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Débat

Quels enseignements tirer du processus de réforme des retraites ?

Débat | publié le : 01.09.2003 |

Bravant la rue et l'opposition résolue de la CGT, de FO, de la FSU et de l'Unsa, le gouvernement a montré sa capacité à mener à son terme la réforme des retraites. Avec l'appui de sa majorité et des seules CFDT et CGC. La méthode Raffarin est-elle la bonne ? Quelles leçons en retenir sur l'état des relations sociales et la capacité de l'opinion à accepter les réformes ? Trois experts des questions sociales livrent leur analyse.

« Les réformes doivent s'appuyer sur un socle syndical et politique plus large. »

JEAN KASPAR Consultant en stratégies sociales.

Les événements qui ont accompagné la réforme des retraites doivent inciter l'ensemble des acteurs, politiques, économiques et sociaux, à un questionnement sur leurs stratégies et leurs pratiques. Ils traduisent en effet l'échec d'une démocratie sociale pacifiée, où l'État, les milieux économiques, les organisations syndicales exercent leurs responsabilités, dépassent leurs conflits d'intérêts en construisant les partenariats nécessaires à la gestion négociée de la complexité.

C'est l'échec, ensuite, d'un processus de reconstruction d'un syndicalisme plus convergent et plus représentatif amorcé entre la CGT et la CFDT. Nul doute que ces événements laisseront des traces, en particulier dans les entreprises. Or la reconstruction du syndicalisme français et la modernisation des relations sociales dépendront de la capacité de ces deux organisations à mener des stratégies convergentes. C'est l'échec, enfin, d'un processus de réforme, appuyé sur une majorité d'acteurs. Un tel processus ne peut se construire sur la seule base d'une volonté commune entre le gouvernement, sa majorité, la CFDT et la CGC. Engager et réussir les réformes dont notre pays a besoin doit s'appuyer sur un éventail syndical plus large qui ne peut laisser durablement la CGT en dehors, et sur une base politique qui ne peut en rester au clivage droite-gauche.

Pour éviter que les mois qui viennent ne soient marqués par la tentation de la radicalisation sociale ou du délitement démocratique, deux exigences doivent être remplies. La première est de montrer que les réformes proposées traduisent une ambition multidimensionnelle. On ne mobilise pas sur la nécessité de la réforme sans indiquer en quoi elle répond à des exigences qui vont bien au-delà des seuls aspects économiques ou financiers. Il s'agit de démontrer que l'on engage la réforme pour mieux répondre à des aspirations éthiques, de solidarité, d'équité, de justice, de fraternité, de responsabilité.

Cela implique à la fois du courage et de la pédagogie. Quand le président du Medef dit que « le vent de la réforme souffle, mais pas assez fort » ou que « c'est le fric des salariés du privé qui paie l'indemnisation du chômage des intermittents », il ne fait pas preuve d'une grande pédagogie, entretient les peurs et donne des arguments aux conservateurs de tout poil. Quand le premier secrétaire du PS affirme, au congrès de Dijon, « nous sommes un parti de réformes » et demande solennellement le retrait du projet de réforme des retraites, il renforce les archaïsmes politiques et donne des gages aux militants radicaux.

Enfin, Bernard Thibault ne peut se contenter de dire que « c'est le contenu des négociations, apprécié par les salariés, qui doit déterminer l'attitude syndicale ». Il doit ajouter que cela suppose que le syndicat joue pleinement son rôle en sachant aller, si nécessaire, à contre-courant d'une appréciation spontanée des salariés ou des militants.

Les prochaines semaines nous diront si les acteurs sauront tirer les leçons des premiers mois de l'année ou si chacun se contentera de gérer à court terme. Ce qui est en jeu, c'est à la fois le fonctionnement démocratique de notre société, sa capacité à faire face aux nécessaires évolutions et la nature des relations sociales qu'elle veut promouvoir.

« C'est un grand progrès par rapport à la méthode Juppé, même s'il est encore insuffisant. »

HUBERT LANDIER Directeur de la revue « Management et Conjoncture sociale ».

La façon dont a été finalement adopté le texte de loi sur les retraites devrait être l'occasion, tant pour le gouvernement que pour le patronat et les organisations syndicales, de s'interroger sur la manière de conduire des réformes dont ni les uns ni les autres ne contestent la nécessité.

Le gouvernement a manifesté sa volonté de concertation avec les « partenaires sociaux » et de pédagogie à l'égard des Français. Il s'agit d'un très grand progrès par rapport à la « méthode Juppé », mais il est probablement encore insuffisant. Le débat public sur les retraites n'a pas été très loin. Dans cette affaire, le Medef a évité de se mettre en avant. Il aura par contre, avec l'accord sur les intermittents, provoqué des réactions auxquelles il aurait dû s'attendre. Tout DRH, même débutant, sait bien qu'un accord minoritaire est dangereux dès lors qu'il risque d'être contesté par les syndicats majoritaires et par ceux-là mêmes auxquels il s'adresse. De toute évidence, le Medef fait aujourd'hui une analyse très insuffisante de l'évolution des comportements sociaux. Il semble croire que les choses doivent se passer entre interlocuteurs institutionnels et paraît ignorer la complexité des relations entre les syndicats et leurs mandants. Paradoxalement, il risque de contribuer, par son comportement, à la dégradation de l'image que les entreprises donnent d'elles-mêmes.

Les organisations syndicales devront elles-mêmes tirer les conclusions de ce qui s'est passé. La CFDT est aujourd'hui devenue l'interlocuteur privilégié, tant du patronat que du gouvernement, au risque de susciter l'incompréhension, ou l'opposition, d'une partie de sa base. La CGT a rompu avec le principe du centralisme démocratique, mais au risque de faire le jeu de ses éléments les plus extrémistes et de se retrouver, au moins au niveau national, dans une attitude systématiquement oppositionnelle. FO aura donné dans la surenchère. L'Unsa, qui cherche à obtenir la reconnaissance de sa représentativité au niveau national, s'est largement fait entendre. Et la CFTC et la CFE-CGC auront été absentes du débat.

Plusieurs dossiers seront à l'ordre du jour dans les mois qui viennent : négociation des régimes de retraite complémentaire, rééquilibrage des comptes de l'assurance maladie, privatisation de certaines entreprises publiques, décentralisation des structures, notamment, de l'Éducation nationale. Sans pour autant renoncer à leurs objectifs respectifs, les différents interlocuteurs concernés devront se montrer prudents afin d'éviter les dérives extrémistes ou radicales qui guettent certains d'entre eux.

Derrière les projets de réforme d'ores et déjà annoncés, les récentes péripéties appellent une réponse à trois questions fondamentales pour l'avenir des relations sociales en France. La première porte sur la représentativité syndicale et sur les droits qui y sont liés ; la deuxième sur les conditions de la négociation et l'adoption ou non du principe des accords majoritaires ; la troisième, enfin, sur l'articulation entre le rôle de l'État et celui des partenaires sociaux.

« Le gouvernement ne doit pas trop se leurrer sur son aptitude à la réforme. »

HENRI VACQUIN Directeur de la revue « Stratégies du management ».

Côté gouvernemental, le « ni vainqueur ni vaincu » du président de la République est on ne peut plus pertinent. Il reste à s'assurer que tous les gestes faits par le gouvernement et la majorité y soient conformes. L'opinion publique ? Elle a été souveraine, sachant depuis longtemps qu'elle devrait être « opérée » des retraites. Dans le privé, l'écrasante majorité des salariés ont appris qu'ils avaient déjà été opérés en 1993. Pour eux, l'harmonisation n'était pas un scandale. Le gouvernement peut se féliciter d'être arrivé au bon moment et d'avoir osé, mais sans trop se leurrer sur son aptitude à la réforme. Sur la relation contrat-loi, on pourra dire qu'on a échangé, discuté et bel et bien négocié un socle dont le Parlement n'a pas dérivé. Une démonstration qui prouve le domaine du possible.

Du côté du patronat, la discrétion a été de rigueur. Il lui faudra bientôt sortir du bois, ne serait-ce que sur les espaces de négociation imposés par la réforme des retraites, au-delà même du management des plus de 55 ans et de la formation.

L'opposition ne sort pas grandie de cette affaire. Elle a, par son comportement, avant et durant le processus des retraites, un chapitre de plus pour le jour où elle cessera de perpétuellement repousser son inventaire.

Chez les syndicats, les comportements n'ont été que très traditionnels. Si la CFDT a été conforme à sa ligne, c'est son opposition qui désormais va devoir choisir son camp. On ne peut être éternellement un pied dedans et un pied dehors. Pour les non-signataires, il va être difficile d'expliquer toujours l'échec du mouvement en l'imputant aux signataires. Faute d'avoir réussi le « grand soir » avec les retraites, ils voudront faire le « grand soir du syndicalisme réformiste » en rêvant d'une CGT conservant son profil de 1946 sans l'ouverture et la contre-proposition. De la FSU à FO en passant par le Groupe des 10, le principal danger serait en effet l'émergence d'un pôle réformiste CFDT-CGT. L'échec du mouvement ne fait que poser avec d'autant plus de force la nécessaire recomposition qui s'impose pour la survie du syndicalisme. La CGT en est la clé. Personne n'imaginait qu'elle signe quel que soit ce qu'elle aurait obtenu, et le gouvernement comme tous ses collègues en étaient prévenus. Les retraites étaient le terrain le moins favorable à l'acculturation que sa direction souhaite mener avec ses militants. Encore que l'accord syndical unitaire initial aboutissant pour la première fois à se déclarer non contre, mais pour une réforme a eu un effet pédagogique très loin d'être négligeable. Dans ce mouvement, la CGT a été la force centrale de sa régulation. Elle n'est jamais tombée dans les excès blondéliens de la grève générale. Ses appels à la mobilisation générale relèvent d'une tout autre analyse du mouvement et du rôle du syndicalisme. Avec l'échec de ce mouvement, son état-major dispose désormais d'un matériau rêvé pour poursuivre l'acculturation.

Ce travail d'analyse sera fait à la CGT comme à la CFDT et souhaitons-le, à un moment ou à un autre, ensemble. L'avatar d'une CFDT qui signe se croyant lâchée dans la négociation par la CGT, ou la CGT vivant la signature comme une trahison ne sont que le signe d'une synergie trop jeune pour avoir éliminé tous les démons de l'histoire.