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Vie des entreprises

Pauses, repos et subordination

Vie des entreprises | CHRONIQUE JURIDIQUE | publié le : 01.06.2003 | Jean-Emmanuel Ray

Le droit au travail n'est pas concevable sans son contraire, le droit au repos. La difficulté c'est que l'intellectualisation des tâches et le développement des services rendent les frontières moins étanches. Ce n'est pas toujours tout blanc ou tout noir. La jurisprudence se voit dès lors contrainte de s'intéresser aux zones grises, du type pause ou astreinte.

Repausare (bas latin) : « Re-poser au sens physique, arrêter le mouvement, mettre en repos. » Alors que le Conseil économique et social rendra début juillet un rapport demandé par le Premier ministre qui veut légitimement réhabiliter la « valeur travail », évoquer le désormais constitutionnel droit au repos (cf. décision du 13 janvier 2003 relative à la loi Fillon I), c'est sembler défendre au pays des 35 heures le Droit à la paresse du gendre de Karl Marx.

Mais depuis le Laboureur et ses enfants, nul n'ignore (et a fortiori les demandeurs d'emploi) que « le travail est un trésor », individuel mais aussi collectif : travailler ne se résume pas à une fiche de paye, mais donne également une place dans la société. C'est ce qu'ont quelques difficultés à comprendre les générations qui ont fait les Trente Glorieuses, par exemple choquées par les questions de leurs futurs cadres sur le nombre de jours travaillés du forfait jours. Or il ne s'agit pas de « fait-néant » mais de collaborateurs prêts à s'investir, à travailler dur, voulant cependant appliquer le proverbe chinois : « Dans la vie, il faut marcher sur deux pieds », bref sauvegarder un équilibre vie professionnelle-vie personnelle finalement profitable à tous (cf. prochain colloque de Droit social, le 5 novembre 2003).

Sachant qu'entre les salariés nomades, le télétravail et l'activité permanente des neurones (quand une idée « nous travaille »…) , il sera de plus en plus difficile de décompter le temps de travail effectif (aveu législatif : la création du forfait jours ; cf. Françoise Favennec : Temps de travail des cadres, temps de travail de demain ?, éd. Liaisons, avril 2003), le droit du travail doit aujourd'hui s'attacher à défendre un temps de repos effectif et continu.

Mais à partir de quand un salarié est-il en repos ? « Repos : toute période qui n'est pas du temps de travail. » Pour le droit communautaire, ne pas être au travail, ce serait donc ipso facto être en repos : cette définition binaire un peu primaire est démentie par le populaire slogan « métro, boulot, dodo ». Or cette dernière pratique, qui paraît constituer l'exemple même du repos des bras comme des neurones (si l'on excepte Épéda, comment dormir pourrait constituer un travail ?), pose parfois problème : dormir n'est pas forcément de tout repos, comme l'ont constaté la chambre sociale et récemment l'avocat général de la CJCE.

Pauses et subordination

Depuis les 35 heures, nos bonnes vieilles pauses plus ou moins formelles font l'objet d'une attention très soutenue de la part des partenaires sociaux. Moins afin de respecter l'obligation de vingt minutes minimum de pause après six heures de travail (C. trav., art. L. 220-2) que pour décompter de façon beaucoup moins approximative qu'auparavant le temps de travail. D'où de nouveaux contentieux. Contentieux pratico-pratiques sur la localisation exacte des pointeuses (cour d'appel de Lyon, 21 mars 2002, obligeant la société Carrefour à « implanter les appareils de pointage à proximité immédiate des vestiaires du personnel »), ou encore sur l'implantation d'une cybercafétéria avec bornes d'accès à Internet permettant de vaquer librement à son courriel ou de surfer sur des sites personnels. Contentieux également sur le droit de grève pendant ce temps de non-travail (Cass. soc., 18 décembre 2001 : des salariés disposant d'un temps de pause rémunéré ne constituant pas un temps de travail effectif et qui utilisent ce temps libre pour formuler des revendications professionnelles ne peuvent être considérés comme exerçant le droit de grève supposant un arrêt de travail).

Sachant que, comme d'habitude, le premier cas de suspension détermine toute la suite. Ainsi que l'a rappelé la chambre sociale le 15 janvier 2003, les temps de pause et de repos inclus dans une période de grève ne seront pas payés à moins que, tel qu'en l'espèce, le salarié ne manifeste très opportunément un petit peu avant « sa volonté de mettre fin à sa participation au mouvement collectif ». C'est donc très classiquement la possibilité réelle de se soustraire à la subordination de l'employeur et de pouvoir donc vaquer librement à des occupations personnelles qui caractérise le temps de (vraie) pause.

Dans l'arrêt du 10 mars 1998, la Cour de cassation avait ainsi vu un temps de travail dans la pause-déjeuner de salariés en continu devant rester près de leurs machines. Il va de soi qu'à l'inverse le cadre préférant manger une pizza dans son bureau en téléphonant de son portable ou en surfant sur Internet n'est pas en travail commandé. Et, à moins qu'il ne prouve que c'est sa charge de travail qui le contraint à ce labeur sans fin, il serait malvenu de réclamer ultérieurement un rattrapage d'heures supplémentaires, et a fortiori de poursuivre l'employeur pour travail dissimulé par minoration des heures déclarées (C. trav., art. L. 324-10) : le 4 mars 2003, la chambre sociale a légitimement rappelé qu'il devait s'agir d'un comportement intentionnel de la part de l'entreprise.

L'arrêt rendu par la chambre sociale le 1er avril 2003 (CGT Elf-Atochem) fait cependant preuve de réalisme lorsqu'il déclare, à propos de salariés postés bénéficiant d'une pause conventionnelle de trente minutes rémunérée comme du travail effectif : « La période de pause, qui s'analyse comme un arrêt de travail de courte durée sur le lieu de travail ou à proximité, n'est pas incompatible avec des interventions éventuelles et exceptionnelles demandées durant cette période au salarié en cas de nécessité, notamment pour des motifs de sécurité. Cette période étant rémunérée et décomptée comme travail effectif, ce temps de pause était conforme aux dispositions légales et conventionnelles applicables. » Dans cette espèce où la pause en question était beaucoup plus favorable que l'article L. 220-2 (trente minutes au lieu de vingt minutes, payées comme temps de travail), la Cour de cassation, après avoir pour la première fois défini la pause en droit, rappelle aux salariés estimant être restés à la disposition de l'employeur qu'à la triple condition fixée (nécessité de sécurité, interventions éventuelles, exceptionnelles) il n'apparaît pas scandaleux qu'en cas de problème grave ils soient amenés à intervenir (en ce sens, C. trav., art. L. 122-34, 2° al. ; art. D. 220-5).

Repos, sommeil et subordination : le feuilleton des astreintes (suite)

« Le temps de repos suppose que le salarié soit totalement dispensé, directement ou indirectement et sauf cas exceptionnels, d'accomplir pour son employeur une prestation de travail, même si elle n'est qu'éventuelle ou occasionnelle. Lorsqu'il est d'astreinte, un salarié ne bénéficie pas de son repos hebdomadaire. » Opposée à celle de la CJCE (arrêt Simap du 3 octobre 2000), la première définition positive du repos donnée par l'arrêt Slec du 10 juillet 2002 n'a pas été censurée par la loi Fillon I du 17 janvier 2003, qui en a cependant supprimé le résultat en ajoutant à l'article L. 212-4 bis : « Exception faite de la durée d'intervention, la période d'astreinte est décomptée dans les durées minimales visées aux articles L. 220-1 et L. 221-4 ». Bref, le salarié d'astreinte le soir ou le week-end est censé avoir été en repos, ce qui demeure créatif sur le plan sémantique : une « astreinte » est a priori « astreignante », et être télécommandé n'est pas de tout repos.

Afin de se préserver d'éventuelles foudres judiciaires (françaises ou communautaires), la circulaire du 14 avril 2003 a restreint l'intérêt concret de cette nouveauté puisque « si une intervention a lieu pendant une période d'astreinte, le repos intégral doit être donné à compter de la fin de l'intervention, sauf si le salarié a déjà entièrement bénéficié, avant le début de son intervention, de la durée minimale de repos continue prévue par le Code du travail ».

Les problèmes posés par ce temps du troisième type nécessaire à la société d'aujourd'hui, mais où liberté et vie personnelle coexistent avec le maintien d'une subordination en temps réel, se multiplient désormais.

– Cass. soc., 2 avril 2003, Mme Le C./EDF : alors qu'il était d'astreinte à son domicile, un agent EDF décède d'un accident cardiaque ; sa veuve demande la prise en charge au titre de l'accident de travail. Refus de la CPAM confirmé par la cour d'appel de Versailles. Le pourvoi formé avançait curieusement une interprétation restrictive de l'article L. 411-1 du Code de la Sécurité sociale : « Le salarié qui effectue des heures d'astreinte demeure nécessairement sous la subordination de son employeur. Or bénéficie de la présomption d'imputabilité au travail l'accident dont est victime un salarié à un moment où il se trouve sous une telle subordination. » Réponse de la Cour de cassation : « Ayant constaté que l'accident était survenu au cours d'une période d'astreinte au domicile du salarié, la Cour a fait ressortir que la présomption d'imputabilité d'accident de travail n'était pas applicable » (alors que l'article L. 411-1 évoque « un accident survenu à l'occasion du travail, quelle qu'en soit la cause […] et en quelque lieu que ce soit »).

– Idée de localisation reprise le 2 avril 2003 dans un sens différent par la chambre sociale à propos d'agents EDF assurant « un service d'astreinte d'action immédiate » (terme adéquat sur le plan technique mais inopportun sur le plan juridique) dans un appartement bien équipé (donc ni domicile ni lieu de production), situé à proximité de leur éventuel lieu d'intervention et leur permettant de recevoir leur famille, mais aussi d'y dormir. « Les salariés étant tenus de rester dans des locaux imposés par l'employeur afin de répondre sans délai à toute demande d'intervention sans pouvoir vaquer à leurs occupations personnelles, la cour d'appel en a déduit à bon droit que cette période constituait un temps de travail effectif qui devait être rémunéré comme tel. » Or comme l'avait noté la cour d'appel de Paris dans l'arrêt confirmé du 3 novembre 2000 : « Il importe peu de rechercher si ce temps de mise à disposition s'effectue sur le lieu de l'entreprise ou dans des locaux privatifs mis à disposition par l'employeur à proximité immédiate dès lors que les moyens de communication modernes mettent le salarié dans la même situation de dépendance à l'égard de son employeur où qu'il se trouve. »

Car, au XXIe siècle, le temps de repos des bras comme des neurones est un temps de vie privée qui devrait se traduire par un droit à la déconnexion, comme le pressentait Philippe Waquet : « Pendant le temps de repos, ce n'est pas seulement un travail commandé de manière plus ou moins diffuse qu'il faut prohiber, c'est toute forme d'intervention de l'employeur. La qualité du repos commande une coupure totale, et la coupure psychologique ne peut exister sans coupure matérielle. » (Dr. soc., mars 2000 p. 292.)

Et du côté des juges de Luxembourg, lesquels avaient dans l'arrêt Simap d'octobre 2000 semblé dire que l'accessibilité par portable au domicile pouvait constituer un temps de repos ? « Pour pouvoir se reposer, le salarié doit avoir la possibilité de se soustraire à son milieu de travail pendant un nombre déterminé d'heures ininterrompues » : prises le 8 avril dernier devant la CJCE (affaire Jaeger, C-151/02), les conclusions de l'avocat général Ruiz-Jarabo Colomer semblent parfaitement conformes à la jurisprudence française… et donc contraires à l'arrêt Simap. Même s'il s'agissait du sommeil d'un chirurgien de Kiel autorisé à dormir en « chambre de repos » au sein même de l'hôpital, une évolution est donc possible et souhaitable : à l'instar des chauffeurs routiers, le repos des médecins et autres chirurgiens est une nécessité spécifique qui dépasse le seul droit du travail, mais touche la sécurité des usagers.

« Il faut tout dire : le travail donne une satisfaction un peu béate. Mais il y a dans la paresse un état d'inquiétude auquel l'esprit doit peut-être ses plus fines trouvailles. » (Jules Renard, Journal, octobre 1898.)

FLASH

• La fin des vraies-fausses nullités

« Lorsque le licenciement est nul, le salarié a droit à réintégration dans son emploi ou, à défaut, dans un emploi équivalent. Il en résulte qu'en cas de licenciement d'une salariée en état de grossesse, nul en application de l'article L. 122-25-2 du Code du travail, sa réintégration doit être ordonnée si elle le demande. »

L'arrêt du 30 avril 2003 n'est pas une surprise tant, en droit du travail, la réparation en nature plutôt qu'en équivalent (dommages-intérêts) avait progressé dans les textes depuis trente ans.

1. Parti du statut exceptionnel et exorbitant du droit commun des représentants du personnel (1972), ce passage du licenciement abusif au licenciement non fondé puis nul résulte d'une politique jurisprudentielle refusant que l'exercice d'une liberté publique puisse faire l'objet d'une gestion économique des risques juridiques.

2. Mais le terme « réintégration » doit être manié avec précaution : car, à l'instar du gréviste licencié hors faute lourde, si la rupture est nulle, il s'agit « de la poursuite du contrat qui n'avait pas été valablement rompu », terme politiquement moins explosif devant la juridiction paritaire des prud'hommes.

3. Dans le même temps, la Cour de cassation énonce aussi que, « en l'absence de dispositions expresses en ce sens, et la nullité ne se présumant point », la méconnaissance de l'obligation individuelle de reclassement n'est par exemple pas sanctionnée par la nullité : le salarié ne saurait demander sa réintégration (Cass. soc., 26 février 2003).

Auteur

  • Jean-Emmanuel Ray