les patrons d'agence dialoguent également avec les syndicats. « On les tient informés de ce qui se passe sur le site », précise Olivier Sol-Dourdin, responsable d'exploitation de l'agence de Bercy, qui a récemment dû expliquer à ses interlocuteurs syndicaux que la machine automatique de tri plat, qui sera livrée au second semestre 2004, « diminuera la pénibilité du travail » et « n'aura pas d'impact sur l'emploi ». Si les accords locaux sont bannis pour éviter que la politique de groupe ne vole en éclats, les accords nationaux peuvent avoir une traduction locale. Exemple : les 35 heures. « Mis en place en septembre 1999, l'accord a été décliné sur le plan local », indique Odile Juchs. Au responsable de site le soin de gérer la modulation des horaires en fonction de l'activité (de 32 heures en période creuse à 42 heures lors des pics). À charge aussi pour lui d'organiser les plannings des ouvriers et des employés qui travaillent 35 heures par semaine (choix offert aux salariés présents avant la signature de l'accord), ou 36 heures 38 par semaine avec dix jours de RTT, ou encore celui des cadres qui disposent de vingt-trois jours de RTT.

Pour aider les managers de terrain, la DRH a conçu un référentiel de management, un outil d'autoévaluation qui permet de tester les capacités de management et donne lieu à débriefings et plans de formation. « L'originalité de notre management, précise la DRH, c'est qu'on ne construit jamais rien sans avoir mis en place un groupe de travail opérationnel. » Encore faut-il qu'il soit adapté à la spécificité du site. Vaste plate-forme de 14 000 mètres carrés sur laquelle est assuré le tri des chargements aériens, Roissy est un lieu à part. Chaque nuit, 290 personnes travaillent dans ce hub en accès direct avec les parkings d'avions de la zone de fret de l'aéroport. « Une zone où le travail s'effectue par séquences, où les temps partiels sont nombreux, le bruit assez élevé et l'ambiance tendue », observe Olivier Sol-Dourdin, 34 ans, ancien responsable d'exploitation à Roissy, qui reconnaît avoir beaucoup appris là-bas « sur le plan managérial ».

Pourtant, les managers de Chronopost ne s'y précipitent pas. Certains sites ont meilleure réputation que d'autres… « Il peut y avoir des problèmes de management dans telle ou telle agence. Et comme la direction contredit rarement la hiérarchie, cela crée des tensions », affirme Serge Drocheiner (FO). Certains regrettent le fossé qui les sépare du siège d'Issy-les-Moulineaux, en banlieue parisienne. « Il y a un gap entre le top-management et le reste des salariés, ainsi que des carences managériales sur le terrain », estime Frédéric Fenni, délégué central CFE-CGC. Lorsqu'un différend survient, les choses se règlent toujours sur place. « Les gens ne sont pas reçus au siège », précise Odile Juchs, qui a bouclé en 2003 deux tours de France des sites. Des déplacements sur le terrain que le P-DG, Gilles Moutel, a clairement inscrits sur la feuille de route des 10 membres du comité de direction de Chronopost. Et qu'il s'impose à lui-même.

2 ARTICULER PROMOTION ET MOBILITÉ

Olivier Sol-Dourdin est dans les clous. Son parcours chez Chronopost respecte à la lettre la charte de mobilité du groupe. Après avoir démarré dans la grande distribution, il rejoint Chronopost en 1999 et atterrit à Bercy comme animateur d'équipe. Son plan de carrière bien en tête, il veut devenir responsable d'exploitation. Mais la charte est claire : « la promotion sur le même site doit rester l'exception ». Après avoir étudié les postes disponibles affichés par l'entreprise, consulté sa hiérarchie, envoyé sa candidature à la DRH, passé une batterie d'entretiens, sa candidature est retenue. Il sera responsable d'exploitation à Roissy, puis à Bercy avec une fonction plus transversale. Pour lui, « ce principe est une bonne chose. Car si on obtient une promotion sur site, il est plus difficile de manager les équipes ». « La mobilité n'est pas un piège. Les salariés le savent dès le départ. Et ça marche ! 90 % des 170 chefs d'équipe sont d'ex-ouvriers », ajoute Serge Drocheiner.

Chez Chronopost, « 310 personnes ont bénéficié d'une promotion ou d'une mobilité fonctionnelle et/ou géographique en 2002, soit près de 9 % de l'effectif », indique Odile Juchs, la DRH. Pour Frédéric Fenni, délégué central CFE-CGC et manager opérationnel sur le site de Bordeaux, « la charte est bien faite. C'est une bonne manière pour l'entreprise de valoriser les salariés ». Reste que tout principe peut souffrir des exceptions. De fait, beaucoup citent des cas de personnes promues sur leur site d'origine. « La règle est respectée à 95 %. Dans certains cas bien spécifiques, la promotion sur site se justifie », répond Odile Juchs.

Car la mobilité dans une entreprise qui compte une cinquantaine d'agences en France n'est pas simple, selon Serge Drocheiner, délégué central FO. Pour faciliter les changements de poste impliquant un déménagement, Chronopost a édité un guide pratique et prévoit des moyens d'accompagnement, comme la possibilité pour le conjoint d'obtenir une aide à la recherche d'emploi.

3 PALLIER LES DIFFICULTÉS DE RECRUTEMENT

Si l'entreprise est « plutôt en avance dans le domaine de la promotion interne, il faut aussi ouvrir le robinet extérieur », estime Gatien Gilles. Pendant huit mois, le responsable du site de Bercy s'est retrouvé sans adjoint. Il faut dire qu'à Chronopost les postes d'encadrement ne sont pas de tout repos. Gatien Gilles arrive chaque matin vers 7 heures et quitte son bureau sur les coups de 20 heures, du lundi au vendredi, ce qui n'exclut pas de venir travailler de temps en temps le samedi. Animateur d'équipe sur le site, Denis Lascar, 37 ans, encadre, de 6 heures à 14 h 30, une équipe de 25 à 30 personnes et une centaine de chauffeurs-livreurs travaillant chez les sous-traitants. Chaque jour, 220 tournées sont placées sous sa responsabilité. Dans ce flux tendu, la moindre défection de personnel (le taux d'absentéisme est de 5,9 %), le moindre départ (le turnover s'élevait à 8,6 % en 2003) peut compromettre les délais de livraison.

L'activité ne bénéficie pas d'une bonne image auprès des jeunes. Et pourtant, après avoir recruté 332 personnes en 2003, l'entreprise table encore sur 250 à 300 embauches cette année. « Il y a une grosse pénurie de chauffeurs-livreurs, mais aussi de managers », confirme Gatien Gilles. Le hic ? Les conditions de travail et les salaires n'attirent pas les candidats. « Le travail est particulièrement dur et physique. C'est pourquoi le personnel est majoritairement masculin. Et ceux qui travaillent de nuit sont déréglés au bout de cinq ans », indique Gatien Gilles. Il faut également être réactif. « Quand le ministre des Transports a annoncé, en juillet 2003, la réduction du trafic aérien la nuit, nous sommes passés de 22 à 15 vols de nuit. Il a fallu développer la route, ce qui a eu des répercussions sur les horaires de travail et les primes », raconte Serge Drocheiner, de FO.

Si l'entreprise dispose de sa propre grille de salaires, supérieurs aux minima de branche, les rémunérations sont plutôt modiques. En bas de l'échelle, un ouvrier ou un employé gagnait entre 1 141 et 1 397 euros brut par mois en 2003 sur treize mois, tandis qu'un agent de maîtrise percevait entre 1 759 et 2 447 euros brut par mois. « Il y a des smicards chez Chronopost », s'indigne Haziz Faddel, délégué central CGT. C'est pourquoi certains n'hésitent pas à travailler la nuit – entre 21 heures et 6 heures du matin – pour gagner plus. Ce qui peut représenter « entre 300 et 400 euros de plus par mois », précise Gatien Gilles. À la DRH, qui tient secrètes les grilles de rémunérations vis-à-vis de la concurrence, on préfère insister sur les avantages sociaux (mutuelle, transport, œuvres sociales, retraite complémentaire pour les cadres financée par l'entreprise…) et les compléments de rémunération. Comme l'intéressement – environ un mois de salaire en 2003 – et la participation qui, après des années de vaches maigres, sera versée cette année aux salariés.

Chez Chronopost, on récompense aussi le mérite. Mais le mode d'attribution et le montant des primes trimestrielles et augmentations annuelles individuelles, décidées par les directeurs opérationnels, suscitent la grogne des organisations syndicales. Si la CGT n'est pas « contre le principe », elle conteste en revanche « son caractère subjectif qui ne repose sur aucun critère préalablement défini ». « Primes et augmentations sont faites à la tête du client », affirme ainsi Florent Jupilliat, ex-délégué syndical CFDT.

4 BÂTIR UN DIALOGUE SOCIAL APAISÉ

Bientôt une sixième organisation syndicale à Chronopost ? C'est le souhait de Florent Jupilliat. Jusqu'en novembre 2003, cet assistant administratif employé aux archives sur le site de Roissy était membre de la CFDT. S'il a décidé de claquer la porte, c'est parce que son ancien syndicat a refusé d'accéder à sa demande : dénoncer l'accord 35 heures qu'il avait signé, la modulation des horaires posant « beaucoup de problèmes ». Suppléant au CHSCT, désormais sans étiquette syndicale, Florent Jupilliat tente de faire reconnaître une section SUD, « ce qui nécessite au minimum 15 adhérents ». Pas question pour lui de baisser les bras, malgré les « pressions » de sa hiérarchie qui ne voit pas d'un bon œil l'arrivée de SUD.

Parmi les cinq organisations syndicales présentes, Force ouvrière arrive en tête. « Depuis les élections professionnelles de 1991 », précise Serge Drocheiner. Une FO à la politique très contractuelle puisqu'elle a signé la quasi-totalité des accords d'entreprise, « souvent seule ». « La direction nous écoute et nous propose des accords qui ont de la chair » se félicite l'ancien attaché de presse de Chronopost, qui juge son syndicat réformiste, alors que d'autres organisations le taxent de « syndicat maison ». Reste que la possible arrivée de SUD n'est pas toujours bien perçue, côté syndical. À la DRH, on fait contre mauvaise fortune bon cœur : « Cela fera un syndicat de plus. Une entreprise de main-d'œuvre se doit d'avoir une représentativité syndicale forte. Autant les considérer comme des interlocuteurs avec lesquels on peut discuter », estime Odile Juchs.

Pour Haziz Faddel, le délégué central CGT, le dialogue social est « galvaudé ». « La direction nous fait des propositions, mais ne répond pas à nos questions. » Quant au comité d'entreprise, que Gilles Moutel met un point d'honneur à présider, il peut s'avérer houleux, comme en décembre 2003, lorsque la CGT a voulu déclencher un droit d'alerte. « Chez Chronopost, il est impossible de jeter un œil sur les comptes », affirme Haziz Faddel, qui n'a pas été suivi par les autres membres du CE. Des divergences qui pourraient renaître lors de la renégociation de l'accord sur le droit syndical, lancée en début d'année et reportée en raison des discussions salariales. Les syndicats revendiquent des moyens supplémentaires pour que leurs délégués centraux puissent se déplacer plus souvent sur les sites.

Proche de la sphère publique, Chronopost n'échappe pas à la conflictualité sociale. En 2003, l'entreprise a ainsi totalisé cinq mille cinq cents heures d'arrêts de travail. Mais « tous n'étaient pas liés à l'entreprise. Certains salariés étaient solidaires des grands mouvements nationaux », tempère la DRH, qui reconnaît toutefois des conflits plus réguliers à Roissy, le « site le plus sensible ». Emmenée par Haziz Faddel, la CGT y est très active. « Pour nous, explique-t-il, la grève est un appel au dialogue face à une direction souvent dédaigneuse. Il a fallu que le P-DG intervienne pour que nous sortions du conflit qui durait depuis dix-huit mois et que nous puissions enfin mettre les problèmes sur la table. » Un dialogue à marche forcée qui semble porter ses fruits. « Depuis septembre 2003, nous n'avons pas eu une seule grève », indique le P-DG, Gilles Moutel.

5 COMBATTRE L'INCIVILITÉ SANS RELÂCHE

Un chef d'agence traité de fils de p…, un bureau vandalisé par un collaborateur qui n'a pas eu de prime, un vol de colis organisé sur un parking, un cadre qui copie des fichiers pour les vendre à la concurrence : en quatre minutes trente, le petit film joué par des comédiens – mais qui « montre des faits réels », précise François Gauthier, le directeur de la communication de Chronopost – entend sensibiliser les salariés aux actes d'incivilité de plus en plus nombreux dans l'entreprise. « Nous avons volontairement opté pour un film choc. En 2002, nous avions communiqué sur le vol, qui représentait une perte de 10 millions d'euros pour l'entreprise. Aujourd'hui, nous avons près de 40 % de vols en moins. Avec le programme « éthique et comportement », nous espérons également progresser », poursuit le responsable de la communication.

Projeté à l'ensemble des salariés par les responsables de site, le film a déjà donné lieu à « des tables rondes avec les personnels et leurs représentants », précise Odile Juchs. Mais il a été mal perçu par les responsables syndicaux. « On ne montre que des ouvriers et des employés, l'encadrement n'est pas clairement visé », estime Florent Jupilliat (ex-CFDT). Des critiques que réfute la DRH : « Nous n'avons voulu montrer personne du doigt, mais illustrer des dérives qui concernent également les cols blancs, ce qui est montré dans le film. »

Parallèlement, l'entreprise a redéfini en 2003 ses cinq valeurs : la considération, l'engagement, la solidarité, l'expertise et l'initiative. Frédéric Fenni, de la CFE-CGC, s'avoue sceptique, « même si on ne peut qu'adhérer à ces valeurs ». Il tique sur le terme « considération » : « Ici, personne ne se sent considéré. Pourtant, les gens aiment leur entreprise et travaillent beaucoup. » En revanche, Olivier Sol-Dourdin, responsable d'exploitation à Bercy, y souscrit à 100 %. « C'est une société où on se sent bien »… La direction de Chronopost a encore du pain sur la planche pour obtenir l'adhésion de l'ensemble de ses troupes.

Entretien avec Gilles Moutel :
« Il serait plus confortable d'avoir face à nous des représentants syndicaux forts, parlant d'une même voix »

Diplômé de l'Essec et de l'Ecole nationale supérieure des PTT, Gilles Moutel, 51 ans, P-DG de Chronopost depuis le 1er juillet 1999, est un homme très occupé. Et pour cause : cet ancien postier cumule plusieurs casquettes, dont celle de directeur général délégué de GeoPost, société holding des activités de colis du groupe La Poste. D'un abord plutôt réservé, cet ancien syndiqué à la CFDT, issu d'un milieu modeste, est un bel exemple de la méritocratie républicaine. En dirigeant une entreprise privée, mais filiale à 100 % de La Poste, il concilie son goût de la compétition et son sens du service public, qu'il avait manifesté en rejoignant les PTT à sa sortie de l'Essec. Un choix qui avait surpris ses camarades de promo.

Après avoir connu une forte croissance, Chronopost International est soumis à vive concurrence. Comment les salariés le vivent-ils ?

Ce qui ressort de la première enquête d'opinion interne, Chronoscope, que nous avons réalisée en 2002, c'est qu'il y a une conception forte de la relation au client, un attachement réel et une fierté d'appartenance à l'entreprise. Mais il y a aussi des interrogations sur ce que sera demain Chronopost. Il y a une demande de sens, accentuée par une distanciation normale entre ceux qui dirigent une entreprise de plus en plus grosse et ceux qui travaillent sur le terrain. Plus étoffée qu'hier, la hiérarchie crée de la distance. D'où une demande forte de communication. Sur ce point, nous avons progressé, si l'on en croit les premiers résultats du second Chronoscope. En revanche, la demande de sens s'est, elle, accentuée.

Chronopost laisse une large autonomie aux responsables de site. Où placez-vous le curseur entre centralisation et décentralisation des RH ?

Cette politique de délégation de responsabilité a été engagée par mon prédécesseur. Je n'ai fait que la renforcer. Le chef d'agence assure aujourd'hui seul la gestion de son site, en respectant les règles définies par le groupe. Il recrute, propose lui-même le nombre de postes et de personnes dont il a besoin. Il est « benchmarké » en permanence et évalué sur la qualité du service rendu au client. C'est lui aussi qui gère les relations sociales sur le site. La direction régionale et la DRH n'interviennent qu'en appui et en dernier ressort.

Certains regrettent cette coupure entre le terrain et la DRH du siège…

Je connais ce discours. Mais la responsabilité sociale, c'est d'abord la leur. Forte d'une vingtaine de personnes, notre DRH groupe est assez légère. C'est un choix. Je ne veux pas en faire une espèce de monstre qui traite tous les problèmes de l'entreprise. Il faut que les gens se prennent en charge localement. Mais je sais aussi répondre aux sollicitations des salariés quand il le faut. J'interviens en appel, si j'ose dire.

Les managers de terrain sont-ils toujours à la hauteur ?

Avant d'être managers, ils étaient des supertechniciens. C'est la raison pour laquelle nous avons investi en formation et en communication. Pour lutter, par exemple, contre les phénomènes d'incivilité, de refus d'autorité que nous avons constatés dans l'entreprise, nous avons impliqué les managers dans un programme baptisé « éthique et comportement ». Ils ont reçu un kit de communication comprenant notamment un petit film afin de le diffuser et d'en parler avec leurs équipes.

Cela a-t-il produit l'effet escompté ?

Nous sommes dans une phase de sensibilisation. Il faut faire passer le message que les actes d'incivilité sont inadmissibles, quels qu'en soient les auteurs, et quelles qu'en soient les raisons. Et rassurer les managers qui, sur le terrain, sont très démunis face à ce type de violence. Dans ce domaine, j'ai le sentiment qu'on ne peut compter que sur l'autorégulation.

Quels sont vos autres enjeux dans le domaine des RH ?

Le recrutement est l'une de nos grandes préoccupations. Nous sommes dans un marché porteur et nos besoins sont importants (332 personnes en 2003, entre 250 et 300 en 2004).

Nous voyons donc poindre le papy-boom et les difficultés de recrutement. Car, non seulement l'image de notre métier n'est pas extraordinaire, mais en plus les conditions de travail ne sont pas des plus attractives. Certaines qualifications dont nous avons besoin, comme les chauffeurs-livreurs, sont déjà des monnaies rares sur le marché. C'est pourquoi Chronopost vient de lancer un grand projet pour attirer et fidéliser les personnels.

La moyenne d'âge de vos salariés n'est pourtant pas très élevée…

Effectivement, elle est d'environ 32 ans. Mais, bien que l'entreprise soit jeune, nous avons déjà nos premiers quinquas. Avec l'allongement de la durée d'activité et le développement de la fidélisation des salariés, nous allons demain devoir faire face à une proportion grandissante de salariés qui vont atteindre 45-50 ans. Ce n'est pas un problème en soi sauf que notre métier est particulièrement physique et soumis à une pression constante du temps. D'où un phénomène d'usure. Comment utiliser les talents salariés de 50 ans qui souffriront d'un mal de dos après avoir passé dix ans au tri ? Pour le moment, nous sommes dans l'anticipation. Nous venons d'ailleurs d'ouvrir un chantier sur l'inaptitude. Nous avons mis en place des groupes de travail avec les délégués syndicaux, des ergonomes, l'Agefiph, la médecine du travail pour y réfléchir.

Comment expliquez-vous les conflits récurrents que connaît votre entreprise ?

Il y a parfois des conflits. Mais ils sont plutôt rares et quasi exclusivement locaux. Le plus souvent, ils portent sur les conditions de travail et sont liés à des problèmes managériaux locaux et à des difficultés de compréhension entre les salariés et leur patron. Globalement, les relations sociales dans l'entreprise sont bonnes. Tous les grands aspects qui règlent la vie sociale de l'entreprise ont d'ailleurs fait l'objet d'accords d'entreprise.

Comment réagissez-vous à la perspective d'une possible reconnaissance de SUD sur l'un de vos sites ?

Si SUD est reconnu représentatif demain, il sera traité comme tel. Si tel ou tel syndicat se monte aujourd'hui, c'est peut-être aussi de notre faute, parce qu'on aura créé les conditions pour qu'il existe. Mon principe de management est simple : il ne sert à rien de nier ou de lutter contre des évidences.

Pensez-vous les syndicats nécessaires à la bonne marche de l'entreprise ?

Ils sont utiles et on peut construire ensemble. Mais ils me semblent paradoxalement parfois assez loin des réalités et des attentes des salariés. Il y a aussi beaucoup de « professionnels » du syndicalisme, qui ont perdu tout contact personnel avec le travail. Ce qui est aussi un peu navrant, c'est qu'en règle générale les syndicats français passent autant de temps à se chamailler qu'à faire front contre la direction. Or il serait plus confortable d'avoir en face de nous des représentants forts, parlant d'une même voix, comme c'est le cas dans d'autres pays européens.

La réforme du dialogue social, avec le principe de l'accord majoritaire, va-t-elle améliorer les choses ?

J'en comprends la philosophie, mais appliquée à l'existant et à l'histoire du syndicalisme français, je reste très sceptique sur l'effet de levier qu'elle peut véritablement avoir.

Que pensez-vous de l'attitude du Medef et de sa démarche de refondation sociale ?

Mes relations avec le patronat se situent davantage au niveau de la branche, Transport logistique de France (TLF), à laquelle j'ai fait adhérer Chronopost. Ce qui n'était d'ailleurs pas évident pour la filiale d'un groupe public. Au début, labranche nous a vu arriver comme un intrus, mais les adhérents se sont ensuite rendu compte que Chronopost était une entreprise privée comme les autres. D'ailleurs, quand je compare ma situation à celle de mes homologues, les dirigeants de filiales de grands groupes privés, j'ai le sentiment d'avoir un rapport sain, et même peut-être plus « pur », à l'actionnaire. Je prends des engagements clairs vis-à-vis de mon actionnaire, le groupe La Poste, qui me juge sur mes résultats. Nous sommes dans une relation de business. Jean-Paul Bailly, le président de La Poste, ne m'a jamais appelé pour me demander de faire telle ou telle chose, alors que certains de mes homologues doivent appeler le siège de leur entreprise au niveau mondial dès qu'ils veulent lever le petit doigt.

Trouvez-vous que la France se réforme assez vite ?

Je ne partage pas du tout le discours sur le déclin de la France. Mais je constate qu'il existe des lourdeurs dans certains domaines. Un exemple : j'ai dû conduire un plan social chez TAT Express, autre filiale du groupe La Poste, et mener une opération similaire à l'étranger. En Angleterre, cela a été fait en vingt-quatre heures. En France, entre l'ouverture de la discussion avec les syndicats et le bouclage du plan social, il s'est passé pratiquement six mois. Certes, en France, les garde-fous sont importants et légitimes, mais il y a aussi un aveuglement sur la réalité économique de l'entreprise. C'est grave.

Au bout du compte, nous avons licencié davantage de personnes que prévu. Plus généralement, je trouve que l'encadrement réglementaire et législatif en France est lourd et rigide.

Si on gagnait en respiration et en capacité d'agir en offrant un peu plus de souplesse, les entreprises pourraient permettre aux talents de mieux s'exprimer.

Propos recueillis par Denis Boissard, Jean-Paul Coulange et Isabelle Moreau

Auteur

  • Isabelle Moreau