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Enquête

ET LE MARCHÉ S'EFFONDRA

Enquête | publié le : 01.10.2003 |

En attendant la reprise, tout le monde doit se serrer la ceinture. Mais au lieu d'entretenir l'espoir et de calmer les angoisses, les dirigeants s'en tiennent souvent aux communiqués financiers.

Club Med Vivre au jour le jour en guettant la fin du tunnel

Hollywood n'aurait pas imaginé pire scénario-catastrophe. « Depuis l'arrivée de Philippe Bourguignon, nous étions déjà dans une logique de restriction des coûts. Mais quand, en août 2001, on a pris de plein fouet la mort d'un enfant dans une piscine, à Athenia, puis le 11 septembre, l'attentat de Djerba, la guerre en Irak, la crise économique, de nouveaux attentats au Maroc, le Sras en Asie, des tremblements de terre en Turquie… Plus personne ne veut s'aventurer hors de chez soi. Bientôt il n'y aura plus que le Cantal qui marchera, et encore », énumère, dépité, un cadre du Club Med, désormais piloté par Henri Giscard d'Estaing. Résigné, il a fait les frais d'une réorganisation au siège et accepté un nouveau poste en baissant son salaire de près de 380 euros mensuels.

Car, pour le personnel du Club, l'impact de l'attentat du World Trade Center s'est révélé immédiat. Cellule de crise, mise au vert du staff de direction une semaine après les attentats, création du plan Rebond, fermeture de villages… Dès novembre 2002, un plan social basé sur le volontariat est ouvert. « Le 11 septembre a servi de déclencheur pour accélérer des projets dans les tuyaux, explique un cadre du siège. Aujourd'hui, tout ce qui permet de réduire la voilure se fait sans état d'âme. » D'où la suppression du Club Med World de Montréal ou la mise en sommeil d'Oyyo, concept de club 100 % fiesta. Et pas question de tabler sur le levier financier pour galvaniser les troupes. Il y a deux ans, le Club avait certes conclu un accord d'intéressement innovant lié au résultat d'exploitation. Mais l'embellie annoncée en juin est loin d'être suffisante pour que les salariés en voient les bénéfices. Quant au plan d'actionnariat, qui permettait d'acquérir des actions à 80 % de leur valeur, abondées par l'entreprise et garanties au prix d'achat, il a connu un gros succès, vite douché par l'effondrement de l'action. Avant le 11 septembre, elle stagnait à 60 euros. En juin 2003, elle avait diminué de moitié.

« On a le sentiment que le nouveau P-DG, qui tenait déjà les cordons de la bourse, fait tout ce qu'il faut pour mettre l'entreprise sur les rails. Quand l'économie repartira, on sera au top. Mais aujourd'hui on se serre la ceinture. Enfin pas tous. Par une indiscrétion, j'ai appris que la totalité des 80 cadres supérieurs du forum management composant la tête pensante du Club ont reçu leur prime d'objectif afin qu'ils ne soient pas découragés ou tentés de quitter le navire », assure un cadre abonné aux augmentations collectives. « Quant aux infos sur l'entreprise, j'en apprends davantage dans les journaux que dans la boîte », poursuit-il. Pourtant, du côté de la direction, on se défend de rester les bras ballants. « Nous possédons tous les outils pour gérer la crise, mais encore faut-il pouvoir devancer les fuites, plaide Thierry Orsoni, directeur de la communication. Le Club est très médiatisé. Le moindre incident et une équipe de télé débarque. On réagit plus qu'on n'anticipe. »

En interne, les troupes ont aussi parfois le sentiment de vivre au jour le jour. « On sait qu'il faut réduire les coûts, opérer des rapprochements. Le Club, on y croit. L'espoir de la reprise est là. En attendant, c'est difficile à vivre et on ne perçoit pas de vision claire sur le devenir du staff, souligne Paul Guertner, de la CFTC. Les communiqués de la direction se limitent à des chiffres optimistes mais on bouleverse l'organisation sans avertissement. » Exemple : l'externalisation, « du jour au lendemain », d'un centre de livraison de 30 personnes. Et les craintes des salariés se multiplient. « Avec Jet Tours, qui possède, comme le Club, son service marketing, on craint les doublons… Après trois plans sociaux en un an et demi, les salariés sont inquiets. Bien sûr, on ne demande pas au Club de se lancer dans la cogestion », explique ce syndicaliste, qui admet que les risques de délit d'entrave conduisent la direction à être prudente dans sa communication, mais souhaite davantage de dialogue.

Pas assez d'information alimente la rumeur, trop d'information tue la communication. Difficile de trouver le juste milieu. « Restaurer la confiance est ce qu'il y a de plus compliqué », concède Thierry Orsoni. À moins de donner aux salariés les moyens d'agir. « Parfois, on aimerait bien faire remonter des choses, même anecdotiques, pour améliorer le Club, prendre un verre avec Henri Giscard d'Estaing et lui dire comment ne pas retomber dans les mêmes travers, souligne un cadre du siège, présent depuis plus de dix ans au Club. Car, tous les cinq ans, on centralise, puis on décentralise. On fait du reengineering. Dans le hall, à la Villette, on n'a même pas de boîte à idées. Et pourtant, ce ne sont pas les idées qui manquent. »

Alcatel Une absence de perspective vraiment déprimante

Comment obtenir une taille de guêpe ? Les salariés d'Alcatel ne l'ignorent plus. En moins d'un an, le géant français des télécoms est passé de 79 000 salariés à 60 000. Et il y a trois ans encore, il comptait 113 000 collaborateurs dans le monde. Pour garder le moral pendant ce régime minceur, personne n'a trouvé de remède. « Les salariés ont pris un gros coup de massue sur la tête, constate René Brault, délégué syndical central CFE-CGC d'Alcatel CIT. Quand on passe de 30 milliards d'euros de chiffre d'affaires à 15, on voit mal ce qu'on ferait à la place de la direction. Néanmoins, une analyse plus fine consiste à s'interroger sur la hauteur de ces restructurations. D'autant que les provisions vont creuser des déficits. Et que se passera-t-il lors de la reprise, lorsque nous devrons recruter ? Les anciens partent, les embauches sont bloquées et notre pyramide des âges est catastrophique. Nous ne sommes pas sortis de la crise et nous ne voyons guère de perspectives. »

À l'instar de René Brault, de nombreux salariés nagent dans le flou. Inutile d'attendre des miracles de la communication pour calmer les angoisses. « Les infos sont prioritairement données aux analystes. Quant aux communiqués techniques, ils sont en anglais », soupire une salariée du siège. Pas de réconfort à espérer de la politique de rémunération. Ni de l'actionnariat salarié : l'action Alcatel a connu la baisse la plus spectaculaire du CAC 40 en 2002 pour atterrir à 3 euros à l'automne. Quant aux bonus, ils ne cessent de piquer du nez. Seule consolation : le groupe a négocié en 2000 un accord d'intéressement fondé sur quatre critères, dont l'amélioration de la prise de commandes, qui permet aux salariés de toucher un petit pécule en ces temps de vaches maigres (entre 1 000 et 1 500 euros cette année).

Les salariés souhaiteraient davantage d'équité. « Il s'agit de travailler le collectif, souligne Jean-Baptiste Triquet, délégué syndical CFDT chez Alcatel CIT. Distribuer des stock-options à un quart du personnel crée des mécontents. Rien ne remplacera une augmentation de salaire. » Au plus fort de la bulle Internet, les ingénieurs étaient recrutés à prix d'or, 450 euros mensuels au-dessus du marché, soit 2 744 euros net par mois. De quoi susciter de la jalousie chez les plus anciens. Autre motif de découragement, les réorganisations permanentes et le sous-effectif. « En quatre mois, on a enregistré 1 100 départs sur le site d'Orvault, déplore Jean-Baptiste Triquet. Le boulot part en Chine, en Roumaine, en Slovaquie… Non seulement on voit les bureaux se vider, mais on fait désormais à quatre les tâches que l'on effectuait à cinq. » Une pression qui commence à peser sur les salariés. « Des postes sont supprimés mais la direction n'en profite pas pour alléger les structures, explique René Brault. On souhaitait une plus grande autonomie de fonctionnement mais ce n'est pas le cas dans la pratique. On crée des business divisions mais les organigrammes restent aussi chargés. » En attendant des jours meilleurs, les troupes d'Alcatel courbent l'échine. Mais le cœur n'y est plus. « En France, contrairement aux États-Unis, on n'a pas cette relation mercenaire à l'entreprise. On croit à cette boîte, à sa technologie. Mais quand une telle proportion de salariés adhère au plan de départ en préretraite, on imagine que ce n'est pas seulement l'envie de s'arrêter, constate Jean-Baptiste Triquet. Et quand on voit des collègues regretter de ne pas avoir l'âge de partir, ça devient déprimant. »

Atari En espérant que ce plan social soit le dernier…

Au siège lyonnais de l'éditeur de jeux Atari, l'annonce d'un second plan social, l'automne dernier, n'a surpris personne. « Vu l'endettement, le troisième exercice déficitaire et l'effondrement de l'action à 1,19 euro, cela semblait inexorable », soupire un producteur. Signe de démobilisation, il y a eu plus de candidats aux départs volontaires que la direction n'en escomptait. « La plupart en avaient marre du management. Quand on voit que les collègues ne se battent pas pour rester, cela renforce la démobilisation », constate un cadre qui pointe le silence de la DRH depuis la fin du plan en avril. « Il y avait beaucoup d'émotion car le plan social a touché le cœur historique de l'entreprise. Avant de communiquer, il a fallu attendre les départs. Il est difficile de remobiliser les salariés quand les partants sont encore là. Mais il n'a jamais été question de négliger ceux qui restent », plaide Vincent Meyer, le DRH.

La preuve ? Un e-mail sobrement intitulé « Ça vient… » a averti fin juin les salariés, sonnés par une réduction de 60 % des effectifs, du lancement d'un plan de remotivation baptisé « En avant ! ». Au programme : une refonte complète de la politique RH. Tout un symbole chez le premier éditeur européen de jeux vidéo. « Une boîte qui, malgré sa croissance extraordinaire, avait conservé la gestion d'une PME… à l'affectif », note un cadre. La nouvelle a été bien accueillie par les troupes lyonnaises « totalement démoralisées », selon lui, d'avoir fait les frais de l'endettement et de la course forcenée d'acquisitions outre-Atlantique de Bruno Bonnel, patron emblématique qui se rêvait en Bill Gates français. Une course au gigantisme, à laquelle l'éclatement de la bulle Internet, la chute des valeurs techno et les à-coups du marché ont mis un terme violent.

Les maîtres mots d'« En avant ! » : cohérence et équité. Nouvelle classification des postes, politique de bonus refondue et élargie, coup de pouce salarial de 8 % pour compenser le gel des années de crise, création d'une enveloppe formation « gérée paritairement » pour financer des demandes sortant du budget. « On nous a trop reproché de financer des formations à court terme. Il s'agit cette fois de promouvoir l'employabilité. Si un designer veut se reconvertir, il peut difficilement le faire via la formation interne. Nous souhaitons offrir aux salariés les moyens de se prendre en charge. L'emploi à vie n'existe plus », explique le DRH, qui va prolonger l'accompagnement psychologique mis en place pendant le plan social et proposer aux managers un coaching. À la rentrée seront organisés des événements « pour accélérer le travail de deuil. Il ne s'agit pas d'oublier le passé mais de trouver un autre mode de fonctionnement que la simple gestion à l'affectif ».

S'ils reconnaissent l'effort de la direction, beaucoup de salariés restent attentistes. « On commence à avoir une DRH motivée. Mais il nous manque une direction opérationnelle. Nous verrons comment le nouveau directeur Europe va indiquer le cap et réorganiser le travail », note un commercial. « Vu la saignée dans les effectifs, on craint que le centre de gravité se déplace vers les États-Unis, que la France devienne seulement un pôle de distribution. On sort du deuxième plan social mais ce ne sera pas le dernier », pronostique Stéphane Valour, délégué syndical CFDT. Vincent Meyer a encore du pain sur la planche pour convaincre…

Alstom Un moral aussi bas que le cours de l'action !

Sur le parvis du Cnit de la Défense transformé en camp retranché, 2 500 salariés d'Alstom, provenant de toute l'Europe, sont venus crier « non aux licenciements », le 2 juillet dernier. Pendant qu'à l'intérieur Patrick Kron, le nouveau P-DG, tentait de rassurer les actionnaires sur la pérennité du groupe, au bord de la faillite, et sur son plan de sauvegarde. Avec des arguments choc. Après avoir évoqué 3 000 suppressions de postes, la direction en avait annoncé, le 18 juin, plus de 5 000 en Europe, dont 2 000 en France. « On voyait arriver Patrick Kron d'un bon œil. On se disait qu'avec lui les choses seraient plus transparentes. D'accord, on ne s'attendait pas qu'il soit tendre. Les chiffres dont les élus disposaient depuis l'automne montraient un endettement important. Mais pas de nature à mettre en péril l'entreprise ! » commente Jean-Yves Hemery, de la CFE-CGC. « Ce n'est pas Kron qui pilote, ce sont les banques », accuse Patrick Maillot, de la CFDT.

La méthode ne passe pas : « À défaut de plan global, les annonces ont été saucissonnées, et ce n'est sûrement pas fini. Si l'on s'appuie sur les 600 millions d'euros provisionnés pour restructurer, on arrive à 10 000 suppressions de postes. On a été logé à la même enseigne que les médias ou les actionnaires. Et on n'a pas pu anticiper », tempête Francine Blanche, de la CGT. Avec ses collègues syndicaux, elle a engagé une action en justice contre Alstom, auquel ils reprochent de ne pas avoir consulté le comité européen et d'avoir présenté des résultats financiers incomplets. Et la CGT continuait, en septembre, d'appeler au boycott de toute réunion sur les restructurations. Malgré la décision prise cet été par l'État d'entrer dans le capital du groupe, la question de la baisse des effectifs reste entière. La confiance est brisée. « À la sortie du CE du 12 mars, on a appris que la direction venait d'annoncer aux investisseurs sa décision, prise cinq mois auparavant, de vendre les turbines. Or, à cette époque, elle démentait ! Le 2 juillet, les DRH Monde et France assuraient que les difficultés financières étaient derrière nous. Début août, on a appris l'initiative de l'État… à la radio », reprend la CGT.

Le moral est aussi bas que le cours de l'action. Introduit à 31 euros en juin 1998, le titre valait 2,99 euros début juillet. « Certains salariés ont perdu leurs économies », explique un cadre. Le groupe n'a mis en place aucun filet de sécurité pour les 60 000 salariés ayant souscrit en 1998 et 1999. Pis, des rumeurs de restructuration à la hussarde du siège de Kléber et de Levallois circulent. Difficile de parler de restauration de la confiance : « On a reçu des messages du style : « ne perdez pas espoir » », souligne un cadre. Mais comment le garder quand, en plus, les autorités de Bruxelles contestent le sauvetage public du groupe industriel ?