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Vie des entreprises

Michel Bernard applique les recettes du privé à l'ANPE

Vie des entreprises | METHODE | publié le : 01.11.2003 | Sandrine Foulon

Après avoir allégé la hiérarchie, développé une culture du résultat, le patron de l'ANPE s'apprête à mettre en œuvre un nouveau statut des agents, parachevant, sans heurt, la mutation de l'agence en entreprise de services. Mais, inquiets des projets du gouvernement, les syndicats restent mobilisés.

Michel Bernard pourrait entrer au Guinness Book pour son record de longévité à la direction générale de l'ANPE. Recruté il y a huit ans par l'intermédiaire d'un chasseur de têtes, cet ancien président d'Air Inter a survécu aux alternances politiques et aux attaques répétées contre un établissement public montré du doigt dès que le marché de l'emploi s'enrhume. « Et pourtant, le mandat du directeur général tient plutôt du CDD renouvelable chaque semaine », affirme un collaborateur au siège de l'ANPE, à Noisy-le-Grand. Éphémère titulaire de ce fauteuil éjectable, Jean Marimbert, précisément chargé par François Fillon de rendre en janvier 2004 un rapport sur l'amélioration des relations entre les différents services de l'emploi, dont l'Unedic et l'ANPE, avait ainsi appris son limogeage par Martine Aubry en 1991… à la radio, après seulement quatorze mois de présence.

Coincé entre les exigences des 23 000 salariés de l'agence et une tutelle aux priorités mouvantes, Michel Bernard s'est appliqué à défendre la maison et surtout à la moderniser de fond en comble. C'est sans doute son entêtement à mener à bien cette tâche qui a valu à ce faux calme, nommé en 1995 par Jacques Barrot, de survivre à trois autres ministres. Ce chantier perpétuel trouvera son point d'orgue avec le prochain changement de statut des agents qui n'attend plus que le feu vert du Conseil d'État. Avant de partir en retraite, au plus tard le 1er janvier 2005 selon ses propres souhaits, Michel Bernard aura ainsi parachevé, avec de nouveaux critères de recrutement et de promotion inspirés du privé, la mue de l'ANPE en « entreprise de services performante » : son leitmotiv, même si la hausse du chômage crée un contexte explosif…

1 CONTINUER À DÉVELOPPER LA CULTURE CLIENT

« On a tout fait pour améliorer la relation avec l'usager… euh, avec le client, enfin le client-usager. » Dans cette agence locale du nord de Paris certifiée ALE 2000, le directeur est un peu fâché avec la sémantique. Et pourtant, il le sait bien, la transformation de l'usager en client est au cœur du grand chambardement entamé il y a dix ans à l'ANPE. Moderniser le service public de l'emploi est un souci commun à tous les gouvernements, et Michel Bernard, dès son arrivée à la tête de l'agence, n'a pas failli à la mission. Resté deux ans à la tête de l'agence, son prédécesseur, Michel Bon, avait déjà impulsé une stratégie orientée vers le client. « Il est arrivé avec les méthodes et les techniques commerciales de Carrefour. Ça a cogné. Mais il a eu raison. L'agence était très sociale, très cédétiste, très militante, jusqu'à ses dirigeants. La préoccupation essentielle était davantage la formation et la prise en charge des demandeurs d'emploi que les besoins des entreprises. Ce premier choc passé, Michel Bernard a pris la suite, réalisant une mutation en douceur, grâce à une déconcentration réussie », analyse Bernard Brunhes, fondateur du cabinet de conseil éponyme, auteur de plusieurs rapports sur l'agence.

« Si l'ANPE a progressé, c'est parce que j'ai eu un prédécesseur », reconnaît Michel Bernard qui, comme à la cérémonie des césars, n'oublie jamais personne dans les remerciements. Radicalement différent de Michel Bon dans le style et les méthodes, viscéralement « antivedettariat, pour les autres et pour [lui] », il revient sans cesse au collectif. Même si certains le jugent isolé, il estime avoir toujours eu la liberté de choisir ses équipes. Hormis Jean-Louis Daguerre, le grand argentier de l'ANPE, déjà en place, il est allé chercher son responsable des statistiques et des relations internationales, Alain Jecko, dans une direction régionale et a recruté Jean-Marie Marx, issu du cabinet de Martine Aubry, pour assurer le développement des services aux clients. Ce n'est pas la première fois que ce manager plutôt étiqueté à droite s'adresse à des hommes de l'autre bord. Pour remplacer son DRH, Pierre Giorgini, parti chez France Télécom, il vient de faire appel à Hubert Peurichard, un autre ancien du cabinet Aubry, arrivé de l'Afpa. Avec le dircom qu'il a également recruté, l'état-major se veut très resserré.

Surtout, Michel Bernard a pris un soin tout particulier à choisir et à placer directement sous son autorité ses 26 DRA, les directeurs régionaux dans le jargon maison. Son passé de DRH d'Aéroports de Paris lui a donné le goût des entretiens d'embauche. Il tient à présider les comités de carrière où défilent les cadres supérieurs de l'agence. « Il a une vraie finesse de jugement, estime l'un de ses collaborateurs. Les relations humaines l'intéressent. » Un avis confirmé par les syndicalistes qui lui concèdent une facilité à descendre dans l'arène.

Mais le directeur général est également réputé pour ses colères et sa propension à prendre les choses très à cœur. Lorsque, aux journées parlementaires de l'UMP, en septembre, des députés pilonnent l'ANPE, l'intéressé va plaider illico la cause de l'agence. Il sait gré à François Fillon d'avoir affirmé deux jours plus tard que l'ANPE avait beaucoup progressé et s'était modernisée. Reste la question du rapprochement avec l'Unedic. « Michel Bernard peut-il empêcher la création d'une sorte de GIE chapeautant les deux organismes, s'interroge un cadre du siège. Dans la mesure où nous sommes le prestataire, à quelle sauce va-t-on être mangés ? » Et un conseiller d'ajouter : « On craint de ne plus exister sous cette forme mais on ne croit pas non plus à la disparition totale de l'ANPE. C'est un trop gros buvard de la grogne sociale. Et, avec près de 10 % de chômeurs, ce n'est peut-être pas le moment pour l'État de lâcher l'emploi. »

2 MODERNISER LE STATUT DES AGENTS

En attendant, la direction de l'ANPE s'est surtout employée à gommer les lourdeurs de l'établissement. Au menu des cinq dernières années : moins de strates hiérarchiques, davantage de délégation et un fonctionnement inspiré du privé dans la définition d'objectifs et de la rémunération variable (dans la limite de 15 %). « Pour moderniser l'agence, il fallait déjà doter les agents d'une culture du résultat. Et pour cela nous devions vraiment opérer une déconcentration, placer les directeurs d'agence dans un système d'objectifs négociés et leur octroyer des budgets de fonctionnement à gérer eux-mêmes », explique Lionel David, directeur de la modernisation et de la qualité. Le tout assorti d'entretiens de progrès pour les cadres dont le système d'évaluation par assessment center ou 360 degrés n'a rien à envier au privé. « En 1999, l'agence a mis en place le dispositif Trajectoires pour promouvoir et assurer la mobilité de ses 400 cadres sup », souligne Raymonde Jamard, responsable du projet. Et prévenir ainsi les départs en retraite d'une population dont la moyenne d'âge se situe autour de 49 ans (42 ans pour l'ensemble).

L'autre grand chantier concerne le changement de statut des agents. « Notre typologie de grades ne voulait plus rien dire, explique l'ex-DRH Pierre Giorgini. Elle était en décalage total avec la réalité du terrain. Avec des groupes témoins constitués d'agents, nous sommes partis de l'organisation réelle pour redéfinir quatre filières métiers (conseil à l'emploi, appui et gestion, systèmes d'information et management opérationnel) et mettre en place une nouvelle classification. » Jean-Paul Thivolie, secrétaire national de la CGC, approuve le propos : « Des personnels exerçaient des compétences sans en avoir la reconnaissance, comme l'animateur d'équipe qui faisait office d'adjoint au directeur d'agence sans en avoir ni le statut ni le salaire. Cet échelon intermédiaire fait désormais son apparition, avec 256 euros de plus en moyenne sur la feuille de paie. »

Terminés, également, les concours pour gravir les échelons. Tout est désormais fondé sur le professionnalisme des agents. « Le management va avoir un rôle déterminant dans la détection des salariés les plus compétents et les plus motivés », poursuit Pierre Giorgini. Ne subsisteront que des concours pour les recrutements au-dessous du niveau de directeur d'agence et des épreuves axées sur les métiers. Alors qu'il fallait attendre quatre ans avant de pouvoir passer une épreuve, le délai sera ramené à deux ans afin de doper la mobilité interne. Pour favoriser les évolutions professionnelles, la Viap (validation interne des acquis professionnels) entre en vigueur, tout comme les Cica (certificats internes de compétences approfondies) qui sanctionnent l'acquisition de nouvelles compétences et se solderont par une prime de 840 euros.

3 CONTOURNER LES RÉSISTANCES SYNDICALES

« Tout le monde n'aura pas sa part du gâteau, notamment nous, les conseillers à l'emploi qui formons le cœur de l'agence. En contrepartie, on nous fait miroiter des perspectives de carrière », regrette une conseillère. Si elle n'a pas pu aller aussi loin qu'elle le souhaitait – la progression à l'ancienneté est maintenue –, la direction signe une victoire sans appel avec l'accord sur le changement de statut de mai 2003. Certes, il n'a été paraphé que par des syndicats minoritaires, mais l'appel à la grève, qui n'a été suivi que par 20 % des troupes, a laissé les syndicats KO debout.

Les explications à la réussite de cette révolution en douceur ? L'individualisme des agents et l'incapacité des syndicats à trouver des revendications porteuses. « C'est bien beau les combats altermondialistes contre la marchandisation des services publics ou contre l'allongement de la durée du travail, souligne Martine, conseillère en Bourgogne, mais ce n'est pas ça qui me fera faire grève… » D'autant que la direction n'arrivait pas les mains vides. Michel Bernard a su en effet convaincre Bercy de mettre au pot sensiblement plus que les 2 % de masse salariale traditionnellement alloués à la refonte des classifications. « Il a fait comprendre aux syndicats que s'ils décidaient d'appeler à la grève dès l'annonce du projet il rendait les 15 millions d'euros », souligne un proche collaborateur.

Autre coup de poker gagnant, la décision de ne pas entrer en négociation immédiatement. Une recette à la Giorgini. « Nous avons proposé aux partenaires sociaux de monter d'abord des groupes de travail, de les associer aux discussions tout en les prévenant que dès qu'il y aurait une fenêtre pour signer un accord, on la saisirait.» Idéal pour fragiliser le front syndical dans un établissement passé de cinq à huit organisations depuis l'arrivée de Michel Bernard. Entre ceux qui ont claqué très vite la porte, comme SUD, d'ailleurs non reconnu au niveau national, la CGT, qui considérait que participer aux réunions c'était déjà accepter de modifier le statut, et ceux qui « voulaient voir », comme FO et le SNU ANPE, le syndicat majoritaire qui a quitté la CFDT pour rejoindre la FSU après la signature du Pare, la fronde est intervenue trop tard. Trois mois après le début de la concertation, trois organisations réunissant 27 % des suffrages (la CGC, la CFDT et l'Unsa) signaient un accord. Laissant à certains le sentiment d'avoir été piégés. « Le projet n'a quasiment pas bougé d'un iota », tonne Thérèse Hergot, secrétaire générale de FO.

4 JONGLER AVEC LES EFFECTIFS

Cette modernisation du statut vient parachever la réorganisation du réseau. Car l'agence s'est également lancée dans une démarche de qualité et de certification, d'abord en interne et, bientôt, en externe, sous l'égide de l'Afaq. Sur le terrain, cela s'est traduit par des modifications architecturales. Finis, les guichets alignés en rang d'oignons et les files d'attente interminables, ce fameux « flux » si difficile à gérer. Désormais, des panneaux en bois clair isolent conseillers et demandeurs d'emploi. Reste néanmoins la question cruciale des effectifs, au regard de l'offre de services plus abondante et plus complexe, notamment avec le suivi individualisé.

« Depuis le Pare, nous sommes confrontés à des logiques de masse alors qu'on devrait justement mieux accompagner les chômeurs. On nous a dit qu'ils pourraient être mieux formés, que les Assedic allaient octroyer des budgets. Finalement, ils ne financent que les secteurs en tension pour les besoins du patronat. Pour les agents, c'est frustrant. Nous sommes devenus les boucs émissaires d'un système un peu bancal », déplore Philippe, conseiller principal dans le Centre. « Il y a dix ans, nous avions constaté que l'ANPE était insuffisamment dotée en personnel. Elle le reste malgré les améliorations et les recrutements opérés pour le Pare. Les moyens ont été déployés trop tardivement. Ce qui rend l'ANPE d'autant plus méritante », rappelle Bernard Brunhes. En 1996, on comptait 1 conseiller pour 189 demandeurs d'emploi, six ans plus tard, le rapport était ramené à 1 pour 95. Et Michel Bernard estime disposer d'équipes suffisantes.

Face à l'afflux de demandeurs d'emploi, sur le terrain, on tente de s'organiser au mieux. « Nous avons des systèmes d'alerte sur le temps moyen d'attente. Et s'il le faut, on y va tous. Un jour, nous avons enregistré cinq heures quarante-cinq d'attente. Le lendemain, on a revu l'organisation des convocations, des rendez-vous, placé davantage d'agents à l'accueil… Notre boulot est aussi de faire en sorte que les demandeurs d'emploi ne restent pas passifs, consultent les offres affichées mais aussi la documentation sur Internet. Nous évaluons en permanence leur degré d'autonomie », souligne Jean-Christophe Bonnin, directeur d'agence locale à Saint-Denis.

Dans son agence, pas le temps de bayer aux corneilles. En quatre heures, Alice, recrutée « avec la vague du Pare » à 1 372 euros mensuels, voit défiler 12 personnes à raison de vingt minutes chacune. Pas de temps, pas d'offres, plus de budget pour les formations, Alice remplit des cases sur son écran : objectifs, plan d'action… Elle fait signer des comptes rendus d'entretien. Mais la plupart des demandeurs d'emploi repartent les mains vides. « Pour définir un bon profil, il faudrait quarante-cinq minutes, estime Philippe. On fait de l'abattage. Les engagements de qualité envers les demandeurs et les entreprises, c'est plutôt bien, mais il faut pouvoir suivre. »

Si ce conseiller se considère mieux traité qu'aux Assedic – « où ils ne doivent pas dépasser sept minutes d'entretien » –, il pointe le manque de personnel. « Les objectifs à réaliser sont fixés sur un effectif théorique qui n'est jamais atteint. Entre les congés de maternité non remplacés et les absences, il manque toujours 2 à 4 personnes sur un total de 15. » En légère baisse, le taux d'absentéisme atteint 7,6 %. Pour Noël Daucé, chef de file du SNU, l'ANPE est engagée dans une course effrénée aux résultats. La chasse aux temps morts fait craindre à certains la généralisation des entretiens par téléphone ou, pis encore, la tentation de radier des chômeurs. « Il n'existe pas de prime à la radiation ni de tableau de bord de la radiation, dément Jean-Christophe Bonnin. Nos objectifs sont fondés sur l'opérationnel, le management et le stratégique, dont la baisse du nombre de demandeurs d'emploi, mais aussi le nombre d'offres d'emploi récoltées. »

Autre crainte de certains syndicats, l'exaspération des bénéficiaires de l'allocation spécifique de solidarité et de l'aide au retour à l'emploi qui, du fait de la réforme Fillon, verront fortement baisser leurs ressources en juillet 2004. « Ce sera l'enfer », prédit Thérèse Hergot, de FO, qui redoute que les personnes concernées se retournent vers les conseillers de l'ANPE. Les stages de gestion des conflits qu'organise cette dernière ne seront pas de trop pour aider les agents à surmonter leur stress.

5 FAVORISER LA PAIX SOCIALE

« Sur le statut, le directeur général est un rouleau compresseur. Mais, sur les questions sociales périphériques, on réussit à obtenir des avancées », admet Noël Daucé, du SNU ANPE. Michel Bernard sait « lâcher » quand il faut. D'autant qu'il est le premier à reconnaître que « les agents sont mal payés ». Un Dale (directeur d'agence locale pour l'emploi) débute à 1 524 euros net pour finir à 3 048 euros. Recruté à bac + 2, un conseiller commence à 1 143 euros et finit à 1 829 euros, la moyenne mensuelle brute globale se situant à 2 034 euros. Parmi les avantages obtenus figure la création d'une deuxième mutuelle, la Mutacma, subventionnée par l'agence et gérée par trois organisations, qui compte 3 600 adhérents. Quant aux œuvres sociales de l'agence gérées paritairement par l'Adasa, elles ont bénéficié en 2002 d'un budget de 24,6 millions d'euros pour les Ticket Restaurant et autres sorties culturelles… Sans oublier des remboursements de frais de crèche, qui profitent aussi aux hommes !

Intéressant, également, le régime de prévoyance aligné sur celui des fonctionnaires, qui prévoit le maintien de la rémunération nette des agents en cas d'arrêt maladie, et le dispositif de retraite complémentaire qui comporte un volet par capitalisation. « Nous sommes passés d'un système à prestations définies à un régime à cotisations définies, explique Moezally Rashid, directeur de la GRH et des relations sociales. De 1991à 1999, nous avions une retraite chapeau qui était potentiellement et économiquement menacée car elle garantissait, quoi qu'il arrive, 2 % de remplacement par année d'ancienneté. Toutes les entreprises privées qui avaient instauré ce système très avantageux mais ruineux ont fini par le supprimer. » Mais aucun directeur général n'aurait pris le risque de le remettre en cause. Aubaine inespérée pour la direction, la CGT a dénoncé le procédé et le Conseil d'État lui a donné raison. L'occasion de reconstruire en 1999 un outil à trois étages – Sécurité sociale, Ircantec et en capitalisation – inédit dans un établissement public administratif. Et avantageux pour le salarié : lorsqu'il met 1,20 euro au pot, l'État abonde à hauteur de 1,80 euro.

Pas question, non plus, d'ouvrir un front à l'occasion des 35 heures. L'ANPE a opté pour les 1 600 heures classiques mais s'est organisée pour éviter des fermetures au public. La direction a laissé le soin à chaque agence de trouver la solution la plus adéquate en fonction de ses propres contraintes. C'est ainsi que 670 des 800 agences sont entrées dans le jeu de la négociation et ont signé des accords. Environ 500 d'entre elles possèdent un dispositif différent de celui instauré au niveau national.

Autre sujet potentiellement explosif, la création de services marchands, voire de filiales, évoquée dans le quatrième contrat de progrès actuellement en négociation avec l'État. Pas question de statut bis, à la manière de La Poste avec son lot de contractuels. Même si, à côté des 23 000 salariés, dont 70 % de femmes, un tiers travaillant à temps partiel, on compte 2 000 précaires. « Si nous devions créer des filiales, les agents conserveraient le même statut », affirme Michel Bernard. Mais cette escalade dans la « marchandisation du service public » fait frémir les syndicats, SNU, FO, SUD et CGT en tête. « La gratuité du service public est fondamentale. Pourquoi faire payer aux usagers un service qu'ils financent via l'impôt ? » s'interroge Alain Parny, secrétaire général de la CGT. Mais l'ANPE, qui fonctionne avec un budget de 2,8 milliards d'euros, dont 26 % proviennent de l'Unedic et le reste de l'État, pourrait être tentée de chercher de nouvelles formes de financement, même à la marge. Le débat reste ouvert.

Entretien avec Michel Bernard :
« Le meilleur indicateur sur l'efficacité de l'ANPE ? Les entreprises nous confient plus d'offres »

Aussi polytechnicien que son prédécesseur Michel Bon était énarque, Michel Bernard est un pragmatique. « Je suis un fils de paysan, un laboureur. C'est comme cela qu'on m'a appris que le blé poussait », explique ce sexagénaire de fraîche date qui, outre les graminées, cultive une méfiance instinctive envers la presse « que les gens lisent comme le “Journal officiel” » et contre les paillettes en général. Discret, cet ingénieur de l'aviation civile, élu municipal dans l'Essonne, impliqué dans plusieurs associations et ONG, père de deux enfants, affectionne le golf mais aussi… les longues marches et l'endurance. Un atout lorsqu'on s'attaque à la modernisation d'un établissement public.

La mission Marimbert augure-t-elle d'une fusion entre l'Unedic et l'ANPE ?

J'ai rencontré Jean Marimbert, dont la mission confiée par François Fillon consiste – et c'est légitime – à déterminer dans quelles conditions les nombreux acteurs intervenant sur le marché de l'emploi en France peuvent travailler de manière plus efficace ensemble. Il n'a pas d'idées préconçues et, à ce jour, rien n'est arrêté. Avec l'Unedic, nous fonctionnons de mieux en mieux et nos relations se sont nettement enrichies ; nous pouvons certainement aller encore plus loin et nous avons d'ores et déjà envisagé des pistes de progrès. Nos métiers, l'Unedic est un assureur et l'ANPE un intermédiateur, sont différents. J'espère seulement que l'on s'orientera vers des solutions simples et opératoires.

Pourquoi la question de la fin du monopole de placement remonte-t-elle à la surface ?

Dans les faits, il n'y a jamais eu de monopole sur le recrutement. L'agence occupe, selon les années, entre 37 et 41 % du marché des offres. La ratification, par la France, de la convention 181 de l'OIT permettra de rendre cohérent le cadre juridique avec la réalité du terrain. Je m'en félicite.

N'est-ce pas l'efficacité de l'ANPE qui est en cause ?

À ceux qui s'interrogent sur l'efficacité de l'agence sur le marché du placement, je réponds que c'est le client qui a toujours raison. Le meilleur indicateur pour nous est que les entreprises nous confient toujours plus leurs offres. On recueillait 1 200 000 offres en 1992 et nous sommes aujourd'hui au-dessus de 3 millions, malgré la conjoncture difficile que nous connaissons depuis deux ans. Dans nos dernières enquêtes, 88 % de nos entreprises clientes recommandent à d'autres chefs d'entreprise de s'adresser à l'ANPE. Notre performance est caractérisée par leur fidélité.

Que répondez-vous à ceux qui estiment que vous avez trop de moyens ?

Le cabinet Bernard Brunhes a réalisé en 1996 un benchmark auprès de trois de nos homologues européens. Il montrait que nous étions moins dotés en moyens, et notamment en effectif, que les services de l'emploi allemands, britanniques et suédois. Aujourd'hui, l'écart existe toujours, mais il s'est beaucoup réduit ; je considère que nous avons les moyens suffisants pour travailler. Car, même si des services individualisés sont désormais proposés à 3 500 000 demandeurs d'emploi, leurs besoins diffèrent et il n'est pas nécessaire de les « tenir tous par la main » avec un accompagnement lourd.

Comment modernise-t-on l'ANPE ?

C'est un travail de longue haleine. Nous avons commencé par revoir entièrement la gouvernance en privilégiant une hiérarchie courte. Entre le directeur général et un conseiller dans une agence locale, il ne subsiste que trois niveaux. Nous avons réalisé une véritable déconcentration, développé la - culture de résultat, introduit un système de reporting efficace. Les prises de décision sont préparées collégialement, mais sans lourdeur, par une hiérarchie légitimée. Les entretiens d'évaluation des managers sont bien rodés jusqu'au niveau des directeurs d'agence, avec des regards croisés, une grande transparence et une fixation d'objectifs associée à une rémunération variable.

Nous avons également ouvert un gros chantier de modernisation du réseau. L'aménagement mais aussi l'organisation des agences ont connu de profondes modifications. On a conduit une démarche qualité jusqu'à son aboutissement, défini notre offre de services et nos engagements qualité.

Aujourd'hui, toutes les agences locales se sont engagées dans une démarche de certification qui sera sanctionnée par un organisme extérieur, l'Afaq. Résultat, un meilleur accueil, une meilleure organisation du travail, un meilleur service. Des enquêtes de satisfaction sont effectuées deux fois par an. Et même lorsque la conjoncture se dégrade, que le chômage augmente, les appréciations sont en progression constante. Mais il faut continuer.

Pourquoi avoir chamboulé le statut des agents ?

L'agence a progressé. C'est une entreprise de services qui vise la performance. Il fallait mettre le statut en cohérence avec ce que nous sommes devenus. Désormais nous basons tous les actes essentiels de la GRH – le recrutement, la rémunération, la promotion… – sur des compétences vérifiées, beaucoup plus que sur l'appartenance à un corps ou sur la réussite d'un concours. Ces derniers ne disparaîtront pas tous mais seront davantage professionnalisés. Les épreuves écrites et orales porteront plus sur les métiers que sur des niveaux de formation. C'est une vraie révolution dans la sphère fonction publique. Nous avons créé quatre filières métiers qui permettent de mieux structurer les carrières. Autre nouveauté pour un établissement public : la possibilité d'embaucher des étrangers.

Craignez-vous des mouvements sociaux ?

L'appel à la grève a réuni seulement 20 % de participants. Contrairement à ce qui est souvent véhiculé, les agents de l'ANPE ne sont pas a priori contestataires, mais plutôt légitimistes. Quant aux organisations syndicales, elles se positionnent en fonction des principes qu'elles défendent. Par exemple, jamais je n'ai pensé que la CGT ou FO puissent accepter que l'on s'éloigne autant du statut actuel de la fonction publique. Je suis très satisfait de la signature de l'accord sur la modernisation du statut par trois d'entre elles, la CFDT, l'Unsa et la CFE-CGC.

Et SUD, qui n'est toujours pas représenté au niveau national ?

Je suis pour un dialogue social actif avec les syndicats, mais je n'ai jamais caché ma position à l'égard de SUD. Ses leaders me paraissent animés d'objectifs qui dépassent trop souvent le cadre des seuls enjeux de l'établissement. Je n'ai aucune raison de faciliter leur représentation nationale, tout en respectant les règles en la matière. Ils sont représentés dans certaines régions mais ne participent pas aux instances nationales. Cela étant, ils ont été associés aux prénégociations sur la modernisation du statut.

Le contrat de progrès que vous négociez avec l'État parle de commercialiser certains services…

Les règles d'un établissement public administratif sont parfois très contraignantes, à la fois pour faire rémunérer des prestations et pour créer des structures réactives et autonomes. On a souhaité, dans le contrat, introduire une phrase qui engage l'État à assouplir ces règles et nous aider à créer des filiales. Notre intention n'est de concurrencer ni nos clients, notamment l'intérim, ni nos prestataires. Elle n'est pas non plus de nous engager dans la dérégulation sociale. Mais pourquoi ne pas vendre certains savoir-faire comme le « recrutement par habileté », voire notre participation au reclassement des licenciements massifs ? Nous possédons quelque chose que beaucoup de cabinets n'ont pas : la connaissance du terrain. Pourquoi ne pas envisager des partenariats ou intervenir dans les endroits où ils ne sont pas présents ?

Propos recueillis par Denis Boissard, Jean-Paul Coulange et Sandrine Foulon

Auteur

  • Sandrine Foulon