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Digérer les effets de la loi Fillon

Dossier | publié le : 01.11.2003 | F.C.

Pour les partenaires sociaux, qui renégocient les accords Agirc-Arrco, les conséquences financières de la réforme Fillon apparaissent très incertaines. Mais celle-ci a consacré la gestion paritaire des régimes complémentaires.

Pour les partenaires sociaux, les négociations sur les régimes complémentaires Agirc-Arrco n'ont jamais été une partie de plaisir. En 1994, la tête de Pierre Guillen, le négociateur patronal de l'accord Agirc, avait même été demandée par Claude Bébéar, alors P-DG d'Axa, à François Perigot, le président du CNPF de l'époque. Autre célèbre feuilleton à épisodes, l'accord Agirc-Arrco du 10 février 2001 a été arraché au terme de plusieurs mois de bras de fer entre patronat et syndicats et après une manifestation monstre qui a jeté plusieurs centaines de milliers de personnes dans la rue. Objet de cette mobilisation, le financement des retraites complémentaires entre 60 et 65 ans pour les salariés désireux de partir à 60 ans suspendu mi-janvier 2001 par le Medef ! Au cours du round entamé début septembre par le patronat et les organisations syndicales, qui devrait s'achever avant le 12 novembre prochain, les négociateurs doivent non seulement adapter les paramètres de fonctionnement des régimes cadres et non cadres aux évolutions démographiques, économiques et financières, mais en outre intégrer dans les régimes de retraite complémentaire dont ils assurent la gestion les conséquences de la réforme Fillon sur les régimes de base.

La facture de la réforme Fillon

L'exercice est doublement périlleux. D'une part, les effets de la réforme sont d'autant plus difficiles à mesurer qu'ils sont liés en partie aux comportements des salariés. La principale inconnue étant le nombre d'entre eux qui voudront rester en activité après 60 ans. D'autre part, certaines des mesures contenues dans la réforme Fillon et répercutées sur les régimes complémentaires entraînent des coûts qui surviennent au plus mauvais moment. C'est à partir de 2006, en effet, que la génération du baby-boom basculera dans celle du papy-boom, autrement dit que les générations nombreuses de l'après-guerre vont cesser de travailler, donc de cotiser.

Les ordinateurs de l'Agirc et de l'Arrco ont été sollicités pour fournir une première estimation des mesures Fillon, sachant que les syndicats, signataires ou non signataires du compromis du 15 mai 2003 avec le gouvernement, peuvent difficilement refuser de transposer dans les régimes dont ils assurent la gestion les dispositions les plus favorables aux salariés. Une seule d'entre elles va se répercuter de façon certaine sur les régimes complémentaires : il s'agit de la possibilité de départ anticipé avant 60 ans pour les personnes ayant commencé à travailler à 14, 15 ou 16 ans. Selon la Caisse nationale d'assurance vieillesse, 193 000 salariés sont dans ce cas. Sur la base de 75 % de bénéficiaires potentiels (avec quatre trimestres de service national), la facture pour les régimes complémentaires s'élèverait à 1,2 milliard d'euros. Si la CFDT obtient que les périodes de chômage et de maladie – la loi précise que seules sont comptabilisées les périodes ayant « donné lieu à cotisations à la charge de l'assuré » – soient prises en compte, la facture pour les caisses complémentaires s'alourdirait encore d'environ 850 millions d'euros, soit la moitié de l'excédent de l'assurance vieillesse. Trop cher payé ? Ce n'est pas l'avis de Marie-Annick Garaud, de la CFDT, qui souligne que, d'ici à 2008, près de 1 million de salariés en bénéficieront.

Des recettes en plus, des charges en moins

Pour les autres effets induits par la réforme des retraites, l'incertitude reste entière. Ainsi, les gestionnaires de l'Agirc refusent de comptabiliser parmi les dépenses supplémentaires la garantie d'un taux de remplacement de 85 % du smic net pour une carrière entière au smic. « Cette mesure ne nous concerne pas. Il s'agit d'une affaire entre l'État et la Caisse nationale d'assurance vieillesse », explique-t-on au sein du régime cadre. Mais ce n'est pas l'avis de Bernard Devy, président de l'Arrco, qui avait mis en garde les pouvoirs publics contre le coût inévitable de cette mesure. En matière de réversion, l'Agirc l'accorde à 55 ans à tous ceux qui en bénéficient déjà au titre du régime général. Le régime des cadres n'en souffrirait que si la suppression de toutes les conditions autres que la condition de ressources devait se traduire par une augmentation du nombre de bénéficiaires de droits de réversion dans le régime de base.

Autre décision dont les conséquences sont difficilement mesurables : l'incitation au rachat de droits. Une telle politique de rachat étendue aux régimes complémentaires pourrait avoir un impact indirect. D'un côté, elle générerait des recettes nouvelles pour les régimes puisque ces opérations sont réalisées à « un coût actuariellement neutre ». Mais ceux qui ont racheté liquideront plus tôt leurs droits et percevront donc plus longtemps une pension, ce qui aura des effets mécaniques aussi bien sur le régime de base que sur les régimes complémentaires. Il faudra également évaluer les conséquences des nouvelles règles adoptées pour le temps partiel ou la retraite progressive. Si des facteurs de dépenses supplémentaires résultent ainsi de la réforme des régimes de base, des recettes nouvelles en découlent également sur lesquelles les syndicats se montrent moins diserts. C'est le cas du nouvel allongement de la durée de cotisation qui interviendra à partir de 2008. Si les complémentaires emboîtent le pas – comme c'est probable – au régime de base, il y aura bien des cotisations en plus et des charges en moins…

Vers un grand régime unique

Au-delà de ces ajustements de circonstance, patronat et syndicats devront répondre à des questions de fond. Comme le maintien de l'AGFF (Association pour la gestion du fonds de financement de l'Agirc et de l'Arrco), qui permet de financer le surcoût de la retraite complémentaire de 60 à 65 ans. Car, puisque la loi Fillon consolide le principe de la retraite à 60 ans, pourquoi ne pas étendre cette même règle à l'Agirc et à l'Arrco ? Outre qu'il en résulterait une plus grande simplicité, Bernard Devy et Jean-Luc Cazettes, président de la CFE-CGC, font valoir que les excédents de l'AGFF arriveraient à point nommé pour financer les ajustements des régimes complémentaires sur le régime de base. Seul bémol, le Medef repousse cette solution, en considérant qu'il serait contradictoire d'abaisser l'âge de la retraite dans les régimes complémentaires alors qu'à partir de 2009 on allongera la durée de cotisation des régimes du secteur privé et des fonctionnaires pour la porter à 41 ans en 2012.

Autre question récurrente : que faire de l'Agirc ? On peut penser qu'en approuvant la réforme Fillon, la CFE-CGC a sauvé le régime des cadres. Mais tant Jean-Louis Deroussen, de la CFTC, que Bernard Devy, pour Force ouvrière, constatent que les résultats 2002 n'ont pas été bons pour l'Agirc. Et tout porte à croire qu'ils se dégraderont encore en 2003 et dans les années suivantes. Comme la manne de l'AGFF ne pourra pas tout faire, il faudra bien un jour ou l'autre tirer toutes les conséquences du rapprochement entre l'Agirc et l'Arrco, amorcé par les accords d'avril 1996 et de février 2001.

Enfin, si le régime de base s'inspire des règles en vigueur dans les régimes complémentaires, par exemple sur le cumul emploi-retraite, l'inverse est également vrai, avec la déductibilité totale des cotisations aux régimes complémentaires obligatoires. Alors que les syndicats sont prêts à s'engager sur un accord courant jusqu'à 2008, date à laquelle il faudra aussi revoir les paramètres de fonctionnement des régimes de base public et privé, toute la question est de savoir si l'on s'oriente vers l'édification d'un grand régime unique obligatoire par points, associant retraite de base et retraite complémentaire.

La réponse est a priori négative, pour deux raisons. D'une part, la réforme Fillon consacre les régimes complémentaires. C'est en tout cas sur le modèle des régimes Agirc et Arrco que les fonctionnaires, comme les commerçants, mais aussi les gaziers et électriciens sont invités à mettre en place un régime complémentaire obligatoire. D'autre part, dans l'entourage du ministre des Affaires sociales, on juge fort utile de maintenir un régime obligatoire, bien géré par les partenaires sociaux, plutôt que de bâtir un grand régime dans lequel l'opinion verrait la main invisible d'un État qui ne s'est pas montré bon gestionnaire de ses propres régimes publics.

Auteur

  • F.C.