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Vie des entreprises

Comment faire naître les petites idées qui rapportent gros

Vie des entreprises | DÉCRYPTAGE | publié le : 01.06.2003 | Cathérine Lévi

Adieu cercles de qualité et autres boîtes à idées. Chez Renault, Accor ou à La Poste, l'innovation participative s'individualise et met à contribution l'encadrement de proximité, lequel se voit assigner des objectifs chiffrés. Cadeaux, primes ou trophées récompensent les salariés qui s'y impliquent. Et la démarche est activement soutenue par les directions.

Banco pour Accor ! Suggérée par un employé, l'idée simple comme bonjour d'éteindre les téléviseurs des chambres inoccupées au lieu de les laisser en position veille a permis au groupe hôtelier d'économiser la bagatelle de 2 millions d'euros par an sur l'ensemble du Vieux Continent. Chez Renault, ce sont 50 millions d'euros qui sont grappillés chaque année grâce aux innombrables suggestions des opérateurs, qu'il s'agisse d'un procédé original pour nettoyer les coulées de fonderie ou d'un nouvel outil de découpe de la tôle. Les idées venues du terrain peuvent faire gagner beaucoup d'argent aux entreprises. Et constituent un excellent levier pour motiver les troupes.

L'innovation dite participative n'est pas une nouveauté. Après les cercles de qualité, directement inspirés de l'industrie japonaise, très en vogue dans les années 80 et toujours en vigueur dans certaines firmes, la décennie 90 a vu les boîtes à idées pousser comme des champignons. Mais nombre d'entreprises ont renoncé à ces méthodes, butant sur les réticences du management intermédiaire ou la démotivation des salariés. Renault, Air France Industries ou La Poste ont ainsi fermé leurs boîtes aux lettres, anonymes, à l'usage peu efficaces. Mal cadrées, les idées émises n'étaient pas toujours utilisables. Les managers chargés de faire vivre le dispositif, souvent issus du siège, mettaient parfois plusieurs mois à réagir, suscitant des frustrations parmi le personnel. En outre, « ces innovateurs atypiques dérangeaient l'encadrement intermédiaire peu habitué à ce genre de pratiques », observe Daniel Philppaz, directeur qualité, sécurité et environnement à Air France Industries. Pour couronner le tout, les apporteurs d'idées ne participaient pas toujours à leur mise en œuvre.

Des idées sur un simple Post-it

Mais le mouvement repart aujourd'hui sur des bases plus prometteuses. Avec, pour maître mot, le pragmatisme, et pour principe de base la relation individuelle au salarié. Foin des groupes de travail jugés trop contraignants, même si des entreprises comme STMicroelectronics ou Solvay (voir encadré p. 62) continuent d'en réunir. Place aux innovations de proximité, liées au poste de travail, faciles et rapides à concrétiser. « C'est la simplicité des idées qui fait leur force, car elles sont fondées sur l'expérience concrète, sur la maîtrise du métier et de la pratique », aime à dire Louis Schweitzer, le P-DG de Renault, fervent partisan de la démarche. À l'usine de Flins, l'installation d'une simple étagère supportant les outils de travail, à proximité de chacun des opérateurs, a permis de limiter leur fatigue et de réaliser des gains de productivité substantiels. Autre trouvaille, une charte sur l'usage des salles de formation a évité les déboires habituels, le rétroprojecteur qui ne fonctionne pas, les craies qui manquent ou les gobelets qui encombrent les tables et qu'il faut enlever en catastrophe. Plus question d'anonymat dans le traitement des bonnes idées. Dorénavant, le supérieur hiérarchique donne directement son feu vert, sauf si une expertise est nécessaire. Et « l'inventeur » est associé jusqu'au bout à la réalisation de son projet.

À La Poste, les modes de transmission sont particulièrement souples. Un Post-it, une fiche d'idée, une feuille de papier suffisent à un salarié pour faire connaître son innovation au n + 1, lequel doit donner sa réponse sous deux à trois semaines. « La moitié des suggestions acceptées est mise en place dans les 24 heures », souligne Claude Dessaint, secrétaire général du centre régional des services financiers de Lille, très en pointe sur le sujet. Quelque 1 350 idées, dont beaucoup de projets d'amélioration de logiciels, ont ainsi été lancées par le personnel en 2002. Cette souplesse s'est révélée payante. Sept idées sur dix émises à La Poste sont applicables, contre une sur dix auparavant.

Accor, dont le personnel est composé à 80 % d'employés, a également fait le choix de la proximité. L'objectif est d'inciter l'ensemble du personnel à proposer des idées pour améliorer le service à la clientèle, simplifier une procédure ou faciliter le travail des femmes de ménage, en attribuant par exemple une couleur à chaque produit de nettoyage utilisé. Chaque proposition est résumée sur une fiche et transmise à un supérieur hiérarchique qui dispose de sept jours pour réagir. Dans 90 % des cas, c'est le salarié à l'origine de l'idée qui la met en place. « Cette implication a valeur de responsabilité et d'apprentissage, juge Bruno de Montalivet, directeur des ressources humaines et organisation d'Accor. C'est conforme à notre conception du management participatif. »

Pouvoir appliquer soi-même son idée est un puissant facteur de motivation. Aussi les entreprises redoublent-elles d'efforts pour susciter des vocations et inciter les salariés à se creuser la cervelle, avec voyages, repas et autres récompenses à la clé. À La Poste, les innovateurs reçoivent une lettre de félicitations du chef d'établissement et les idées sont présentées dans le journal d'entreprise. Les firmes organisent aussi des trophées pour valoriser les meilleures idées, comme Air France Industries – qui par ailleurs privilégie la simplicité, l'impact sur la sécurité, la prise en compte de l'environnement, la satisfaction du client… Chez Renault, l'usine de Flins organise, chaque année, les Rendez-Vous de la performance, où les meilleures idées sont présentées devant le comité de direction, réuni au grand complet.

Sur le principe d'une récompense financière, plusieurs écoles s'affrontent. Pour Isaac Getz, professeur à l'ESCP-EAP, « elle transforme les salariés en mercenaires et les conduit à délaisser les idées les moins rentables, ce qui finit par tuer la démarche ». Convaincu du bien-fondé du « désintéressement », Air France Industries limite la contrepartie financière. Une idée acceptée est payée 16 euros en chèques-cadeaux, auxquels s'ajoute une gratification de 160 euros, si elle est approuvée par le comité qualité. « C'est peu, reconnaît Alyette Boyer, responsable de l'innovation participative, mais nous ne souhaitons pas que nos collaborateurs tombent dans la chasse aux grandes idées. C'est la règle du jeu et tout le monde l'accepte. »

Renault joue les primes

Chez Accor, chaque idée est récompensée en points « Innovacor », selon une échelle allant de 1 à 60 points, transformables en chèques-cadeaux. Un point équivaut à une heure de salaire moyen dans les pays et métiers concernés. « Il n'y a aucune raison de ne pas récompenser nos employés. Les cadres reçoivent bien des stock-options. Mais nous ne traduisons pas les points en salaire pour que les salariés ne considèrent pas cela comme un dû », indique Bruno de Montalivet. Chez Renault, par contre, on ne lésine pas sur les primes, qui peuvent atteindre en fin d'année la coquette somme de 1 000 euros. Lorsque l'entreprise réalise des gains notables, un collaborateur peut toucher jusqu'à 5 000 euros. Mais la contrepartie la plus tangible reste l'évolution de carrière. « Grâce à l'innovation participative, Accor peut identifier les personnes les plus dynamiques et leur offrir de nouvelles perspectives », ajoute Bruno de Montalivet. La Poste et Renault ont formalisé ce principe en incluant l'implication dans les critères d'évaluation des salariés.

Objectif : 10 idées par salarié

Reste que ce type de démarche peut frustrer les managers intermédiaires, qui risquent de se sentir dépossédés de leurs prérogatives. Même ceux qui sont adeptes de l'innovation participative ne sont pas transformés d'un coup de baguette magique en révélateurs de talents. « On ne peut rien faire sans une implication forte du management, estime Karine Conte, responsable du service emplois et formation de l'usine de Flins. Chaque manager a des objectifs annuels en termes d'idées qui entrent dans son évaluation. » Pour 2003, Flins mise sur 10 idées par salarié contre 8 en 2002.

À La Poste, les chefs d'établissement se voient assigner des objectifs. « Le nombre d'idées émises est un indicateur de bon management », précise Marie-Pierre Guichard, responsable de l'innovation participative à La Poste. À l'appui, l'entreprise organise des sessions de formation et de sensibilisation des chefs d'établissement. Les trophées d'Air France Industries récompensent aussi les managers les plus stimulants. Pour Étienne Collignon, coordinateur innovation de Solvay France, « il est impossible de faire changer l'état d'esprit des encadrants si l'entreprise ne travaille pas en profondeur sur sa culture et le développement du management participatif ».

Mais il ne suffit pas de proclamer les vertus de l'innovation participative pour faire adhérer les salariés et pousser l'encadrement à jouer le jeu. « C'est une affaire d'organisation et de management qui oblige l'entreprise à se réformer de l'intérieur. Elle implique donc des changements qui ne peuvent être insufflés que par la direction », estime François-Marie Pons, secrétaire général d'Innov'Action, une association pour le développement de l'innovation participative créée en septembre 2002 qui réunit les groupes les plus actifs : Renault, France Télécom, EDF-GDF, Accor ou Alstom.

Pour se faire comprendre de l'ensemble de l'organisation, Accor a inscrit la démarche dans son projet d'entreprise, « Réussir ensemble », qui encourage la participation et l'expression. Même démarche chez Solvay France, qui a choisi comme slogan « L'audace au quotidien ». Une structure de pilotage associant huit managers de haut niveau, dont le directeur général, a même vu le jour. Les piqûres de rappel des directions générales ne sont pas inutiles. Louis Schweitzer monte régulièrement au créneau sur un sujet qu'il considère être un « enjeu permanent ». « Nous avons même signé un accord avec les syndicats sur les modalités de l'innovation participative », précise Antoine Héron, chef du service initiative et créativité. Du coup, les usines se mettent au diapason. La charte des valeurs de celle de Flins contient la formule suivante : « Je suis un acteur du progrès, créatif et innovant »…

Quatre challenges par an

Afin d'éviter les démarches brouillonnes, beaucoup d'entreprises ont nommé un correspondant innovation dans chaque site. On en compte 22 chez Accor et 15 chez Renault. Ces coordinateurs de projets sont chargés d'inoculer le virus de l'innovation participative, de consolider les dossiers, de sélectionner les meilleures idées et de faire remonter l'information au niveau central. Lorsque la flamme menace de s'éteindre, ils lancent des défis thématiques et collectifs, dans les domaines où l'entreprise veut progresser. « Six mois après avoir entrepris notre démarche, nous nous sommes rendu compte que la production d'idées ralentissait », explique Stéphanie Drüeke, responsable du projet Innovaccor. Chaque hôtel s'est donc vu fixer quatre challenges par an, à l'échelon international, national ou local.

Renault propose des challenges sur la réduction des coûts, l'amélioration des conditions de travail, des innovations de « rupture » qui bouleversent les process. « L'entreprise sort ainsi de la culture d'assujettissement », juge François-Marie Pons d'Innov'Action, qui propose de soutenir la démarche par des séances de créativité et de résolution de problèmes. Dernière étape à ne pas oublier, les meilleures idées doivent être capitalisées et transférées à toute l'organisation, dans la logique du knowledge management. À cette fin, Solvay et Accor affichent toutes les idées abouties sur leur intranet international. Et Renault a créé des groupes de travail pour collecter les meilleures pratiques dans les usines. « Nous en avons fait une véritable démarche de management généralisée à toute l'organisation », explique Antoine Héron. Une manière, somme toute, de ressusciter les cercles de qualité…

Solvay met Tavaux au défi

Pour donner un nouvel élan à sa démarche d'innovation participative et susciter des innovations « de rupture », la plus grosse usine du groupe Solvay en France, localisée à Tavaux, dans le Jura, a lancé en avril 2001 l'opération « 50 défis » qui consiste à fixer des défis collectifs. Concrètement, des groupes de travail multidisciplinaires, composés d'une dizaine de personnes choisies pour leurs compétences sans référence hiérarchique (ingénieurs, ouvriers, agents de maîtrise), réfléchissent pendant trois à cinq mois autour de thèmes porteurs déterminés par un « sponsor », en l'occurrence un membre du comité de direction.

Des thèmes aussi variés que la performance industrielle, la réduction des délais ou des frais fixes, le maintien des compétences, la diminution du nombre de produits hors normes… Un défi a fait couler beaucoup d'encre : comment inciter la direction des ressources humaines à descendre dans l'usine ?

Les groupes sont aidés par des animateurs formés aux techniques de créativité. Le problème posé est examiné sous toutes les coutures. Des milliers d'idées, y compris les plus farfelues, ont ainsi été émises et plusieurs centaines de personnes ont été concernées. « On invite les gens à penser autrement », relate Christian Clerc-Girard, responsable innovation au sein du service RH. Chaque idée retenue est ensuite développée en plan d'actions.

Une vraie révolution culturelle. « Pour moi, les “50 défis” représentent une suite logique aux cercles de qualité des années 80, mais avec une participation et un dialogue avec le personnel de plus en plus fort », a déclaré l'un des participants à un défi. Pas de rétribution financière à la clé. « La récompense, c'est d'avoir gagné ensemble », explique Christian Clerc-Girard. À ce jour, une vingtaine de défis ont été réalisés et des économies de l'ordre de 1 million d'euros ont été faites.

Auteur

  • Cathérine Lévi