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Faut-il et de quelle façon réformer le financement des syndicats

Débat | publié le : 01.02.2004 |

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GUY GROUX

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Après la refonte du droit de la négociation collective, François Fillon s'attaque au chantier du financement des organisations syndicales, dont les cotisations des adhérents ne couvrent qu'une faible part. Doit-on instaurer un financement public, comme pour les partis politiques, ou bien favoriser les accords de droit syndical au sein des entreprises ? Les avis, partagés, de trois observateurs du paysage syndical.

« La loi doit laisser les partenaires sociaux négocier de nouveaux dispositifs. »

GUY GROUX Directeur de recherche au CNRS, Sciences po, Paris.

En France, le très faible taux d'adhésion aux syndicats les prive de moyens importants. D'où la question de leur financement qui renvoie, une fois de plus, au débat sur les rôles respectifs de la loi et de la négociation. Pour certains qui s'inspirent, mais pas toujours, du projet de texte présenté par Henri Emmanuelli en 2001, il s'agirait de définir, grâce au droit, de nouveaux modes de financement des syndicats par l'État. Certes, le recours au droit renforce la reconnaissance des missions d'utilité publique que remplissent, à l'évidence, les syndicats. Mais résoudre le problème de leur financement par le seul outil juridique ou une sorte d'« impôt syndical » peut conduire à toute une série d'effets pervers, surtout si l'aide de l'État s'exerce ici à l'exclusion de tout autre financement. L'aide en question peut, en effet, varier au gré des contraintes budgétaires, voire des alternances politiques. En outre, la dépendance des syndicats à l'égard de l'État, déjà importante en France, s'accentuerait plus encore.

En matière de financement syndical, le recours à la négociation a pu déboucher sur des accords remarquables, tel l'accord pionnier signé, dès 1990, à Axa ou d'autres plus récents, chez Renault, par exemple. Mais, dans ce cadre, la négociation risque de se cantonner aux seules grandes entreprises où de réelles pratiques contractuelles existent et où les syndicats ont des besoins importants (déplacements sur les sites, frais de tirage, expertises diverses…) sans toujours disposer des moyens suffisants pour y répondre.

En fait, il faudrait établir entre la loi et la négociation un lien étroit, la loi codifiant les initiatives locales tout en leur permettant un réel épanouissement. Dans ce contexte, il s'agirait de mettre en place de nouveaux dispositifs ou de repréciser, voire de clarifier le fonctionnement de dispositifs déjà existants.

On pourrait ainsi imaginer qu'aux côtés de financements publics concernant plus particulièrement certains syndicats comme ceux de la fonction publique, entre autres, le législateur puisse définir plusieurs voies qui seraient laissées à l'appréciation négociée des partenaires sociaux. De prime abord, et sans prétendre à l'exhaustivité, on peut évoquer ici divers registres comme la généralisation de dispositifs tel le « chèque syndical » qui laissent une large place aux choix individuels et aux rapports directs entre le salarié et le syndicat ; pour les grandes entreprises, l'incitation juridique à la recherche d'accords, que ceux-ci portent sur une part de la valeur ajoutée, de la masse salariale ou d'autres sources ; la redéfinition conventionnelle des « frais de paritarisme » entre les divers partenaires dans les grands organismes sociaux, soumis eux-mêmes à un contrôle public ; la codification des aides provenant des régions ou des collectivités locales, à l'heure où se met en place la décentralisation et où la référence au « territoire » est, selon maints observateurs, appelée à se renforcer au sein de la négociation collective, ou, enfin, la définition de dispositifs spécifiques concernant les syndicats dans les PME. Nous sommes là en présence de modalités multiples et négociées qui devraient découler du droit, celui-ci rompant avec des critères uniformes ou contraignants dont la mise en œuvre ne va plus de soi dans bien des domaines.

« Une part de financement public n'est pas illégitime mais ne devrait pas être la priorité. »

JEAN-FRANÇOIS AMADIEU Professeur à l'université de Panthéon-Sorbonne (Paris I).

Une réforme du financement des organisations syndicales et patronales devrait reposer sur quelques principes directeurs : les organisations professionnelles ne doivent pas être transformées en groupes de pression dont le fonctionnement deviendrait similaire à celui des partis politiques. Une réflexion sur le financement devrait aussi concerner le mouvement associatif. En effet, associations et ONG sont de plus en plus partie prenante des politiques publiques et impliquées dans les démarches de responsabilité sociétale des entreprises. Quid de leur indépendance financière, de leur rapport aux adhérents, de leur représentativité ? Le mouvement syndical tire sa force de son lien incontestable et historique avec les salariés. C'est le nombre des adhérents qui est le gage d'une indépendance vis-à-vis de l'État et les adhérents sont un élément essentiel de la démocratie interne aux organisations professionnelles. Les syndicats français se caractérisent par l'extrême modicité de leur nombre de cotisants et il serait paradoxal que cette exception ne trouve pas de solution. Pourquoi la relance des adhésions ne serait-elle pas privilégiée ? Les salariés les moins qualifiés sont ceux qui adhèrent le moins aux syndicats et la déduction fiscale partielle des cotisations ne concerne pas beaucoup d'entre eux. Pourquoi ne pas mettre en place des mécanismes qui incitent à l'adhésion, par exemple en liant les adhésions aux aides publiques et patronales ? On pourrait aussi réserver certains avantages des conventions et accords collectifs aux membres des organisations signataires. Une part de financement public n'est pas illégitime mais ne devrait pas être la priorité. En outre, la répartition des moyens, qu'ils émanent comme actuellement des institutions paritaires ou demain davantage des pouvoirs publics, devrait être faite en fonction de la représentativité réelle des organisations. Or nous n'avons pas une bonne connaissance des résultats des élections professionnelles. Dans le secteur public comme dans le privé, les élections ne sont pas assez ouvertes.

Une réforme du financement des syndicats ne devrait pas être un simple arrangement sur le partage du gâteau mais l'occasion d'utiliser le levier du financement pour provoquer des mutations du paysage syndical. Notre mouvement syndical a besoin de gagner en indépendance, en légitimité, en transparence et en démocratie. Qui peut prôner, au nom du pluralisme, un émiettement croissant ? La multiplication du nombre des syndicats est préjudiciable au fonctionnement de nos relations sociales, au syndicalisme, qu'il affaiblit, et aux salariés eux-mêmes. Le financement syndical est une clé essentielle pour inverser le processus de morcellement syndical. Seule la recherche des cotisants peut pousser les syndicats au développement des services aux adhérents et aux fusions dans un but de rationalisation et d'économie. La construction d'un mouvement syndical rassemblé, mieux armé, sur lequel puisse se fonder le dialogue social, passe par le développement du financement par l'adhésion.

« En contrepartie d'un financement, les syndicats pourraient fournir des prestations. »

BERNARD ZIMMERN Président de l'Ifrap.

Le syndicalisme français se porte mal : avec environ 8 % des salariés syndiqués, il est la lanterne rouge des pays occidentaux, le maillot jaune revenant à la Suède avec près de 90 %.

Pourquoi ? Sans trop caricaturer, parce que le syndicalisme français n'apporte plus de service indispensable à la vie quotidienne alors que c'est l'inverse en Suède. Historiquement, les syndicats se sont développés non seulement en défendant les salariés contre les mauvais patrons, mais aussi en créant des mutuelles, des résidences ouvrières, en faisant du placement, etc. Ils ont gardé ce rôle en Suède en le modernisant : cotisation syndicale incluant l'assurance chômage, le droit à la formation, l'aide juridique, même l'assurance habitation. Cette utilité sociale a été en grande partie oubliée en France, car 80 % du financement des syndicats étant assuré par l'État via subventions, financements occultes, mise à disposition gratuite de fonctionnaires, il est devenu plus important pour les dirigeants de recueillir la manne étatique que les adhésions. Il est d'ailleurs symptomatique que les syndicats soient encore très puissants dans l'Éducation nationale ou aux Impôts, où ils assurent à leurs adhérents des services essentiels tels que promotions et affectations géographiques, même s'il s'agit souvent d'un abandon de ses responsabilités par la hiérarchie. Pourtant, nous avons besoin de syndicats forts non seulement dans le secteur public, mais aussi dans le secteur privé, car nous sommes loin d'avoir résolu nos problèmes sociaux, à commencer par le chômage. Il a été envisagé, notamment par le gouvernement Jospin, de remplacer des financements plus ou moins occultes par un financement transparent, modelé sur celui des partis politiques. Mais ce ne serait ni démocratique ni efficace. Les partis concernent toute la société, les syndicats seulement une partie. Et leur donner de l'argent sans, en échange, obtenir des prestations de services, ne peut que les isoler davantage des syndiqués.

Une première piste serait d'associer davantage les syndicats aux services actuellement dispensés par les comités d'entreprise et au financement par l'entreprise qui en est la contrepartie ; il n'existe d'ailleurs pas de justification incontournable à l'existence parallèle de délégués du personnel, délégués syndicaux et comités d'entreprise.

Une deuxième piste serait d'encourager de nouveaux services syndicaux. Par exemple, des enquêtes ont montré que le poids des indemnités de licenciement aboutit à transformer le départ de 20 ou 30 % des effectifs en une fermeture par dépôt de bilan qui met 100 % des effectifs à la porte. Il est absurde de faire supporter tout le coût des indemnités à des entreprises qui sont déjà en situation financière difficile et il serait plus intelligent que ces indemnités soient au moins en partie provisionnées dans un fonds lorsque l'entreprise est en bonne santé. Et pourquoi ne pas confier aux syndicats la création et la gestion de ces fonds ? Et même en lier le bénéfice pour le salarié à une adhésion syndicale ? Ce serait non seulement donner une nouvelle utilité sociale aux syndicats, mais aussi les faire participer à la lutte contre les aléas économiques qui, quels que soient les rêves que l'on peut caresser, resteront le propre de toute société.