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Vie des entreprises

Boulogne et Montreuil gagnées par la fièvre managériale

Vie des entreprises | MATCH | publié le : 01.05.2003 | Catherine Lévi

Directions redécoupées, lignes hiérarchiques refondues, travail en réseau, réorganisation de la DRH… Boulogne la bourgeoise et Montreuil la rouge, deux grosses municipalités de la banlieue parisienne, sont en pleine révolution managériale. Évaluation et primes au mérite sont même à l'ordre du jour. Mais l'adhésion des agents n'est pas gagnée d'avance.

À l'ouest, Boulogne-Billancourt, la plus huppée, fief historique de Renault et, désormais, de TF1. À l'est, Montreuil la rouge, qui attire aujourd'hui les bobos en partance de la capitale. Deux communes d'environ 100 000 habitants, respectivement deuxième et quatrième d'Ile-de-France par ordre d'importance. Solidement installé aux commandes de Boulogne depuis 1995, Jean-Pierre Fourcade, 73 ans, affiche un brillant CV. Inspecteur des finances, ancien ministre, le sénateur UMP des Hauts-de-Seine a présidé pendant treize ans aux destinées de Saint-Cloud. Quant au communiste Jean-Pierre Brard, l'un des maires frondeurs du PC au même titre que son voisin de Saint-Denis Patrick Braouezec, il dirige Montreuil-sous-Bois depuis près de vingt ans. Cet ancien prof de 55 ans vient également de reconquérir haut la main son siège à l'Assemblée nationale. Deux personnalités bien différentes, mais la même volonté farouche de moderniser la gestion de leur ville et de leur administration municipale (2 000 personnes à Montreuil et 2 500 à Boulogne-Billancourt) composée d'une bonne centaine de métiers, des agents d'entretien aux bibliothécaires en passant par les policiers municipaux, les professeurs de dessin et les puéricultrices…

Première étape indispensable dans la révolution managériale en cours : le lifting des organigrammes, conçu comme outil de pilotage du changement. C'est après les municipales de 2001 que Jean-Pierre Fourcade a décidé de tout chambouler. Les directions de la mairie de Boulogne-Billancourt ont été regroupées autour de six pôles de compétences. Celui de l'aménagement urbain réunit, par exemple, les directions de l'environnement et des espaces verts, des grands projets, des affaires immobilières et foncières et de l'urbanisme. « Notre objectif est de créer plus de cohérence et de lisibilité dans l'organisation, de favoriser la transversalité et de mieux gérer les équipes et les dépenses », résume Améziane Medjdoub, directeur général adjoint, chargé du pôle ressources et moyens généraux des services.

Chaque pôle est placé sous la responsabilité d'un directeur général adjoint. Nouveaux hommes forts de la mairie, ces six managers sont chargés d'insuffler un esprit de réseau. « Ils doivent faire le relais entre les projets politiques et administratifs, avoir une vision stratégique, faire travailler les directions ensemble, donner de l'autonomie tout en demandant des comptes », indique Jérémie Le Fouiller, chargé de la mission management. Pour créer un appel d'air, Jean-Pierre Fourcade a demandé à ses directeurs de changer de poste. L'ancien directeur de l'environnement est dorénavant responsable des bâtiments…

À Montreuil, un nouvel organigramme s'est mis progressivement en place à partir de 1998, dans le cadre d'un projet administratif rénové. À l'occasion de l'opération Libre Écoute lancée en 1996-1997, les agents municipaux avaient critiqué en effet le fonctionnement et l'opacité de l'appareil administratif. Les directions ont été redécoupées de façon plus cohérente. Par exemple, l'éducation, historiquement rattachée à l'habitat, a pris son autonomie. Parallèlement, la ligne hiérarchique a été raccourcie, passant de cinq à trois niveaux dans certains services.

Les agents sur le terrain

Si Montreuil a cherché, elle aussi, à faire travailler son administration de manière plus transversale, la méthode utilisée n'a rien à voir avec celle de Boulogne-Billancourt. Répondant à une logique territoriale, une trentaine d'agents travaillent désormais dans les cinq mairies de quartier, alors qu'à Boulogne seuls les élus et leurs secrétaires sont présents sur le terrain. Dans chaque quartier, trois responsables de service (techniques, activités sociales et culturelles, aménagement et concertation avec les habitants) coordonnent l'action municipale sous la responsabilité d'un directeur. Généralisées en 2001, ces équipes organisent les tâches des agents issus des différentes directions, qui continuent de relever hiérarchiquement de leur service d'origine. Au total, 700 à 800 d'entre eux sont concernés par cette organisation matricielle. « Il ne s'agit pas de créer des mairies annexes, mais d'être le plus proche possible de la population, conformément aux vœux du maire », explique Gilles Hayoun, DRH et responsable du projet.

Séduisantes sur le papier, les résolutions de réorganisation des deux mairies ont du mal à passer dans les mœurs. « La réforme du mode de fonctionnement a été bien perçue, car on sortait d'une organisation datée », estime Gilles Hayoun. Reste qu'à Montreuil les cadres intermédiaires se sont sentis dépossédés d'une partie de leurs prérogatives. Entre le terrain et l'hôtel de ville, des priorités se télescopent parfois et le double reporting des agents n'est pas évident. Blocages également du côté des directeurs. « La mise en place de la territorialisation étant contraire aux habitudes d'organisation de la mairie, au début, ils ne comprenaient pas forcément les enjeux, relève Jean-Jacques Chausse, le directeur général. Cinq d'entre eux ont donc été nommés à la tête des quartiers afin de créer une meilleure osmose entre ancienne et nouvelle organisation » Les directeurs sont entrés dans le moule, mais ils croulent sous la charge de travail…

À Boulogne-Billancourt, la partie n'est pas gagnée non plus. Les syndicats dénoncent la méthode expéditive employée par Jean-Pierre Fourcade pour obliger les directeurs à changer de fonction. À l'hôtel de ville, de méchantes langues estiment que le maire a profité de la réforme pour placer ses hommes et recentraliser le pouvoir. Plusieurs cadres s'inquiètent également de l'apparition de nouvelles lourdeurs, dues à un nouvel échelon hiérarchique, d'une déperdition d'informations et de cloisonnements entre les pôles. « Ce n'est pas toujours facile de bien se faire comprendre des agents : nous avons des efforts à faire pour surmonter notre déficit de culture managériale », estime le représentant de la direction générale, Jean Guillet.

La DRH est une usine à gaz

Alors que la refonte des organigrammes municipaux continue de susciter des rancœurs, les deux mairies s'attaquent à un autre gros dossier : la réorganisation de leur direction du personnel. Les deux DRH sont restées de grosses machines administratives, fortes d'une soixantaine de personnes, insuffisamment impliquées dans la vie des directions. « Nous n'avons pas encore basculé dans une vraie GRH », admet Jean-Pierre Blanchard, adjoint au maire de Montreuil, chargé des relations humaines. Pour piloter la DRH, la municipalité de l'Est parisien a cependant préféré un homme de terrain. Présent depuis vingt ans à la mairie, Gilles Hayoun s'est surtout occupé de directions opérationnelles. « Je ne suis pas un DRH de métier, reconnaît l'intéressé. Je suis plutôt un généraliste, un animateur et un initiateur de projets. » Olivier Leray, l'un de ses chefs de service, met le paquet sur la gestion prévisionnelle des emplois. « Nous travaillons beaucoup sur les fonctions, les profils de postes pour faciliter la tâche des directions en matière de recrutement et de gestion de carrières. Cela doit également nous permettre de faire sauter de vieux verrous : juger le travail du personnel sur les compétences et non sur des critères subjectifs. »

À Boulogne-Billancourt, la DRH reste le parent pauvre de l'administration municipale et souffre d'un déficit de reconnaissance. « Ce service est victime de l'usine à gaz qui se met en place », juge Annie Casadéi, secrétaire de la section CFDT. Pointés, ses outils obsolètes et les innombrables dossiers en souffrance qui l'empêchent de se pencher sur les sujets de fond. « La DRH, en sous-effectif chronique, est peu présente », regrette Daniel Albert, délégué syndical Unsa. L'équipe n'est au complet que depuis le début de l'année, alors que sa nouvelle directrice est arrivée fin 2001. Aussi, la mairie de Boulogne veut accélérer le mouvement. En octobre 2002, elle a mis en place une mission management, rattachée à la direction générale, pour développer une réflexion stratégique sur les RH. « Nous avons créé cette fonction d'expertise pour valoriser le pôle humain et aider à la reconnaissance de la fonction dans l'organisation », précise Christine Bruneau, maire adjointe chargée des ressources humaines. Jeune administrateur territorial, Jérémie Le Fouiller, l'animateur de cette mission, se définit comme un consultant interne chargé de porter la bonne parole dans les services et d'aider la DRH à mettre en place une base de données pour organiser la gestion prévisionnelle des emplois et bâtir de nouveaux outils de communication interne.

Pour réussir leur pari, les deux municipalités doivent susciter davantage l'adhésion de leurs cadres. À Montreuil, un plan de formation au management, étalé sur quatorze jours, de mai 2000 à mai 2002, a concerné 112 personnes, directeurs et responsables de service. Au programme : pilotage et gestion de service, encadrement du personnel, conduite du changement dans le cadre du projet d'administration, délégation, responsabilisation. « C'est un bon début, juge Olivier Leray. Mais il faut aussi multiplier les réunions entre les services pour qu'ils apprennent à comprendre les contraintes des autres. » Même priorité à la mairie de Boulogne-Billancourt, où la formation au management a été généralisée à tous les cadres supérieurs. « Nous allons aussi mettre en place du coaching d'équipe pour faire travailler les DGA de façon collégiale. », indique Jérémie Le Fouiller.

Mais il ne faut pas oublier le gros des troupes. Dans ce domaine, Boulogne-Billancourt a une longueur d'avance. Loin de se limiter à la notation conventionnelle des agents qui intervient tous les deux ans à l'occasion des promotions d'échelons et de grades, la municipalité a instauré dès 1995 un entretien annuel d'évaluation. Lequel prend en compte les objectifs individuels et collectifs fixés au sein de chaque pôle. « Notre dispositif s'appuie sur des critères de qualité de service, qui entrent également en considération dans l'avancement », précise René Maire, actuel directeur de cabinet de Jean-Pierre Fourcade, à l'origine de cette petite révolution. Mais le système n'a pas prévu l'attribution de primes pour reconnaître les efforts fournis. La ville y réfléchit cependant, dans le cadre de la refonte du régime indemnitaire prévue par la loi, suscitant d'ores et déjà de vives réactions syndicales. « Le mérite, c'est le fait du prince, s'insurge Annie Casadéi, de la CFDT. L'avancement de grade suffit amplement. » « Nous n'avons pas assez de managers dans cette maison, s'inquiète Philippe Quintard, délégué syndical CGT. Les chefs de service n'ont pas suffisamment de recul. Il y aura trop de subjectivité dans l'évaluation. »

Une prime au mérite d'ici à 2004

À Montreuil, le chantier n'est pas aussi avancé. Il faut dire qu'un premier projet d'évaluation est tombé à l'eau en 1998. « Cela n'est pas notre point fort », admet Jean-Pierre Blanchard. Mais la municipalité planche sur huit critères d'évaluation du personnel, avec l'intention de boucler l'affaire d'ici à 2004. Elle envisage également d'introduire une prime au mérite, ce qui boosterait des rémunérations peu attractives. En particulier celles des cadres, guère favorisés par le saupoudrage des primes entre les trois catégories de personnel. « Jusqu'à présent nous étions plus dans une logique égalitaire. C'est une caractéristique d'une municipalité de gauche », souligne Jean-Pierre Blanchard. Résultat, les cadres supérieurs ne sont guère motivés pour venir travailler à Montreuil. Un attaché de catégorie A premier échelon perçoit 1 472 euros net mensuels, un agent administratif de catégorie C, 1 056 euros net, mais un technicien de catégorie B touche 1 496 euros net, soit davantage qu'un cadre A de même échelon. Des incohérences auxquelles la municipalité est décidée à s'attaquer, en faisant évoluer ses « packages rémunération ». Mais le dossier est sensible, car les réticences syndicales sont bien plus fortes qu'à Boulogne-Billancourt.

« À Montreuil, il y a un mécontentement diffus », estime Bernard Grenouillet, de la CFDT. Reste que la mairie, contrairement à celle de Boulogne, n'a pas connu de mouvement social depuis longtemps. Avant la signature du protocole d'accord sur la réduction du temps de travail, en novembre 2001, le personnel municipal boulonnais, en désaccord avec les propositions de la ville en matière de jours de RTT et de créations de postes, a débrayé. Dès le lendemain, élus et représentants du personnel se sont entendus sur une durée du travail annuelle de 1566 heures et sur la création de 36 postes. Un accord qui passera prochainement devant le tribunal administratif, puisqu'il prévoit une durée du travail inférieure à la durée légale de 1 600 heures.

De l'avis quasi général, ce conflit traduisait surtout le mécontentement du personnel face au chambardement de l'organisation. Car le projet de la mairie était plutôt généreux, ramenant l'horaire de 1 684 heures à 1 600 heures par an. Les agents ont bénéficié d'une RTT à la carte, par pôle et par service. À charge pour les chefs de service de jongler avec les plannings. « Largement associés à la préparation de l'accord, les agents ont travaillé en ateliers pendant plusieurs mois pour mettre à plat leurs contraintes de travail », rappelle René Maire.

À Montreuil, les 35 heures n'ont rien changé. « Les agents faisaient déjà 1 550 heures, en application des contrats de solidarité de 1982 », explique Gilles Hayoun. Si ce n'est que les cadres viennent d'obtenir deux à cinq jours de RTT en plus pour tenir compte de leur charge de travail. Il n'empêche que les syndicats ont ferraillé dur pour descendre à 32 ou 34 heures. Mais les discussions, plutôt houleuses, ont tourné court lorsque le gouvernement a placé la barre à 1 600 heures annuelles pour la fonction publique, en avril 2002.

Dans les deux villes, les syndicats se plaignent d'un dialogue social formel. « Si les procédures sont respectées, le fond n'y est pas. Il faut aller jusqu'au conflit pour discuter des dossiers », regrette Annie Casadéi, à Boulogne, non sans critiquer les méthodes de négociation à la hussarde du maire. « Les partenaires ont parfois une réaction de méfiance au départ. Puis on se cale et on travaille sur de bonnes bases », nuance Jean Guillet.

À Montreuil, où la CGT (largement majoritaire), la CFDT et FO ont du mal à attirer des adhérents, les syndicats estiment que le dialogue social pâtit des « exigences de résultat du politique alors que les moyens n'augmentent pas », comme le fait valoir Bernard Grenouillet. Mais Christian Rave, de la CGT, n'ignore pas les difficultés budgétaires de la ville. Selon Jean-Jacques Chausse, l'arrivée de nouvelles entreprises, et donc de nouvelles recettes fiscales, va redonner des marges de manœuvre. Le patron de l'administration municipale regrette la faiblesse des organisations syndicales. « L'absence de syndicalisation est problématique pour négocier les grands dossiers. » Un comble dans une municipalité de gauche !

Les bouchées doubles sur la qualification des agents

Sans aucun diplôme en poche, Frédéric Zannini a été recruté par la mairie de Boulogne-Billancourt, à 19 ans, en 1993, en tant qu'agent temporaire aux affaires générales, catégorie C. Petit à petit, il apprend les bases de la comptabilité publique et devient rédacteur territorial (catégorie B encadrement intermédiaire). Aujourd'hui, à 29 ans, il est responsable des dépenses des marchés et des recherches d'économie à la direction financière et gère une petite équipe de quatre personnes. Il a échoué au concours d'attaché territorial (catégorie A encadrant, niveau études supérieures). Qu'à cela ne tienne, Frédéric persévère. Autre parcours, celui de Michel Birot, encadrant de catégorie B, récemment affecté au service propreté de Montreuil, où il dirige une équipe de 15 agents. Après vingt-cinq ans passés dans le privé, il avait perdu son emploi de conseiller financier, n'hésitant pas, la quarantaine bien sonnée, à entrer à la mairie, au bas de l'échelle. Reçu au concours d'agent technique catégorie C, il a suivi une formation d'agent de maîtrise, ce qui lui a permis de passer le concours de contrôleur et d'obtenir la précieuse catégorie B. De tels cursus sont encore trop rares au gré des deux municipalités. Celles-ci veulent encourager les changements de catégories (de C à B et à A) par promotion interne ou par concours pour élever les qualifications dans un contexte de technicité grandissante des métiers. Elles souffrent d'une pénurie de personnel de catégorie B, tandis que les agents C, faiblement qualifiés, sont ultramajoritaires (plus de 75 % dans les deux cas). Mais les syndicats expriment des réserves, craignant une externalisation des services vers le privé. « On préfère développer les cadres A et B en interne et confier la gestion des C à des sociétés extérieures. C'est une logique économique », s'inquiète Philippe Quintard, délégué syndical CGT de Boulogne-Billancourt. Reste que les délégations de service public sont restées jusqu'à présent très limitées dans les deux villes.

Auteur

  • Catherine Lévi