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Vie des entreprises

Ces employeurs qui n'ont pas peur des profils atypiques

Vie des entreprises | ZOOM | publié le : 01.02.2004 | Catherine Lévi

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Ces employeurs qui n'ont pas peur des profils atypiques

Crédit photo Catherine Lévi

Un médecin dans un cabinet de recrutement, un normalien dans la banque, un ancien syndicaliste à la tête d'une DRH… Certaines entreprises n'hésitent pas à recourir à des personnalités hors norme en privilégiant les talents et la motivation au diplôme et au parcours professionnel. Un pari qui effraie encore beaucoup d'employeurs.

Normalien possédant expérience dans établissement public spécialisé dans la communication, sans aucune connaissance des métiers financiers et du secteur privé, souhaite changer d'orientation ! À ce genre de lettre de motivation, une grande banque française n'aurait jamais dû répondre positivement. Et pourtant, c'est cet oiseau rare que BNP Paribas a recruté l'année dernière. « C'est une tête bien faite, dont l'expérience de négociation dans la fonction publique nous a séduits », souligne Françoise Barnier, responsable du recrutement de la banque. La jeune recrue a d'abord occupé un poste d'inspecteur général, en se formant parallèlement aux techniques bancaires. Une mise à niveau qui lui a permis de prendre des responsabilités. Il travaille aujourd'hui sur le développement des activités de la banque. Dans sa quête permanente de bons CV, Françoise Barnier se veut très ouverte. « Nous aimons beaucoup la grande distribution, par exemple. Les jeunes sont bien formés aux techniques de vente et ont le sens de l'organisation. J'ai engagé en agence un chef de rayon qui vient d'une enseigne de sports », dit-elle.

BNP Paribas fait partie de ces entreprises prêtes à embaucher des profils atypiques, c'est-à-dire à sortir des stéréotypes qui fondent les lois statistiques. Des entreprises qui puisent leurs talents dans des écoles, des secteurs ou des métiers qui ne vont pas de soi, qui ne s'arrêtent pas au seul critère du diplôme ou au parcours du candidat, mais jaugent sa personnalité, ses motivations et ses compétences sans faire de l'originalité une fin en soi. « Sans dupliquer à l'identique, elles cherchent à exploiter des compétences acquises dans d'autres sphères qui pourront servir dans le nouveau poste. Pour elles, il n'y a pas une façon unique de réussir », souligne Florence Clapin, associée du cabinet de chasse directe Dianes. Pour déceler les aptitudes d'un candidat, cette dernière n'omet jamais aucune ligne du CV. « Si, par exemple, je découvre un passionné d'œnologie, je le présente sans la moindre hésitation à une entreprise vinicole, même si son profil ne colle pas exactement aux exigences formulées », précise-t-elle.

Compétences transposables

Innover en matière de recrutement, c'est partir du principe que les compétences sont transposables. La trajectoire de Frédéric Hiard en témoigne. Ce titulaire d'un DEA de philosophie économique est aujourd'hui consultant en formation au sein du pôle informatique et réseaux de la Cegos, alors que rien dans son cursus ne semblait l'y préparer. En dépit de son profil très universitaire, il ne souhaitait pas intégrer l'Éducation nationale. Il a « galéré » avant de devenir commercial dans un groupe d'assurances. Puis, désireux de mieux tirer parti de son expérience, il a répondu à une annonce de la Cegos qui cherchait un formateur pour l'assurance. Même sans expérience du conseil et de la formation, le cabinet a été sensible à la connaissance du métier de son client et à sa formation plutôt tournée vers l'enseignement. « Il y a toujours une logique dans un choix apparemment atypique », dit l'intéressé.

Les passerelles entre métiers, fonctions et talents personnels sont légion, même si elles ne sautent pas aux yeux. Ainsi, un responsable du marketing doit savoir convaincre, communiquer, gérer des projets… P-DG d'une société de conseil, Insep Consulting, Dominique Genelot n'a pas hésité à embaucher la responsable du marketing de LVMH au Brésil, Morgan Pont-Bruyns, pour lui confier les activités de marketing et de communication. « Elle n'était pas a priori dans les standards explicites de développement de l'entreprise, dit-il. Elle ne connaissait pas les métiers du conseil. Mais j'ai été sensible à son côté international et à sa connaissance des langues étrangères. J'ai également pensé que son savoir acquis dans la grande consommation pourrait être utile dans le conseil, plus classique dans ses approches en termes d'image. » Morgan n'avait, quant à elle, aucune inquiétude sur sa nouvelle orientation : « Les réflexes sont les mêmes dans mes deux jobs. »

Opter pour une personnalité hors du commun est l'occasion de donner un autre style à une fonction. « J'ai embauché dans ma société un médecin qui avait travaillé à l'hôpital avant de rejoindre le service marketing d'un laboratoire pharmaceutique, explique Alain Gavand, responsable du cabinet de recrutement éponyme. À la suite d'une restructuration, il a quitté l'entreprise, passé une licence de psychologie et obtenu un DESS de ressources humaines avant d'intégrer le cabinet. En tant que médecin, il a développé des compétences humaines formidables, et son regard est différent. C'est très utile pour une activité comme la nôtre. » Axa a tenu le même type de raisonnement. Pour coordonner sa politique RH au niveau mondial, assurer la gestion des cadres dirigeants et des hauts potentiels, le géant de l'assurance avait choisi un responsable des opérations financières d'un groupe allemand qui avait connu un long épisode de dix-huit ans dans le conseil. Il cherchait à l'époque une personnalité hors norme ayant une grande connaissance du terrain, des qualités de communication et une expérience internationale.

Des chimistes dans une SSII
« Les réflexes sont les mêmes dans mes deux jobs », affirme Morgan Pont-Bruyus, ex-responsable du marketing de LVMH au Brésil embauchée par Insep Consulting.ERIC FLOGNY/ALEPH

Dans le monde très orthodoxe des SSII, Unilog ne recrute pas uniquement ses jeunes diplômés dans les écoles d'informatique et d'électronique. Mais se tourne aussi vers les écoles de chimie, de mécanique, du BTP ou encore vers les formations agroalimentaires. « C'est un choix délibéré qui n'est pas seulement dicté par des pénuries d'informaticiens. Nous pouvons ainsi coller aux métiers de nos clients », explique Yves Buisson, directeur du recrutement. Un bel exemple de politique volontariste, pourtant rare.

Car, en règle générale, les embauches atypiques résultent moins d'un raisonnement conscient sur les compétences que d'une rencontre plus ou moins fortuite avec une personnalité marquante. Pour le poste de DRH France, la logique aurait voulu que le patron des ressources humaines de la Fnac cherche une « pointure » dans une entreprise du CAC 40. Il s'est pourtant orienté vers Pierre-Emmanuel Leclercq, qui a commencé sa carrière dans la fonction publique comme inspecteur du travail, avant de devenir chargé de mission à la Délégation à l'emploi. Certes, lorsqu'il a posé sa candidature à la Fnac, ce dernier avait déjà amorcé un tournant vers l'entreprise puisqu'il était DRH de filiales de la SNCF. La première réaction de Michel Perchet, l'ex-DRH groupe de la Fnac, a été négative : « Il va donner un technocrate frustré », a-t-il tout d'abord pensé. Mais il a été vite séduit par la sensibilité de Pierre-Emmanuel Leclercq au sujet social, par son ouverture intellectuelle, voire son côté méditerranéen. Une embauche coup de cœur. « Entre deux candidats, l'intelligence émotionnelle fait la différence », juge-t-il.

Si certaines entreprises recrutent des DRH issus de l'Inspection du travail, un corps qu'ils sont amenés à fréquenter sur le plan professionnel, d'autres, et non des moindres, optent pour d'anciens syndicalistes, à qui elles font franchir le Rubicon. C'est le cas du groupe de restauration collective Elior, qui a choisi, pour sa division autoroutière, un ancien cédétiste, Jean-Michel Muller.

Pour un recruteur, sortir des sentiers battus, c'est toujours tenter un pari à moyen terme. Il est nettement moins sécurisant de faire appel à quelqu'un ignorant les rouages d'un secteur ou d'un métier qu'à une personne « formatée », donc opérationnelle plus rapidement. Des semaines, voire des mois, peuvent être nécessaires pour qu'un néophyte prenne ses marques. De gros efforts de formation ou d'accompagnement sont généralement indispensables. Alain Gavand le sait mieux que quiconque. Afin de retenir une jeune assistante de direction sur le départ, titulaire d'une maîtrise de lettres, il n'a pas hésité à lui confier un poste de chef de projet pour gérer le développement international de son cabinet et mettre en œuvre une démarche qualité. Un consultant spécialisé l'a accompagnée pendant six mois.

Gare, tout de même, aux erreurs de casting ! Les start-up qui ont propulsé comme webmasters des jeunes historiens ou des littéraires sans aucune expérience du monde de l'entreprise ont connu bien des déboires. Malgré son ouverture d'esprit, Dominique Genelot, le P-DG d'Insep Consulting, se veut prudent. « Tout le monde ne peut pas faire n'importe quoi. Il faut au minimum un ancrage qui rende le risque acceptable », souligne-t-il. Une fois, il avait ainsi embauché comme consultant senior un directeur d'usine qui souhaitait créer une activité de conseil dans sa région. « Il a mal supporté son nouveau statut qui le plaçait en situation de demandeur. Il n'est pas resté. »

Des défricheurs hors norme

Les responsables au passé singulier sont plus ouverts au risque que la moyenne. À l'instar des quatre fondateurs d'Unilog qui ont commencé leur carrière dans l'armée française. Ou de Michel Perchet, ancien maître nageur recruté par le Club Med version Trigano, devenu ensuite DRH d'Euro Disney, puis DRH groupe de la Fnac, avant de voler de ses propres ailes. Ce n'est pas non plus un hasard si 20 à 25 % des 200 salariés de la SSII Proservia ont un profil décalé. Thierry Congard, le P-DG, est lui-même un autodidacte. « Il s'est formé sur le terrain, il veut répéter l'expérience », relate Gaël Riou, le DRH. La firme a même lancé, il y a deux ans, des sessions de formation pour des candidats non scientifiques : des bacs pro transports, des BTS, une bac + 5 en géographie. Certains d'entre eux étaient chômeurs, d'autres RMIstes.

À l'opposé de ces défricheurs, beaucoup restent très classiques en matière de recrutement, au risque de se priver de tout élément distinctif et de s'enferrer dans les procédures de sélection. « Les entreprises préfèrent attendre un an et faire appel à un clone », observe Alain Gavand. Et les cabinets de recrutement accentuent cette tendance en appliquant des cahiers des charges très précis. Au lieu de courir après des candidats introuvables, les employeurs ne devraient-ils pas inverser la démarche et s'adapter aux compétences disponibles ? « On n'est pas dans un monde de fantaisie, les clients veulent des choses carrées », répond Alain Gavand. La plupart des firmes s'attachent en effet davantage au diplôme et à l'expérience qu'à la personnalité. Un formatage qui peut aller jusqu'à la façon de s'habiller et de s'exprimer. Pour Dominique Genelot, la culture d'entreprise pèse de tout son poids dans ce classicisme : « Introduire la différence, c'est terrible. Le rejet est inconscient, même avec des personnes de bonne volonté. » En période de crise, la frilosité se généralise. « Les entreprises ne prennent aucun risque, car si une personne ne fait pas l'affaire, celui qui l'a recrutée sait qu'il peut lui-même être remercié », note Florence Clapin.

Une affaire de famille

Souffrant du syndrome « grandes écoles » et attachées à leurs élites, les firmes françaises sont réputées faire preuve de rigidité. Elles ne lâchent du lest qu'en situation de pénurie ou, en interne, pour fidéliser leur personnel et surtout développer leurs hauts potentiels. C'est alors toutefois une affaire de famille entre élus ! « L'éclectisme est loué à l'étranger, pas en France, c'est dommage ! regrette Morgan Pont-Bruyns. On ne fait confiance qu'aux personnes de son milieu. » Bel exemple de réussite atypique, Alain Etchegoyen, philosophe, normalien, aujourd'hui à la tête du Commissariat du Plan, pointait dès 1990 dans un ouvrage (le Capital lettres, des littéraires pour l'entreprise, aux éditions François Bourin) cette dérive et montrait la perte nette de richesse en résultant. Aujourd'hui salarié dans une start-up spécialisée dans le conseil éducatif en ligne, Daniel, un enseignant passé par le syndicalisme puis consultant indépendant, estime que si peu de gens cherchent à changer d'orientation en cours de carrière, c'est parce qu'« il n'existe pas de sas de mobilité dans la société française ».

Si les idées reçues sur la façon de faire carrière ont la vie dure, les contre-exemples sont pourtant là pour les écorner. Ex-prof de maths et manager autodidacte, Jean-François Dehecq, le patron du deuxième laboratoire français, Sanofi-Synthelabo, fait preuve d'une longévité à toute épreuve. Tandis que Jean-Marie Messier, énarque et polytechnicien, pur produit de la nomenklatura patronale française, a été balayé par le vent de l'histoire…

Quand l'ANPE recrute par simulation

Une couturière qui devient conductrice d'autobus, un vigile recruté comme opérateur de plasturgie, un chef de cabine de compagnie aérienne placé à la tête d'un centre d'appels… Ces recrutements n'ont rien de farfelu. La méthode novatrice développée par l'ANPE permet de repérer les habiletés et les comportements susceptibles d'être transposés dans un nouveau métier sans s'en tenir aux critères classiques de diplôme et de parcours professionnel. Pour autant, le niveau d'exigence est maintenu. Les candidats sont évalués à partir d'exercices personnalisés qui reproduisent les situations de travail. Différents points sont analysés : capacité à travailler en équipe ou sous tension, adaptabilité, sens de la qualité, prise d'initiatives, autonomie… L'ANPE présente à l'entreprise les candidats dont les résultats sont conformes aux critères préalablement fixés. « Nous partons du principe que les attitudes, les réactions ou la manière de se conduire peuvent se transposer d'une situation dans une autre, d'une entreprise à une autre, d'un emploi à un autre, précise Maryvonne Le Liboux, responsable de la mission recrutement par simulation. On a plus de facilités à acquérir des compétences techniques qu'à changer de caractère. »

La méthode avait été testée en 1995 à La Rochelle avec Heuliez, un sous-traitant de l'industrie automobile qui cherchait 1 400 monteurs-assembleurs. Elle est particulièrement adaptée aux recrutements en nombre, à des postes où les connaissances techniques ne sont pas incontournables. Mais elle augure aussi d'une nouvelle façon d'embaucher. « Nous explorons mieux les compétences des candidats. Pour un opérateur de fabrication, le réflexe qualité, la capacité à travailler sous tension sont autant d'habiletés fondamentales qui n'apparaissent pas d'emblée dans le CV », estime-t-on à la Française de mécanique, qui a aussi eu recours à cette méthode. À ce jour, 4 500 recrutements par simulation ont été effectués par l'ANPE. Un début prometteur.

Auteur

  • Catherine Lévi