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Vie des entreprises

Mieux vaut travailler à Nouvelles Frontières qu'à Voyages Fram

Vie des entreprises | MATCH | publié le : 01.12.2003 | Anne Fairise

Tandis que Nouvelles Frontières, repris par TUI, ex-Preussag, vit à l'heure de la rationalisation, Fram poursuit sa route d'entreprise familiale. Dans ce secteur très chahuté, les deux groupes serrent les coûts. S'ils sont au coude à coude sur les salaires de base, NF conserve une bonne longueur d'avance pour les primes et avantages, ainsi que sur la durée du travail.

Cap sur la Méditerranée ! Le groupe allemand TUI, ex-Preussag, qui a racheté le groupe Nouvelles Frontières à son charismatique fondateur Jacques Maillot, a frappé un grand coup en septembre en annonçant la naissance d'un nouveau voyagiste à son nom. Ce petit frère de NF, dont il se veut complémentaire avec un éventail de voyages haut de gamme, s'est vu assigner un objectif ambitieux : séduire 100 000 candidats au soleil dès 2004 et capter 3 % du marché hexagonal. Pas vraiment une bonne nouvelle pour un secteur précipité dans la crise depuis le 11 septembre 2001 et malmené par une guerre effrénée sur les tarifs. L'offensive secoue particulièrement la maison toulousaine Voyages Fram, spécialiste du bassin méditerranéen et numéro trois français derrière Nouvelles Frontières.

Dernier gros opérateur indépendant, non coté en Bourse, l'enseigne aux trois palmiers tricolores fait figure d'exception dans un paysage français en pleine restructuration. Alors que nombre de voyagistes sont tombés dans l'escarcelle de groupes étrangers, les familles Polderman et Colson tiennent fermement la barre avec 65 % du capital de Fram. « L'indépendance conquérante », tel est le slogan de Georges Colson, 66 ans, beau-fils du fondateur et président du directoire, auquel on donne toujours du « Monsieur » dans les couloirs. Pas du genre à s'affoler de l'arrivée de TUI. « Elle modifie la donne concurrentielle. Mais nous restons fidèles à notre stratégie », commente, laconique, Patrice Bert, le DRH groupe.

Refus de s'engager dans la bataille des prix, « par respect pour les prestataires à l'étranger et le travail des salariés », poursuite des investissements… le voyagiste toulousain joue la différence tout en renforçant la vente directe de ses produits. « Les effectifs globaux, en hausse de 8 % jusqu'en 1991, continuent d'augmenter, dans une moindre mesure », reprend le DRH du groupe de 850 salariés. Le nombre d'agences dédiées a triplé depuis 2000, surtout par croissance externe. De quoi accélérer la mutation vers un modèle plus intégré, celui développé par Jacques Maillot, qui a joué les précurseurs en déclinant les différents métiers du tourisme avec des agences de voyages exclusives, sa compagnie aérienne, son parc d'hôtels.

Changement de culture radical

Reste que ce modèle est revu à l'aune de la rationalisation depuis la mi-2001 et l'entrée de TUI dans le capital de l'entreprise surendettée. Depuis qu'ils ont vu partir l'iconoclaste père fondateur, vendeurs et forfaitistes ont déjà connu deux P-DG. Une nouvelle génération de dirigeants : le parcours du président actuel du directoire, Éric Debry, un HEC de 43 ans, est révélateur. Passé par McKinsey et Paribas, il était chargé des fusions-acquisitions chez Preussag avant de prendre les commandes de NF.

Le changement de culture a été radical. D'autant que la conjoncture a précipité l'arrivée aux manettes du groupe allemand et la restructuration de NF, la première de son histoire. Un « traumatisme pour les salariés », selon Élisabeth Barthomeuf, déléguée centrale CGT et chef d'agence à Clermont-Ferrand. « Après la vente des filiales déficitaires, cela a été le tour de la maison mère, avec l'annonce d'un plan social à l'été 2002. Sous Maillot, on vivait dans l'hypercroissance et l'emploi à vie. Jamais on n'avait réduit la voilure. » Une mesure « injustifiée » pour la CGT, alors prompte à dénoncer « la logique boursière des actionnaires ». « Ce plan n'était pas nécessaire. La direction voulait leur donner un signal fort », persiste Lazare Razkallah, secrétaire CGT du CCE.

L'intersyndicale CGT-FO a joué la montre. Le plan, finalisé six mois après son annonce, a été revu à la baisse : les 152 suppressions de postes prévues (soit 10 % des effectifs) ont été ramenées à 47 et proposées sur la base du volontariat. « 90 licenciements avaient été négociés entre-temps », souffle un cadre, en guise d'explication. Signal inquiétant pour les syndicats, l'afflux de candidats au départ dans le cadre du plan social, rebaptisé « plan de sauvegarde de l'emploi » : 93 postulants, deux fois plus que nécessaire. « Même le réseau des agences, qui n'était pas concerné, a été touché. » Bien que passé dans le giron de TUI, NF ne s'est pas départi de sa réputation d'entreprise sociale. Ont été proposés, en sus des obligations légales, une indemnité d'un mois et demi de salaire par année, le paiement du préavis sans obligation de l'effectuer et un accompagnement via une cellule de reclassement.

Rien de tel chez Voyages Fram où « l'emploi est presque un acquis ». « C'est dans la culture maison. Pour être licencié, il faut véritablement cumuler les erreurs », martèle Patrice Bert, qui comptabilise « cinq licenciements pour faute grave » depuis son arrivée en 1996. Pourtant, une citation de Georges Colson, « baisser les salaires plutôt que licencier », publiée dans la presse au printemps, a mis le siège en émoi. « Une possible baisse des salaires avait été évoquée en CE. Mais elle n'avait jamais été mise en balance avec des suppressions d'emplois, note Heny Chouikh, agent de réservation, présent au comité d'entreprise depuis dix-huit ans. La direction a rassuré. La baisse des rémunérations n'est pas à l'ordre du jour. C'est ça qui fait le plus peur. »

En 1991, déjà, face à la chute des ventes lors de la première guerre du Golfe, Voyages Fram avait supprimé les deux heures supplémentaires hebdomadaires quasi assurées au personnel, en vertu d'un accord d'entreprise troquant flexibilité des horaires contre élargissement des plages d'ouverture. À la clé, « une sacrée baisse de pouvoir d'achat, environ 6 %, pendant trois à quatre mois », se souvient un ancien. « Sur le long terme, la baisse des salaires est intenable socialement. Mais il faut un certain courage pour le proposer, et le faire, plutôt que de licencier. Tous les collaborateurs étaient d'accord. Nous ne sommes jamais dans le rapport de force », reconnaît le DRH.

La grande famille Fram

Le voyagiste toulousain ne compte, il est vrai, aucun syndicat, contrairement à Nouvelles Frontières, où la CGT et FO sont implantées de longue date. « Le besoin ne s'en est pas fait sentir », affirme Patrice Bert, qui invoque la personnalité de dirigeants, tel Georges Colson, revendiquant « une sorte d'artisanat dans la relation humaine ». « Fram est comme une grande famille, avec tout ce que cela implique de dépendance, d'interdépendance et d'opposition sporadique », ironise un salarié. « N'importe qui peut prendre rendez-vous avec le P-DG. Même si cela pose parfois problème avec la hiérarchie qui peut se sentir court-circuitée », rétorque la DRH.

À en croire, pourtant, la Fédération FO du tourisme, plusieurs tentatives d'implantation ont été déjouées. « À chaque fois qu'un salarié en conflit avec l'employeur a fait savoir qu'il prenait sa carte, il en a été découragé, de manière soft mais claire. Cela s'est résolu par des licenciements négociés », assure Yann Poyet, secrétaire de la fédération FO. À Nouvelles Frontières, en tout cas, les syndicats semblent satisfaits d'avoir tourné la page du paternalisme. « Éric Debry a revalorisé le rôle des élus. Il sait écouter, ce que Jacques Maillot ne faisait pas. Il donnait plutôt une grande claque amicale dans le dos, en disant qu'il allait arranger ça », note un représentant du personnel. Nouveauté : l'ensemble des élus du CCE ont été récemment conviés à assister au séminaire du top management.

Côté fiche de paie, Nouvelles Frontières et la maison toulousaine sont au coude à coude. Qu'il intègre les services du « TO » comme agent de réservation chargé de conseiller ses collègues en agences ou qu'il soit recruté comme vendeur, un débutant chez NF émarge à 1 173 euros brut mensuels sur treize mois… contre 1 168 euros brut, sur treize mois également, chez Fram Voyages. Au nom de la paix sociale, ce dernier préfère néanmoins taire le salaire de ses chefs d'agence. Chez NF, ils sont rémunérés de 1 514 à 2 830 euros brut mensuels, selon le coefficient et l'importance de l'enseigne. En plus, les vendeurs des agences touchent, ici, des commissions sur leur chiffre d'affaires annuel (au-delà de 762 000 euros) qui peuvent atteindre plusieurs mois de salaire. « Rares sont les vendeurs débutants qui y arrivent. La conjoncture actuelle crée encore plus de tensions dans les équipes. Mais le seuil de commissionnement fait office de moyenne aujourd'hui », note le responsable d'une grande agence de la banlieue parisienne. Introduit par Maillot en 1999, le commissionnement, à l'époque très décrié par la CGT, a fini par entrer dans les mœurs.

De commissionnement on ne parle pas chez Voyages Fram, où tout ce qui concerne la distribution, en pleine structuration, tient du secret défense. « Il y a eu beaucoup de rachats de réseaux d'agences. Nous en sommes au repérage des bonnes pratiques de chacun pour, à terme, harmoniser », souligne le DRH, soucieux de ne pas différencier tour-opérateur et distribution. Il préfère évoquer la prime de gratification, versée en fin d'année en fonction des résultats individuels, qui représente « a minima un demi-mois de salaire ».

Ceinture pour le personnel

Crise oblige, dans les deux groupes, le personnel a dû se serrer la ceinture. Davantage chez le voyagiste toulousain, où la dernière augmentation générale remonte à 1999, qu'à NF où, en dépit de la conjoncture, les syndicats viennent d'arracher un coup de pouce à la nouvelle direction. Mieux, ils ont amélioré certains avantages en nature, dont la liste est déjà longue : deux billets d'avion gratuits par an pour les salariés et leur conjoint sur un vol régulier ; tarifs préférentiels dans les hôtels du groupe ; possibilité de voyager gracieusement sur les charters NF. Sans compter des crédits à la consommation.

De quoi faire pâlir les salariés de Voyages Fram, seulement conviés au séminaire rituel du 11 novembre, un week-end sous le soleil auquel participent environ 500 d'entre eux. « Il s'agit d'une grand-messe médiatique, mais aussi de faire se rencontrer les salariés. Une tradition qui a cinquante ans », souligne Patrice Bert. Arbre de Noël, gala de fin d'année pour les salariés et leur conjoint : le CE privilégie aussi le collectif. Les salariés peuvent également bénéficier de tarifs préférentiels sur les vols. « Mais ce n'est pas un dû. Il faut en faire la demande à la direction », déplore un agent.

En matière de RTT, Nouvelles Frontières a aussi une longueur d'avance. Première entreprise du secteur à être passée aux 35 heures, elle a signé à la veille de Noël 1998 un accord offensif, avec la CGT et FO, proposant trois formules à la carte : 35 heures en quatre jours (de 8 h 45), en quatre jours (de 7 h 45) et demi, ou une semaine de quarante heures en cinq jours, qui donne droit à vingt-huit jours de congés de plus par an ! Une option massivement choisie par le personnel, constitué, aux deux tiers, de femmes. Un dispositif sans équivalent dans le secteur, selon les syndicats. Aussi ont-ils bondi quand, en 2002, la direction a proposé de le revoir, dans le cadre du plan social. « La direction l'a compris. Elle aurait pu le dénoncer en septembre, mais n'en a rien fait », remarque Élisabeth Barthomeuf, de la CGT.

Flexibilité horaire depuis dix ans

Dans la foulée de la seconde loi Aubry, le voyagiste toulousain a opté, en 1999, pour une semaine de 37 heures, ouvrant droit à une journée de récupération par mois, et conservé la flexibilité des horaires, effective depuis dix ans. Ceux-ci peuvent varier de 35 à 39 heures. Fluctuation autorisée : plus ou moins deux heures hebdomadaires, alimentant un compteur et récupérables sous forme de jours de repos. Mais le personnel ne peut pas en prendre plus de trois par an. À charge pour lui de contrôler les dérapages. Le badge, obligatoire dans le secteur tour-opérateur à la différence des agences, fait le reste. « Ce système, qui permet d'assurer une plus grande plage d'ouverture, repose sur le roulement du personnel. Celui qui fait des heures en plus récupère la semaine suivante. Chaque service s'organise comme il le veut. Le système est rodé », reprend Heny Chouikh, du CE. À défaut de syndicat, l'organisation a été mise au point pendant un an, avec six groupes par métier, aidés par un cabinet-conseil. Il n'y a eu aucune remontée négative sur la RTT. « Les salariés peuvent prendre leur jour de récupération comme ils l'entendent et l'accoler à un week-end. Pour peu qu'ils travaillent le samedi suivant, ils gagnent quatre jours de congé d'affilée. »

Depuis l'arrivée de TUI, NF est en pleine révolution managériale. Maîtres mots : structuration et professionnalisation. « Le groupe souffrait d'une organisation peu responsabilisante. Les process n'étaient pas bien définis, ni le périmètre de chacun. L'accent a été mis sur le travail en équipe, la hiérarchie formalisée et les définitions de poste précisées », note Samuel Le Métayer, adjoint du DRH, Jean-Paul Charlez. Premier touché : le réseau des agences, nerf de la guerre commerciale. Hier considéré comme un « supervendeur », gérant au quotidien le point de vente, le chef de comptoir est invité à se glisser dans la peau d'un manager et d'un« entrepreneur local », avec formation à la clé et l'appui du nouveau service « développement commercial ». À charge pour le responsable d'agence de définir un plan d'action, d'organiser des réunions auprès de clients, d'être présent sur des salons locaux. L'évolution fait grincer des dents les plus anciens. « S'il y a des inquiétudes, elles sont motivées par la crainte de l'échec »,tempère la DRH.

« On passe d'un excès à l'autre. Il y a quatre ans, il n'y avait ni contrôle ni objectif, hormis la progression des ventes. Aujourd'hui le chef d'agence doit envoyer des rapports d'activité mensuels sur l'évolution du chiffre, sur celle de la concurrence, sur chaque vendeur. Il est de plus en plus responsabilisé, sans avoir les marges de manœuvre correspondantes. Impossible d'accorder des ristournes aux clients fidèles, même pour 1 euro », maugrée un ancien. Pour les salariés du tour-opérateur, l'évolution semble plus tranquille. L'entretien annuel d'évaluation vient d'être systématisé, alors que les vendeurs en agence y sont soumis depuis 1999.

Chez Voyages Fram, c'est en projet « pour 2004-2005 ». La DRH a ouvert plusieurs chantiers, le premier sur la gestion de carrière. « Il n'y en a pas vraiment ici », déplore un forfaitiste. La DRH s'avoue prise en étau entre l'impatience des jeunes, « qui croient avoir fait le tour de leur poste en quelques mois », et celle des quadras, soucieux de leur évolution. « La pyramide des âges ne facilite pas les choses. La moyenne d'âge est de 36 ans », note Patrice Bert. Également dans les tuyaux, le renforcement de la formation. Les jeunes agents de réservation sont initiés sur le tas par les anciens, qui estiment avoir donné côté tutorat. « Il faut une année à un agent de réservation pour être opérationnel. » De quoi peut-être enrayer les départs de certains jeunes, même si le turnover est minime. Reste que, sur un marché atone, Voyages Fram reçoit une soixantaine de CV par jour. Autant que la filiale de TUI.

Rude négo salariale !

Branle-bas de combat chez les voyagistes. Ce petit secteur d'activité, fort de quelque 20 000 salariés, dont beaucoup à temps partiel selon les syndicats, semble bien parti pour se doter d'une branche professionnelle, inexistante jusqu'alors. « Hormis pour les rencontres obligatoires sur les salaires, il n'y a eu aucune vraie négociation depuis 1998. À l'époque, employeurs et syndicats n'avaient pas réussi à s'entendre pour signer un accord de branche sur les 35 heures », rappelle Yann Poyet, du Snepat Force ouvrière.

Changement de ton aujourd'hui. Une commission paritaire nationale emploi-formation, chargée d'évaluer et d'anticiper les besoins, est en cours de constitution. Une première ! Mieux, les employeurs regroupés au sein du Snav (Syndicat national des agences de voyages) et les syndicats de salariés s'apprêtent à toiletter la convention collective. Chantier prioritaire ? La « modernisation » de la grille des classifications. Une nécessité selon Guy Besnard, DRH d'American Express et président de la commission des affaires sociales du Snav. « Certains métiers décrits sont, en partie, obsolètes. Et la grille des classifications ne prend pas en compte les évolutions technologiques majeures qu'a connues le secteur avec l'informatisation. » Les syndicats marquent aussi leur attente, pour d'autres raisons : « Les quatre premiers niveaux de la grille sont rémunérés en deçà du smic. Quand on sait que la grille compte une dizaine de niveaux, cela fait beaucoup. 80 % des salariés sont dans cette situation. Comment peuvent-ils s'inscrire dans une évolution de carrière ? Ils cherchent un boulot d'appoint puis s'en vont », tempête le Snepat FO. Tandis que la CGT marque déjà son opposition à l'éventuelle introduction de critères comportementaux dans la classification de ces métiers de services…

La négociation promet d'être serrée. Elle débutera, début 2004, au terme d'une étude sur les pratiques en matière de rémunération et de définition de postes. L'occasion d'en savoir plus sur un secteur où « l'on n'aime pas les chiffres », au dire même du Snav.

Auteur

  • Anne Fairise