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Politique sociale

Bastion des profs, la FSU cherche sa place dans le jeu syndical

Politique sociale | ANALYSE | publié le : 01.12.2003 | Frédéric Rey

Numéro un à l'Éducation nationale, la rebelle FSU recueille les dividendes de son combat contre la réforme des retraites et contre la décentralisation, en ralliant des déçus de la CFDT. Mais pas question pour ce syndicat très contestataire de mordre sur le privé ni de devenir une sixième confédération.

La CGT et SUD ne sont pas les seuls syndicats à se partager le gâteau des départs de la CFDT. De ce mini-Yalta syndical, une autre organisation tire son épingle du jeu : la FSU (Fédération syndicale unitaire), qui a rivalisé d'énergie dans le mouvement de contestation contre la réforme des retraites avec les grandes confédérations syndicales comme FO ou la CGT. Ainsi, au mois de septembre dernier, des militants CFDT de la fonction publique territoriale du Val-de-Marne, de la Haute-Vienne et de l'Aude ont décidé de rejoindre cette fédération qui n'avait jusqu'ici pas débordé le strict champ de l'Éducation nationale.

Certes, au regard des milliers de cheminots qui vont gonfler les rangs de SUD et de la CGT, l'arrivée de quelque 1 500 militants cédétistes territoriaux ne provoque pas de séisme syndical. « Mais cette recomposition n'a pas dit son dernier mot, assure Gérard Aschieri, 51 ans, agrégé de lettres, qui dirige la FSU depuis 2001. D'autres syndicats territoriaux départementaux vont suivre le mouvement. Par ailleurs, nous sommes en discussion avec des organisations syndicales du ministère de l'Environnement, de l'Équipement, de la météo, de La Poste, de l'enseignement privé et même avec la section CFDT de la Banque de France. »

Des banquiers et des personnels d'établissements catholiques à la FSU ? Bigre, bien des profs laïcards et corpos risquent d'y perdre leur latin ! Car la FSU, née d'une scission en 1993 de la puissante FEN (Fédération de l'éducation nationale), est leur forteresse. Sur les 20 syndicats qui composent cette fédération, on retrouve tous les métiers de l'Éducation nationale : assistantes sociales, infirmiers, administratifs, agents techniques, ouvriers… Mais le Snes et le SNUIPP, qui fédèrent respectivement les enseignants du second degré et les instituteurs, représentent à eux seuls les deux tiers des 180 000 adhérents revendiqués.

Prix d'excellence de l'obstruction

En dix ans, la FSU est ainsi devenue la première organisation syndicale de l'Éducation nationale. Celle sans laquelle rien ne peut se faire. Celle aussi qui a, sans conteste, gagné le prix d'excellence de l'obstruction. Car la FSU s'est construite sur une ligne prônant la contestation permanente. Pour tous les ministres qui se sont succédé Rue de Grenelle, impossible de prétendre diriger la maison sans composer avec ce mastodonte. Les plus consensuels, Jack Lang ou François Bayrou, n'ont d'ailleurs jamais mené jusqu'au bout une réforme qui ne soit avalisée par la FSU. Les autres, et Claude Allègre le premier dans sa tentative de dégraissage du mammouth, n'ont pas pu résister à la pression de cette organisation qui ne ménage pas les surenchères catégorielles. Alors pourquoi la FSU recrute-t-elle aujourd'hui sur d'autres terres que les siennes ? « Nous sommes la première organisation syndicale de la fonction publique d'État. Nous avons beau avoir joué un rôle de premier plan dans la lutte contre les projets de régression sociale, dès lors qu'il s'agit de débattre de sujets généralistes comme les retraites ou la protection sociale, nous sommes mis hors jeu par les pouvoirs publics, souligne Gérard Aschieri. Sur l'assurance maladie, par exemple, contrairement aux confédérations, nous n'avons pas été reçus par Jean-François Mattei. »

La FSU ne siège pas au Haut Conseil pour l'avenir de l'assurance maladie, récemment installé pour éclairer la future réforme de la Sécu, et elle est exclue d'autres instances telles que le Conseil supérieur de la fonction publique. « Un de nos enjeux, précise Hubert Duchscher, membre du bureau fédéral de la FSU et chargé des relations internationales, est de pouvoir accéder au niveau européen via la Confédération européenne des syndicats (CES). Nous ne pouvons plus rester cantonnés aux seuls dossiers concernant l'éducation. »

Face à l'Unsa et au Groupe des 10 qui revendiquent une place à égalité avec les cinq confédérations représentatives, la FSU craint de ne pouvoir jouer que les seconds rôles. L'amendement Perben, adopté en 1996, qui a introduit des critères de représentativité dans le public, ne lui a pas facilité la tâche. Elle ne peut présenter des candidats que là où elle est déjà implantée. Pour pouvoir exister dans un cadre plus large que celui de l'Éducation nationale, elle n'a donc d'autre possibilité que d'élargir sa présence.

Dans ce domaine, la FSU n'en est pas à son premier coup d'essai. En 2001, après la signature par la CFDT de l'accord mettant en place le Pare, le syndicat CFDT de l'ANPE claque la porte de la confédération et frappe à la porte de la FSU. « Nous connaissions depuis longtemps ses dirigeants, explique Noël Daucé, responsable du nouveau Syndicat national unitaire ANPE, Travail, Emploi, Formation et Insertion, le SNU Tefi. Nous nous étions retrouvés dans tous les combats du mouvement social et notamment au sein d'AC ! Les militants de la FSU portent la même volonté que nous de construire un rapport de force et un syndicalisme de transformation sociale. »

Un pied dans la porte

Depuis sa création, les syndicats d'enseignants regroupés au sein de la FSU investissent le champ très large de la contestation et manifestent aux côtés des altermondialistes, des sans-papiers, des mouvements de chômeurs. Au printemps dernier, des actions communes ont été menées par des professeurs et des intermittents du spectacle. Dans tous ces combats, l'organisation se retrouve au côté de cédétistes en opposition avec la ligne confédérale, et plus particulièrement des représentants de la mouvance Tous ensemble, créée en 1995 après la réforme Juppé. Logiquement, beaucoup de partants de la CFDT, issus de cette minorité, vont emboîter le pas au syndicat de l'ANPE en adhérant à la FSU.

Des inspecteurs du travail, des personnels de l'Afpa, des agents de missions locales d'insertion rejoignent ainsi ceux de l'ANPE au sein du SNU Tefi. « Nous avions mis un pied dans la porte, souligne Noël Daucé, responsable de cette organisation, avec l'arrivée de syndicats de la fonction publique territoriale, nous élargissons davantage le champ de syndicalisation de la FSU avec d'importantes possibilités de pouvoir gonfler nos troupes dans des professions où nous n'étions pas représentés. »

Reste qu'en accueillant les territoriaux, la FSU pourrait prendre une tout autre dimension. « Lorsque nous avions ouvert nos portes au syndicat de l'ANPE, précise Gérard Aschieri, nous avions modifié nos statuts en considérant que les questions d'emploi étaient dans le prolongement de l'éducation. » Mais cette nouvelle donne ne va pas sans poser des problèmes à l'organisation enseignante. Le syndicat récemment créé, le SNU Clias (Syndicat national unitaire des collectivités locales, de l'intérieur et des affaires sociales), est pour l'instant « associé » à la fédération. La question de son adhésion définitive devra être tranchée au prochain congrès de la FSU, en février 2004.

En interne, certains enseignants sont extrêmement réticents. « Ils craignent de voir leur spécificité professionnelle se diluer dans la masse. Ces partisans du statu quo ne veulent pas prendre le chemin de l'Unsa Éducation », analyse un ancien du Snes. « Nous avons mis une limite à l'extension syndicale de la FSU, entend rassurer Noël Daucé. La frontière, c'est le privé, où nous ne voulons pas nous implanter. » Avant l'éclatement de la Fédération CFDT du transport et de l'équipement, la FSU avait été contactée par des dirigeants de la FGTE qui envisageaient un départ groupé. Mais un des obstacles au rapprochement avec la FSU a été la présence de salariés d'entreprises privées de transport routier.

Tiraillée entre deux cultures

Les réfractaires à l'ouverture le sont d'autant plus que cet élargissement se construit principalement avec l'aile ultragauche de la CFDT, très proche de la Ligue communiste révolutionnaire (LCR). Certains dirigeants des syndicats arrivants et les représentants d'une tendance trotskiste au sein de la FSU ne cachent pas leur intention de construire un pôle radical sur la base d'un rapprochement entre la FSU et le Groupe des 10. « Nous ne sommes plus dans un projet syndical mais dans le cadre d'une organisation qui a des visées politiques », dénonce Bernard Pabot, secrétaire du Snetaa (Syndicat national de l'enseignement technique Action autonome), qui a rompu avec la fédération en 2001. « La FSU est tiraillée entre deux cultures, explique un enseignant. Il ne faut pas sous-estimer le corporatisme conservateur d'une partie des troupes qui ne se retrouverait pas dans une telle alliance. »

Ce nouveau positionnement a enfin des répercussions en externe sur l'échiquier syndical. « Le syndicalisme est suffisamment divisé et éparpillé, souligne Gérard Aschieri. Nous ne voulons pas devenir une confédération supplémentaire. » En élargissant son audience, la FSU empiète sur le terrain de la CGT, ce qu'elle avait toujours soigneusement évité. « Les deux organisations ont tacitement passé un pacte de non-agression où chacune s'engageait à ne pas marcher sur les plates-bandes de l'autre, explique un observateur. Mais aujourd'hui, la FSU est dans une vraie contradiction : comment sortir de son isolement sans grignoter les territoires de la CGT et tout en conciliant ses courants internes ? C'est la quadrature du cercle. »

Cette question taraude la FSU depuis déjà plusieurs années. « L'organisation a hérité des problèmes de la FEN, qui avait toujours cherché à devenir une confédération », analyse le politologue René Mouriaux. Pour sortir de cette impasse, la FSU avait, en 1998, proposé un lieu permanent d'échanges et de débats à l'ensemble des syndicats. Louis Viannet, alors secrétaire général de la CGT, avait même assisté à une réunion mais n'y était jamais revenu, critiquant une FSU trop tournée vers SUD.

En quête de partenaires

Lors de son dernier congrès, à La Rochelle en 2001, la FSU a relancé l'idée, en créant un comité de liaison unitaire et interprofessionnel. La FGTE-CFDT a participé à une première réunion avant de se retirer. La Fédération des finances CGT n'est guère restée plus longtemps. « Nous avons fini par nous retrouver en tête à tête avec le Groupe des 10 », raconte Gérard Aschieri. Depuis cet échec, la FSU continue de lancer des appels au partenariat. « Durant le mouvement de printemps, poursuit le secrétaire général, nous avons travaillé main dans la main sur le dossier des retraites avec l'Unsa et la CGT en créant une structure permanente, baptisée Inter-ReSo [Intervention pour la retraite solidaire, NDLR]. Pourquoi ne pas envisager de prolonger cette expérience sur d'autres dossiers ? Mais le succès de cette collaboration ne dépend pas de nous. »

Cette solution permettrait, au moins, de répondre de manière provisoire aux questions existentielles que se pose la FSU. Le débat sur l'avenir du syndicat est en effet loin d'être tranché. « 10 à 20 % des adhérents sont partisans du statu quo, explique un ancien syndicaliste du Snes. 10 à 20 % de militants souhaitent un rapprochement avec une confédération. Quant à la majorité, elle n'a toujours pas trouvé de solution qui lui convienne. » Sachant qu'à la FSU toute décision requiert une majorité qualifiée de 70 %, on peut en conclure que l'équation sera difficile à résoudre. Même pour des profs !

Gérard Aschieri, ancien du PC et normalien

Cet automne, lors d'un concert de la chanteuse Anne Sylvestre, un rang devant le sien, un jeune homme, enseignant, se tourne vers Gérard Aschieri et le remercie « pour le rôle actif de la FSU dans le mouvement de protestation contre la réforme des retraites et contre la décentralisation ». « Depuis la forte mobilisation du printemps, il arrive que des personnes me reconnaissent et m'interpellent mais jamais de manière agressive », confie le patron de la FSU. Gérard Aschieri a acquis une notoriété qui dépasse celle de son organisation. Il ne se passe plus une émission de télévision sur le malaise des enseignants ou l'éducation sans qu'il ne soit invité. Mais le discours de ce chef de file des professeurs est plutôt modéré, contrastant avec la forte radicalisation d'une partie des militants de la FSU. Issu d'une famille de commerçants d'origine italienne, Gérard Aschieri n'a rien d'un hussard de la République. Il passe une partie de sa scolarité dans l'enseignement privé catholique. C'est à Normale sup, rue d'Ulm, qu'il adhère au Snes (Syndicat national de l'enseignement supérieur), puis naturellement à l'UEC (Union des étudiants communistes), comme alors beaucoup de militants du Snes. Gérard Aschieri est également passé par le parti communiste, qu'il a quitté depuis plusieurs années. « Je n'ai plus aujourd'hui aucun engagement politique. » Élu secrétaire général de la FSU en 2001, il fait partie des partisans de l'ouverture à d'autres syndicats. « Il va avoir la rude tâche, lors du prochain congrès en février, de trouver un consensus dans une organisation divisée », souligne un ancien syndicaliste. Notamment dans le débat sur l'élargissement du champ syndical. La FSU est traversée par diverses tendances officiellement reconnues. En tête, Unité et Action, à l'origine proche du parti communiste, rassemble environ 80 % des voix. En seconde position, École émancipée, proche de la Ligue communiste révolutionnaire, ne recueille que 17 % des voix, mais elle pourrait tirer profit de la recomposition syndicale en cours.

Auteur

  • Frédéric Rey