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Enquête

LES BÊTES NOIRES DES PATRONS

Enquête | publié le : 01.09.2003 | Stéphane Béchaux, Frédéric Rey

Syndicalistes virulents, avocats pugnaces, inspecteurs du travail intransigeants… À l'heure de la médiatisation des conflits et de la judiciarisation des relations sociales, quelques fortes têtes donnent des sueurs froides aux employeurs. Portraits.

« Ce type est un vrai cauchemar ! » soupire ce DRH du tertiaire, excédé par un interlocuteur syndical particulièrement pugnace et réfractaire au compromis. Un autre vitupère contre une inspectrice du travail tatillonne et vindicative. Ailleurs, c'est un avocat procédurier qui tourmente un dirigeant. Là, c'est un magistrat réputé insensible aux arguments avancés par l'entreprise qui est en ligne de mire. Si les rapports entre les employeurs et les militants syndicaux ou les professionnels qui leur demandent des comptes ne sont pas toujours empreints de cordialité, ils restent le plus souvent courtois. Mais pas toujours… Car certains de ces empêcheurs de gérer en rond mènent la vie dure à l'entreprise et sont, à tort ou à raison, perçus comme de véritables bêtes noires par ses responsables.

Ces fortes têtes, on les trouve d'abord à l'intérieur même de l'entreprise. Avec, en première ligne, les délégués syndicaux. Bénéficiant d'un statut protecteur, les représentants du personnel peuvent donner du fil à retordre aux directions. Inutile pour cela d'être un leader charismatique. Une utilisation ingénieuse du Code du travail et de la jurisprudence permet de traquer les failles juridiques de l'entreprise et d'entraver ainsi son action.

Mais la menace vient aussi de l'extérieur. De l'administration, d'abord. Même si le risque de se faire épingler est faible, faute d'effectifs suffisants, les employeurs doivent compter avec les divers corps de contrôle. Les pouvoirs de sanction des inspecteurs du travail et de l'Urssaf ne sont pas que théoriques. Dans leur secteur géographique, certains patrons doivent ainsi composer avec un contrôleur tatillon décidé à faire appliquer un texte sans aucune concession. Pour un connaisseur averti, les réglementations du travail et de la sécurité sociale regorgent d'outils pour aligner les employeurs. À défaut de pouvoir coercitif, les trublions des entreprises ont d'autres cartes dans leur manche. Rien de tel qu'une conférence de presse pour faire monter la pression. Des médecins du travail, des syndicalistes ont bien compris l'intérêt de la médiatisation. Harcèlement moral, non-paiement d'heures supplémentaires, stress, amiante et autres atteintes à la santé des salariés… Les conflits sociaux de l'entreprise et ses dysfonctionnements se retrouvent de plus en plus souvent sur le devant de la scène. La judiciarisation des relations du travail a, enfin, fait émerger un nouveau profil de perturbateur avec des hommes de loi, juges et avocats en droit du travail, particulièrement pugnaces à l'égard des employeurs.

Alors, cernés, les patrons français ? N'exagérons rien. Si le profil de ces importuns a évolué, ils ne sont pas plus nombreux aujourd'hui qu'hier. Bien au contraire. Le taux de syndicalisation dans les entreprises françaises est l'un des plus faibles d'Europe. Dérégulation sociale, individualisme, mondialisation et crise économique ont plutôt réduit le nombre et la résistance des gêneurs. Mais ceux qui restent sont d'autant plus intransigeants qu'ils ont le sentiment d'être le dernier rempart contre le rouleau compresseur d'un libéralisme tout-puissant. Il n'est pas rare de les voir militer à l'extrême gauche ou sympathiser avec la mouvance altermondialiste. Pour les plus radicaux d'entre eux, l'employeur est un ennemi qu'il faut à tout prix combattre.

Mais, au nom de l'idéologie ou omnubilés par un esprit de contestation systématique, ces tenants de l'obstruction permanente peuvent parfois perdre de vue l'intérêt des salariés qu'ils sont censés défendre… Les épouvantails des patrons comptent aussi dans leurs rangs un lot de francs-tireurs qui se sentent investis d'un rôle de justicier. Avec la montée du chômage, le rapport de force penche en faveur des employeurs et ces redresseurs de tort s'attellent coûte que coûte à rétablir l'équilibre. Rencontre avec ces poils à gratter du début du troisième millénaire.

Auteur

  • Stéphane Béchaux, Frédéric Rey