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Enquête

LES JURISTES

Enquête | publié le : 01.09.2003 |

Pas de répit pour les défenseurs des salariés. Avec la judiciarisation des relations de travail, les avocats « travaillistes » ont investi les tribunaux, devenus le théâtre d'affrontements violents entre employeurs et salariés. La grève marathon des salariés du McDonald's de Strasbourg-Saint-Denis à Paris, Marie-Laure Dufresne-Castet la suit au jour le jour. C'est elle qui défend les syndicalistes CGT, en guerre avec leur direction depuis plusieurs mois. En juin, cette avocate a même organisé un bal de soutien aux révoltés du restaurant rapide. « Je me sens plus à l'aise dans les rassemblements de syndicalistes que dans les salons dorés des milieux patronaux. » Rien d'étonnant pour cette militante d'extrême gauche, responsable régionale de la Ligue des droits de l'homme, dont la cause des salariés est devenue le combat. Elle a fait de la discrimination syndicale une de ses spécialités avec Peugeot, la première affaire du genre, qui a fait ensuite boule de neige. Autre sujet dans sa ligne de mire : les 35 heures avec une série d'annulations d'accords dans la métallurgie. « La loi Aubry n'a pas été assez contraignante pour les entreprises, explique-t-elle, nous avons vu proliférer des accords qui faisaient sauter un certain nombre de verrous. Le tout négociation collective aboutit à une atomisation des relations sociales. »

« Certains de ces défenseurs des salariés sont des adversaires de poids, souligne un avocat proemployeurs. Quand vous savez que vous devrez plaider face à un Michel Henry, un Tiennot Grumbach ou encore un Henri-José Legrand, vous avez intérêt à affûter vos arguments. » Des avocats d'autant plus redoutables qu'ils trouvent derrière les prétoires une écoute souvent plus favorable qu'hier. Nombre de DRH ont ainsi été soulagés de voir Philippe Waquet, doyen de la chambre sociale de la Cour de cassation, prendre sa retraite. Dans les milieux patronaux, les juges qui ont la réputation de pencher du côté des salariés sont connus comme le loup blanc. C'est le cas d'Yves Garcin, vice-président du TGI de Nanterre. « Il n'a pas hésité à annuler un accord 35 heures dans une entreprise de transport où il était en application depuis huit ans, en apportant la preuve que la direction avait négocié dans le dos de certains syndicats, raconte un avocat. Ce juge ne se laisse pas impressionner par le fait accompli. C'est d'ailleurs un point commun aux magistrats et avocats les plus redoutés des patrons. Inutile d'invoquer un certain pragmatisme. Pour eux, c'est le droit et lui seul qui doit l'emporter. » Une règle que l'entreprise ainsi désavouée n'a pas fini de méditer, la rage au cœur. Car elle va devoir entièrement renégocier son accord de RTT.

Ratiba Ogbi La terreur des patrons montpelliérains

« On la déteste. Elle est insupportable. » Au conseil de prud'hommes de Montpellier, Ratiba Ogbi est, de loin, l'avocat qui hérisse le plus le poil des juges employeurs. Par comparaison, Luc Kirkyacharian, le plus connu des défenseurs des salariés héraultais, est presque adoré ! Chez Ratiba Ogbi, c'est d'abord le style qui irrite. En audience, elle réplique en permanence, refuse systématiquement les renvois et n'hésite pas à transformer le tribunal en théâtre. Mais c'est son grand professionnalisme qui exaspère le plus les représentants du Medef, qui ont la plus grande peine à la contrer. « Ses dossiers sont toujours très bien ficelés. Et elle ne défend pas l'indéfendable », admet l'un d'entre eux. « Normal, réplique l'intéressée. Le droit du travail est très technique pour des juges non professionnels. Ils ne le maîtrisent pas. »

Pénaliste à l'origine, Ratiba Ogbi s'est fait un nom et une réputation sur le terrain du droit social avec « les IBM ». Entre 2000 et 2001, près de 900 anciens salariés de Big Blue, licenciés dans le cadre d'un plan social déguisé, sont passés par son cabinet pour faire annuler leur transaction de départ. Un joli jackpot. « Tous ont obtenu des dommages et intérêts, sans tenir compte des indemnités très conséquentes qu'ils avaient déjà reçues lors de leur départ. » Depuis, elle a eu affaire à toutes les boîtes informatiques. Dernière en date, Dell Computer. « L'entreprise fait une charrette sans plan social. Je reçois un dossier par semaine de salariés licenciés pour motif prétendument disciplinaire. Par exemple, pour avoir mis un animal virtuel sur son ordinateur. » Autre dossier en cours : des directeurs de magasin Go Sport, mutés d'un bout à l'autre de la France en vertu d'une clause de mobilité discutable.

Bête noire des employeurs montpelliérains, Ratiba Ogbi se défend pourtant de mener un combat militant. « Je ne le fais pas par idéologie. Les salariés ne sont d'ailleurs pas toujours dans leur bon droit. C'est plutôt pour rester crédible que je ne défends que leurs causes. » L'avocate va d'ailleurs faire une petite entorse à la règle : elle a accepté de plaider pour un restaurateur qu'elle avait… fait condamner voilà plusieurs années ! Une cause juste : il aurait fait l'objet de propos antisémites de la part d'un de ses salariés.

Ralph Blindauer Le baron rouge qui fait trembler la métallurgie

Le patronat lorrain l'a surnommé le baron rouge. Si Ralph Blindauer n'a pas de titre de noblesse, cet avocat ne cache pas son engagement au parti communiste. « Je suis tombé dans la marmite tout petit. » Fils d'un ouvrier sidérurgiste, cégétiste et communiste, Ralph Blindauer a repris le flambeau paternel dans les prétoires. Étudiant, il milite à l'Unef, puis travaille durant trois ans dans un journal du parti. Au cours de ses études de droit, il a effectué de nombreux stages au service juridique de la CGT où il a assisté des salariés devant les prud'hommes. « Le droit du travail, je l'ai appris sur les bancs de la fac et surtout à la CGT au contact d'un prêtre ouvrier et d'un cheminot. » Aujourd'hui, à 49 ans, cet avocat messin continue de temps en temps à soutenir la cause communiste. Candidat dans la huitième circonscription du Bas-Rhin aux législatives de juin 2002, il n'a recueilli que 0,4 % des suffrages. Ses victoires, il les obtient dans les tribunaux où il s'est taillé une réputation de casseur de patrons. « La dernière fois que j'ai plaidé, j'avais en face de moi trois avocats pour la partie adverse. »

Pour les syndicats de salariés, Ralph Blindauer est un allié de poids. La CGT, mais aussi la CFTC, SUD ou encore le Syndicat unifié des Caisses d'épargne le sollicitent. Durant dix ans il s'est battu contre une association, devenue aujourd'hui établissement public, chargée d'effectuer des fouilles archéologiques pour le compte de l'État. Tous les salariés étaient en contrat à durée déterminée. Après une décennie d'acharnement judiciaire, l'avocat a obtenu une requalification en CDI de 95 % des contrats.

La lutte contre la précarité est devenue son cheval de bataille. Lorsqu'il gagne un procès contre une filiale de Renault pour utilisation abusive d'intérimaires, la nouvelle vient rapidement aux oreilles des syndicats de Peugeot Sochaux. Le groupe est aujourd'hui dans le collimateur de l'avocat, qui veut en finir avec le recours extensif et permanent au travail temporaire. « Dans l'automobile, 25 à 30 % des effectifs sont des intérimaires. Cette flexibilité absolue est une atteinte à la dignité humaine. Notre objectif est d'étendre ce combat contre la précarité à toute la métallurgie. » Patrons, gare à vous, le baron rouge va encore frapper !

François Ballouhey Le trublion de la cour d'appel de Versailles

Pour bien des avocats proemployeurs, le président de la sixième chambre de la cour d'appel de Versailles figure en tête de leur liste noire. « Quand vous plaidez chez lui, c'est comme pisser dans un violon, fustige une avocate qui préfère garder l'anonymat. François Ballouhey m'a annulé un licenciement pour cause non réelle et sérieuse d'un salarié avec moins de deux ans d'ancienneté et pour qui la direction avait de surcroît recherché une solution. Il est outrageusement protecteur des salariés. » Une réputation qui amuse ce juge d'appel en matière prud'homale : « Il arrive aussi que les salariés perdent chez moi. La balance ne penche pas en faveur de l'un ou de l'autre. Notre différence avec d'autres magistrats, c'est que nous nous montrons dans certains cas plus généreux sur le montant des indemnités accordées au titre des dommages et intérêts. »

Avant même de se consacrer à la matière sociale, ce magistrat se caractérisait déjà par une certaine clémence par rapport à ses confrères de correctionnelle. C'est en 1992, lorsqu'il est nommé dans une chambre sociale à la cour d'appel de Paris, que François Ballouhey va se plonger à fond dans le droit du travail. Contrairement à beaucoup de ses collègues, qui regardent parfois cette matière avec un certain dédain, François Ballouhey va l'exercer avec virtuosité. « Il existe dans cette fonction de juge du travail des possibilités de mettre les pieds dans le plat. Durant les audiences, j'interviens beaucoup, je questionne, ce qui peut être très irritant car les éléments qui vont être apportés oralement viennent souvent en appui au salarié. »

La fibre sociale vibre chez ce magistrat et il ne s'en cache pas, encouragé en cela par une Cour de cassation jugée plutôt bienveillante à l'égard des salariés. « Lorsque Gérard Gélineau-Larrivet était président de la chambre sociale, il nous a décomplexés dans notre rôle de gardien d'un Code du travail conçu pour préserver un contrat par nature déséquilibré. » Et ce magistrat n'hésite pas à intervenir pour en améliorer encore le statut protecteur. La chambre qu'il préside fait en effet partie de ces cours d'appel frondeuses qui prennent parfois le contre-pied de la jurisprudence. Actuellement, François Ballouhey a un arrêt dans le collimateur et n'attend plus que l'occasion pour susciter un revirement jurisprudentiel.