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Enquête

DES INÉGALITÉS DE PLUS EN PLUS CRIANTES

Enquête | publié le : 01.06.2003 | Sandrine Foulon, Isabelle Moreau

Rémunération, intéressement, mutuelle, cadeaux du CE, indemnités de licenciement ou formation… les salariés des petites entreprises sont moins bien traités et moins bien défendus que ceux des grandes. Sur bon nombre de points, ils ne sont guère mieux lotis que les indépendants.

Entre la grosse entreprise et la PME, « y a pas photo ». Nathalie, cadre dans un groupe de communication de 1 000 salariés, vient de la petite entreprise. « Je suis passée de 1 500 euros net par mois à 2 300 euros. Je touchais le treizième mois mais, là, j'ai la participation, l'intéressement, les titres-restaurants, les billets de ciné moitié prix… Bien sûr, l'ambiance petite équipe était stimulante. Je touchais à tout, j'étais reconnue, mais question respect des droits, des horaires, c'était folklorique. » Désormais tout est « mieux cadré ». La DRH et les délégués du personnel veillent. On lui parle évolution de carrière, entretien d'évaluation, développement personnel, mais aussi mutuelle, plan d'épargne entreprise, compte épargne temps… Des termes bien étrangers à un autre monde : celui des indépendants prompts à revendiquer la liberté mais qui, tout comme les TPE, ne sont pas de taille à rivaliser avec les plus grandes sur le seul registre de la protection et des droits sociaux.

Un fossé qui continue de se creuser dans la plus grande indifférence, notamment celle du législateur. Et pourtant, « trois emplois sur quatre se trouvent dans une PME ou une TPE », s'insurge Jacques Rastoul, à la délégation PME de la CFDT. Dans l'ouvrage Agir dans les petites entreprises (édité par la CFDT en février 2003), il rappelle quelques vérités. Au cours des vingt dernières années, l'emploi a progressé de 6 % dans les PME et de 20 % dans les TPE alors qu'il a diminué de 30 % dans les grandes entreprises. Et, phénomène non prévu au programme, la sous-traitance a littéralement explosé, transvasant des emplois des grandes vers les petites entreprises.

« Dans les années 80, sous l'effet d'un raisonnement marxisant, on pensait que la concurrence et la concentration du capital allaient avoir raison des petites structures, se souvient Jesus Labado, inspectrice du travail dans le 18e arrondissement de la capitale. C'est tout l'inverse qui s'est produit. Non seulement on a assisté à une explosion des statuts et des CDD, de l'intérim et du temps partiel pour adapter le salariat aux contraintes du marché, mais on a vu cette précarité perdurer dans la sous-traitance en cascade et l'externalisation. Comme au théâtre, on avait une unité de temps, de lieu et de statut. Tout cela a volé en éclats. On a trop tendance à assimiler la petite entreprise au petit artisan du coin. En réalité, pour comprendre sa logique, il faut savoir qui la fait vivre, quel est son donneur d'ordres. » De fait, selon la Dares, la proportion de CDD est deux fois plus importante dans les TPE que dans les grandes unités, et un salarié de TPE sur trois est à temps partiel dans les petites sociétés contre un peu plus d'un sur dix dans les grosses structures.

Un Code du travail truffé de seuils

Sous-traitantes ou pas, les petites sociétés peinent à réduire l'écart avec les plus grandes. « Une PME industrielle de 200 personnes aura du mal à rémunérer ses salariés au tarif de TotalFinaElf. Au-delà de cette évidence, les experts qui conçoivent le Code du travail mais aussi les lois pensent macroéconomie et grandes entreprises », constate Danielle Kaisergruber, présidente du directoire de Bernard Brunhes Consultants. Dans la catégorie des « grands oubliés », artisans, commerçants, agriculteurs et professions libérales forment déjà une caste à part. Quant aux salariés de petites structures, ils sont consignés dans la masse indifférenciée des moins de 250 salariés pour les PME, de moins de 50 pour les petites entreprises et de moins de 11 pour les TPE. « Pourtant, imposer des contraintes en fonction du nombre de salariés n'est guère pertinent, souligne Pierre Boisard, chercheur au Centre d'études de l'emploi. Il n'y a rien de commun entre une SSII pointue et rentable de 20 salariés et une entreprise de 200 salariés spécialisée dans l'emballage de produits finis et qui n'a aucune lisibilité sur les carnets de commandes. »

Cela n'empêche pas le Code du travail de faire abstraction de l'hétérogénéité des petites structures. « Il est taylorien, conçu pour une entreprise concentrée, explique Jesus Labado. Prenez, au hasard, l'article R. 620-2. Il stipule que les horaires de travail doivent être affichés à la porte d'entrée de l'entreprise. Mais qu'est-ce que ça veut dire pour le salarié d'un prestataire de nettoyage qui commence à 5 heures du matin dans une tour de la Défense ? »

Inadéquat mais également truffé de seuils, le gros livre rouge contribue à asseoir les différences. « Même si le droit français reste très égalitaire – le smic s'applique à tous –, il n'est pas exempt d'inégalités. À commencer par le décompte du nombre d'heures, constate François Gaudu, professeur de droit à Paris I. Avec les heures d'équivalence, le Code du travail a introduit une distinction entre ceux qui travaillent en continu et ceux qui, comme dans une boulangerie, pourraient bayer aux corneilles entre deux clients. Les disparités sont également frappantes pour les licenciements. Un plan social ne se déclenche que pour une entreprise de 50 salariés licenciant plus de 10 personnes en trente jours. » Si les Metaleurop, LU et autres Giat monopolisent l'attention, 85 % des licenciements économiques se déroulent hors plan social, sans que le chiffre ne fasse frémir personne. Et pas question pour ces licenciés de percevoir l'indemnité de cessation d'activité de 20 000 euros des salariés de Matra, encore moins celle de Gemplus qui, après négociations, varie de 30 000 à 52 000 euros en fonction de l'ancienneté.

Autre exemple d'injustice, l'article L. 122-14-4 du Code du travail octroie aux salariés avec deux ans d'ancienneté et employés dans une société de plus de 11 salariés six mois d'indemnités en cas de licenciement sans cause réelle et sérieuse. Tant pis pour les plus petits. Agnès, opticienne diplômée et licenciée par un franchisé Afflelou pour avoir refusé de passer l'aspirateur le matin, n'a ainsi obtenu que trois mois de salaire devant les prud'hommes. « Prévoir une sanction proportionnelle à la taille n'est pas contestable en soi, relève Hervé Tourniquet, avocat à Nanterre. Mais se limiter aux seuls effectifs n'est pas représentatif de la santé financière de l'entreprise. »

Pour être mieux défendus, les salariés des petites structures ne peuvent guère compter sur l'appui de représentants du personnel. Les TPE – un quart du total des salariés – n'ont pas l'obligation de faire élire des délégués du personnel. Le comité d'entreprise et le CHSCT ne voient le jour que dans les plus de 50 personnes. Et, selon la Dares, près de 10 % des entreprises de 50 à 99 salariés ne possèdent pas de CE et 40 % n'ont pas créé de CHSCT. Résultat, pas de voyages à tarif réduit, mais deux fois plus d'accidents du travail dans les TPE, au dire de la CFDT. « La variété des seuils est infernale pour les chefs d'entreprise, déplore Sylvain Breuzard, président du CJD. Nous défendons l'idée de bâtir un conseil d'entreprise qui remplacerait le CE, le CHSCT, les DP pour les entreprises de 20 à 250 salariés avec des élections en un tour. » Une solution guère probante selon Jacques Rastoul. « Abaisser les seuils ne mange pas de pain. Mais cela n'incitera pas les entreprises à sortir de l'illégalité. Déjà, les seuils existant ne sont pas respectés. »

Pas de chance avec l'Inspection du travail

La CFDT préfère miser sur le développement des conseillers syndicaux formés au conseil des petites entreprises et sur la pérennisation des mandatés. Dans la veine de l'accord de dialogue social de l'artisanat signé avec cinq confédérations syndicales en 2001, elle préconise, tout comme la CGT, la signature d'accords collectifs instituant des fonds paritaires pour le développement de la négociation collective et des droits sociaux. De la production agricole en passant par les fleuristes, les boulangers, les cabinets d'architectes, mais aussi les employés de maison, une vingtaine d'accords de ce type ont été mis en place depuis dix ans. Reste à les faire vivre localement, reconnaît Jacques Rastoul qui prône l'essor des commissions paritaires locales. Car les accords de branche au niveau national demeurent souvent trop abstraits, trop éloignés du terrain.

À défaut de représentation du personnel, les salariés devraient pouvoir compter sur l'Inspection du travail. Mais, là encore, pas de chance. Cette dernière a bien du mal à traquer les infractions commises dans ces myriades de petites sociétés. Ironie du sort, les contrôles des sociétés de moins de 50 salariés, viviers des ateliers clandestins et autres faux sous-traitants, sont dévolus aux jeunes contrôleurs, tandis que les inspecteurs visitent les plus grandes. À Paris, un redéploiement des sections – qui comptent en général un inspecteur et deux contrôleurs – a été réalisé en fonction de la présence sur le terrain d'entreprises… de plus de 50 salariés. Avec quatre sections, le VIIIe arrondissement se retrouve quatre fois mieux contrôlé que ceux de l'Est parisien, où il y a urgence. « L'Inspection du travail contrôle très peu les petites sociétés de services. Et quand bien même elle leur dresse un PV, il se transforme en amende une fois sur cent », note Alice Fagès, juriste à l'ordre des experts-comptables.

Outre la difficulté à faire respecter l'exécution de son contrat de travail, le salarié d'une TPE mesure aussi la différence sur sa fiche de paie. « La proportion de smicards dans les TPE ne cesse d'augmenter. Elle est passée de 6,5 % en 1994 à 28 % en 1999 », indique Jacques Rastoul. Dans la catégorie des plus de 500 salariés, seules 4,4 % des troupes sont au smic. Ces inégalités sont encore plus criantes dans certains secteurs comme l'hôtellerie, où près de la moitié des effectifs touche le salaire minimum. Et les professions libérales ne sont pas épargnées par la disette. L'image d'Épinal de l'avocat, cigare aux lèvres, aurait du plomb dans l'aile. Si l'on en croit l'étude nationale sur la profession d'avocat réalisée au premier semestre 2000, près de 15 % d'entre eux gagneraient moins de 23 000 euros par an, dont 3 % moins de 8 000 euros. « Sur les 38 000 avocats français, 16 000 sont inscrits au barreau de Paris. Et il n'y a pas assez d'affaires pour tout le monde », explique Guillaume Bluzet, avocat au cabinet Balder.

Un treizième mois qui fait rêver

Dans les professions médicales, où existe un numerus clausus, « la fourchette des rémunérations a tendance à s'élargir », constate Gérard Goupil, responsable des questions sociales à l'UNAPL. Rien de commun, en effet, entre le train de vie d'un radiologue installé dans les beaux quartiers de l'Ouest parisien et celui d'un généraliste ou d'un pédiatre installé en banlieue. La réalité est tout aussi contrastée chez les artisans et commerçants. Mais, point commun à ces salariés des TPE et indépendants, le treizième mois ou la prime de fin d'année, courants dans les grandes entreprises, les font encore rêver. De jolis cadeaux, rarement écrits noir sur blanc dans les conventions collectives.

Comme si les salaires directs ne suffisaient pas à creuser l'écart, le législateur n'a rendu obligatoire la participation que dans les entreprises de plus de 50 salariés. Cadre chez Hachette depuis quinze ans, Alain a engrangé 153 000 euros. Un matelas sympathique. « Tout dépend de la rentabilité de la boîte, mais aussi du salaire. J'ai vu des gens partir avec plus d'argent et moins d'ancienneté », relève-t-il. Difficile pour autant de se plaindre. Les plus petites structures ont certes la possibilité de mettre en place un plan d'intéressement, mais elles ne se précipitent guère. Loin s'en faut. Seules 6,5 % des entreprises de 10 à 49 salariés bénéficient d'un accord d'intéressement… et à peine 4 % des TPE. Seul le plan d'épargne salariale pourrait, à la marge, réduire l'écart. Car, à la différence d'une augmentation de salaire, ce dispositif est exonéré de charges sociales et peut fidéliser des salariés.

Dommage pour les couples d'indépendants !

Ces atouts ont convaincu Olivier, jeune patron d'un magasin d'optique à Pézenas, qui a vendu le plan à ses deux salariés pour compléter leur retraite à long terme, et accessoirement la sienne. L'idée lui a été soufflée par son expert-comptable qui, comme nombre de ses confrères, s'est engouffré dans la brèche ouverte par la loi Fabius. Patron du cabinet de consultants Créatis et ancien président de l'Institut français des experts-comptables, André-Paul Bahuon y voit davantage « un réflexe égoïste de petits patrons qui peuvent aussi bénéficier du dispositif qu'une véritable démarche de management ».

Autre disparité non négligeable, l'accès à la formation. Même si les plus petites entreprises pourraient, une fois conclue la négociation actuelle sur la formation professionnelle, cotiser davantage, leurs salariés ont aujourd'hui bien du mal à dégager du temps pour suivre des stages. Sans surprise, les secteurs les moins consommateurs de formation sont l'habillement et le petit commerce. « Environ 10 % des entreprises de moins de 50 salariés cotisent à perte, explique Françoise Dupont, responsable de l'agence parisienne de l'Agefos PME d'Ile-de-France. Ce qui est quasi impossible dans les plus de 50, le CE étant obligatoirement consulté sur le plan de formation. » De quoi consolider la fracture sociale. « Les salariés des entreprises de plus de 500 personnes sont trois fois plus formés que ceux des PME de moins de 20 salariés », ajoute Sylvain Breuzard.

Pour couronner le tout, ce régime à deux vitesses se retrouve aussi dans le champ de la complémentaire santé. « Environ une personne sur deux est couverte par une mutuelle, une compagnie d'assurances ou une institution de prévoyance », estime Véronique Loret-Chopin, du Centre technique des institutions de prévoyance. Dans les petites entreprises, la mutuelle s'apparente à du chacun-pour-soi. Il y a ceux qui parient sur leur bonne santé. Et ceux qui ne veulent pas tenter le diable et adhèrent à une mutuelle. Cécile est de ceux-là. Salariée d'un petit commerçant, elle débourse chaque mois 50 euros. Une démarche individuelle coûteuse dont s'exonèrent les salariés des grandes entreprises. Ces dernières négocient des tarifs groupés et prennent en charge une partie de la cotisation du salarié et de sa petite famille.

Mauvaise pioche également pour les professions libérales et les artisans qui ne peuvent se contenter du régime de base. Satisfaits de leur sort et rétifs au salariat, Éric et Bernard, dentistes dans un cabinet de groupe en région parisienne, savent pourtant qu'ils ne peuvent pas compter sur la Sécu en cas de pépin. « Pour un chiffre d'affaires d'environ 230 000 euros, je cotise 45 00 euros par trimestre, explique Éric. Mais si je tombe malade, je ne touche les indemnités journalières qu'au bout de trois mois. J'ai tout intérêt à souscrire une assurance privée. » Éric et Bernard paient ainsi 450 euros par mois pour une assurance perte d'exploitation, sans compter, pour le second, une mutuelle complémentaire –  hors prothèse dentaire ! – de 120 euros par mois. Idem pour la retraite. S'ils ne veulent pas attendre 70 ans pour obtenir leur retraite à taux plein, autant investir dans des fonds privés. « Lorsqu'un dentiste verse 760 euros par mois à la caisse de retraite, il peut espérer au bout du compte 15 00 à 18 00 euros de retraite mensuels. » Bien loin du niveau des « retraites chapeau », par capitalisation, accordées au gratin des plus grosses entreprises.

Au final, la balance penche lourdement en défaveur des indépendants et des salariés de petites structures. Aussi, à défaut d'espérer une régulation par la loi, la négociation collective ou la jurisprudence –  par l'introduction, par exemple, de la notion de coresponsabilité entre les petits sous-traitants et leurs donneurs d'ordres –, les candidats à la sécurité et au confort ont tout intérêt à travailler dans une grande entreprise. Ou à adopter le système suivant : dans un couple, mieux vaut ne pas opter tous les deux pour le statut d'indépendant ou la petite entreprise pour éviter de perdre sur tous les tableaux. Quant aux célibataires…

Liberté ou gros salaire
Sarah, avocate, et Philippe, syndic

Philippe est pressé. Encore un dernier problème à régler avant de courir à la réunion de copropriétaires qu'il anime ce soir à l'autre bout de Paris. Des assemblées générales, organisées le plus souvent entre 18 et 21 heures, ce cadre dirigeant d'un cabinet parisien de gestion immobilière, en aligne environ trois par semaine. Résultat, il travaille en moyenne 55 heures par semaine, avec des pics à 70 heures. Dans la maison depuis dix ans, ce diplômé de l'Institut de la construction et de l'habitat ne bénéficie pas des jours de RTT négociés pour les 45 salariés de l'entreprise. Sa compensation à lui est d'ordre salarial. Intéressé au chiffre d'affaires et à l'excédent brut d'exploitation, il gagne au final 90 000 euros brut par an. Sans compter d'autres avantages non négligeables comme la voiture de fonction, une très bonne mutuelle et une retraite privée payée pour moitié par la société.

À 35 ans, Philippe est satisfait de sa situation, même s'il envie un peu Sarah, sa femme, qui travaille une quarantaine d'heures par semaine et a toute latitude dans la gestion de son emploi du temps. Avec dix ans de barreau à son actif, la jeune robe noire a décidé, voilà cinq ans, d'abandonner son statut de collaboratrice dans une structure réputée sur la place de Paris pour se mettre à son compte. Un choix assumé, mais guère de tout repos. « Tous les mois, c'est la course au chiffre d'affaires. C'est usant. Parfois même, je me demande si je ne vais pas mettre la clé sous la porte », explique la jeune femme. Car, hormis quelques clients qui lui confient régulièrement des dossiers, Sarah fait de l'aide juridictionnelle et assure des permanences pénales le week-end. Le reste des affaires ? C'est le bouche-à-oreille.

L'an dernier, ses efforts ont été récompensés. Après avoir réalisé un chiffre d'affaires de 80 000 euros, elle a réussi à dégager un résultat net de 41 000 euros. Côté avantages sociaux, c'est presque zéro. « Les avocats n'ont ni congé maternité, ni arrêt maladie, ni chômage, ni même de congés payés. Heureusement que mes enfants et moi sommes couverts par la mutuelle de Philippe et qu'il est salarié. C'est sécurisant », souligne la trentenaire. La seule solution qui s'offre à elle est de souscrire des assurances privées. Notamment pour se constituer une retraite. Si elle se dit inquiète pour l'avenir, elle avoue aussi n'avoir pas eu le temps de s'en préoccuper. « Bientôt », promet-elle en souriant.

Course en solitaire et parcours coaché
Antoine, cadre chez Nestlé, et Alexis, traducteur free-lance chez Harlequin

Il y a douze ans, Antoine et Alexis touchaient le même salaire : 1 500 euros par mois. À cette époque, Antoine, diplômé d'une école d'ingénieurs et de commerce, travaillait dans une petite société d'études de marché ; Alexis, licencié en histoire de l'art et diplômé de l'École du Louvre, débutait, un peu par hasard, comme traducteur free-lance. Aujourd'hui, le premier, 40 ans, cadre dans la fonction marketing chez Nestlé, gagne, avec 87 000 euros annuels, quatre fois plus, sans compter la participation, l'équivalent de 15 % de son salaire. Son compagnon, 39ans, toujours traducteur chez Harlequin, plafonne au même salaire. « Le prix n'a pas augmenté depuis des années. Mais il y a tellement de candidats… » À l'un, les évolutions de carrière. Depuis son intégration dans le groupe agro- alimentaire, Antoine n'est jamais resté plus de deux ans au même poste. À l'autre, la solitude du free-lance. Tout passe par Internet ou par le téléphone avec des interlocuteurs qu'il n'a jamais vus. Et, pour ce qui est des conseils sur sa carrière, Alexis doit se débrouiller seul. Contrepartie revendiquée, la liberté. « Mais elle me coûte cher », concède celui qui traduit un roman par mois. Point commun des deux hommes, ils ne se sont jamais vraiment penchés sur leurs bulletins de paie. Mais si Antoine sait qu'il peut à tout moment compter sur la DRH pour le renseigner sur les cotisations retraite et mutuelle, Alexis, en revanche, angoisse pour l'avenir. « La retraite ? Je ne toucherai quasiment rien. La mutuelle ? Je n'en ai pas. » Quant à la sécurité de l'emploi, un copain avocat lui a assuré que ses traductions valaient contrat. Pour autant, malgré les sept semaines de congé, le self, la salle de sport et la bibliothèque au siège de Noisiel, la vie d'Antoine n'est pas aussi rose que dans les romans d'Alexis. « Plus on monte dans une grosse boîte, plus la concurrence est rude et les critères sélectifs. Pour évoluer, il faudrait passer par l'expatriation. » Mais Antoine, qui bénéficie de deux à trois formations par an, peut se targuer d'un bagage et pourrait rebondir ailleurs. Tandis qu'Alexis sait que s'il voulait s'atteler à un job qui le satisfasse intellectuellement, il lui faudrait recommencer de zéro. Et gagner encore moins de clopinettes.

Auteur

  • Sandrine Foulon, Isabelle Moreau