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Repères

Un rendez-vous à ne pas rater

Repères | publié le : 01.06.2003 | Denis Boissard

La France, celle « d'en haut » comme dirait Jean-Pierre Raffarin, retient son souffle. Le pays est en apesanteur, sur une ligne de crête étroite où il peut à tout moment basculer, comme en décembre 1995, dans la paralysie et le chaos. Et cette situation explosive risque de durer jusqu'à l'adoption définitive du projet sur les retraites par le Parlement. Les pousse-au-crime, politiques, responsables patronaux et experts qui déploraient par avance une réforme au rabais, qui exhortaient le gouvernement à demander plus aux fonctionnaires, qui l'incitaient à mettre les agents des entreprises publiques à contribution, qui expliquaient doctement que le pays était mûr et que l'affaire n'était plus qu'une question de courage politique, sont devenus moins loquaces.

Il fallait être bien naïf et très déconnecté

de ce que vit et ressent « la France d'en bas » pour penser qu'une réforme portant sur des enjeux aussi fondamentaux que celui de l'arbitrage entre vie au travail et vie au repos, ou celui du pouvoir d'achat des vieux jours, remettant de surcroît en cause les situations acquises, allait passer comme une lettre à la poste. Or, depuis que le gouvernement a dévoilé son projet, les Français ont fait leurs calculs : la majoration de la décote appliquée à leur pension pour chaque année manquante par rapport à la durée d'activité requise, s'agissant des fonctionnaires (dont beaucoup ont pris l'habitude d'anticiper leur départ en retraite), ou la perspective de devoir cotiser au-delà de 40 ans pour les salariés (à l'avenir privés du filet des préretraites) ont fait l'effet d'une douche froide chez les intéressés.

Il reste que la résistance de nos concitoyens au changement, leur réticence à affronter les problèmes et à s'efforcer de les résoudre, leur incapacité à se projeter dans l'avenir sont inquiétantes. Quinze ans de travail pédagogique, une concertation poussée avec les syndicats au sein du Conseil d'orientation des retraites, puis par le gouvernement Raffarin, ont apparemment fini par convaincre la majorité des salariés et de leurs représentants qu'une réforme était inéluctable… sans pour autant, si l'on en croit les enquêtes d'opinion et l'agitation sociale actuelle, qu'ils se résolvent aux sacrifices que celle-ci impose. Dans un pays où la protection sociale est très largement assise sur la solidarité nationale (la retraite par répartition en est le meilleur exemple), les Français ne sont, semble-t-il, pas disposés à en accepter les contreparties. Solidaires lorsqu'il s'agit de bénéficier du système, ils redeviennent individualistes dès lors que sa pérennité exige des efforts de leur part. Progressistes chaque fois qu'il est question d'améliorer leur couverture sociale, les voilà conservateurs quand il devient nécessaire de l'adapter à de nouvelles réalités économiques ou démographiques.

Or on peut tourner le problème dans tous les sens :

dans un système par répartition où les actifs paient les pensions de leurs aînés, une forte croissance du nombre de retraités conjuguée à une décrue du nombre des cotisants contraint soit à baisser le niveau des pensions versées, soit à augmenter le taux des cotisations, soit à demander aux salariés de travailler plus longtemps. Comme le préconisaient tous les rapports, du Livre blanc de Rocard au rapport Charpin commandé par Lionel Jospin, le gouvernement a choisi la solution la plus équitable, un cocktail entre ces trois mesures, en privilégiant l'allongement de la durée de cotisation. Une réforme mesurée, puisqu'elle ne couvre qu'un petit tiers des besoins de financement à l'horizon 2020, l'essentiel étant visiblement pour le gouvernement de rendre le processus irréversible, des rendez-vous tous les cinq ans permettant ensuite d'ajuster les différents paramètres de financement du système. Le remède miracle des bons docteurs Diafoirus consistant à n'activer que le seul levier des prélèvements obligatoires serait évidemment désastreux pour l'emploi, dans une économie ouverte où les capitaux comme les hommes se délocalisent de plus en plus aisément.

On regrettera des maladresses :

les initiatives du gouvernement sur la décentralisation à l'Éducation nationale et l'autonomie des universités, qui ont pollué inutilement le débat ; le couac de la réforme préalable des retraites à EDF ; les phrases sibyllines de François Fillon sur le sort des régimes spéciaux… On saluera le courage de la CFDT et de la CFE-CGC, qui ont pris le risque d'avaliser un compromis difficile. Et on déplorera l'irresponsabilité de bon nombre d'acteurs. Irresponsabilité de certains syndicats qui jouent avec délectation les pyromanes ; irresponsabilité des socialistes qui devraient se féliciter que le gouvernement assume la réforme impopulaire qu'ils n'ont pas eu le courage de mener à bien ; irresponsabilité du Medef qui aurait dû prendre l'initiative d'une ambitieuse négociation sur la gestion des salariés âgés plutôt que de mégoter son soutien à Jean-Pierre Raffarin. Une chose est sûre : si la France rate ce rendez-vous, elle se prépare à brève échéance à des lendemains qui déchantent.

Auteur

  • Denis Boissard